Ampère (Arago)/14
Les traits de caractère qui, dans le cours de cette Notice, se sont trouvés mêlés à des analyses scientifiques, suffiraient amplement dans les éloges du plus grand nombre des académiciens. Il n’en saurait être ainsi à l’égard d’Ampère. De bonne heure, un singulier concours de circonstances initia le public à tous les détails de sa vie privée. On s’occupait presque tout autant de ce qu’on appelait sa crédulité, ses travers, de ses distractions, des alternatives si fréquentes d’activité infinie et d’apathie profonde auxquelles il était sujet, que de ses brillantes découvertes. Petit à petit, notre ami devint le principal acteur dans une multitude d’aventures plus ou moins bizarres, fruit de l’imagination de quelques oisifs.
La calomnie, toujours aux aguets des occasions d’exercer son détestable rôle, se mit aussi de la partie ; et voilà comment il arrive que je n’aurais pas atteint mon but, si je négligeais de donner une esquisse fidèle du caractère et des habitudes d’Ampère.
Je viens de parler de calomnie ! Il est assurément bien loin de ma pensée de vouloir appliquer cette expression sévère à quiconque ne partage pas aujourd’hui l’opinion que je me suis formée du caractère d’Ampère. Philopœmen porta une fois, dit Plutarque, la peine de sa mauvaise mine. Ampère aussi porta souvent la peine de certaines manières, de certaines habitudes dont je n’entends nullement me faire le prôneur. Je le reconnais : de la meilleure foi du monde, on a pu, par exemple, prendre des salutations vraiment trop profondes pour un manque de dignité.
Nous avons traversé des temps où un homme de lettres, où un homme de science, s’appelât-il Ampère, avait toute raison de craindre que ses emplois ne lui fussent enlevés, s’il n’était pas orthodoxe en matière de religion et partisan des systèmes politiques du jour. Peut-être, dans ces circonstances, notre confrère se rappelait-il trop vivement ses devoirs de père de famille ; peut-être une imagination ardente lui peignant alors sous des couleurs exagérées la position où l’aurait réduit une destitution brutale, Ampère se prêta-t-il à des démarches, à des visites, à des présentations qu’on a pu loyalement, légitimement blâmer. C’est un droit que je concède, même en ce moment, à ceux qui jamais ne firent de semblables fautes ; mais je le dénie, sans hésiter, aux fonctionnaires infiniment plus nombreux, dont tout l’avantage sur Ampère fut de trouver le secret d’être moins remarqués. Au reste, n’allez pas croire que les jugements, que les opinions dont je vais me rendre l’organe, et qu’il me serait si doux de faire prévaloir dans cet auditoire, reposent sur le fondement peu solide de bruits, de propos de société ; sur des actes mal connus et susceptibles de diverses interprétations. J’ai apprécié, j’ai jugé Ampère d’après une correspondance intime qui n’était pas destinée à voir le jour ; qui, même selon l’expresse recommandation de notre ami, aurait dû être brûlée. C’est dans un semblable document que je pouvais espérer de trouver la pensée d’Ampère, dégagée de tout alliage trompeur. C’est en lisant cette précieuse correspondance, que j’ai appris à aimer de plus en plus notre confrère. Y a-t-il beaucoup d’hommes qui gagneraient ainsi à être dépouillés du masque dont ils se couvrent généralement en public ?
Voilà de bien longues réflexions. Messieurs ; vous me les pardonnerez, si je dis qu’on se tromperait en les considérant comme un préambule : elles sont la réfutation directe, anticipée, des objections dont la dernière partie de cette Notice est menacée, même avant d’avoir reçu aucune publicité.
Ainsi que La Fontaine, avec lequel il avait plus d’un point de ressemblance, Ampère demeurait quelquefois isolé au milieu de la foule. De là, certaines bizarreries, certaines aberrations de langage, de tenue ou de costume, que devaient difficilement comprendre ceux qui jamais ne subirent la domination tyrannique d’une idée ou d’un sentiment. Les distractions blessent, quand elles ne font pas rire : les distractions d’Ampère étaient de cette dernière espèce ; et cependant, il faut bien qu’elles aient blessé quelques personnes, puisqu’on a été jusqu’à imaginer, jusqu’à soutenir que les mille et mille distractions dont nous fûmes témoins étaient affectées. Cette grave imputation a été trop répandue, pour que je lui donne une sorte d’assentiment par mon silence. J’aborde donc, sans hésiter, la misérable circonstance qui l’a fait naître.
Après une soirée consacrée à de vives discussions, sur divers points de religion et de métaphysique, Ampère, en se retirant fort tard, emporta le chapeau tricorne d’un ecclésiastique, au lieu de son propre chapeau rond. Le lendemain, il s’empressa d’aller réparer son erreur. Telle a été, je le reconnais, l’origine d’une liaison que notre confrère devait désirer. Mais conclure de là que la méprise fut calculée ; supposer qu’un homme si éminent par son mérite, par ses emplois, et devant lequel toutes les portes de la capitale devaient s’ouvrir à deux battants, eût volontairement recours, comme moyen d’introduction, au plus misérable des expédients, à un échange de chapeaux, c’est blesser à la fois la vérité et le sens commun.
Au surplus, vous qui faites un si singulier, un si déplorable usage de l’esprit interprétatif, votre carrière n’est pas finie : de grâce, parcourez-la tout entière.
Dites-nous, par exemple, quel avantage convoitait Ampère le jour où, assis à la table de personnes que tout lui commandait de ménager, il se crut un moment dans sa propre maison et s’écria, avec l’accent d’un mécontentement profond :« Vraiment, ce dîner est détestable ! Ma sœur comprendra-t-elle enfin qu’elle a tort d’accepter des cuisinières, sans s’être assurée personnellement de leur savoir-faire ! »
J’ai presque honte de cette justification ; car, enfin, Ampère n’a pas été le seul personnage éminent sujet à des distractions réelles. Veut-on, par hasard, généraliser le reproche ? Je citerai aussitôt un astronome célèbre qui, à la demande de sa ménagère, cherchant à déterminer le nombre exact de secondes qu’exige la cuisson d’un œuf, reconnut avec désespoir que, pendant une minute entière, il avait soumis à l’ébullition de l’eau la montre du plus grand prix, sur laquelle reposait l’exactitude de tous ses travaux, tandis que l’œuf était resté dans sa main. Je dirai que le père Beccaria, que le pieux Beccaria, poursuivi par le souvenir d’une recherche électrique, même pendant qu’il célébrait la messe, s’écria, un jour, de toute la puissance de sa voix : l’esperienza è fatta, au moment où il aurait dû chanter le Dominus vobiscum, distraction qui, par parenthèse, devint le sujet d’une information devant l’autorité ecclésiastique, et amena l’interdiction de l’illustre physicien.
Faire du distrait avec le système que je viens de réfuter, une sorte de mélange du trompeur et de l’hypocrite, ce serait se résoudre à déchirer d’excellents feuillets de La Bruyère, et condamner au feu une agréable comédie de Regnard. Il est toutefois une conséquence qui répugnerait encore davantage : l’inimitable fabuliste cesserait d’être le bon homme, comme le baptisa Molière. En restant les admirateurs de ses œuvres immortelles, nous serions obligés de dépouiller sa personne de cette auréole de respect, d’estime, je dirai presque de tendre attachement, dont tant de générations successives l’ont entourée. Une cause est perdue, Messieurs, quand elle conduit à des conséquences qui froissent si violemment la conscience publique !
La crédulité d’Ampère était en quelque sorte devenue proverbiale. Elle lui faisait accepter, coup sur coup, les événements les plus fantastiques dans le monde politique, les faits les plus extraordinaires dans le monde intellectuel. Cet aveu, au reste, ne portera aucun préjudice à la grande réputation de perspicacité du célèbre académicien.
La crédulité tient ordinairement au manque d’intelligence. Celle-là il ne pourra, bien entendu, en être jamais question à cette place. Souvent aussi, elle provient d’une paresse générale d’esprit ; c’est la crédulité qui s’est si bien caractérisée par le dicton populaire :j’aime mieux le croire que d’y aller voir.
L’indifférence, pour échapper aux sollicitations, aux combats qu’elle redoute, prend quelquefois le masque de la crédulité ; mais l’indifférence peut ne pas être générale, ne porter que sur certaines questions, et laisser, sur d’autres points, une large place à l’intérêt, à l’activité. Tel était le cas du grammairien devant qui on dévoilait les symptômes imaginaires d’une conflagration générale de l’Europe : il admettait tout, accueillait tout sans sourciller, sans mot dire ; on allait définitivement le ranger parmi les hommes les plus crédules de l’époque, lorsqu’il rompit le silence par ces paroles : « Arrive que pourra, je n’en ai pas moins deux mille-verbes bien conjugués dans mes cartons ! »
Ampère appartenait à une tout autre catégorie infiniment plus rare : chez lui, la crédulité était le fruit de l’imagination et du génie. En entendant raconter une expérience extraordinaire, son premier sentiment était sans doute la surprise ; mais bientôt après, cet esprit si pénétrant, si fécond, apercevant des possibilités là où des intelligences communes ne découvraient que le chaos, il n’avait ni trêve, ni cesse, qu’il n’eût tout rattaché par des liens plus ou moins solides aux principes de la science. Dois-je craindre d’être accusé de méconnaître le cœur humain, en ajoutant que le mérite de la difficulté vaincue, a quelquefois pu influer sur la ténacité de notre savant confrère à défendre certaines théories ?
En quittant Lyon, en 1805, Ampère n’avait pas assez calculé ce qu’il laissait d’amis et de souvenirs dans cette ville. Peu de temps après son arrivée à Paris, il fut pris d’une véritable nostalgie, dont la guérison n’a jamais été complète. Dans des lettres de 1813, de 1820, et même d’une date postérieure, son acceptation de la place qui l’attacha à l’École polytechnique, est qualifiée d’acte de folie insigne. Ses rêves favoris étaient des combinaisons, toujours impraticables, qui auraient pu le ramener aux lieux témoins de son enfance. L’exclamation : « Oh ! si j’étais resté à Lyon ! » termine le récit de ses chagrins de toute nature. Ceci, Messieurs, donne la clef de bien des circonstances de la vie de notre ami restées jusqu’ici inexpliquées.
La métaphysique, j’en ai déjà touché quelque chose au début de cette notice, vint constamment à la traverse des travaux de mathématiques, de physique ou de chimie que notre confrère entreprenait. Elle ne fut momentanément vaincue qu’en 1820, 1821 et 1822, pendant les recherches électro-dynamiques, et l’on a vu ce qui en advint. En 1813, Ampère consultait ses amis de Lyon sur le projet qu’il avait formé (je copie textuellement) « de se livrer entièrement à la psychologie. » Il se croyait appelé « à poser les fondements de cette science pour tous les siècles. » Il ne répondait pas à une lettre de sir Humphry Davy : « N’ayant plus, disait-il, le courage de fixer ses idées sur ces ennuyeuses choses-là ! »
Je n’irai pas plus loin, Messieurs ; je craindrais, en insistant davantage sur le tort que la psychologie a fait à la physique, de soulever ici contre la première de ces études une trop grande irritation.
Au nombre des écrivains que l’histoire littéraire a distingués, à raison de leur ardeur constante et infatigable, nous trouverions des hommes profondément pieux, des indifférents et des incrédules. Ceux, au contraire, qui pendant toute leur vie ont été troublés par des combats religieux intérieurs, sont très-rarement parvenus à achever des ouvrages de longue haleine ; Ampère appartint beaucoup plus que nous ne l’avions cru, à cette dernière classe de savants.
Madame Ampère avait, de bonne heure, excité dans l’âme de son fils, les sentiments de piété qui l’animaient elle-même. La lecture assidue de la Bible et des Pères de l’Église, était le moyen infaillible dont le jeune géomètre faisait usage, lorsque sa foi devenait chancelante. Plus tard, le talisman perdit quelque peu de sa première vertu ; des pièces manuscrites me l’ont appris, car, de son vivant, Ampère ne laissa rien percer devant moi, des doutes cruels qui, de temps à autre, bouleversaient son esprit. En parcourant aujourd’hui ses lettres à l’ami qu’il avait pris pour confident de tant de combats intérieurs, le lecteur se surprend à croire qu’il a sous les yeux le récit des tortures poignantes qu’éprouva l’auteur des Provinciales. « Si c’était vrai cependant ! écrivait-il le 2 juin 1815… malheureux que je suis !… d’anciennes idées ne me dominent pas assez pour me faire croire ; mais elles ont encore la puissance de me frapper de terreur ! Si je les avais conservées intactes, je ne me serais pas précipité dans un gouffre ! »
J’ai pu remarquer, par la comparaison des dates, que ces vicissitudes n’ont pas été sans quelque liaison avec les révolutions politiques de la France, ou avec des douleurs de famille. Qu’on le croie bien, les larmes dont les yeux des malheureux sont inondés, n’altèrent pas seulement pour eux l’aspect physique des choses !
Dans ses moments de ferveur religieuse, il n’y avait pas de sacrifice littéraire qu’Ampère ne trouvât léger. À l’école centrale de Bourg, le jeune professeur composa un traité sur l’avenir de la chimie. De hardies prédictions n’avaient alors rien dont sa conscience s’effarouchât. Déjà même l’ouvrage était imprimé, lorsque diverses circonstances firent passer subitement Ampère à un état d’exaltation mystique extraordinaire. Dès ce moment, il se crut coupable au premier chef, pour avoir essayé de dévoiler prématurément une multitude de secrets que les siècles futurs portaient et qu’ils portent encore dans leurs flancs ; il ne vit plus dans son œuvre que le fruit d’une suggestion satanique. et la jeta au feu. Cette perte, l’illustre académicien l’a depuis vivement regrettée, d’accord, en cela, avec tous ceux qui s’intéressent aux progrès des sciences et à la gloire du pays.
Le doute religieux n’est pas le seul qui ait troublé la vie d’Ampère. Le doute, quel qu’en fût l’objet, bouleversait son esprit au même degré. « Le doute, écrivait-il à un de ses amis de Lyon, est le plus grand des tourments que l’homme endure sur la terre ! » Voici (entre mille) une des questions, assurément très-douteuses, d’autres diraient insolubles, sur lesquelles la pensée de notre ami s’était exercée, qu’on me passe l’expression, avec le plus d’emportement.
L’étude des animaux fossiles montre que notre globe a été le théâtre de plusieurs créations successives qui, de perfectionnement en perfectionnement, se sont élevées jusqu’à l’homme. La terre n’offrait d’abord rien de vivant, rien d’organisé. Puis se présentèrent quelques végétaux ; puis les animaux invertébrés : les vers, les mollusques ; plus tard des poissons, des reptiles marins ; plus tard encore les oiseaux ; enfin, les mammifères.
« Vois-tu, écrivait Ampère à un de ses amis de Lyon, vois-tu les palœothériums, les anoplothériums remplacés par les hommes ? J’espère, moi, qu’à la suite d’un nouveau cataclysme, les hommes, à leur tour, seront remplacés par des créatures plus parfaites, plus nobles, plus sincèrement dévouées à la vérité. Je donnerais la moitié de ma vie pour avoir la certitude que cette transformation arrivera. Eh bien, le croirais-tu ? il y a des gens assez stupides (je ne change rien à la phrase), pour me demander ce que je gagnerais à cela ! n’ai-je pas cent fois raison d’être indigné ? »
Je ne m’étonnerais pas qu’au premier coup d’œil on éprouvât quelque surprise, en me voyant placer les événements et les passions politiques parmi les causes qui portèrent si souvent la tristesse, le découragement dans le cœur d’Ampère, et nuisirent le plus souvent à ses travaux scientifiques. Moi-même, son ami pendant trente années, n’ai-je pas eu besoin de lire sa correspondance la plus intime, pour savoir tout ce qu’il y avait de patriotiques douleurs, sous une sérénité apparente, sous un vernis de douce résignation ?
L’année 1815 marqua surtout dans la vie de notre confrère d’une manière cruelle. L’empereur était revenu de l’île d’Elbe. Le bruit des armes retentissait dans l’Europe entière ; les nations allaient se heurter sur un champ de bataille inconnu ; de ce choc terrible pouvait naître, pour de longues années, l’asservissement de la France et du monde. Ces pensées bouleversaient l’âme de notre illustre confrère ; mais il eut l’incroyable malheur de tomber alors dans une société, Dieu me garde de chercher à en découvrir les traces, où ce qu’il redoutait était un objet d’espérance ; où les plus tristes nouvelles excitaient des transports de joie ; où la mort d’un demi-million de nos compatriotes ne semblait pas devoir entrer en balance avec le maintien de quelques institutions vermoulues. Ces hideux sentiments inspiraient à notre confrère une juste et profonde antipathie. D’autre part, il trouva dans la population parisienne des personnes ardentes qui, sans attendre aucun acte de la part de leurs antagonistes, proposaient de faire impitoyablement main basse sur eux.
C’est alors que dans une lettre, dont j’ai l’original sous les yeux, Ampère écrivait à ses amis Lyonnais : « Je suis comme le grain entre deux meules ! Rien ne pourrait exprimer les déchirements que j’éprouve ; je n’ai plus la force de supporter la vie ici. Il faut à tout prix que j’aille vous rejoindre, il faut surtout que je fuie ceux qui me disent : Vous ne souffrirez pas personnellement, comme s’il pouvait être question de soi-même au milieu de semblables catastrophes. »
N’auriez-vous pas, Messieurs, mauvaise opinion d’un homme qui, dans de si tristes circonstances, aurait trouvé en lui-même assez de tranquillité d’esprit pour combiner des formules, inventer des appareils, ou tenter de nouvelles expériences ?
Ampère, par timidité, concentrait soigneusement en lui-même les sentiments douloureux que les événements publics lui inspiraient. Deux fois, cependant, la mesure devint comble : elle déborda violemment. S’il me fallait citer un désespoir égal à celui qu’éprouva notre confrère en apprenant la prise de Praga et, plus tard, la chute de Varsovie, ce serait parmi les anciens membres de cette Académie que je le trouverais. Je montrerais Ruelle entrant dans son amphithéâtre, les habits en désordre, la figure pâle, les traits décomposés, et commençant une leçon de chimie par ces paroles, que je prise, moi, autant que la plus belle expérience : « Je crains de manquer aujourd’hui de clarté et de méthode ; j’ai à peine la force de rassembler, de combiner deux idées ; mais vous me pardonnerez quand vous aurez appris que la cavalerie prussienne a passé et repassé sur mon corps pendant toute la nuit. »
On avait connu la veille, à Paris, la nouvelle de la bataille de Rosbach.
Une fois entraîné par la direction de son esprit, par son tempérament ou par son cœur, à étudier les événements politiques, à calculer leur importance, leur gravité, il est rare qu’on sache se borner à ceux d’une seule époque, fût-elle aussi féconde en terribles péripéties que la fin du XVIIIe siècle et le commencement du XIXe. Les biographes racontent que Lamothe-Levayer mourut en demandant d’une voix éteinte : « A-t-on des nouvelles du grand Mogol ? » Pour Ampère, le grand Mogol, c’était le monde tout entier ; le temps passé, le temps présent, et le temps à venir. Les souffrances des sujets de Sésostris, de Xercès, de Tamerlan, trouvaient dans son âme une fibre sensible, comme les souffrances des pauvres paysans de la Bresse, parmi lesquels sa jeunesse s’était écoulée. « Il se préoccupait avec la même passion (ce sont ses paroles textuelles) de ce qui arrivera dans trois siècles et des événements qui se déroulaient sous ses yeux. » Nous retrouvons ici l’horreur du doute dont je parlais tout à l’heure, mais renforcée encore par des sentiments philanthropiques.
« Les amis, s’écria lord Byron dans un moment d’humeur, sont des voleurs de temps ! » Un homme très-studieux avait dit avant lui, avec moins d’àpreté : « Ceux qui me viennent voir me font honneur ; ceux qui ne viennent pas me font plaisir. » La pensée, également égoïste sous l’une et sous l’autre forme, n’effleura jamais l’esprit ou le cœur d’Ampère. Son cabinet de travail s’ouvrait à toute heure et à tout venant. Vous n’en sortiez pas, nous devons l’avouer, sans que notre confrère vous demandât si vous connaissiez le jeu des échecs ? La réponse était-elle affirmative, il s’emparait du visiteur et joutait contre lui, bon gré, mal gré, des heures entières. Ampère avait trop de candeur pour s’être aperçu que les inhabiles eux-mêmes, plusieurs m’en ont fait la confidence, connaissaient un moyen infaillible de le vaincre : quand les chances commençaient à leur être défavorables, ils déclaraient, en termes très-positifs, qu’après de mûres réflexions, le chlore était définitivement pour eux de l’acide muriatique oxygéné ; que l’idée d’expliquer les propriétés de l’aimant à l’aide de courants électriques, semblait une vraie chimère ; que, tôt ou tard, les physiciens reviendraient au système de l’émission, et laisseraient les ondes lumineuses parmi les vieilleries décrépites du cartésianisme. Ampère avait ainsi le double chagrin de trouver de prétendus adversaires de ses théories favorites, et d’être échec et mat !
Les philosophes, ceux-là même dont la vie entière se passe à rédiger des codes de sagesse à l’usage de toutes les nations du monde, souvent ne parviennent pas à éviter, dans leur propre conduite, des écueils qui se montrent aux yeux les plus vulgaires. Ampère, par exemple, ne comprit jamais combien sa santé, combien les sciences, souffriraient de l’isolement auquel il s’était condamné. Il croyait satisfaire aux prescriptions impérieuses de la médecine ou au prières instantes de l’amitié ; il croyait vraiment reposer son esprit, lorsque, dans la journée, il passait plusieurs heures ou dans une obscurité profonde, ou sans avoir à la main ni livre, ni plume, ni crayon. Une semblable illusion ne pouvait nous fasciner. Aussi, qu’on ne s’en étonne point, en cherchant pour notre ami une distraction réelle, nous avons désiré l’entraîner à la Comédie-Française ; nous avons voulu associer un homme qui, dans sa jeunesse, composait des tragédies, au plaisir noble et pur qu’excitaient les chefs-d’œuvre de Corneille, de Racine, de Molière, à une époque surtout où ces poëtes immortels avaient pour interprètes les Talma, les Fleury, les mademoiselle Mars.
Craignant chez notre ami l’influence puissante des scrupules religieux, nous avons cru devoir lui raconter que, du temps de Louis XIV, une dame de la cour ayant demandé à son confesseur si elle faisait mal d’aller au spectacle, n’en reçut que cette réponse : C’est à vous, Madame, de me le dire. De si admirables paroles ne pouvaient manquer de frapper une imagination vive et éclairée. Un moment nous avons cru notre cause gagnée : elle l’était, en effet, dans l’esprit et dans le cœur d’Ampère ; mais pouvions-nous insister, quand nous le vîmes arrêté par la crainte, très-respectable, de blesser les personnes dont naguère il partageait les opinions sur le point que nous venions de débattre ? C’était, disons-le en passant, la critique anticipée des nombreux revirements opérés récemment sous nos yeux, et que la conscience publique a flétris, moins encore par tout ce qu’ils avaient eu de soudain, d’inattendu, d’intéressé, qu’à raison des outrages que les apostats du jour adressaient aux dieux de la veille.
J’aurais fait preuve, Messieurs, d’une bien grande inhabileté, si le caractère personnel d’Ampère, que je viens d’envisager sous tant de faces diverses, ne semblait pas déjà à tout le monde, du moins entre certaines limites, une explication naturelle du découragement auquel notre ami s’abandonna tant de fois ; si on n’y voyait pas une des principales causes du dégoût que lui inspirèrent souvent des études où le moindre de ses efforts eût certainement conduit à d’éclatants succès. Les traces de ce découragement, de ce dégoût, se montrent en foule à quiconque jette un coup d’œil attentif sur les dernières années de la vie d’Ampère.
Celui qui, dans sa jeunesse, dévorait avec tant d’ardeur les livres de toute nature, même les vingt volumes in-folio de l’Encyclopédie, parvenu à un certain âge, n’avait plus la force de rien lire. À peu d’exceptions près, les ouvrages de sa bibliothèque n’étaient pas coupés. On y voyait bien, çà et là, quelques feuillets dentelés sur leurs bords comme une large scie, preuve certaine qu’un doigt inhabile les avait séparés. Un auteur, même parmi les plus célèbres, se serait vainement mis en quête de traces plus nombreuses, plus manifestes de l’attention, de la curiosité de notre confrère. Avec l’unique exception du projet de classification naturelle des connaissances humaines, tout, dans le monde scientifique, dans le monde littéraire, lui était devenu tellement indifférent, qu’il existe dans les mains des géomètres, dans les mains des élèves de nos grandes écoles, un Traité de calcul différentiel et de calcul intégral, publié sans nom d’auteur, sans titre et sans table de matières ; l’imprimeur, après de nombreuses tentatives, avait fini par comprendre que notre Ampère ne lui fournirait jamais les quelques lignes qui eussent été nécessaires pour donner au nouveau livre la forme que tous les livres ont eue, depuis le temps de Gutenberg.
Ne vous récriez pas, Messieurs, sur ce que ce fait offre d’extraordinaire. J’ai, à mon sens, quelque chose de plus étrange encore à vous raconter.
Fresncl, ce physicien illustre qui poussait l’art des expériences jusqu’à ses dernières limites ; qui, dans la discussion des phénomènes les plus complexes, parvenait, à force de génie, à se passer des secours puissants, mais peu accessibles, qu’on trouve aujourd’hui dans l’analyse transcendante ; Fresnel, en mourant, laissa dans le monde scientifique un vide immense. Ampère, sous un rapport au moins, aurait pu le combler. Des amis lui en parlèrent. Ils firent briller à ses yeux le grand avenir de gloire, d’utilité, qui s’allierait à une renommée déjà européenne. La démarche fut sans résultat. Ampère était arrêté par une incroyable difficulté : il ne pouvait accepter la mission qu’on lui offrait, attendu, disait-il, qu’elle le mettrait dans l’obligation de lire deux Mémoires sur la théorie des ondes, dont M. Poisson venait d’enrichir les sciences ! (Les deux Mémoires embrassent une centaine de pages, et sont écrits avec l’élégante clarté qui distingue tous les travaux de l’illustre géomètre !) L’excuse d’Ampère étonnera tout le monde ; eh bien, notre ami la donnait d’un ton si pénétré, qu’il y aurait eu vraiment de la barbarie à s’en fâcher. Si les grandes et les petites choses pouvaient être comparées, je dirais qu’elles rappelaient la réponse qu’un ouvrier, jeune et valide, fit un jour à cette question de Marivaux : « Pourquoi ne travaillez-vous pas ? — Ah ! Monsieur, si vous saviez combien je suis paresseux ! »
La large part que je viens de faire à l’influence du caractère, ne doit pas détourner nos yeux d’une cause, non moins puissante, qui, elle aussi, a beaucoup contribué à diminuer le nombre des travaux d’Ampère. S’il est vrai que les découvertes dont j’ai donné l’analyse, malgré tout ce qu’elles offrent de vaste, de profond, d’ingénieux, ne soient qu’une très-petite partie de celles qu’aurait pu enfanter la puissante tête de notre confrère, les institutions solidaires d’un si fâcheux résultat, méritent la réprobation de tous les amis des sciences. En consacrant quelques mots au développement de cette idée, j’obéirai, Messieurs, au précepte plein de raison que l’auteur de l’Essai sur les éloges exprimait ainsi : « Soit qu’en célébrant les grands hommes vous preniez pour modèle la gravité de Plutarque, ou la sagesse piquante de Fontenelle, n’oubliez pas que votre but est d’être utile ! »
Quand on parle des savants, nos contemporains, dont les facultés immenses ont été mal appliquées, le nom d’Ampère est le premier qui se présente à la pensée.
Un homme d’État, célèbre par ses bons mots, disait d’un de ses adversaires politiques : « Sa vocation est de ne pas être ministre des affaires étrangères. » À notre tour, nous pourrions affirmer, à l’égard d’Ampère, que « sa vocation était de ne pas être professeur. »
Cependant, c’est au professorat qu’on l’a forcé de consacrer la plus belle partie de sa vie ; c’est par des leçons rétribuées qu’il a toujours dû suppléer à l’insuffisance de sa fortune patrimoniale.
Une blessure grave qu’Ampère reçut au bras pendant sa première jeunesse, n’avait pas peu contribué à le priver de toute dextérité manuelle. Le premier emploi qu’on lui donne est, cependant, celui de professeur de physique, de chimie, d’astronomie, à l’école centrale du département de l’Ain. Le professeur de physique manquera inévitablement ses expériences, le chimiste brisera les appareils, l’astronome ne parviendra jamais à réunir deux astres dans le champ de la lunette d’un sextant ou d’un cercle à réflexion ; sont-ce là des difficultés réelles pour le type moderne qu’on appelle l’administrateur ? Ses fonctions lui donnent le droit de nommer. Une place devient vacante, il nomme, et tout est dit !
Ampère quitta Bourg pour occuper d’abord à Lyon une chaire de mathématiques pures, et plus tard, à Paris, l’emploi de répétiteur d’analyse à l’École Polytechnique. Dans ces nouvelles fonctions, il n’avait plus à manier des cornues, des machines électriques, des télescopes ; on pouvait donc compter, cette fois, sur un succès complet ; mais le savoir, mais le génie ne suffisent pas à celui qui se voue à l’enseignement d’une jeunesse vive, pétulante, moqueuse, habile à saisir les moindres ridicules et à les faire servir à son amusement. Pour ne pas donner prise à sa malicieuse sagacité, il faut avoir étudié, en vivant longtemps au milieu d’elle, ses goûts, ses allures, ses caprices, ses travers. L’homme qui s’est formé lui-même, qui n’a pas passé par les écoles publiques, manque d’un des éléments de réussite. Vos salutations sont-elles très profondes, cette marque de déférence devrait vous valoir des remercîments ; elle excite, au contraire, des éclats de rire.
Quelques bizarreries, l’ignorance du monde, ce que dans notre société tout artificielle, on appelle un manque de tenue, n’empêchaient pas assurément qu’Ampère ne fût un des savants les plus perspicaces, les plus ingénieux de notre époque ; mais, on doit l’avouer, les leçons en souffraient ; mais les forces d’un homme de génie auraient facilement reçu un emploi plus judicieux, plus utile ; mais la science elle-même, dans sa juste susceptibilité, pouvait regretter qu’un de ses plus nobles, de ses plus glorieux représentants, se trouvât exposé aux plaisanteries d’une jeunesse étourdie et de quelques désœuvrés.
Dans le chapitre xvii du second livre des célèbres Essais, Montaigne faisait sa confession en ces termes : « Je ne sais compter ni à jet, ni à plume ; la plupart de nos monnoyes, je ne les connois pas, ni ne sai la différence de l’un grain à l’autre, ni en terre, ni en grenier, si elle n’est pas trop apparente ; ni à peine celle d’entre les choux et les laitues de mon jardin… j’entends moins encore en la trafique, en la connoissance des marchandises. »
Ampère, très-habile botaniste, n’aurait pas confondu les choux et les laitues, mais il était aussi peu avancé que le philosophe de Périgueux en la trafique des marchandises. Témoin l’étonnement naïf qu’il éprouva, le jour où, voulant s’initier quelque peu aux affaires de son petit ménage, il vit figurer 50 francs de persil dans la dépense d’un mois, et 600 francs dans celle de l’année entière. Voilà, toutefois, l’homme qui, pendant plus d’un quart de siècle, reçut, chaque année, comme inspecteur général de l’Université, la mission de contrôler la dépense de nos principaux colléges. Et, qu’on ne croie pas qu’Amptre fût beaucoup plus propre à examiner les professeurs et les élèves. Une fois excitée, son ardente imagination franchissait, à vol d’oiseau, le cadre des théories classiques. Un seul mot, vrai ou faux, prononcé devant notre confrère, le jetait souvent dans des routes inconnues, qu’il explorait avec une étonnante perspicacité, sans tenir alors aucun compte de son entourage. C’est ainsi que d’année en année, la théorie d’Avignon, la démonstration de Grenoble, la proposition de Marseille, le théorème de Montpellier, venaient enrichir ses cours publics de l’École Polytechnique et du Collége de France ; mais cette habitude qu’avait notre confrère de désigner chacune de ses conceptions par le lieu où elle était née, autorisait à craindre qu’il ne prêtât aux élèves ni à Avignon, ni à Marseille, ni à Montpellier, ni à Grenoble, l’attention soutenue qui doit dominer dans un examinateur.
Si Ampère convenait peu aux fonctions d’inspecteur général de l’Université, cette place, je puis aussi l’affirmer, ne lui convenait guère ; mais les devoirs du père de famille, mais une bienfaisance qui s’exerçait fort au delà des limites de la prudence, même aux époques où les amis de notre confrère calculaient avec inquiétude de combien il s’en fallait qu’il n’eût rien, mais la ruineuse habitude de jouer avec les remaniements dans les imprimeries, mais le besoin de faire exécuter, sans cesse, de nouveaux appareils d’électron-magnétisme, éloignaient chez Ampère, jusqu’à la pensée d’abandonner la principale branche d’un modeste revenu. Aussi, tous les ans, au moment où les tournées étaient distribuées dans les bureaux universitaires, voyions-nous notre ami se soumettre avec résignation au métier de solliciteur ; et pour obtenir telle mission dont sa santé devait le moins souffrir, ou qui pouvait devenir l’occasion de quelques centaines de francs d’économie, perdre en démarches pénibles, humiliantes, souvent infructueuses, un temps très-précieux.
Il part enfin, et pendant trois ou quatre mois, l’auteur des subtiles théories électro-dynamiques, va, de département en département, de ville en ville, de collége en collége, s’escrimer contre de malheureux enfants. Ses journées se passent à les entendre décliner, conjuguer, expliquer quelques passages du De viris, des Métamorphoses ; ou bien à les tenir devant le tableau noir, tant redouté, où ils ânonnent les règles, assurément irréprochables, mais très-prosaïques, de la multiplication, de la division et de l’extraction des racines. L’heure du retour est malheureusement aussi celle de tribulations d’un autre genre, et non moins poignantes. Les cartons universitaires ont hâte d’enfouir dans leurs flancs la statistique détaillée des barbarismes, des solécismes, des fautes de calcul dont M. l’inspecteur général a dû tenir note. Leur gueule béante réclame aussi des bordereaux, offrant les comptes de literie, d’ameublement ou de cuisine de trente pensionnats. C’est en vain qu’on demandera de telles paperasses à notre ami, lui qui trouve à peine la force de rédiger ses travaux de prédilection ; lui qui, dans une lettre, après avoir énuméré les nombreuses et bien réelles causes de chagrin dont il est assiégé, croit donner le dernier trait à ce triste tableau, quand il écrit : « Être assis immobile devant une table une plume à la main, c’est le plus pénible, le plus rude des métiers. » Ampère résistera donc aux demandes incessantes du commis, du chef de bureau, du chef de division et du ministre ligués contre lui ; mais dans cette lutte de tous les jours, et qui se prolongera jusqu’à l’époque des nouvelles inspections, il dépensera plus de temps, de finesse et d’esprit, qu’il ne lui en avait fallu pour créer un chapitre de ses théories électro-magnétiques.
Un si misérable emploi des plus hautes facultés intellectuelles n’aura de défenseurs ni dans cette enceinte, ni ailleurs ; mais, dira-t-on, où est le remède ? Le remède ne serait pas difficile à trouver : je voudrais que notre colossal budget n’oubliât pas que la France est avide de tous les genres de gloire ; je voudrais qu’il assurât une existence indépendante au petit nombre d’hommes dont les productions, dont les découvertes, dont les ouvrages commandent l’admiration et sont les traits caractéristiques des siècles ; je voudrais que ces puissances intellectuelles, dès qu’elles se sont manifestées, le pays les couvrît de sa protection tutélaire ; qu’il présidât à leur libre, à leur entier développement ; qu’il ne souffrît pas qu’on les usât sur des questions vulgaires. Les objections que ce projet pourrait faire naître, sont plus spécieuses que solides. Je les avais énoncées et combattues. Le défaut de temps m’oblige de renvoyer cette partie de mon travail à une autre séance. J’en ferai le sujet d’une proposition spéciale sur laquelle, bien entendu, j’attendrai l’opinion du public avant de la soumettre aux chances d’un vote législatif. Il est un point cependant sur lequel, dès aujourd’hui, aucune dissidence ne s’élèverait ; tout le monde reconnaîtra que, sous le régime libéral dont je viens de tracer l’esquisse, Ampère eût été un des savants sur lesquels la munificence du pays se fût épanchée la première. Libre alors de tous soins, de toute inquiétude ; débarrassé d’une multitude d’occupations assujettissantes, de détails mesquins, de servitudes minutieuses, notre ami aurait poursuivi avec ardeur, avec amour, avec persévérance, les mille idées ingénieuses qui journellement traversaient sa vaste tête. Je disais tout à l’heure que les découvertes, les travaux qu’il a laissés après lui, occuperont une place éminente dans l’histoire des sciences, que la postérité les remarquera. J’ajoutais cependant, sans craindre les dénégations de personne, qu’elles ne sont qu’une fort petite partie de ce qu’on avait le droit d’attendre d’une des plus subtiles, des plus profondes intelligences que la nature eût créées ; de la réunion, si rare, de l’esprit de détail à la force de généralisation. Cette réflexion ne m’appartenait pas ; je l’avais aperçue, tantôt à nu et tantôt voilée, à toutes les pages de la correspondance d’Ampère avec ses amis d’enfance. Chaque jour notre confrère mettait malheureusement en balance ce qu’il faisait et ce qu’il aurait pu faire ; chaque jour les résultats de cet examen ajoutaient à sa profonde tristesse. Vous savez maintenant ce qui empoisonna sa vie ; ce qui lui faisait désirer qu’on inscrivît sur sa tombe l’épitaphe brève et en même temps si expressive qu’un célèbre ministre de Suède s’était choisie :