Annales de l’Empire/Édition Garnier/Mathias

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MATHIAS,
quarantième-cinquième empereur.

1612. Mathias, frère de Rodolphe, est élu unanimement, et cette unanimité surprend l’Europe. Mais les trésors de son frère l’avaient enrichi, et le voisinage des Turcs rendait nécessaire l’élection d’un prince de la maison d’Autriche, roi de Hongrie.

La capitulation de Charles-Quint n’avait point jusque-là été augmentée. Elle le fut de quelques articles pour Mathias, dont l’ambition s’était assez manifestée.

La Hongrie et la Transylvanie étaient toujours dans le même état. L’empereur avait peu de terrain par delà Presbourg, et le nouveau prince de Transylvanie, Gabriel Rattori, était vassal du sultan.

1613. Ces deux grandes ligues, la protestante et la catholique, qui avaient menacé l’Allemagne d’une guerre civile, s’étaient comme dissipées elles-mêmes après la mort de Henri IV. Les protestants se contentaient seulement de refuser de l’argent à l’empereur dans les diètes. La querelle sur la succession de Juliers, qu’on croyait devoir embraser l’Europe, ne devint plus qu’une de ces petites guerres particulières qui ont troublé, de tout temps, quelques cantons d’Allemagne, sans dissoudre le corps germanique.

Le duc de Neubourg et l’électeur de Brandebourg, s’étant mis en possession de Clèves et de Juliers, devaient être nécessairement brouillés pour le partage. Un soufflet, donné par l’électeur de Brandebourg au duc de Neubourg, ne pacifia pas le différend. Les deux princes se firent la guerre. Le duc de Neubourg se fit catholique pour avoir la protection de l’empereur et du roi d’Espagne. L’électeur de Brandebourg introduisit le calvinisme dans le pays pour animer la ligue protestante en sa faveur.

Cependant les autres princes demeuraient dans l’inaction ; et l’électeur de Saxe lui-même[1], malgré le jugement impérial rendu en sa faveur, ne remuait pas. Les Pays-Bas espagnols et hollandais se mêlaient de la querelle. Deux grands généraux : le marquis de Spinola, de la part de l’Espagne, secourait Neubourg ; le comte Maurice, de la part des États-Généraux, était armé pour Brandebourg. C’est une suite de la constitution de l’Allemagne, que des puissances étrangères pussent prendre plus de part à ces querelles intestines que l’Allemagne même. L’intérieur du corps germanique n’en était point ébranlé. Cette paix intérieure était souvent troublée par les fréquents démêlés d’une ville avec une autre, des princes avec les villes, des princes avec les princes ; mais le corps germanique subsistait par ces divisions mêmes, qui mettaient une balance à peu près égale entre ses membres.

Il n’en était pas de même en Hongrie et en Transylvanie. L’empereur Mathias se préparait contre le Turc. Le vayvode de Transylvanie, Gabriel Battori, se ménageait entre l’empereur chrétien et l’empereur musulman. Les Turcs poursuivent Battori : il est abandonné de ses sujets ; l’empereur ne peut le secourir. Battori se fait donner la mort par un de ses soldats[2]. Exemple unique parmi les princes modernes.

1614. Un bâcha investit Bethlem-Gabor de la Transylvanie. Cette province semblait à jamais perdue pour la maison d’Autriche. Le nouveau sultan Achmet, maître d’une si grande partie de la Hongrie, jeune et ambitieux, faisait craindre que Presbourg ou Vienne ne devînt les limites des deux empires. On avait été toujours dans ces alarmes sur la fin du règne de Rodolphe ; mais la vaste étendue de l’empire ottoman, qui depuis si longtemps inquiétait les chrétiens, fut ce qui les sauva. Les Turcs étaient souvent en guerre avec les Persans. Leurs frontières, du côté de la mer Noire, souffraient beaucoup des révoltes des Géorgiens et des Mingréliens. On contenait difficilement les Arabes, et il arrivait souvent que dans le temps même qu’on craignait en Hongrie et en Italie une nouvelle inondation de Turcs, ils étaient obligés de faire une paix même désavantageuse pour la défense de leur propre pays.

1615. L’empereur Mathias a le bonheur de conclure avec le sultan Achmet un traité plus favorable que la guerre n’eût pu l’être. Il stipule, sans tirer l’épée, la restitution d’Agria, de Canise, d’Albe-Royale, de Pest, et même de Bude : ainsi il est en possession de presque toute la Hongrie, en laissant toujours la Transylvanie et Bethlem-Gabor sous la protection des Ottomans. Ce traité augmente la puissance de Mathias. L’affaire de la succession de Juliers est presque la seule chose qui inquiète l’intérieur de l’empire ; mais Mathias ménage les princes protestants, en laissant toujours ce pays partagé entre la maison palatine de Neubourg et celle de Brandebourg. Il avait besoin de ces ménagements pour perpétuer l’empire dans la maison d’Autriche.

1616. Cette année et les suivantes sont remplies de négociations et d’intrigues, Mathias était sans enfants, et avait perdu sa santé et son activité. Il fallait, pour assurer l’empire à sa maison, commencer par lui assurer la Bohême et la Hongrie. Les conjonctures étaient délicates : les états de ces deux royaumes étaient jaloux du droit d’élection ; l’esprit de parti y régnait, et l’esprit d’indépendance encore plus ; la différence des religions y nourrissait la discorde, mais les protestants et les catholiques aimaient également leurs priviléges. Les princes d’Allemagne paraissaient encore moins disposés à choisir un empereur autrichien ; et l’union évangélique, toujours subsistante, laissait peu d’espérance à cette maison.

Il lui faut donc commencer par assurer la succession de la Bohême et de la Hongrie. Il avait ravi ces États à son frère ; il n’en fait point passer l’héritage aux frères qui lui restent, Maximilien et Albert. Il n’y a guère d’apparence qu’ils y aient tous deux renoncé de bon gré. Albert surtout, à qui le roi d’Espagne avait laissé les Pays-Bas, aurait été plus qu’un autre en état de soutenir la dignité impériale, s’il eût régné sur la Hongrie et sur la Bohême. C’est sur un cousin, sur Ferdinand de Gratz, duc de Stirie, que Mathias veut faire tomber ses couronnes. Le droit du sang fut donc peu consulté.

1617-1618. Ferdinand est élu et reconnu successeur au royaume de Bohême par les états, et couronné en cette qualité le 29 juin. L’union évangélique commence à s’effaroucher de voir ces premiers pas de Ferdinand de Gratz vers l’empire. Mathias et Ferdinand ménagent plus que jamais l’électeur de Saxe, qui n’est point de l’union évangélique, et qui, dans l’espérance d’avoir Clèves, Berg, et Juliers, embrasse toujours le parti de la maison d’Autriche. La maison palatine, ayant des intérêts tout contraires, est toujours à la tête des protestants : et c’est là l’origine de la funeste guerre entre Ferdinand et la maison palatine ; c’est celle de la guerre de trente ans, qui désola tant de provinces, qui fit venir les Suédois au milieu de l’Allemagne, et qui produisit enfin le traité de Vestphalie, et donna une nouvelle face à l’empire.

1618. Mathias engage la branche d’Autriche espagnole à céder les prétentions qu’elle peut avoir sur la Hongrie et sur la Bohême. Philippe III, roi d’Espagne, abandonne ses droits sur ces royaumes à Ferdinand[3], à condition qu’au défaut de la postérité mâle de Ferdinand, la Hongrie et la Bohême appartiendront aux fils de Philippe III, ou à ses filles, et aux enfants de ses filles, selon l’ordre de la primogéniture. Par ce pacte de famille ces États pouvaient aisément tomber à la maison de France : car si une fille héritière de Philippe III épousait un roi de France, le fils aîné de ce roi acquérait un droit à la Hongrie et à la Bohême.

Ce pacte de famille était évidemment contraire au testament de l’empereur Ferdinand Ier[4]. Les dispositions des hommes, pour établir la paix dans l’avenir, préparent presque toujours la division. Enfin ce nouveau traité révoltait les Hongrois et les Bohémiens, qui voyaient qu’on disposait d’eux sans les consulter. Les protestants de Bohême commencent par se confédérer, à l’exemple de l’union évangélique ; bientôt ils entraînent les catholiques dans leur parti, parce qu’il s’agit des droits de l’État, et non de la religion, La Silésie, ce grand fief de la Bohême, se joint à elle : la guerre civile est allumée. Un comte de Thurn, ou de La Tour[5], homme de génie, est à la tête des confédérés ; il fait la guerre régulièrement et avec avantage ; ses partis vont jusqu’aux portes de Vienne.

1619. L’empereur Mathias meurt au mois de mars, au milieu de cette révolution subite, sans pouvoir prévoir quel sera le destin de sa maison.

Son cousin Ferdinand de Gratz est assez heureux d’abord pour ne point éprouver de grandes contradictions en Hongrie, dont il avait chassé les Turcs par un traité qui le rendait agréable au royaume ; mais il voit la Bohême, la Silésie, la Moravie, la Lusace, liguées contre lui, les protestants de l’Autriche prêts à éclater, et ceux de l’Allemagne peu disposés à l’élever à l’empire. La maison d’Autriche n’avait point encore eu de moment plus critique : d’un côté quatre électeurs offrent la couronne impériale à Maximilien, duc de Bavière ; de l’autre, la Bohême offre sa souveraineté, d’abord au duc de Savoie, trop éloigné pour l’accepter ; et ensuite à l’électeur palatin Frédéric V, qui l’obtint pour son malheur. Cependant on s’assemble à Francfort pour élire un roi des Romains, un roi d’Allemagne, un empereur. Presque toutes les cours de l’Europe sont en mouvement pour cette grande affaire ; les états de la Bohême députent à Francfort pour faire exclure Ferdinand du droit de suffrage : ils ne le reconnaissaient pas pour roi, et conséquemment ils ne voulaient pas qu’il eût de voix. Non-seulement il était menacé de n’être pas empereur, mais même de n’être pas électeur : il fut l’un et l’autre. Il se donna sa voix pour l’empire ; il eut celles des catholiques, et même des protestants. Chaque électeur fut tellement ménagé que chacun crut voir son intérêt particulier dans l’élévation de Ferdinand de Gratz. L’électeur palatin lui-même, à qui la Bohême déférait la couronne, fut obligé de donner sa voix, dont le refus aurait été inutile. Cette élection fut faite le 19 auguste 1619 ; il est couronné à Aix-la-Chapelle le 9 septembre ; il signe auparavant une capitulation un peu plus étendue que celle de ses prédécesseurs.


  1. Jean George ; voyez le Catalogue des électeurs de Saxe, page 212.
  2. Le 27 octobre 1613. Bethlem-Gabor fut proclamé son successeur trois jours après. (Cl.)
  3. Ce prince fut couronné roi de Hongrie le 1er juillet 1618. (Cl.)
  4. Voyez année 1564.
  5. Lamorald de La Tour-Taxis. Il appartenait à la famille de Roger Ier, comte de Thurn, qui inventa les postes, en Allemagne, dans le xve siècle. (Cl.)