Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 02/Géométrie, article 14

GÉOMÉTRIE.

Lettre aux rédacteurs des Annales, renfermant quelques
remarques sur le problème de l’inscription de trois
cercles à un triangle ;
Par M. Tédenat, correspondant de la première classe de
l’Institut, recteur de l’académie de Nismes.
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Messieurs,

Le silence de M. Bidone, ou plutôt celui de Malfatti lui-même, sur la nature des considérations qui ont pu le conduire à l’élégant résultat que vous avez fait connaître aux pages 347 et 348 du I.er volume des Annales, m’a entraîné à quelques recherches sur ce curieux problème. À la vérité la solution en est maintenant connue, et vous avez prouvé, Messieurs, à la page 60 du 2.me volume, qu’elle est exacte ; mais, faute de savoir par quelle route on y parvient, cette solution ne peut être considérée que comme un théorème dont on peut raisonnablement désirer une démonstration simple comme son énoncé. Si le peu de temps qu’il m’est permis de consacrer à la géométrie ne me laisse guère d’espoir de parvenir à une pareille démonstration, je pense que du moins les réflexions que j’ai faites à ce sujet, pourront aider dans sa recherche ceux de vos lecteurs qui ont tout le loisir nécessaire pour s’en occuper.

Suivant Malfatti, si est le rayon du cercle inscrit à un triangle ; les distances de ses sommets aux points où ce cercle touche ses côtés ; les distances de ces mêmes sommets au centre du cercle ; les rayons de trois cercles inscrits, de manière que chacun touche les deux autres et deux côtés du triangle ; et enfin la demi-somme des trois côtés de ce triangle, on doit avoir

en ajoutant ces équations deux à deux, et supprimant le facteur 2 dans les équation résultantes, il vient

Mais, étant les côtés du triangle, on a aussi (tome 1.er, page 344) les équations

Retranchant de chacune de celles-ci sa correspondante parmi les équations et divisant par les deux membres des équations résultantes, en se rappelant que sont respectivement égaux à on obtient

Cela posé, soient (fig. 1) le triangle dont il s’agit ; le centre du cercle inscrit ; les points de contact de ce cercle avec ses côtés ; des arcs décrits des sommets comme centres et avec leurs distances respectives aux points pour rayons ; soient enfin les centres des cercles dont les rayons respectifs sont et soient les points de contact de ces cercles avec les côtés du triangle. Soient enfin les points où prolongés au-delà du point , rencontrent la circonférence du cercle inscrit.

Il a déjà été démontré, et il est d’ailleurs facile de s’assurer immédiatement que

D’un autre côté, il est aisé de voir que

d’où il suit que les équations reviennent à celles-ci

lesquelles présentent un théorème fort remarquable.

Posons pour abréger,

En prenant le produit de ces dernières équations, il viendra

c’est-à-dire, que le parallélipipède construit sur les diamètres des trois cercles cherchés est équivalant au parallélipipède construit sur les trois longueurs connues

Si, au contraire, on divise successivement par chacune des équations le produit des deux autres, il viendra

valeurs incomparablement plus simples, et peut-être tout aussi faciles à construire que celles de Malfatti ; puisque les longueurs sont données immédiatement par la construction de la figure[1].

Si l’on suppose admises les équations ou, ce qui revient au même, les équations  ; les équations du problème deviendront les équations  ; et en retranchant successivement chacune de ces dernières de la somme des deux autres, on en déduira les formules de Malfatti. Le problème ne sera ainsi que du premier degré.

On voit donc combien la solution de ce problème deviendrait facile, si l’on pouvait parvenir à démontrer, a priori, que les droites sont respectivement égales aux droites  ; ou simplement que c’est sur ce point capital que j’ai cru, Messieurs, devoir appeler l’attention de vos lecteurs.

On pourrait parvenir à s’assurer de l’exactitude des valeurs que j’ai assignées à en posant

et prouvant, par la substitution dans les équations du problème qu’on doit avoir mais, outre que cette vérité ne pourrait être mise en évidence que par un calcul assez prolixe ; il resterait toujours à savoir ce qui a pu conduire à poser les équations ci-dessus, de manière qu’on ne ferait par là que reproduire, sous une autre forme, la vérification que vous avez présentée vous-mêmes, Messieurs, à la page 61 du tome II de votre recueil.

Je n’ajouterai plus qu’un mot : d’après les valeurs que j’ai assignées ci-dessus à on a

mais, à la page 346 du tome I, vous avez fait, Messieurs,

d’où

donc

ce qui donne

mais, d’après les valeurs que vous avez trouvées pour à l’endroit cité, on a

donc

En permutant convenablement les accens, on aura donc, entre données du problème, les relations suivantes

relations qu’il doit être facile de vérifier.

Agréez, Messieurs, etc.

Nismes, le 18 d’octobre 1811.

  1. Nous placerons ici une remarque qui peut souvent être d’une utile application.

    Le problème dont il s’agit ici, s’élève naturellement au 8.e ou tout au moins au 4.e degré, du moins tant qu’on n’emploie d’autres données que les trois côtés du triangle proposé. Voilà pourtant des valeurs rationnelles extrêmement simples ; mais, sous leur simplicité apparente, elles renferment implicitement les diverses solutions qu’en général le problème peut admettre. Les quantités sont en effet des fonctions de et ces dernières prennent diverses valeurs suivant qu’on les rapporte au cercle inscrit, proprement dit, ou qu’on les considère par rapport à chacun des trois cercles exinscrits.

    Il en doit toujours être de même ; c’est-à-dire, qu’en général un problème susceptible d’un grand nombre de solutions, ne peut être que d’un degré élevé, tant qu’on n’y emploie que des données invariables ; et qu’on ne doit espérer de l’abaisser à un degré inférieur, qu’en substituant à ces données d’autres données dont les valeurs ne soient pas les mêmes pour les diverses solutions dont ce problème est susceptible.

    Il a souvent été remarqué qu’un heureux choix d’inconnues pouvait simplifier d’une manière notable la solution des problèmes ; mais il n’avait pas été observé jusqu’ici, que des données choisies convenablement peuvent procurer le même avantage.

    (Note des éditeurs.)