Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/19

Chapitre XIX



CHAPITRE XIX.


Recepte pour faire revenir
le courage.



Rien n’eſt plus contagieux que le mauvais exemple ; On en fit une triſte expérience dans le camp des Alliez. Les Brularnes qui y ſervoient en qualité de volontaires corrompirent les plus vigoureux ſoldats qui tombérent bientôt dans une moleſſe fort préjudiciable aux intérets des Aſſiégeans. Dés que l’on connût le mal, on travailla á y apporter reméde. D’abord on tacha de les ranimer par le récit des plus belles actions guerriéres. Les vives deſcriptions de combats, les détails curieux, les particularités intéreſſantes, rien de tout cela ne fut omis. Si les discours ne faiſoient pas une aſſez vive impreſſion, on expoſoit á leurs yeux les portraits de ces fameux Héros, & de ces Héroines célèbres, dont la peinture a pour jamais immortaliſé les vertus. Les différentes attitudes de ces illuſtres perſonnages, la vivacité de leurs regards les tranſports dont ils paroiſſoient animés, tout cela produiſoit ordinairement des effets merveilleux ſur l’âme des ſpectateurs. S’il s’en trouvoit quelqu’un qui y fut inſenſible, on avoit recours á un moyen fort extraordinaire. On dépouilloit le lache, on s’armoit de verges, & des bras puiſſans faiſoient tomber une grêle de coups ſur les parties les plus charnuës de ſon corps. Cette opération met tout le ſang en mouvement, ranime les eſprits, & rappelle le courage dans les cœurs. Preſque toujours par cette épreuve,

Redit in præcordia virtus.

Ceux qui avoient paſſé par cette cérémonie ſans donner aucun ſigne de converſion, étoient regardés comme des malades incurables, & a cet effet on les releguoit aux invalides de Modoſe.

Cette derniére reçette dont les Ebugors ſe ſervent comme d’un reméde efficace, eſt employée comme punition chez les Todéves. Lors qu’elles ont commis quelques fautes, Les Cérutédirs prennent les fouets vengeurs, & dechirent la peau des coupables. Ces cruels éxécuteurs goutent encore une ſatisfaction infinie á conſidérer les veſtiges de leur cruauté, & cette vuë excite toujours en eux des mouvemens qui tournent á l’avange des Todéves qu’ils ont ainſi chatiées. Tant eſt vrai le proverbe qui dit que, Mal eſt ſouvent propre á un grand bien.


Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors, 1733-Vignette
Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors, 1733-Vignette