Anna Rose-Tree/Lettre 8
VIIIme LETTRE.
De la même, à la même ;
à Rocheſter.
Je reçois votre ſeconde Lettre, ma chère
Amie, & je vous avoue que je ſuis moins
étonnée que vous ne le penſiez de ce qu’elle
renferme. La charmante Émilie Ridge eſt
bien faite pour rendre inconſtant celui qui
ſait apprécier ſes aimables qualités. Le Lord
Clarck jouit d’une très-bonne réputation,
(je m’informe avec ſoin de tout ce qui peut vous intéreſſer) & je verrois avec joie votre
union avec lui. Mais je penſe comme
Miſtreſs Hemlock. Il eſt preſqu’impoſſible
qu’elle puiſſe jamais avoir lieu. Votre Mère,
votre Sœur ſont d’un caractère dur &
vindicatif. Je frémis des ſuites que peut avoir
la découverte de la nouvelle inclination de
Mylord Clarck. Votre Lettre ne m’apprend
pas ſi vous y êtes ſenſible, je ne le ſouhaite
pas pour votre tranquillité. C’eſt un grand
malheur, ma chère Émilie, d’aimer celui
qui ne peut jamais nous appartenir. S’il en
eſt temps encore, fuyez le danger. Je ſens
trop combien il eſt affreux… Hélas ! Mon
ſecret eſt prêt à m’échapper… Non, non,
vous ne ſaurez pas à quel point je ſuis foible…
Que penſeriez-vous de moi, ſi vous
ſaviez… Ô ma chère Amie ! je vous le répète,
ſi vous ne voulez pas aimer, fuyez
celui que votre cœur ſemblera préférer.
Depuis deux mois que je ſuis chez mes Parens, il ne s’eſt pas paſſé un jour ſans qu’ils n’ayent cherché à me procurer de nouveaux amuſemens. Nous avons viſité preſque toutes les Villes & les Châteaux voiſins de Break-of-Day. Par-tout on nous a donné des fêtes : cette vie errante ne convient guère au ſérieux qui fait la baſe de mon caractère. Une des choſes qui me fait le plus de peine, c’eſt qu’Edward eſt toujours de nos parties. Ses empreſſemens paroiſſent approuvés de mes Parens. J’ai bien peur qu’ils n’ayent des projets que mon cœur ne pourroit jamais ratifier.
Malgré mes efforts, il ne m’a pas été poſſible de renouer la converſation que j’ai eue avec ma Grand-maman le lendemain de mon arrivée. Elle ſemble fuir toutes les occaſions de ſe trouver ſeule avec moi. Sans ceſſe obſédée par ſes femmes, je n’oſe parler de ma Mère, ni faire la moindre queſtion qui y ait rapport. J’eſpère cependant que le haſard me procurera l’inſtant que je déſire ſi ardemment.
Il eſt affreux à moi d’avoir négligé de vous prier de me rappeler au ſouvenir de Miſtreſs Hemlock & de nos aimables compagnes. Aſſurez-les, je vous prie, ma belle Émilie, que je leur ſuis toujours tendrement attachée. Vous êtes trop juſte pour douter des ſentimens
De Break-of-Day, ce … 17