Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/18

Chapitre XVIII



CHAPITRE. XVIII.


Cartel. Défaite d’un Brularne. Combat
Singulier de l’Emecodine contre
un Lidercore.



Bientôt notre généreuſe Emécodine parut hors des lignes ſuivie d’un Meauraque qui lui ſervoit de Héraut d’armes. Elle ſárrêta à quelque diſtance des ſentinelles avancées du camp des Ennemis. Le Meauraque ayant fait ſigne qu’il avoit á parlementer, un officier général ſe préſenta : Auſſitôt le Héraut tirant de ſon ſein le cartel du défi, il le lut à haute voix. Il étoit conçu dans ces termes.

De Par Divutemia
Commendante á
Cythére,

„ Il eſt permis à la vaillante Amazone qui s’offre à vos regards de venir appeller en combat ſingulier, tel d’entre vous qui oſera lui prêter le collet. C’eſt aux plus redoutables des Ebugors qu’elle préſente le défi. Les loix qu’elle preſcrit ſont de ſe battre à outrance & en champ libre. Que celui qui l’acceptera ſorte avec armes égales ou non égales ; La brave Tuefoſue eſt prête à le recevoir.

Un grand Murmure s’éleva dans le camp des Alliés. Tant de préſomption ſembloit les étonner. Cependant l’Emécodine attendoit impatiemment qu’il ſe préſentât quelque combattant contre qui elle put exercer la grandeur de ſon courage. Perſonne ne paroiſſoit encore, déja même elle commençoit á s’impatienter, & le Meauraque alloit publier une ſeconde fois ſon Cartel, lors qu’on vit tout á coup paroitre un Brularne. Cet audacieux oſa relever le gantelet & accepter le défi ; mais il ne fût pas long-tems ſans porter la peine de ſa témérité. Á peine étoit’il entré en lice qu’il ſe vit presqu’auſſitôt hors de combat. La foibleſſe de ſes armes & le mauvais état ou elles ſe trouvérent lui en otérent l’uſage. Vainement il revint pluſieurs fois á la charge ; aucun de ſes coups ne pût porter ; & ſa lame ſans vigueur plioit même avant de toucher ſa redoutable ennemie La Cythéréenne fit tout ce qu’elle put pour ranimer ſon courage et l’exciter à mieux faire ; mais voyant que tous ſes efforts reſtoient vains, & qu’apeine il donnoit le moindre ſigne de vie, elle ſe retira pleine du dépit le plus amér qu’elle exprima par ces parolles.

Lache, ton cœur eſt en allarmes.
Devant moi tu baiſſes les armes.
Retire toi ; C’eſt inſulter
        Notre gloire,
Que de ſavoir mal diſputer
        La Victoire.

Cette fatale avanture acheva de décrier les Brularnes dans l’un & l’autre parti. Les Cythéréennes, ſurtout ne les regardérent plus qu’avec le dernier mépris & comme des troupes molles & énervées des qu’elles on ne devoit rien eſperer.

Cependant l’honneur des aſſiégeans ſe trouvoit trop intéreſſé dans cette malheureuſe cataſtrophe pour qu’ils ne cherchaſſent pas á le reparer avec le plus d’avantage qu’ils pouroient. Dans cette vuë, on jetta les yeux ſur un des plus vaillants Lidercore qu’il y eut parmi les alliez. Le valeureux Omine parût bientôt devant ſon ennemie, avec cet air fier & aſſuré, preuves non ſuſpectes de la grandeur de ſon courage, & de l’immenſité de ſes forces. Il portoit une lance d’une trempe excellente : peu longue á la verité mais prodigieuſement groſſe & forte. Ses membres nerveux & couverts d’un poil épais & noir temoignoient aſſez qu’il étoit fait pour manier de telles armes. Apeine parût’il dans l’arêne que les choſes prirent bien une autre façe. Au premier choc, l’Emécodine fut renverſée ; mais la fiére Amazone ſans s’étonner du coup, auſſi adroite que brave ſétant ſaiſie de la lance de ſon adverſaire, l’entraina dans ſa chute, avec elle ; C’eſt alors qu’il faiſoit beau voir ces deux ſuperbes combattants ſe charger l’un l’autre avec fureur. La Terre trembloit ſous leur, coups ; & l’Echo en faiſoit retentir tous les lieux d’alentour. Aucun des deux ne ſongeoit á parer mais l’un & l’autre etoient uniquement attentifs á porter á ſon ennemi les plus vives atteintes. Etroitement ſerrées, & liées, pour ainſi dire, comme par des chaines, toutes les parties de leur corps s’entrechoquoient. Leurs yeux ſembloient lancer la foudre & les éclairs ; leurs viſages enflammés exprimoient leurs pasſions ; ils écumoient de rage & de colere ; Rien en un mot ne pût rallentir leur animoſité. Enfin leurs forces epuiſées par la lasſitude & la durée du combat, les abbandonnérent. Tous deux ils ſuccombérent, on les ſépara, mais par leur regards menaçans, ils ſembloient ſe vouloir dire l’un á l’autre qu’ils n’avoient beſoin que d’un peu de repos pour renouer la partie & commencer un nouveau combat.