Veuve Duchesne (p. 37-39).


VIIIme LETTRE.

De la même, à la même ;
à Rocheſter.



Je reçois votre ſeconde Lettre, ma chère Amie, & je vous avoue que je ſuis moins étonnée que vous ne le penſiez de ce qu’elle renferme. La charmante Émilie Ridge eſt bien faite pour rendre inconſtant celui qui ſait apprécier ſes aimables qualités. Le Lord Clarck jouit d’une très-bonne réputation, (je m’informe avec ſoin de tout ce qui peut vous intéreſſer) & je verrois avec joie votre union avec lui. Mais je penſe comme Miſtreſs Hemlock. Il eſt preſqu’impoſſible qu’elle puiſſe jamais avoir lieu. Votre Mère, votre Sœur ſont d’un caractère dur & vindicatif. Je frémis des ſuites que peut avoir la découverte de la nouvelle inclination de Mylord Clarck. Votre Lettre ne m’apprend pas ſi vous y êtes ſenſible, je ne le ſouhaite pas pour votre tranquillité. C’eſt un grand malheur, ma chère Émilie, d’aimer celui qui ne peut jamais nous appartenir. S’il en eſt temps encore, fuyez le danger. Je ſens trop combien il eſt affreux… Hélas ! Mon ſecret eſt prêt à m’échapper… Non, non, vous ne ſaurez pas à quel point je ſuis foible… Que penſeriez-vous de moi, ſi vous ſaviez… Ô ma chère Amie ! je vous le répète, ſi vous ne voulez pas aimer, fuyez celui que votre cœur ſemblera préférer.

Depuis deux mois que je ſuis chez mes Parens, il ne s’eſt pas paſſé un jour ſans qu’ils n’ayent cherché à me procurer de nouveaux amuſemens. Nous avons viſité preſque toutes les Villes & les Châteaux voiſins de Break-of-Day. Par-tout on nous a donné des fêtes : cette vie errante ne convient guère au ſérieux qui fait la baſe de mon caractère. Une des choſes qui me fait le plus de peine, c’eſt qu’Edward eſt toujours de nos parties. Ses empreſſemens paroiſſent approuvés de mes Parens. J’ai bien peur qu’ils n’ayent des projets que mon cœur ne pourroit jamais ratifier.

Malgré mes efforts, il ne m’a pas été poſſible de renouer la converſation que j’ai eue avec ma Grand-maman le lendemain de mon arrivée. Elle ſemble fuir toutes les occaſions de ſe trouver ſeule avec moi. Sans ceſſe obſédée par ſes femmes, je n’oſe parler de ma Mère, ni faire la moindre queſtion qui y ait rapport. J’eſpère cependant que le haſard me procurera l’inſtant que je déſire ſi ardemment.

Il eſt affreux à moi d’avoir négligé de vous prier de me rappeler au ſouvenir de Miſtreſs Hemlock & de nos aimables compagnes. Aſſurez-les, je vous prie, ma belle Émilie, que je leur ſuis toujours tendrement attachée. Vous êtes trop juſte pour douter des ſentimens

d’Anna Rose-Tree.

De Break-of-Day, ce … 17