Annales de l’Empire/Édition Garnier/Charles III

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CHARLES III, ou LE GROS,
septième empereur.

879. Il s’agit alors de faire un empereur et un roi de France. Louis le Bègue laissa deux enfants de quatorze à quinze ans. Il n’était pas alors décidé si un enfant pouvait être roi. Plusieurs nouveaux seigneurs de France offrent la couronne à Louis de Germanie, il ne prit que la partie occidentale de la Lorraine, qu’avait eue Charles le Chauve en partage. Les deux enfants du Bègue, Louis et Carloman, sont reconnus rois de France, quoiqu’ils ne soient pas reconnus unanimement pour enfants légitimes ; mais Boson se fait sacrer roi d’Arles, augmente son territoire, et demande l’empire. Charles le Gros, roi du pays qu’on nommait encore l’Allemagne, presse le pape de le couronner empereur. Le pape répond qu’il donnera la couronne impériale à celui qui viendra le secourir le premier contre les chrétiens et contre les mahométans.

880. Charles le Gros, roi d’Allemagne, Louis, roi de Bavière et de Lorraine, s’unissent avec le roi de France contre ce Boson, nouveau roi d’Arles, et lui font la guerre. Ils assiégent Vienne en Dauphiné ; mais Charles le Gros va de Vienne à Rome.

881. Charles est couronné et sacré empereur par le pape Jean VIII, dans l’église de Saint-Pierre, le jour de Noël.

Le pape lui envoie une palme, selon l’usage ; mais ce fut la seule que Charles remporta.

882. Son frère Louis, roi de Bavière, de la Pannonie, de ce qu’on nommait la France orientale, et des deux Lorraines, meurt le 20 janvier de la même année. Il ne laissait point d’enfants. L’empereur Charles le Gros était l’héritier naturel de ses États ; mais les Normands se présentaient pour les partager. Ces fréquents troubles du Nord achevaient de rendre la puissance impériale très-problématique dans Rome, où l’ancienne liberté repoussait toujours des racines. On ne savait qui dominerait dans cette ancienne capitale de l’Europe : si ce serait ou un évêque, ou le peuple, ou un empereur étranger.

Les Normands pénètrent jusqu’à Metz ; ils vont brûler Aix-la-Chapelle, et détruire tous les ouvrages de Charlemagne. Charles le Gros ne se délivre d’eux qu’en prenant toute l’argenterie des églises, et en leur donnant quatre mille cent soixante marcs d’argent, avec lesquels ils allèrent préparer des armements nouveaux.

883. L’empire était devenu si faible que le pape Martin II[1], successeur de Jean VIII, commence par faire un décret solennel, par lequel on n’attendra plus les ordres de l’empereur pour l’élection des papes. L’empereur se plaint en vain de ce décret. Il avait ailleurs assez d’affaires.

Un duc Zvintilbold ou Zvintibold, à la tête des païens moraves, dévastait la Germanie. L’empereur s’accommoda avec lui comme avec les Normands. On ne sait pas s’il avait de l’argent à lui donner, mais il le reconnut prince et vassal de l’empire.

884. Une grande partie de l’Italie est toujours dévastée par le duc de Spolette et par les Sarrasins. Ceux-ci pillent la riche abbaye de Mont-Cassin, et enlèvent tous ses trésors ; mais un duc de Bénévent les avait déjà prévenus.

Charles le Gros marche en Italie pour arrêter tous ces désordres. À peine était-il arrivé que, les deux rois de France ses neveux étant morts, il repasse les Alpes pour leur succéder.

885. Voilà donc Charles le Gros qui réunit sur sa tête toutes les couronnes de Charlemagne ; mais elle ne fut pas assez forte pour les porter.

Un bâtard de Lothaire, nommé Hugues, abbé de Saint-Denis, s’était depuis longtemps mis en tête d’avoir la Lorraine pour son partage. Il se ligue avec un Normand auquel on avait cédé la Frise, et qui épousa sa sœur. Il appelle d’autres Normands.

L’empereur étouffa cette conspiration. Un comte de Saxe, nommé Henri, et un archevêque de Cologne, se chargèrent d’assassiner ce Normand, duc de Frise, dans une conférence. On se saisit de l’abbé Hugues, sous le même prétexte, en Lorraine, et l’usage de crever les yeux se renouvela pour lui.

Il eût mieux valu combattre les Normands avec de bonnes armées. Ceux-ci, voyant qu’on ne les attaquait que par des trahisons, pénètrent de la Hollande en Flandre ; ils passent la Somme et l’Oise sans résistance, prennent et brûlent Pontoise, et arrivent par eau et par terre à Paris. Cette ville, aujourd’hui immense, n’était ni forte, ni grande, ni peuplée. La tour du grand Châtelet n’était pas encore entièrement élevée quand les Normands parurent. Il fallut se hâter de l’achever avec du bois ; de sorte que le bas de la tour était de pierre, et le haut de charpente.

Les Parisiens, qui s’attendaient alors à l’irruption des barbares, n’abandonnèrent point la ville comme autrefois. Le comte de Paris, Odon ou Eudes, que sa valeur éleva depuis sur le trône de France, mit dans la ville un ordre qui anima les courages, et qui leur tint lieu de tours et de remparts. Sigefroi, chef des Normands, pressa le siége avec une fureur opiniâtre, mais non destituée d’art. Les Normands se servirent du bélier pour battre les murs. Ils firent brèche, et donnèrent trois assauts. Les Parisiens les soutinrent avec un courage inébranlable. Ils avaient à leur tête le comte Eudes, et leur évêque Goslin, qui fit à la fois les fonctions de prêtre et de guerrier dans cette petite ville : il bénissait le peuple, et combattait avec lui ; il mourut de ses fatigues au milieu du siége : le véritable martyr est celui qui meurt pour sa patrie.

Les Normands tinrent la petite ville de Paris bloquée un an et demi, après quoi ils allèrent piller la Bourgogne et les frontières de l’Allemagne, tandis que Charles le Gros assemblait des diètes.

887. Il ne manquait à Charles le Gros que d’être malheureux dans sa maison : méprisé dans l’empire, il passa pour l’être de sa femme l’impératrice Richarde. Elle fut accusée d’infidélité. Il la répudia, quoiqu’elle offrît de se justifier par le jugement de Dieu. Il l’envoya dans l’abbaye d’Andlaw, qu’elle avait fondée en Alsace.

On fit ensuite adopter à Charles, pour son fils (ce qui était alors absolument hors d’usage), le fils de Boson, ce roi d’Arles, son ennemi. On dit qu’alors son cerveau était affaibli. Il l’était sans doute, puisque, possédant autant d’États que Charlemagne, il se mit au point de tout perdre sans résistance. Il est détrôné dans une diète auprès de Mayence.


  1. Appelé aussi Marin Ier ; voyez page 197.