Texte établi par Claude-Bernard PetitotFoucault (p. 197-209).

De l’avantage que Bertrand remporta dans le combat qu’il eut avec Guillaume de Brambroc, chevalier anglais, en présence du duc de Lancastre ; et de plusieurs artifices qu’il mit en usage pour faire lever à ce prince le siège de Rennes.


Quand le Duc eut étudié tout à loisir la taille, le visage, les airs, les manieres et les reparties de Bertrand, il le fit regaler de son mieux, pour témoigner publiquement l’estime qu’il faisoit d’un gentilhomme de cette trempe. Il y en eut un autre qui, jaloux de toutes les caresses dont ce prince faisoit gloire de l’honorer, essaya d’effacer de son esprit cette haute idée qu’il en avoit conçuë, par un cartel qu’il luy fit, en le defiant de combattre contre luy seul à seul, à la veüe du Duc et de toutes ses troupes. Cet anglois s’appelloit Guillaume Brambroc : il portoit une dent à Guesclin depuis qu’il avoit enlevé le château de Fougeray sur Robert de Brambroc, son proche parent ; et d’ailleurs ne pouvant souffrir qu’avec peine toutes les loüanges qu’on donnoit à cet étranger, il voulut desabuser tout le monde de sa prétenduë bravoure, en mesurant ses forces avec luy dans un combat singulier, dont il esperoit de sortir avec tout le succés et tout l’avantage. Bertrand, se sentant piqué jusqu’au vif de l’arrogance de ce fanfaron, se promit bien de le faire repentir de sa témérité, luy déclarant qu’il acceptoit volontiers le party qu’il luy présentoit, et que bien loin de craindre d’entrer en lice avec luy, jamais il n’auroit un plus beau champ de faire sentir à ses ennemis jusqu’où pouvoit aller le courage et l’adresse d’un gentilhomme breton contre un chevalier anglois ; et que quand on luy compteroit tout autant d’argent que toute la masse de son corps en pourroit peser, il ne voudroit pas renoncer au duel qu’il venoit de luy proposer. Le Duc ayant entendu la fiere repartie que Bertrand venoit de faire à ce chevalier, dit à ce dernier qu’il avoit fait une entreprise bien hardie de se vouloir commettre avec un si rude joüeur, et voyant que l’un et l’autre témoignoient une égale chaleur pour en venir aux mains ensemble, il leur marqua le jour du combat pour le lendemain.

Ce prince n’eut pas plûtôt achevé ces paroles que le héraut que Bertrand avoit gratieusé, se vint prosterner à ses pieds et luy faire un récit exact de toutes les honnêtetez qu’il luy avoit faites. Il exagéra de son mieux le présent qu’il luy avoit fait d’une bourse de cent florins d’or et d’une fort belle veste, quand il l’avoit été trouver de sa part pour l’engager à se rendre auprès de sa personne. Le Duc fut si touché de la courtoisie de Bertrand, qu’il commanda sur l’heure qu’on tirât le plus beau coursier de son écurie, dont il le gratifia fort généreusement. Guesclin, tout transporté de joye, luy dit dans son patois : Sire, Dieu vous gard d’encombrier : car oncques ne trouvay comte, ne prince qui me donnât vaillant un seul denier ; le cheval est bel, si le chevaucheray demain devant vous pour aquiter mon convenant. Aussitôt qu’il fut de retour à Rennes, le gouverneur et les principaux officiers de la garnison vinrent au devant de luy pour apprendre tout le détail de la conférence qu’il venoit d’avoir avec le Duc. Bertrand leur donna toute la satisfaction qu’ils pouvoient attendre de luy là dessus, en leur exposant toutes les honnêtetez qu’il avoit reçuës de ce prince, qui luy avoit fait don du plus beau cheval de son écurie, sur lequel il devoit remonter le lendemain pour combattre corps à corps, en pleine carrière, contre Guillaume de Brambroc, chevalier anglois, dont il n’avoit pas pu refuser le défy qu’il luy avoit fait en présence de ce prince. Cette nouvelle ne fut pas goûtée du gouverneur de Rennes, encore moins des parens de Bertrand, qui tâchèrent, par toutes les raisons les plus spécieuses, de le détourner de cette entreprise, luy représentans le péril qui le menaçoit et le peu d’assurance qu’il y avoit à la parole des Anglois, sur laquelle il ne devoit faire aucun fonds. Bertrand les assura qu’il n’y avoit rien à craindre pour luy, puis qu’il avoit pour garant un prince trop religieux, pour trahir le serment qu’il avoit fait, qu’il n’auroit aucune acception de personne, et qu’il ne permettroit pas que rien s’y passât au préjudice des deux combattans, qui devoient tout attendre de leur courage et de leur seule adresse, sans espérer aucun secours qui pût tourner au desavantage de l’un ny l’autre. Le gouverneur parut satisfait de ses raisons ; mais il ne sortit pas de la crainte qu’il avoit qu’on ne luy fît quelque supercherie.

Le lendemain Bertrand s’arma le plus lestement qu’il luy fut possible et refusa de prendre une cuirasse, pour combattre avec plus de liberté, se contentant d’un casque, d’une lance et d’un bouclier. Il se rendit, dans cet équipage, à l’église la plus prochaine, pour entendre la messe avant son départ, et recommander à Dieu la justice de sa cause et la conservation de sa vie, le priant, de toute l’étenduë de son cœur, de bénir la droiture de ses intentions, et de donner un heureux succès à ses armes. Il voulut même aller à l’offrande pour y faire une espèce de vœu, dans lequel il se consacra tout entier à la défense de la religion chrétienne contre les payens et les infidelles, si le ciel luy faisoit remporter l’avantage avec lequel il esperoit sortir de ce combat. Après qu’il se fut aquité de ce devoir de pieté, son premier soin fut de prendre une soupe au vin, pour avoir plus de force dans l’action qu’il alloit faire ; et comme il se disposoit à monter à cheval, sa tante le vint arréter par le bras et s’efforça, par ses larmes et par ses soupirs, de le détourner de cette entreprise, luy représentant qu’il alloit combattre contre le plus redoutable chevalier de toute l’Angleterre, et qu’elle avoit toutes les raisons du monde d’appréhender que sa vie ne fût dans un extrême danger, ou du moins qu’on ne lui joüât quelque mauvais tour. Mais Bertrand ne se laissa point intimider pour toutes les remontrances que luy fit cette dame, qui, voyant qu’il n’y avoit rien à gagner sur son esprit, luy demanda par grâce qu’il voulût bien ôter son casque, afin qu’elle le pût embrasser, peut être pour la dernière fois ; mais Guesclin ne voulant point répondre à tous ces mouvemens de tendresse, qu’il croyoit être hors de saison, luy dit : « Ma tante, vous ferez mieux de retourner à la maison baiser vôtre mary[1] que de m’empêcher de courir où la gloire et mon honneur m’appellent. Défaites vous de toutes ces terreurs puériles ; songez seulement à faire preparer le dîner, et comptez que je seray de retour avant qu’il soit prêt. »

Après qu’il se fut tiré de cette importunité, qu’il regardoit comme un grand contretemps, il partit avec une résolution qui étonna tous les bourgeois de Rennes, qui coururent sur les remparts pour admirer la fierté de sa marche et de sa contenance. Il ne fut pas plutôt arrivé près du camp des Anglois, que le duc de Lancastre fit publier une défense par toute son armée d’approcher de plus de vingt lances aucun des deux écuyers, sur peine de la vie, ny de se présenter pour aller au secours de celuy qui seroit terrassé pour le relever. Le champ fut donc ouvert, afin que ces deux généreux combattans pussent entrer en lice en présence du Duc et de toute son armée, qui mouroit d’envie de les voir aux mains. Bertrand faisoit une si belle contenance qu’elle fut un augure certain de l’avantage qu’il alloit remporter. Il ouvrit le combat par un coup de lance si violent, qu’il perça la cuirasse de son adversaire et pénétra même le coton de son pourpoint, si bien que peu s’en falut qu’il n’allât jusqu’à la chair.

Brambroc, indigné de cette première disgrâce qu’il venoit d’essuyer, en voulut réparer l’affront en déchargeant un coup de sabre avec tant de force et de furie sur la tête de son ennemy, que le fer entra bien avant dans le casque de Bertrand, qui, se tenant ferme sur ses étriers, ne fut aucunement ébranlé de la rude atteinte qu’il venoit de recevoir. Enfin, après avoir bien chamaillé l’un contre l’autre avec un succès égal, Bertrand fit un dernier effort, et ramassant tout ce qu’il avoit de vigueur et de force, remporta la gloire de la lice et de la carrière, en portant un coup à son ennemy, qui, non seulement luy perça la chair, mais le coucha par terre sur le sable, et, sans la considération du Duc, pour lequel il protestoit d’avoir les derniers égards, il l’auroit achevé ; mais il se contenta de se saisir de son cheval, pour marque de la victoire qu’il avoit remportée, criant tout haut qu’il n’étoit sorti de Rennes qu’avec un cheval, et qu’il s’en retournoit avec deux. Le Duc, qui fut le témoin de la bravoure de Guesclin, l’en félicita par l’organe d’un de ses hérauts, et luy fit dire qu’il pouroit reprendre le chemin de Rennes en toute sûreté, sans appréhender qu’on luy fît aucune insulte sur sa route. Bertrand reçut ce compliment avec tant de générosité, qu’il donna de fort bonne grâce à ce même héraut le cheval qu’il venoit de gagner dans ce dernier combat. Cette honnêteté ne luy attira pas seulement la réputation d’un brave chevalier, mais aussi celle d’un fort galant homme qui sçavoit faire les choses à coup porté, soûtenant par de fort beaux endroits, la gloire de sa nation.

Son retour à Rennes fut accompagné de tous les applaudissemens imaginables : le gouverneur, les officiers de la garnison, les plus notables bourgeois de la ville coururent à l’envy pour l’embrasser, et ne pouvoient tarir sur les loüanges qu’ils donnoient à une si généreuse action. Ses parens enchérirent encore sur les autres, et luy préparèrent un fort magnifique repas, afin qu’il se pût agréablement délasser de toutes les nobles fatigues qu’il venoit d’essuyer. Ce fut avec un extrême plaisir qu’ils entendirent le récit qu’il leur fit de toutes les circonstances qui étoient entrées dans ce célèbre combat, qu’il avoit donné sous les yeux du duc de Lancastre, du comte de Pembroc et de toute l’armée angloise, qui venoit de voir avec un œil jaloux la défaite d’un de leurs braves, qui reconnoissoit qu’il devoit la vie à Guesclin, son vainqueur, qui avoit droit de la luy ôter, si la clémence et la générosité ne l’eussent emporté dans son cœur, au dessus de la vengeance et du ressentiment, que les âmes aussi bien nées que celle de Bertrand ont coutume de mépriser.

Cependant le duc de Lancastre n’oublia pas le soin de son siege. Il avoit fait préparer une grande machine de guerre, qu’il fit approcher des murailles de Rennes, étant appuyée sur des roües qui en facilitoient le mouvement. C’étoit une espèce de tour de bois, dont la hauteur égaloit celle des murs de la ville, et dans laquelle il avoit fait entrer grand nombre d’arbalestriers, qui tiroient à coup sûr sur les assiegez au travers des ouvertures dont elle étoit percée. Cette tour étoit fort meurtriere ; Bertrand s’avisa d’un stratagème pour en rendre les efforts inutiles : il se mit à la tête des plus braves de sa garnison pour faire une sortie sur les Anglois. Il passa sur le ventre à tout ce qui se présenta pour luy résister, et s’étant ouvert le passage à grands coups de sabre jusqu’à cette tour, il y mit le feu malgré les assiegeans ; la flamme avoit tant d’activité qu’il n’étoit pas possible de l’éteindre, parce que c’étoit un feu grégeois, que l’eau même ne peut pas empêcher de brûler. Comme la matiere de la machine étoit combustible, la flamme gagna bientôt les hauteurs de la tour, dont la charpente venant à crouler fit tomber les Anglois quelle renfermoit, à demy brûlez et étouffez. C’étoit un fort pitoyable spectacle de les voir sauter de haut en bas les uns sur les autres au travers des flammes, qui recevans toujours un nouvel aliment, faisoient un fracas d’autant plus horrible ; si bien que toute la machine venant à se déboiter fit une chute qui étonna tous ses spectateurs.

Bertrand ayant fait une si grande exécution, fit une retraite aussi glorieuse que l’avoit été sa sortie, car il rentra dans la ville à la tête de ses Bretons, se faisant jour au travers de tous les assiegeans qui le vouloient envelopper. Le duc de Lancastre, dont toutes les ressources étoient épuisées, étoit au desespoir d’avoir jusqu’à lors si peu reüssy dans le siège qu’il avoit entrepris ; la famine ne travailloit pas moins son camp que la ville ; la saison s’avançoit, et cependant il n’avoit encore fait aucun progrès considerable. Il eût bien voulu lever le piquet de devant Rennes, mais il ne le pouvoit faire sans honte, et d’ailleurs il avoit fait serment de ne point décamper de là qu’il n’eût arboré les leopards d’Angleterre sur les remparts de Rennes. Il falut donc chercher quelque expédient pour luy faire lever le siège sans trahir son serment. Bertrand le trouva sur l’heure, en luy représentant qu’il pouvoit entrer luy dixiême dans Rennes, et monter sur les murs de la ville pour y planter son étendard, et que les assiégez luy ouvriroient volontiers leurs portes, pour luy donner lieu d’accomplir son serment.

Le Duc entra volontiers dans la pensée de Guesclin, ne demandant qu’à se tirer d’affaire. Le jour fut marqué pour l’exécution de cette belle cérémonie. Bertrand et le gouverneur firent publier par toute la ville que chacun se tint prêt pour recevoir le duc de Lancastre, et comme ils apprehendoient qu’il ne découvrît leurs besoins et le peu de vivres qui leur restoit pour soutenir encore le siège long temps, il fut ordonné soûs de grosses peines, que chaque bourgeois étaleroit à sa porte tout ce qu’il avoit de viande, de bled, de poisson et d’autres denrées, à la pointe du jour, et que si quelqu’un d’entr’eux étoit assez hardy pour en receler la moindre chose, on luy confisqueroit tous ses biens, et l’on s’assûreroit de sa personne. Cet ordre fut si ponctuellement exécuté, que quand le Duc entra dans Rennes avec son petit cortège, il fut surpris de voir tant de vivres dans cette place, et perdit l’envie de rester devant plus long temps. Le gouverneur de Rennes, Bertrand et les officiers les plus distinguez de la garnison reçurent ce prince avec tout le respect dont ils furent capables, et luy firent tout l’acueil qu’un seigneur de sa condition pouvoit attendre de leur honnêteté.

Le Duc monta donc sur les murs ; on luy présenta l’étendard d’Angleterre, pour s’aquiter de la ridicule cérémonie qui devoit le dégager de son serment. Il mit son enseigne sur le haut de la porte de Rennes avec autant de front et d’assurance que s’il en avoit fait la conquête. Bertrand luy voulut verser à boire luy même, et prit la liberté de luy demander où la guerre se devoit continuer dans la suite, car ce brave, qui ne cherchoit que les occasions de se signaler, apprehendoit de se voir hors d’œuvre après la levée de ce siège. Le Duc, ne pouvant se défendre d’admirer cette inclination martiale qu’il voyoit en luy, se mit à luy soûrire, en disant qu’il l’apprendroit bientôt et qu’il trouveroit un champ assez large pour exercer son courage et sa valeur. Mais ce prince eut un grand déboire, quand il apperçut qu’on jetta son enseigne par terre, avant même qu’il eût sorty la barrière, et que les assiégez faisoient de grandes huées sur luy. Ce luy fut une mortification qu’il eut beaucoup de peine à digérer, et qui le fit bien repentir de la démarche honteuse qu’il venoit de faire.

Comme il avoit donné sa parole de lever le siège, il fut religieux à la tenir : il fit plier bagage à ses troupes, et décampa tout aussitôt de la place, pour aller passer son hyver dans Auray, jusqu’à ce qu’il eût des nouvelles de Jean de Monfort, avec lequel il devoit s’aboucher pour prendre de nouvelles mesures pour la prochaine campagne. Charles de Blois ayant appris le peu de succès que le duc de Lancastre avoit eu devant Bennes, et le courage avec lequel Bertrand l’avoit défenduë, se rendit incessamment dans cette capitale, pour remercier les bourgeois du zele et de la fidélité qu’ils avoient eu pour son service, et pour témoigner à Bertrand combien il étoit sensible aux grands efforts qu’il avoit fait pour sa querelle avec tant de succès. Il luy fit don d’un beau château qu’on appelloit la Roche d’Arien, le conjura de toujours épouser son party dans la suite, et de vouloir en sa faveur couronner l’œuvre qu’il avoit commencé si généreusement. Bertrand luy promit de se dévoüer tout entier à luy, l’assurant qu’il ne manieroit jamais l’épée que pour sa querelle, et qu’il tâcheroit à l’avenir de luy conserver la souveraineté qu’un usurpateur luy disputoit avec tant d’injustice.

En effet toute la Bretagne étoit partagée jour ces deux princes, les uns tenans pour l’un, et les autres pour l’autre. Le roy d’Angleterre entrant avec chaleur dans le party de Jean de Monfort, remplit toute la Bretagne d’Anglois, qu’il fit débarquer à Brest, dont il donna le commandement au duc de Lancastre, et le chargea de mettre tout en usage contre les partisans de Charles de Blois. Ceux de Dinan, qui tenoient pour ce dernier, écrivirent à ce prince que leur ville étoit fort menacée, qu’elle avoit besoin d’un fort prompt secours pour se mettre en état de soutenir le siège que les Anglois alloient former contre eux.

Ce fut la raison pour laquelle Charles mit Bertrand à la tête de cinq ou six cens combattants, et luy donna l’ordre de se jetter incessamment dans la place[2]. Il y courut à perte d’haleine, et fit une si grande diligence, qu’il eut le bonheur d’y entrer avec tout son monde, auparavant que les ennemis investissent la ville. Chacun se fit un mérite d’y partager le péril avec Bertrand. Olivier de Guesclin, son frère, et le Torboiteux, auparavant gouverneur de Rennes, voulurent être de la partie, dans l’espérance qu’ils pourroient défendre Dinan avec le même courage et le même succès qu’ils avoient défendu la capitale

de toute la Bretagne.


CHAPITRE VI.


De l’avantage que Bertrand remporta dans un combat singulier qu’il fît contre Thomas de Cantorbie, durant le siege que le duc de Lancastre mit devant Dinan.


Le duc de Lancastre étant devenu sage à ses dépens, et voulant profiter du malheur qu’il avoit essuyé devant Rennes, serra Dinan de si prés, et prit des mesures si justes, que les assiegez se voyant aux abois, furent contraints de mander à ce prince qu’ils luy rendroient la place, si dans quinze jours Charles de Blois ne leur envoyoit pas du secours, et qu’ils le supplicient de leur accorder ce terme pour leur donner le loisir de faire sçavoir de leurs nouvelles à ce comte, pour se disculper auprès de luy, si dans la suite il leur reprochoit d’avoir capitulé trop tôt. Le duc de Lancastre et Jean de Monfort ne les voulans pas

  1. Alez vous en à l’ostel baisier vostre mary, et ne me syeyez plus : et à Dieu vous comment. (Ménard, p. 40.)
  2. Dans l’intervalle qui s’écoula entre la levée du siège de Rennes et le siége que le duc de Lancastre mit devant Dinan, Du Chastelet fait aller Du Guesclin en Normandie où il possédoit, auprès de Pont-Orson, une terre provenant de la succession de Jeanne de Malemains, sa mère. Là il le fait combattre en champ clos contre un chevalier anglois nommé Troussel. Quoique presque tous les historiens de Du Guesclin gardent le silence sur ce combat, la description que Du Chastelet en a puisée dans une ancienne chronique, nous a paru assez curieuse pour que nous croyions devoir l’insérer ici. Elle fait bien connoître les usages du tems.

    « Le jour étant venu le maréchal d’Andreghem, suivant la coutume de ces temps-là, se trouva dans le champ qu’il avoit fait préparer avec les cérémonies usitées. Deux anciens gentilshommes furent choisis pour être les juges du combat. Le maréchal avoit établi deux héraults. Chacun des combattants avoit deux parrains, deux écuyers, deux coustilliers et deux trompettes. Il y avoit une tente dressée à chaque bout du champ, dans chacune desquelles entrèrent les champions. On apporta les armes au milieu de la place. Un prêtre les bénit, et les combattants parurent. On leur lut les faits sur lesquels ils devoient combattre. Ils les approuvèrent et les ratifièrent. Ensuite leurs mains entrelacées les unes dans les autres, ils jurèrent sur les saints évangiles que la cause qu’ils soutenoient étoit juste, que leurs armes n’étoient point enchantées, qu’ils n’avoient sur eux ni charme, ni sorcellerie, et qu’ils se comporteroient en cette action comme preux et loyaux chevaliers. Après cela on les arma. Les parrains leurs ceignirent leurs épées. Les écuyers leurs donnèrent les chevaux et les boucliers. Ils reçurent des coustilliers la lance et la dague. Chacun des deux champions se plaça seul auprès de sa tente. Leurs assistans se retirèrent aux quatre coins ; et les héraults défendirent de favoriser ni l’un ni l’autre, suit de l’œil, soit de la main, par signe ou par parole. Ils ordonnèrent ensuite le plus profond silence. Les trompettes sonnèrent, et les combattans coururent. Les assistants de Bertrand Du Guesclin étoient Olivier de Mauny, son cousin, le maréchal de Beaumanoir, Bertrand de Saint-Pern, son parrain, le vicomte de la Bellière et d’autres.

    « La première course fut désavantageuse pour Du Guesclin. Ses amis tremblèrent un moment. Une fièvre quarte qui le tourmentoit, l’avoit affoibli. À la seconde course, Du Guesclin ramasse son courage et ses forces. Il renverse son adversaire mortellement blessé ; et, pour punir la forfanterie du chevalier anglois, il alloit lui couper la tête, sans le maréchal d’Andreghem qui jetta entre les combattants sa baguette dorée. À à ce signal le combat finissoit. ». (Du Chastelet, p. 28.).