Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/17
CHAPITRE XVII.
d’une Emécodine
algré l’ardeur & le courage des
Alliez le ſiége n’avançoit cependant
pas beaucoup. C’etoit en vain
qu’on avoit déja fait pluſieurs attaques
pour tâcher de ſe rendre maitres ſoit par
force ſoit par addreſſe des deux Tours,
qui ſervoient de forts avancés pour couvrir
Cythére. Elles étoient ſi bien défenduës
qu’on ne pouvoit en approcher ; Toutes
les tentatives que l’on faiſoit á cet
effet reſtoient vaines & ſans ſuccés ; de
ſorte qu’il étoit a préſumer que le Blocus
dureroit encore long tems. Cette
opiniâtre réſiſtance déſeſpéroit, ſur tout,
les Omines, qui s’étoient imaginès que la
place ne tiendroit que fort peu devant
eux. Ils bruloient d’envie de ſe voir
poſſeſſeurs de la ville áfin de pouvoir s’y
livrer à tous les excés dont eſt ordinairement
capable un ſoldat éffrènè. Cette
troupe fourniſſoit les plus ardens travailleurs
de toute l’Armée ; Quoi que dans
l’ouverture de la Campagne on ne comptât
pas beaucoup ſur eux, Ils détruiſirent
bientôt la prévention où l’on étoit
contre leur corps, par une activité invincible
dans les travaux.
Cependant le feu continuoit de part & d’autre avec une égale violence, & ſans relache. Chàcun des deux partis ne reſpiroit que meurtre & que carnage, lors qu’une Emécodine enflammée d’un bouillant deſir de gloire réſolut d’aller défier en combat ſingulier les plus vaillants d’entre les Ebugors. Pleine d’un ſi hardi projet, elle n’en reſpire que l’exécution. Déja, elle ne balance plus ; Elle va trouver Divutémia. Princeſſe, lui dit’elle en la regardant avec des yeux où ſe peignoit la grandeur de ſon courage Princeſſe, jusques á quand ſouffrirons nous l’arrogance de nos ennemis ? Quoi, Les Ebugors pouront ſe vanter un jour de nous avoir forcées á nous renfermer dans nos retranchemens ? Ils oſeront ſe glorifier de nous avoir réduites á les craindre. Suffit’il donc à notre gloire de défendre nos domaines contre leurs attentats ? Serions nous donc trop foibles pour porter le fer & la flamme jusques dans leur camp ? Pourquoi craindrions nous de les combattre á découvert ? Si mon zéle vous eſt connû, Si, plus d’une fois, vous m’avez vuë ſacrifier avec joyë & mon cœur & mon corps, á la gloire & á l’accroiſſement de notre Empire, Il me reſte encore du ſang dans les veines, & ce même cœur eſt toujours animè du même déſir. Permettez que je ſorte, & que j’appelle au combat leurs plus hardis champions. Il eſt beau de vaincre quand on a de tels adverſaires, & la defaite en eſt moins honteuſe pour le vaincu.
Ainſi parla cette généreuſe Amazone, la Commendante & toute l’aſſemblée applaudirent à un ſi noble deſſein. Pluſieurs, que tant de grandeur d’âme animoit eurent envie de courir la même cariére, & ſollicitérent fortement pour en obtenir la permiſſion. Mais Divutemia leur repréſenta qu’il n’etoit pas á propos de dégarnir tout d’un coup la place de tout ce qu’elle avoit de plus brave, que ce ſeroit une imprudence qui pouroit avoir de trés mauvaiſes ſuittes. Elle leur dit qu’elle leur permétroit une autre fois de ſignaler tour à tour leur valeur ; mais que pour le préſent, il étoit juſte d’accorder l’honneur du pas à celle qui avoit la premiére fait une ſi belle propoſition. Ces illuſtres Héroines ſatisfaites des flateuſes promeſſes de leur Souveraine ſe retirérent & coururent aux remparts pour y etre ſpectatrices de la gloire dont leur vaillante compagne alloit á jamais ſe couronner.