Annales de l’Empire/Édition Garnier/Ferdinand II

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FERDINAND II,
quarantième-sixième empereur.

1619. Dans le temps même que Ferdinand II est couronné empereur, les états de Bohême nomment pour roi l’électeur palatin. Cet honneur était devenu plus dangereux qu’auparavant par la nomination de Ferdinand à l’empire ; c’était le temps d’une grande crise pour le parti protestant. Si Frédéric eût été secouru par son beau-père Jacques, roi d’Angleterre, le succès paraissait assuré ; mais Jacques ne lui donna que des conseils, et ces conseils furent de refuser ; il ne le crut pas, et s’abandonna à la fortune.

Il est solennellement couronné dans Prague le 4 novembre avec l’électrice princesse d’Angleterre ; mais il est couronné par l’administrateur des hussites, non par l’archevêque de Prague.

Cela seul annonçait une guerre de religion aussi bien que de politique : tous les princes protestants, hors l’électeur de Saxe, étaient pour lui ; il avait dans son armée quelques troupes anglaises, que des seigneurs d’Angleterre lui avaient amenées par amitié pour lui, par haine pour la religion catholique, et par la gloire de faire ce que son beau-père Jacques Ier ne faisait pas. Il était secondé par le vayvode de Transylvanie, Bethlem-Gabor, qui attaquait le même ennemi en Hongrie. Gabor pénétra même jusqu’aux portes de Vienne, et de là il retourna sur ses pas prendre Presbourg. La Silésie était toute soulevée contre l’empereur ; le comte de Mansfeld soutenait en Bohême le parti du palatin ; les protestants même de l’Autriche inquiétaient l’empereur. Si la maison bavaroise avait été réunie, comme celle d’Autriche le fut toujours, le parti du nouveau roi de Bohême aurait été le plus fort ; mais le duc de Bavière, riche et puissant, était loin de contribuer à la grandeur de la branche aînée de sa maison. La jalousie, l’ambition, la religion, le jetèrent dans le parti de l’empereur : de sorte qu’il arriva à la maison bavaroise, sous Ferdinand de Gratz, ce qui était arrivé à la maison de Saxe sous Charles-Quint.

La ligue protestante et la ligue catholique étaient à peu près également puissantes dans l’Allemagne, mais l’Espagne et l’Italie appuyaient Ferdinand ; elles lui fournissaient de l’argent levé sur le clergé, et des troupes. La France, qui n’était pas encore gouvernée par le cardinal de Richelieu, oubliait ses anciens intérêts. La cour de Louis XIII, faible et orageuse, semblait avoir des vues (supposé qu’elle en eût) toutes contraires aux desseins du grand Henri IV.

1620. Louis XIII envoie en Allemagne le duc d’Angoulême, à la tête d’une ambassade solennelle, pour offrir ses bons offices, au lieu d’y marcher avec une armée. Les princes, assemblés à Ulm, écoutent le duc d’Angoulême, et ne concluent rien ; la guerre en Bohême continue. Bethlem-Gabor se fait reconnaître roi en Hongrie, comme le palatin Frédéric V en Bohême. Un ambassadeur de la Porte et un de Venise favorisent cette révolution des états de Hongrie dans la ville de Neuhausel. On n’était pas accoutumé à voir ainsi les Turcs et les Vénitiens réunis ; mais Venise avait tant de démêlés avec la branche d’Autriche espagnole qu’elle déclarait ouvertement ses sentiments contre toute la maison.

Toute l’Europe était partagée dans cette querelle, mais plutôt par des vœux que par des effets, et l’empereur était bien mieux secondé en Allemagne que l’électeur palatin.

D’un côté, l’électeur de Saxe, déclaré pour l’empereur, entre dans la Lusace ; de l’autre, le duc de Bavière pénètre en Bohême avec une puissante armée, tandis que les armes de l’empereur résistent, au moins en Hongrie, contre Bethlem-Gabor.

Le palatin est attaqué à la fois et dans son nouveau royaume de Bohême, et dans son électorat. Henri-Frédéric de Nassau, frère, et depuis successeur de Maurice, le stathouder des Provinces-Unies, y combattait pour lui. Il y avait encore des Anglais ; mais contre lui était le célèbre Spinola, avec l’élite des troupes des Pays-Bas espagnols. Le Palatinat est ravagé. Une bataille décide en Bohême du sort de la maison d’Autriche et de la maison palatine.

Frédéric est entièrement défait le 19 novembre, auprès de Prague, par son parent Maximilien de Bavière. Il fuit d’abord en Silésie avec sa femme et deux de ses enfants, et perd en un jour les États de ses aïeux et ceux qu’il avait acquis.

1621. Le roi d’Angleterre Jacques négocie en faveur de son malheureux gendre aussi infructueusement qu’il s’était conduit faiblement.

L’empereur met l’électeur palatin au ban de l’empire, par un arrêt de son conseil aulique, le 20 janvier. Il proscrit le duc de Jagerndorff en Silésie, le prince d’Anhalt, les comtes de Hohenlohe, de Mansfeld, de La Tour, tous ceux qui ont pris les armes pour Frédéric.

Ce prince, vaincu, n’a pour lui que des intercesseurs, et point de vengeurs. Le roi de Danemark presse l’empereur d’user de clémence. Ferdinand n’en fait pas moins passer par la main du bourreau un grand nombre de gentilshommes bohémiens.

Un de ses généraux, le comte de Bucquoi, achève de soumettre ce qui reste de rebelles en Bohême, et de là il court assurer la haute Hongrie contre Bethlem-Gabor. Bucquoi est tué dans cette campagne, et Ferdinand s’accommode bientôt avec le Transylvain, auquel il cède un grand terrain, pour être plus sûr du reste.

Cependant l’électeur palatin se réfugie de Silésie en Danemark, et de Danemark en Hollande. Le duc de Bavière s’empare du haut Palatinat, tandis que le marquis de Spinola répand dans le Palatinat les troupes espagnoles, fournies par l’archiduc, gouverneur des Pays-Bas.

Le palatin n’avait pu obtenir de son beau-père le roi Jacques, et du roi du Danemark, que de bons offices et des ambassades inutiles à Vienne. Il n’obtenait rien de la France, dont l’intérêt était de prendre son parti. Ses seules ressources étaient alors dans deux hommes qui devaient naturellement l’abandonner. C’était le duc de Jagerndorff en Silésie, et le comte de Mansfeld dans le Palatinat, tous deux proscrits par l’empereur, et pouvant mériter leur grâce en quittant le parti du palatin. Ils firent pour lui des efforts incroyables. Mansfeld surtout fut toujours à la tête d’une petite armée, qu’il conserva malgré la puissance autrichienne. Elle n’avait pour toute solde que l’art de Mansfeld de faire la guerre en partisan habile, art assez en usage alors, dans un temps où l’on ne connaissait pas ces grandes armées toujours subsistantes, et où un chef résolu pouvait se maintenir quelque temps à la faveur des troubles, Mansfeld réveillait et encourageait les princes protestants voisins.

Christiern surtout, prince de Brunsvick, administrateur, ce qui, au fond, ne veut dire qu’usurpateur, de l’évêché d’Halberstadt, se joignit à Mansfeld. Ce Christiern s’intitulait Ami de Dieu et ennemi des prêtres ; il n’était pas moins ennemi des peuples dont il ravageait le territoire. Mansfeld et lui firent beaucoup de mal au pays, sans faire du bien à l’électeur palatin.

Les princes d’Orange et les Provinces-Unies, qui faisaient la guerre contre les Espagnols, aux Pays-Bas, étaient obligés d’y employer toutes leurs forces, et n’étaient pas en état de donner au palatin des secours efficaces. Son parti était accablé ; mais il ne laissait pas de donner de temps en temps de violentes secousses ; et, à la moindre occasion, il se trouvait quelque prince protestant qui armait en sa faveur. Le landgrave de Hesse-Cassel disputait quelques terres au landgrave de Darmstadt. Piqué contre l’empereur, qui favorisait son compétiteur, il soutenait, autant qu’il le pouvait, le parti de l’électeur palatin. Le margrave de Bade-Dourlach s’unissait avec Mansfeld ; et, en général, tous les princes protestants, craignant de se voir bientôt forcés de restituer les biens ecclésiastiques, paraissaient disposés à prendre les armes dès qu’ils seraient secondés de quelques puissances.

1622. C’est toujours le duc de Bavière[1] qui fait le bonheur de Ferdinand. Ce sont ses généraux et ses troupes qui achèvent de ruiner le parti du palatin son parent, Tilly, général bavarois, qui depuis fut un des plus grands généraux de l’empereur, défait entièrement auprès d’Aschafenbourg ce prince de Brunsvick surnommé à bon droit l’ennemi des prêtres, puisqu’il venait de piller l’abbaye de Fulde et toutes les terres ecclésiastiques de cette partie de l’Allemagne.

Il ne restait plus que Mansfeld[2] qui pût défendre encore le Palatinat ; et il en était capable, étant à la tête d’une petite armée qui, avec les débris de celle de Brunsvick, allait jusqu’à dix mille hommes. Mansfeld était un homme extraordinaire, bâtard d’un comte de ce nom, n’ayant de fortune que son courage et son habileté ; secouru en secret des princes d’Orange et des autres protestants, il se trouvait général d’une armée qui n’appartenait qu’à lui.

Le malheureux Frédéric fut assez mal conseillé pour renoncer à ce secours, dans l’espérance qu’il obtiendrait de l’empereur des conditions favorables qu’il ne pouvait obtenir que par la force. Il pressa lui-même Brunsvick et Mansfeld de l’abandonner. Ces deux chefs errants passent en Lorraine et en Alsace, et cherchent de nouveaux pays à ravager.

Alors Ferdinand II, pour tout accommodement avec l’électeur palatin, envoie Tilly, victorieux, prendre Heidelberg, Manheim, et le reste du pays ; tout ce qui appartenait à l’électeur fut regardé comme le bien d’un proscrit. Il avait la plus nombreuse et la plus belle bibliothèque d’Allemagne, surtout en manuscrits ; elle fut transportée chez le duc de Bavière, qui l’envoya par eau à Rome. Plus du tiers fut perdu par un naufrage, et le reste est conservé encore dans le Vatican[3].

La religion et l’amour de la liberté excitent toujours quelques troubles en Bohême ; mais ce ne sont plus que des séditions qui finissent par des supplices. L’empereur fait sortir de Prague tous les ministres luthériens, et fait fermer leurs temples. Il donne aux jésuites l’administration de l’université de Prague. Il n’y avait plus alors que la Hongrie qui pût inquiéter la prospérité de l’empereur. Il achève de s’assurer la paix avec Bethlem-Gabor, en le reconnaissant souverain de la Transylvanie, et en lui cédant, sur les frontières de son État, sept comtés qui composent cinquante lieues de pays. Le reste de la Hongrie, théâtre éternel de la guerre, ravagé depuis longtemps sans interruption, n’était encore à la maison d’Autriche d’aucune ressource ; mais c’était toujours un boulevard des États autrichiens.

1623. L’empereur, affermi en Allemagne, assemble une diète à Ratisbonne, dans laquelle il déclare que « l’électeur palatin[4] s’étant rendu criminel de lèse-majesté, ses États, ses biens, et ses dignités, sont dévolus au domaine impérial ; mais que, ne voulant pas diminuer le nombre des électeurs, il veut, commande, et ordonne que Maximilien, duc de Bavière, soit investi dans cette diète de l’électorat palatin ». C’était parler en maître. Les princes catholiques accédèrent tous à la volonté de l’empereur. Les protestants firent quelques remontrances publiques. L’électeur de Brandebourg, les ducs de Brunsvick, de Holstein, de Mecklenbourg, les villes de Brème, de Hambourg, de Lubeck, et d’autres, renouvelèrent la ligue évangélique. Le roi de Danemark se joignit à eux ; mais cette ligue, n’étant que défensive, laissa l’empereur en pleine liberté d’agir.

Le 25 février, Ferdinand, sur son trône, investit le duc de Bavière de l’électorat palatin. Le vice-chancelier dit expressément que « l’empereur lui confère cette dignité de sa pleine puissance ».

On ne donna point, par cette investiture, les terres du Palatinat au duc de Bavière ; c’était un article important qui faisait encore de grandes difficultés.

Jean-George de Hohenzollern l’aîné, de la maison de Brandebourg, est fait prince de l’empire à cette diète.

Brunsvick, l’ennemi des prêtres, et le fameux général Mansfeld, toujours secrètement appuyés par les princes protestants, reparaissent dans l’Allemagne. Brunsvick s’établit d’abord dans la basse Saxe, et ensuite dans la Vestphalie. Le comte de Tilly défait son armée et la disperse. Mansfeld demeure toujours inébranlable et invincible. C’était le seul appui qu’eût alors le palatin ; et cet appui ne suffisait pas pour lui faire rendre ses domaines.

1624. La ligue protestante couvait toujours un feu prêt à éclater contre l’empereur. Le roi d’Angleterre Jacques Ier, n’ayant pu rien obtenir en faveur du palatin son gendre par les négociations, s’unit enfin avec la ligue de la basse Saxe, et le roi de Danemark Christiern IV est déclaré chef de la ligue ; mais ce n’était pas encore là le chef qu’il fallait pour tenir tête à la fortune de Ferdinand II.

Le roi d’Angleterre fournit de l’argent, le roi de Danemark Christiern IV amène des troupes. Le fameux Mansfeld grossit sa petite armée, et on se prépare à la guerre.

1625. À peine le roi d’Angleterre a-t-il pris enfin la résolution de secourir efficacement son gendre, et de se déclarer contre la maison d’Autriche, qu’il meurt au mois de mars, et laisse les confédérés privés de leur plus puissant secours.

Ce n’était qu’une partie de l’union évangélique qui avait levé l’étendard. La basse Saxe était le théâtre de la guerre.

1626. Les deux grands généraux de l’empereur, Tilly et Valstein, arrêtent les progrès du roi de Danemark et des confédérés. Tilly défait le roi de Danemark en bataille rangée, près de Northeim, dans le pays de Brunsvick. Cette victoire paraît laisser le palatin sans ressources. Mansfeld, qui ne perdait jamais courage, transporte ailleurs le théâtre de la guerre, et va par le Brandebourg, la Silésie, la Moravie, attaquer en Hongrie l’empereur. Bethlem-Gabor, avec qui l’empereur n’avait pas tenu tous ses engagements, reprend les armes, se joint à Mansfeld, et lui amène dix mille hommes. Il arme les Turcs, qui étaient toujours maîtres de Bude ; mais ce projet, si grand et si hardi, avorte sans qu’il en coûte de peine à Ferdinand. Les maladies détruisent l’armée de Mansfeld. Il meurt de la contagion à la fleur de son âge, en exhortant ce qui lui reste de soldats à sacrifier leur vie pour la liberté germanique.

Le prince de Brunsvick, cet autre soutien de l’électeur palatin, était mort quelque temps auparavant. La fortune ôtait au palatin tous les secours, et favorisait en tout Ferdinand : cet empereur venait de faire élire son fils, Ferdinand-Ernest, roi de Hongrie. Bethlem-Gabor veut en vain soutenir ses droits sur ce royaume ; les Turcs, dans la minorité du sultan Amurat IV, ne peuvent le secourir ; il désole à la vérité la Stirie, mais Valstein le repousse comme il a repoussé les Danois ; enfin l’empereur, heureux par ses ministres comme par ses généraux, contient Bethlem-Gabor par un traité qui, en lui laissant la Transylvanie et les sept comtés adjacents, assure le tout à l’Autriche après la mort de Gabor.

1627. Tout réussit à Ferdinand sans qu’il ait d’autre soin que de souhaiter et d’ordonner. Le comte de Tilly poursuit le roi de Danemark et les confédérés. Ce roi se retire dans ses États. Les ducs de Holstein et de Brunsvick désarment presque aussitôt qu’ils ont armé. L’électeur de Brandebourg, qui avait seulement permis que ses sujets s’enrôlassent au service du Danemark, les rappelle, et rompt toute association. Le comte de Tilly, et Valstein, devenu duc de Friedland, font vivre partout à discrétion leurs troupes victorieuses.

Ferdinand, joignant les intérêts de la religion à ceux de sa politique, veut retirer l’évêché de Halberstadt des mains de la maison de Brunsvick, et les archevêchés de Magdebourg et de Brême des mains de la maison de Saxe, pour les donner à un de ses fils avec plusieurs abbayes.

Il avait fait élire son fils Ferdinand-Ernest roi de Hongrie ; il le fait couronner roi de Bohême sans élection, car les Hongrois, voisins des Turcs et de Bethlem-Gabor, devaient être ménagés ; mais la Bohême était regardée comme asservie.

1628. Ferdinand jouit alors de l’autorité absolue.

Les princes protestants et le roi de Danemark Christiern IV s’adressent secrètement au ministère de France, que le cardinal de Richelieu commençait à rendre respectable dans l’Europe. Ils se flattaient, avec raison, que ce cardinal, qui voulait écraser les protestants de France, soutiendrait ceux d’Allemagne. Le cardinal de Richelieu fait donner de l’argent au roi de Danemark, et encourage les princes protestants. Les Danois marchent vers l’Elbe ; mais la ligue protestante, effrayée, n’ose se déclarer ouvertement pour lui, et le bonheur de l’empereur n’est point encore interrompu. Il proscrit le duc de Mecklenbourg, que les Danois avaient forcé à se déclarer pour eux. Il donne son duché à Valstein.

1629. Le roi de Danemark, toujours malheureux, est obligé de faire sa paix avec l’empereur au mois de juin. Jamais Ferdinand n’eut plus de puissance, et ne la fit plus valoir.

Christiern IV, qui avait des démêlés avec le duc de Holstein, ravageait le duché de Slesvick avec ses troupes, qui ne servaient plus contre Ferdinand. La cour de Vienne lui envoie des lettres monitoriales comme à un membre de l’empire, et lui enjoint d’évacuer les terres de Slesvick. Le roi de Danemark répond que jamais ce duché n’a été un fief impérial comme celui de Holstein. La cour de Vienne réplique que le royaume de Danemark lui-même est un fief de l’empire. Le roi est enfin obligé de se conformer à la volonté de l’empereur. On ne pouvait guère soutenir les prétentions de l’empire, du côté du Nord, avec plus de grandeur.

Jusque-là l’empire avait paru comme entièrement détaché de l’Italie depuis Charles-Quint. La mort d’un duc de Mantoue, marquis de Montferrat, fit revivre ces anciens droits qu’on avait été hors de portée d’exercer. Ce duc de Mantoue, Vincent II, était mort sans enfants. Son gendre[5], Charles de Gonzague, duc de Nevers, prétendait la succession en vertu de ses conventions matrimoniales. Son parent César Gonzague, duc de Guastalle, avait reçu de l’empereur l’investiture éventuelle.

Le duc de Savoie, troisième prétendant, voulait exclure les deux autres, et le roi d’Espagne voulait les exclure tous trois. Le duc de Nevers avait déjà pris possession, et se faisait reconnaître duc de Mantoue ; mais le roi d’Espagne et le duc de Savoie s’unissent ensemble pour s’emparer dans le Montferrat de ce qui peut leur convenir.

L’empereur exerce alors, pour la première fois, son autorité en Italie ; il envoie le comte de Nassau, en qualité de commissaire impérial, pour mettre en séquestre le Mantouan et le Montferrat jusqu’à ce que le procès soit jugé à Vienne.

Ces procédures étaient inouïes en Italie depuis soixante ans. Il était visible que l’empereur voulait à la fois soutenir les anciens droits de l’empire et enrichir la branche d’Autriche espagnole de ces dépouilles.

Le ministère de France, qui épiait toutes les occasions de mettre une digue à la puissance autrichienne, secourt le duc de

Mantoue ; elle s’était déjà mêlée des affaires de la Valteline : elle avait empêché la branche d’Autriche espagnole de s’emparer de ce pays, qui eût ouvert une communication du Milanais au Tyrol, et qui eût rejoint les deux branches d’Autriche par les Alpes, comme elles l’étaient vers le Rhin par les Pays-Bas. Le cardinal de Richelieu prend donc, dans cet esprit, le parti du duc de Mantoue.

Les Vénitiens, plus voisins et plus exposés, envoient dans le Mantouan une armée de quinze mille hommes. L’empereur déclare rebelles tous les vasseaux de l’empire, en Italie, qui prendront parti pour le duc. Le pape Urbain VIII est obligé de favoriser ces décrets.

Le pontificat alors était dépendant de la maison d’Autriche ; et Ferdinand, qui se voyait à la tête de cette maison par sa dignité impériale, était regardé comme le plus puissant prince de l’Europe.

Les troupes allemandes, avec quelques régiments espagnols, prennent Mantoue d’assaut, et la ville est livrée au pillage.

Ferdinand, heureux partout, croit enfin que le temps est venu de rendre la puissance impériale despotique, et la religion catholique entièrement dominante. Par un édit de son conseil, il ordonne que les protestants restituent tous les biens ecclésiastiques dont ils s’étaient emparés depuis le traité de Passau, signé par Charles-Quint. C’était porter le plus grand coup au parti protestant ; il fallait rendre les archevêchés de Magdebourg et de Brême, les évêchés de Brandebourg, de Lebus, de Camin, d’Havelberg, de Lubeck, de Misnie, de Naumbourg, de Mersebourg, de Schverin, de Minden, de Verden, de Halberstadt, une foule de bénéfices. Il n’y avait point de prince, soit luthérien, soit calviniste, qui n’eût des biens de l’Église.

Alors les protestants n’ont plus de mesures à garder. L’électeur de Saxe, que l’espérance d’avoir Clèves et Juliers avait longtemps retenu, éclate enfin ; cette espérance s’affaiblissait d’autant plus que l’électeur de Brandebourg et le duc de Neubourg s’étaient accordés : le premier jouissait de Clèves paisiblement, et le second de Juliers, sans que l’empereur les inquiétât. Ainsi le duc de Saxe voyait ces provinces lui échapper, et allait perdre Magdebourg et le revenu de plusieurs évêchés.

L’empereur alors avait près de cent cinquante mille hommes en armes ; la ligue catholique en avait environ trente mille. Les deux maisons d’Autriche étaient intimement unies. Le pape et toutes les églises catholiques encourageaient l’empereur dans son projet : la France ne pouvait encore s’y opposer ouvertement ; et il ne paraissait pas qu’aucune puissance de l’Europe fût en état de le traverser. Le duc de Valstein, à la tête d’une puissante armée, commença par faire exécuter l’édit de l’empereur dans la Souabe et dans le duché de Virtemberg ; mais les églises catholiques gagnaient peu à ces restitutions : on prenait beaucoup aux protestants, les officiers de Valstein s’enrichissaient, et ses troupes vivaient aux dépens des deux partis, qui se plaignirent également.

1630. Ferdinand se voyait précisément dans le cas de Charles-Quint au temps de la ligue de Smalcalde. Il fallait ou que tous les princes de l’empire fussent entièrement soumis, ou qu’il succombât ; c’était la lutte du pouvoir impérial despotique contre le gouvernement féodal ; et les peuples, pressés par ces deux colosses, étaient écrasés. L’électeur de Saxe se repentait alors d’avoir aidé à accabler le palatin ; et ce fut lui qui, de concert avec les autres princes protestants, engagea secrètement Gustave-Adolphe, roi de Suède, à venir en Allemagne, au lieu du roi de Danemark, dont le secours avait été si inutile.

L’électeur de Bavière n’était guère plus attaché alors à l’empereur ; il aurait voulu toujours commander les armées de l’empire, et par là tenir Ferdinand lui-même dans la dépendance : enfin il aspirait à se faire élire un jour roi des Romains, et négociait en secret avec la France, tandis que les protestants appelaient le roi de Suède.

Ferdinand assemble une diète à Ratisbonne ; son dessein était de faire élire roi des Romains Ferdinand-Ernest, son fils : il voulait engager l’empire à le seconder contre Gustave-Adolphe, si ce roi venait en Allemagne ; et contre la France, en cas qu’elle continuât à protéger contre lui le duc de Mantoue ; mais, malgré sa puissance, il trouve si peu de bonne volonté dans l’esprit des électeurs qu’il n’ose pas même proposer l’élection de son fils.

Les électeurs de Saxe et de Brandebourg n’étant point venus à cette assemblée, y exposent leurs griefs par des députés. L’électeur de Bavière même est le premier à dire « qu’on ne peut délibérer librement dans les diètes tant que l’empereur aura cent cinquante mille hommes ». Les électeurs ecclésiastiques, et les évêques qui sont à la diète, pressent la restitution des biens de l’Église ; ce projet ne peut se consommer qu’en conservant l’armée, et l’armée ne peut se conserver qu’aux dépens de l’empire, qui est en alarmes. L’électeur de Bavière, qui veut la commander, exige de Ferdinand la déposition du duc de Valstein. Ferdinand pouvait commander lui-même, et ôter ainsi tout prétexte à l’électeur de Bavière ; il ne prit point ce parti glorieux : il ôta le commandement à Valstein, et le donna à Tilly ; par là il acheva d’aliéner le Bavarois : il eut des soldats, et n’eut plus d’amis.

La puissance de Ferdinand II, qui faisait craindre aux États d’Allemagne leur perte prochaine, inquiétait en même temps la France, Venise, et jusqu’au pape. Le cardinal de Richelieu négociait alors avec l’empereur au sujet de Mantoue ; mais il rompt le traité dès qu’il apprend que Gustave-Adolphe se prépare à entrer en Allemagne. Il traite alors avec ce monarque. L’Angleterre et les Provinces-Unies en font autant. L’électeur palatin, qui était un moment auparavant abandonné de tout le monde, se trouve tout d’un coup prêt d’être secouru par toutes ces puissances. Le roi de Danemark, affaibli par ses pertes précédentes, et jaloux du roi de Suède, reste dans l’inaction.

Gustave part enfin de Suède le 23 juin, s’embarque avec treize mille hommes, et aborde en Poméranie. Il prétendait déjà cette province en tout ou en partie pour le fruit de ses expéditions. Le dernier duc de Poméranie qui régnait alors n’avait point d’enfants. Ses États, par des actes de confraternité, devaient revenir à l’électeur de Brandebourg. Gustave stipula qu’au cas de la mort du dernier duc, il garderait la Poméranie en séquestre jusqu’au remboursement des frais de la guerre. Or séquestrer une province et l’usurper, c’est à peu près la même chose.

1631. Le cardinal de Richelieu ne consomme l’alliance de la France avec Gustave que lorsque ce roi est en Poméranie. Il n’en coûte à la France que trois cent mille livres une fois payées, et neuf cent mille par an[6]. Ce traité est un des plus habiles qu’on ait jamais faits. On y stipule la neutralité pour l’électeur de Bavière, qui pouvait être le plus grand support de l’empereur. On y stipule celle de tous les États de la ligue catholique, qui n’aideront pas l’empereur contre les Suédois ; et on a soin de faire promettre en même temps à Gustave de conserver tous les droits de l’Église romaine dans tous les lieux où elle subsiste. Par là on évite de faire de cette guerre une guerre de religion, et on donne un prétexte spécieux aux catholiques même d’Allemagne de ne pas secourir l’empereur. Cette ligue est signée le 23 janvier dans le Brandebourg. Ce traité est regardé comme le triomphe de la politique du cardinal de Richelieu et du grand Gustave.

Les États protestants, encouragés, s’assemblent à Leipsick. Ils y résolvent de faire de très-humbles remontrances à Ferdinand, et d’appuyer leur requête de quarante mille hommes pour rétablir la paix dans l’empire. Gustave avance en augmentant toujours son armée. Il est à Francfort-sur-l’Oder ; il ne peut de là empêcher le général Tilly de prendre Magdebourg d’assaut le 20 mai. La ville est réduite en cendres. Les habitants périssent par le fer et par les flammes : événement horrible, mais confondu aujourd’hui dans la foule des calamités de ce temps-là. Tilly, maître de l’Elbe, comptait empêcher le roi de Suède de pénétrer plus avant.

L’empereur, après s’être accommodé enfin avec la France, au sujet du duc de Mantoue, rappelait toutes ses troupes d’Italie. La supériorité était encore tout entière de son côté. L’électeur de Saxe, qui le premier avait appelé Gustave-Adolphe, est alors très-embarrassé ; et l’électeur de Brandebourg, se trouvant précisément entre les armées impériale et suédoise, est très-irrésolu.

Dans cette crise, Gustave force, les armes à la main, l’électeur de Brandebourg à se joindre à lui. L’électeur George-Guillaume lui livre la forteresse de Spandau pour tout le temps de la guerre, lui assure tous les passages, le laissant recruter dans le Brandebourg, et se ménageant auprès de l’empereur la ressource de s’excuser sur la contrainte.

L’électeur de Saxe donne à Gustave ses propres troupes à commander. Le roi de Suède s’avance à Leipsick. Tilly marche au devant de lui et de l’électeur de Saxe à une lieue de la ville. Les deux armées étaient chacune d’environ trente mille combattants. Les troupes de Saxe nouvellement levées ne font aucune résistance, et l’électeur de Saxe est entraîné dans leur fuite. La discipline suédoise répara ce malheur. Gustave commençait à faire de la guerre un art nouveau, il avait accoutumé son armée à un ordre et à des manœuvres qui n’étaient point connus ailleurs ; et quoique Tilly fût regardé comme un des meilleurs généraux de l’Europe, il fut vaincu d’une manière complète ; cette bataille se donna le 27 septembre.

Le vainqueur poursuit les Impériaux dans la Franconie ; tout se soumet à lui depuis l’Elbe jusqu’au Rhin. Toutes les places lui ouvrent leurs portes, pendant que l’électeur de Saxe va jusque dans la Bohême et dans la Silésie. Gustave rétablit tout d’un coup le duc de Mecklenbourg dans ses États à un bout de l’Allemagne ; et il est déjà à l’autre bout, dans le Palatinat, après avoir pris Mayence.

L’électeur palatin dépossédé vient l’y trouver, pour combattre avec son protecteur. Les Suédois vont jusqu’en Alsace. L’électeur de Saxe, de son côté, se rend maître de la capitale de la Bohême, et fait la conquête de la Lusace. Tout le parti protestant est en armes dans l’Allemagne, et profite des victoires de Gustave. Le comte de Tilly fuyait dans la Vestphalie avec les débris de son armée, renforcée des troupes que le duc de Lorraine lui amenait ; mais il ne faisait aucun mouvement pour s’opposer à tant de progrès rapides. L’empereur, tombé en moins d’une année de ce haut degré de grandeur qui avait paru si redoutable, eut enfin recours à ce duc de Valstein qu’il avait privé du généralat, et lui remit le commandement de ses troupes, avec le pouvoir le plus absolu qu’on ait jamais donné à un général, Valstein accepta le commandement, et on ne laissa à Tilly que quelques troupes pour se tenir au moins sur la défensive. La protection que le roi de Suède donnait à l’électeur palatin rendait à la vérité l’électeur de Bavière à l’empereur ; mais le Bavarois ne se rapprocha de Ferdinand, dans ces premiers temps critiques, que comme un prince qui le ménageait, et non comme un ami qui le défendait.

L’empereur n’avait plus de quoi entretenir ses nombreuses armées, qui l’avaient rendu si formidable ; elles avaient subsisté aux dépens des États catholiques et protestants, avant la bataille de Leipsick ; mais depuis ce temps il n’avait plus les mêmes ressources. C’était à Valstein à former, à recruter, et à conserver son armée comme il pouvait.

Ferdinand fut réduit alors à demander au pape Urbain VIII de l’argent et des troupes. On lui refusa l’un et l’autre. Il voulut engager la cour de Rome à publier une croisade contre Gustave ; le saint-père promit un jubilé au lieu d’une croisade.

1632. Cependant le roi de Suède repasse des bords du Rhin vers la Franconie. Nuremberg lui ouvre ses portes. Il marche à Donavert vers le Danube ; il rend à la ville son ancienne liberté, et la soustrait au domaine du duc de Bavière. Il met à contribution dans la Souabe tout ce qui appartient aux maisons d’Autriche et de Bavière. Il force le passage du Leck, malgré Tilly qui est blessé à mort dans la retraite. Il entre dans Augsbourg en vainqueur, et y rétablit la religion protestante. On ne peut guère pousser plus loin les droits de la victoire. Les magistrats d’Augsbourg lui prêtèrent serment de fidélité. Le duc de Bavière, qui alors était comme neutre, et qui n’était armé ni pour l’empereur ni pour lui-même, est obligé de quitter Munich, qui se rend au conquérant le 7 mai, et qui lui paye trois cent mille risdales pour se racheter du pillage. Le palatin eut du moins la consolation d’entrer avec Gustave dans le palais de celui qui l’avait dépossédé.

Les affaires de l’empereur et de l’Allemagne semblaient désespérées. Tilly, grand général, qui n’avait été malheureux que contre Gustave, était mort. Le duc de Bavière, mécontent de l’empereur, était sa victime, et se voyait chassé de sa capitale. Valstein, créé duc de Friedland, plus mécontent encore du duc électeur de Bavière. Maximilien, son rival déclaré, avait refusé de marcher à son secours ; et l’empereur Ferdinand, qui n’avait jamais voulu paraître en campagne, attendait sa destinée de ce Valstein, qu’il n’aimait pas, et dont il était en défiance. Valstein s’occupait alors à reprendre la Bohême sur l’électeur de Saxe, et il avait autant d’avantage sur les Saxons que Gustave en avait sur les Impériaux.

Enfin l’électeur de Bavière obtient avec peine que Valstein se joigne à lui. L’armée bavaroise, levée en partie aux dépens de l’électeur, et en partie aux dépens de la ligue catholique, était d’environ vingt-cinq mille hommes. Celle de Valstein était de près de trente mille vieux soldats. Le roi de Suède n’en avait pas vingt mille ; mais on lui amène des renforts de tous côtés. Le landgrave de Hesse-Cassel, Guillaume, et Bernard de Saxe-Veimar, le prince palatin de Birkenfeld, se joignent à lui. Son général Bannier lui amène de nouvelles troupes. Il marche, auprès de Nurenberg, avec plus de cinquante mille combattants, au camp retranché du duc de Bavière et de Valstein. Ils donnent une bataille qui n’est point décisive. Gustave reporte la guerre dans la Bavière, Valstein la reporte dans la Saxe ; et tous ces différents mouvements achèvent le ravage de ces provinces.

Gustave revole vers la Saxe en laissant douze mille hommes dans la Bavière. Il arrive près de Leipsick par des marches précipitées, et se trouve devant Valstein, qui ne s’y attendait pas. À peine est-il arrivé qu’il se prépare à donner bataille.

Il la donne dans la grande plaine de Lutzen, le 15 novembre. La victoire est longtemps disputée. Les Suédois la remportent ; mais ils perdent leur roi, dont le corps fut trouvé parmi les morts, percé de deux balles et de deux coups d’épée. Le duc Bernard de Saxe-Veimar acheva la victoire que Gustave avait commencée avant d’être tué. Que n’a-t-on pas écrit sur la mort de ce grand homme ! On accusa un prince de l’empire, qui servait dans son armée, de l’avoir assassiné ; on imputa sa mort au cardinal de Richelieu, qui avait besoin de sa vie. N’est-il donc pas naturel qu’un roi, qui s’exposait en soldat, soit mort en soldat ?

Cette perte fut fatale au palatin, qui attendait de Gustave son rétablissement. Il était malade alors à Mayence. Cette nouvelle augmenta sa maladie, dont il mourut le 19 novembre.

Valstein, après la journée de Lutzen, se retire dans la Bohême. On s’attendait dans l’Europe que les Suédois, n’ayant plus Gustave à leur tête, sortiraient bientôt de l’Allemagne ; mais le général Bannier les conduisit en Bohême. Il faisait porter au milieu d’eux le corps de leur roi, pour les exciter à le venger.

1633. Gustave laissait sur le trône de Suède une fille âgée de six ans[7], et par conséquent des divisions dans le gouvernement. La même division se trouvait dans la ligue protestante par la mort de celui qui en avait été le chef et le soutien. Tout le fruit de tant de victoires devait être perdu, et ne le fut pourtant pas. La véritable raison peut-être d’un événement si extraordinaire, c’est que l’empereur n’agissait que de son cabinet, dans le temps qu’il eût dû faire les derniers efforts à la tête de ses armées. Le sénat de Suède chargea le chancelier Oxenstiern de suivre en Allemagne les vues du grand Gustave, et lui donna un pouvoir absolu. Oxenstiern alors joua le plus beau rôle que jamais particulier ait eu en Europe. Il se trouva à la tête de tous les princes protestants d’Allemagne.

Ces princes s’assemblent à Heilbron, le 19 mars. Les ambassadeurs de France, d’Angleterre, des États-Généraux, se rendent à l’assemblée. Oxenstiern en fait l’ouverture dans sa maison, et il se signale d’abord en faisant restituer le haut et le bas Palatinat à Charles-Louis, fils du palatin dépossédé. Le prince Charles-Louis parut comme électeur dans une des assemblées ; mais cette cérémonie ne lui rendait pas ses États.

Oxenstiern renouvelle avec le cardinal de Richelieu le traité de Gustave-Adolphe ; mais on ne lui donne qu’un million de subsides par an, au lieu de douze cent mille livres qu’on avait continué de donner à son maître. Il semble petit et honteux que le cardinal de Richelieu marchande et dispute sur le prix de la destinée de l’empire ; mais la France n’était pas riche, et il fallait soudoyer le Nord.

Ferdinand négocie avec chaque prince protestant. Il veut les diviser, il ne réussit pas. La guerre continue toujours avec des succès balancés dans l’Allemagne désolée. L’Autriche est le seul pays qui n’en fut pas le théâtre, soit du temps de Gustave, soit après lui. La branche d’Autriche espagnole n’avait encore secouru que faiblement la branche impériale; elle fait enfin un effort : elle envoie le duc de Féria d’Italie en Allemagne avec environ vingt mille hommes ; mais il perd une grande partie de son armée dans ses marches et dans ses manœuvres.

L’électeur de Trêves[8], évêque de Spire, avait bâti et fortifié Philipsbourg. Les troupes impériales s’en étaient emparées malgré lui, Oxenstiern la fait rendre ù l’électeur par les armes des Suédois, malgré le duc de Féria, qui veut en vain faire lever le siége. Cette sage politique tendait à faire voir à l’Europe que ce n’était pas à la religion catholique qu’on en voulait, et que la Suède, toujours victorieuse, même après la mort de son roi, protégeait également les protestants et les catholiques : conduite qui mettait encore plus le pape en droit de refuser à l’empereur des troupes, de l’argent, et une croisade.

1634. La France n’était encore qu’une partie secrète dans ce grand démêlé : il ne lui en coûtait qu’un subside médiocre pour voir le trône de Ferdinand ébranlé par les armes suédoises ; mais le cardinal de Richelieu songeait déjà à profiter de leurs conquêtes. Il avait voulu en vain avoir Philipsbourg en séquestre ; mais, à chaque occasion qui se présentait, la France se rendait maîtresse de quelques villes en Alsace, comme de Haguenau, de Saverne, qu’elle force le comte de Salms, administrateur de Strasbourg, à lui céder par un traité, Louis XIII, qui ne déclarait point la guerre à la maison d’Autriche, la déclarait au duc de Lorraine, Charles, parce qu’il était partisan de cette maison. Le ministère de France n’osait pas encore attaquer ouvertement l’empereur et l’Espagne qui pouvaient se défendre, et tombait sur la faible Lorraine. Le duc dépossédé était Charles IV[9], prince célèbre par ses bizarreries, ses amours, ses mariages, et ses infortunes.

Les Français avaient une armée dans la Lorraine et des troupes dans l’Alsace, prêtes d’agir ouvertement contre l’empereur, et de se joindre aux Suédois à la première occasion qui pourrait justifier cette conduite.

Le duc de Féria, poursuivi par les Suédois jusqu’en Bavière, était mort après la dispersion presque entière de son armée.

Le duc de Valstein, au milieu de ces troubles et de ces malheurs, s’occupait du projet de faire servir l’armée qu’il commandait dans la Bohême à sa propre grandeur, et à se rendre indépendant d’un empereur qui semblait ne se pas assez secourir lui-même, et qui était toujours en défiance de ses généraux. On prétend que Valstein négociait avec les princes protestants, et même avec la Suède et la France ; mais ces intrigues, dont on l’accusa, ne furent jamais manifestées. La conspiration de Valstein est au rang des histoires reçues, et on ignore absolument quelle était cette conspiration. On devinait ses projets. Son véritable crime était d’attacher son armée à sa personne, et de vouloir s’en rendre le maître absolu. Le temps et les occasions eussent fait le reste. Il se fit prêter serment par les principaux officiers de cette armée qui lui étaient le plus dévoués. Ce serment consistait à promettre de défendre sa personne et de s’attacher à sa fortune. Quoique cette démarche pût se justifier par les amples pouvoirs que l’empereur avait donnés à Valstein, elle devait alarmer le conseil de Vienne. Valstein avait contre lui, dans cette cour, le parti d’Espagne et le parti bavarois. Ferdinand prend la résolution de faire assassiner Valstein et ses principaux amis. On chargea de cet assassinat Butler, Irlandais à qui Valstein avait donné un régiment de dragons, un Écossais nommé Lascy, qui était capitaine de ses gardes, et un autre Écossais nommé Gordon. Ces trois étrangers ayant reçu leur commission dans Égra, où Valstein se trouvait pour lors, font égorger d’abord dans un souper quatre officiers qui étaient les principaux amis du duc, et vont ensuite l’assassiner lui-même dans le château, le 15 février. Si Ferdinand II fut obligé d’en venir à cette extrémité odieuse, il faut la compter pour un de ses plus grands malheurs.

Tout le fruit de cet assassinat fut d’aigrir tous les esprits en Bohême et en Silésie. La Bohême ne remua pas, parce qu’on sut la contenir par l’armée ; mais les Silésiens se révoltèrent, et s’unirent aux Suédois.

Les armes de Suède tenaient toute l’Allemagne en échec, comme du temps de leur roi ; le général Bannier dominait sur tout le cours de l’Oder ; le maréchal de Horn, vers le Rhin ; le duc Bernard de Veimar, vers le Danube ; l’électeur de Saxe, dans la Bohême et dans la Lusace. L’empereur restait toujours dans Vienne. Son bonheur voulut que les Turcs ne l’attaquassent pas dans ces funestes conjonctures. Amurat IV était occupé contre les Persans, et Bethlem-Gabor était mort[10].

Ferdinand, assuré de ce côté, tirait toujours des secours de l’Autriche, de la Carinthie, de la Carniole, du Tyrol. Le roi d’Espagne lui fournissait quelque argent, la ligue catholique quelques troupes ; et enfin l’électeur de Bavière, à qui les Suédois ôtaient le Palatinat, était dans la nécessité de prendre le parti du chef de l’empire. Les Autrichiens, les Bavarois réunis, soutenaient la fortune de l’Allemagne vers le Danube. Ferdinand-Ernest, roi de Hongrie, fils de l’empereur, ranimait les Autrichiens en se mettant à leur tête. Il prend Ratisbonne à la vue du duc de Saxe-Veimar. Ce prince et le maréchal de Horn, qui le joint alors, font ferme à l’entrée de la Souabe ; et ils livrent aux Impériaux la bataille mémorable de Nordlingue, le 5 septembre. Le roi de Hongrie commandait l’armée ; l’électeur de Bavière était à la tête de ses troupes ; le cardinal infant, gouverneur des Pays-Bas, conduisait quelques régiments espagnols. Le duc de Lorraine, Charles IV, dépouillé de ses États par la France, y commandait sa petite armée de dix à douze mille hommes, qu’il menait servir tantôt l’empereur, tantôt les Espagnols, et qu’il faisait subsister aux dépens des amis et des ennemis. Il y avait de grands généraux dans cette armée combinée, tels que Piccolomini et Jean de Vert. La bataille dura tout le jour, et le lendemain encore jusqu’à midi. Ce fut une des plus sanglantes : presque toute l’armée de Veimar fut détruite, et les Impériaux soumirent la Souabe et la Franconie, où ils vécurent à discrétion.

Ce malheur, commun à la Suède, aux protestants d’Allemagne, et à la France, fut précisément ce qui donna la supériorité au roi très-chrétien, et qui lui valut enfin la possession de l’Alsace. Le chancelier Oxenstiern n’avait point voulu jusque-là que la France s’agrandît trop dans ces pays ; il voulait que tout le fruit de la guerre fût pour les Suédois, qui en avaient tout le fardeau. Aussi Louis XIII ne s’était point déclaré ouvertement contre l’empereur. Mais, après la bataille de Nordlingue, il fallut que les Suédois priassent le ministère de France de vouloir bien se mettre en possession de l’Alsace, sous le nom de protecteur, à condition que les princes et les États protestants ne feraient ni paix ni trêve avec l’empereur, que du consentement de la France et de la Suède. Ce traité est signé à Paris le 1er novembre.

1635. En conséquence, le roi de France envoie une armée en Alsace, met garnison dans toutes les villes, excepté dans Strasbourg, alors indépendante, et qui fait dans la ligue le personnage d’un allié considérable. L’électeur de Trêves était sous la protection de la France. L’empereur le fit enlever : ce fut une raison de déclarer enfin la guerre à l’empereur. Cet électeur était en prison à Bruxelles sous la garde du cardinal infant ; et ce fut encore un prétexte de déclarer la guerre à la branche autrichienne espagnole.

La France n’unit donc ses armes à celles des Suédois que quand les Suédois furent malheureux, et lorsque la victoire de Nordlingue relevait le parti impérial. Le cardinal de Richelieu partageait déjà en idée la conquête des Pays-Bas espagnols avec les Hollandais : il comptait alors y aller commander lui-même, et avoir un prince d’Orange (Frédéric-Henri) sous ses ordres. Il avait en Allemagne, vers le Rhin, Bernard de Veimar à sa solde ; l’armée de Veimar, qu’on appelait les troupes veimariennes, était devenue, comme celle de Charles IV de Lorraine et celle de Mansfeld, une armée isolée, indépendante, appartenante à son chef : on la fit passer pour l’armée des cercles de Souabe, de Franconie, du haut et bas Rhin, quoique ces cercles ne l’entretinssent pas, et que la France la payât.

C’est là le sort de la guerre de trente ans. On voit d’un côté toute la maison d’Autriche, la Bavière, la ligue catholique ; et de l’autre, la France, la Suède, la Hollande, et la ligue protestante.

L’empereur ne pouvait pas négliger de désunir cette ligue protestante après la victoire de Nordlingue, et il y a grande apparence que la France s’y prit trop tard pour déclarer la guerre. Si elle l’eût faite dans le temps que Gustave-Adolphe débarquait en Allemagne, les troupes françaises entraient alors sans résistance dans un pays mécontent et effarouché de la domination de Ferdinand ; mais, après la mort de Gustave, après Nordlingue, elles venaient dans un temps ou l’Allemagne était lasse des dévastations des Suédois, et où le parti impérial reprenait la supériorité.

Dans le temps même que la France se déclarait, l’empereur ne manquait pas de faire avec la plupart des princes protestants un accommodement nécessaire. L’électeur de Saxe, celui-là même qui avait appelé le premier les Suédois[11], fut le premier à les abandonner par ce traité, qui s’appelle la paix de Prague. Peu de traités font mieux voir combien la religion sert de prétexte aux politiques, comme on s’en joue, et comme on la sacrifie dans le besoin.

L’empereur avait mis l’Allemagne en feu pour la restitution des bénéfices ; et, dans la paix de Prague, il commence par abandonner l’archevêché de Magdebourg et tous les biens ecclésiastiques à l’électeur de Saxe, luthérien, moyennant une pension qu’on payera sur ces mêmes bénéfices à l’électeur de Brandebourg, calviniste. Les intérêts de la maison palatine, qui avaient allumé cette longue guerre, lurent le moindre objet de ce traité. L’électeur de Bavière devait seulement donner une subsistance à la veuve de celui qui avait été roi de Bohême, et au palatin son fils, quand il serait soumis à l’autorité impériale.

L’empereur s’engageait d’ailleurs à rendre tout ce qu’il avait pris sur les confédérés de la ligue protestante qui accéderaient à ce traité ; et ceux-ci devaient rendre tout ce qu’ils avaient pris sur la maison d’Autriche : ce qui était peu de chose, puisque les terres de la maison impériale, excepté l’Autriche antérieure, n’avaient jamais été exposées dans cette guerre.

Une partie de la maison de Brunsvick, le duc de Mecklenbourg, la maison d’Anhalt, la branche de Saxe établie à Gotha, et le propre frère du duc Bernard de Saxe-Veimar, signent le traité, ainsi que plusieurs villes impériales ; les autres négocient encore, et attendent les plus grands avantages.

Le fardeau de la guerre, que les Français avaient laissé porter tout entier à Gustave-Adolphe, retomba donc sur eux en 1635 ; et cette guerre, qui s’était faite des bords de la mer Baltique jusqu’au fond de la Souabe, fut portée en Alsace, en Lorraine, en Franche-Comté, sur les frontières de la France. Louis XIII, qui n’avait payé que douze cent mille francs de subsides à Gustave-Adolphe, donnait quatre millions à Bernard de Veimar pour entretenir les troupes veimariennes, et encore le ministère français cède-t-il à ce duc toutes ses prétentions sur l’Alsace, et on lui promet qu’à la paix on le fera déclarer landgrave de cette province.

Il faut avouer que si ce n’était pas le cardinal de Richelieu qui eût fait ce traité, on le trouverait bien étrange. Comment donnait-il à un jeune prince allemand, qui pouvait avoir des enfants, cette province d’Alsace qui était si fort à la bienséance de la France, et dont elle possédait déjà quelques villes ? Il est bien probable que le cardinal de Richelieu n’avait point compté d’abord garder l’Alsace. Il n’espérait pas non plus annexer à la France la Lorraine, sur laquelle on n’avait aucun droit, et qu’il fallait bien rendre à la paix. La conquête de la Franche-Comté paraissait plus naturelle ; mais on ne fit de ce côté que de faibles efforts. L’espérance de partager les Pays-Bas avec les Hollandais était le principal objet du cardinal de Richelieu ; et c’était là ce qu’il avait tellement à cœur qu’il avait résolu, si sa santé et les affaires le lui eussent permis, d’y aller commander en personne. Cependant l’objet des Pays-Bas fut celui dans lequel il fut le plus malheureux, et l’Alsace, qu’il donnait si libéralement à Bernard de Veimar, fut, après la mort de ce cardinal, le partage de la France. Voilà comme les événements trompent presque toujours les politiques ; à moins qu’on ne dise que l’intention du ministère de France était de garder l’Alsace, sous le nom du duc de Veimar, comme elle avait une armée sous le nom de ce grand capitaine,

1636. L’Italie entrait encore dans cette grande querelle, mais non pas comme du temps des maisons impériales de Saxe et de Souabe, pour défendre sa liberté contre les armes allemandes. C’était à la branche autrichienne d’Espagne, dominante dans l’Italie, qu’on voulait disputer, en delà des Alpes, cette même supériorité qu’on disputait à l’autre branche en delà du Rhin. Le ministère de France avait alors pour lui la Savoie ; il venait de chasser les Espagnols de la Valteline : on attaquait de tous côtés ces deux vastes corps autrichiens.

La France seule envoyait à la fois cinq armées, et attaquait ou se soutenait vers le Piémont, vers le Rhin, sur les frontières de la Flandre, sur celles de la Franche-Comté, et sur celles d’Espagne. François Ier avait fait autrefois un pareil effort, et la France n’avait jamais montré depuis tant de ressources.

Au milieu de tous ces orages, dans cette confusion de puissances qui se choquent de tous les côtés ; tandis que l’électeur de Saxe, après avoir appelé les Suédois en Allemagne, mène contre eux les troupes impériales, et qu’il est défait dans la Vestphalie par le général Bannier, que tout est ravagé dans la Hesse, dans la Saxe, et dans cette Vestphalie, Ferdinand, toujours uniquement occupé de sa politique, fait enfin déclarer son fils Ferdinand-Ernest roi des Romains, dans la diète de Ratisbonne, le 12 décembre. Ce prince est couronné le 20. Tous les ennemis de l’Autriche crient que cette élection est nulle. L’électeur de Trêves, disent-ils, était prisonnier ; Charles-Louis, fils du palatin roi de Bohême Frédéric, n’est point rentré dans les droits de son palatinat ; les électeurs de Mayence et de Cologne sont pensionnaires de l’empereur : tout cela, disait-on, est contre la bulle d’or. Il est pourtant vrai que la bulle d’or n’avait spécifié aucun de ces cas, et que l’élection de Ferdinand III, faite à la pluralité des voix, était aussi légitime qu’aucune autre élection d’un roi des Romains faite du vivant d’un empereur ; espèce dont la bulle d’or ne parle point du tout.

1637. Ferdinand II meurt le 15 février à cinquante-neuf ans, après dix-huit ans d’un règne toujours troublé par des guerres intestines et étrangères, n’ayant jamais combattu que de son cabinet. Il fut très-malheureux, puisque, dans ses succès, il se crut obligé d’être sanguinaire, et qu’il fallut soutenir ensuite de grands revers. L’Allemagne était plus malheureuse que lui : ravagée tour à tour par elle-même, par les Suédois et par les Français, éprouvant la famine, la disette, et plongée dans la barbarie, suite inévitable d’une guerre si longue et si malheureuse.


  1. Voyez années 1605 et 1623.
  2. Ernest, comte de Mansfeld, marquis de Castel-Nuovo, né en 1585, eut pour père Pierre-Ernest, né en 1517, que Voltaire cite plus haut, année 1555, sous le simple nom d’Ernest. (Cl.)
  3. Vingt-sept manuscrits grecs et douze latins, provenant de la bibliothèque d’Heidelberg, avaient été, en 1797, transportés à Paris. Lorsqu’en 1815 les commissaires du pape réclamèrent les livres et manuscrits que, d’après les traités, la France avait pris dans le Vatican, des commissaires de l’université d’Heidelberg revendiquèrent pour leur compte les objets provenant de cette ville. Pie VII, à qui on en référa, non-seulement consentit à la remise des trente-neuf manuscrits qui étaient à Paris, mais encore ordonna la restitution de huit cent quarante-sept manuscrits allemands qui étaient encore au Vatican. (B.)
  4. Frédéric V. Son fils Charles-Louis fut rétabli dans l’électorat et dans le bas Palatinat seulement, par la paix de Vestphalie ; voyez années 1633 et 1648. (B.)
  5. Voltaire venant de dire que Vincent II est mort sans enfants, il est évident que c’est par faute de copiste ou d’impression qu’on lit ici son gendre. Il faut son cousin. (B.)
  6. La subvention annuelle fut portée à douze cent mille francs, puis réduite à un million ; voyez année 1633. (B)
  7. Christine, célèbre par sa conversion au catholicisme, et le meurtre de Monaldeschi : voyez, tome XIV, le chapitre vi du Siècle de Louis XIV. Voltaire appelle cette reine la cruelle folle, dans sa lettre à d’Alembert du 8 mai 1773. (B.)
  8. Philippe-Christophe de Sotteren ; voyez la liste des Électeurs de Trêves.
  9. Voyez tome XIV, les chapitres iii, v, vi et vii du Siècle de Louis XIV.
  10. En novembre 1629.
  11. Voyez année 1631.