Imprimeries Réunies. S. A. (p. 14-20).

La gamme du sauvetage

La « gymnastique utilitaire » est, comme on le sait, l’ensemble des exercices concourant au sauvetage, à la défense et à la locomotion, c’est-à-dire qu’elle assure la formation de l’homme complet, du débrouillard, du garçon « adroit de ses mains, prompt à l’effort, souple de muscles, résistant à la fatigue, ayant le coup d’œil rapide, la décision ferme et entraîné d’avance à ces changements de lieu, de métiers, de situations, d’habitude que rend nécessaire la féconde instabilité des sociétés modernes ». Parmi ces exercices, ceux qui assurent plus spécialement la sécurité de l’individu et lui permettent aussi de porter plus utilement secours à son prochain composent une « gamme » de sept notes qui devrait servir de base à l’éducation physique de l’adolescent, comme la gamme euphonique est le principe de l’instruction musicale.

Courir, sauter, grimper, lancer, attraper, porter, ramper, telles sont les sept notes.

La course, a-t-on dit, est « le trot de l’animal humain. Et que vaut un animal qui ne peut pas se mettre au trot ? » La course a ceci de particulier qu’il faut la pratiquer sinon quotidiennement du moins hebdomadairement pour y demeurer apte. Les anciens pensaient en faciliter l’apprentissage en entraînant l’athlète sur des pistes de sable exigeant un grand effort à chaque foulée. Les modernes, au contraire, lui préparent des pistes cendrées, élastiques, à virages relevés. Les résultats modernes sont supérieurs aux anciens, mais il faut s’habituer à courir sur des terrains inégaux et sur des distances variables, avec et sans vêtements, si l’on veut être à même de faire face aux imprévus.

Il existe bien des façons de sauter : en hauteur, en longueur, en profondeur (de haut en bas}, verticalement (de bas en haut), puis avec la perche qui amplifie les sauts, puis encore en prenant appui des mains sur une barrière ou un mur. Le tremplin élastique n’existe pas dans la nature : il n’est pas à employer. On doit tâcher d’éviter l’insuccès qui, en se répétant, engendre la peur mécanique ; de là l’obligation de commencer par des obstacles faciles et de régler prudemment la progression de l’effort à faire. Le grand ennemi du sauteur est l’hésitation nerveuse. Elle s’accroche à lui et il a grand’peine à s’en défaire.

Au grimpeur, au contraire, la décision initiale coûte peu ; c’est la persévérance en cours de route qui importe. On grimpe à l’aide de la traction de bras combinée soit avec l’adhérence (grimper à un arbre lisse), soit avec le renversement (culbute autour d’une branche pour s’asseoir dessus), soit le rétablissement (se hisser à la force des poignets de façon à poser les coudes sur le faîte ou le rebord qu’on veut escalader et se surélever ensuite sur les coudes jusqu’à ce que la ceinture ait dépassé l’obstacle). Tout homme valide doit pouvoir faire cela jusqu’à cinquante ans passés.

Le lancer comporte trois phases : la prise, la pose, la détente. La force de propulsion dépend de la façon dont l’objet se trouve placé dans la main, et aussi de l’attitude du lanceur et de la figure mécanique que dessine sa machine corporelle au moment où la détente va s’effectuer. Il y a sans doute des règles générales à observer, mais c’est à chacun à trouver sa propre formule, celle qui, conforme à la structure de l’individu et à ses moyens lui assurera, avec l’entraînement, le meilleur rendement. Le disque et le javelot sont de bons engins de lancement, mais meilleurs encore, plus simples et plus pratiques sont : le poids, la balle et le lasso. Avec la balle et le lasso on lancera en visant. Il faut naturellement lancer des deux mains. La fronde est redoutable… pour le voisin.

Attraper est le complément de lancer. Grâce aux jeux de balles auxquels ils se livrent de temps immémorial, les enfants s’y entraînent inconsciemment. Le football-rugby développe également cette faculté. Il importe toutefois de remarquer que ces exercices se limitent toujours à ceci : saisir au vol un objet rond. Il serait très nécessaire de s’exercer aussi — et toujours des deux mains cela va de soi — à saisir des objets de formes différentes : un bâton, une corde, une brique, un filet. Le geste d’attraper est des plus variables ; on ne saurait le codifier, à chacun de s’ingénier pour s’y perfectionner.

Soulever, charger, se mettre en mouvement voilà en quoi consiste l’art de porter. On l’a réduit à l’artificiel « travail des poids ». Et l’arraché, le développé, le jeté ne sont point des « trucs » à dédaigner. Il est bon de les connaître, voire de les pratiquer à condition que les très jeunes gens n’en abusent pas. Mais ce n’est pas toujours la lourdeur, c’est aussi bien le volume ou la forme du fardeau qui le rendent difficile à manier. On porte un fardeau dans les bras, sur l’épaule ou sur le dos. Un sac de sable, des bottes de paille, une caisse de bois, un tonneau, une longue échelle, ce sont là des engins improvisés faciles se procurer et d’une réelle valeur éducative.

Ramper… faire la bête, quoi ! Nul n’y pensait jusqu’à la guerre. Les exploits des soldats sur le front ont réhabilité la chose et créé le mot. Désormais on se préoccupera d’enseigner la « reptation ». Et l’on s’apercevra que c’est une excellente gymnastique. Elle se pratique sur le dos, sur le ventre, de côté, en avant, à reculons. On accroît la difficulté en dressant quelque obstacle sur la route et plus encore en immobilisant un membre par une ligature quelconque. À remarquer de quelle façon vigoureuse l’épaule entre en jeu dès que les coudes ne jouent plus librement.