Almageste/Livre I/06

Almageste
Traduction par Nicolas Halma.
Librairie scientifique J. Hermann (1p. 103-106).

CHAPITRE  VI.

LA TERRE NE FAIT AUCUN MOUVEMENT DE TRANSLATION.

Par des preuves semblables aux précédentes, on démontrera que la terre ne peut être transportée obliquement, ni sortir absolument du centre. Car, si cela étoit on verroit arriver tout ce qui auroit lieu, si elle occupoit un autre point que celui du milieu. Il me paroît, d’après cela, superflu de chercher les causes de la tendance vers le centre, une fois qu’il est évident par les phénomènes mêmes, que la terre occupe le milieu du monde, et que tous les corps pesans se portent vers elle ; et cela sera aisé à comprendre, si l’on considère que la terre ayant été démontrée de forme sphérique, et, suivant ce que nous avons dit, placée au milieu de l’univers, les tendances et les chûtes des corps graves, je dis celles qui leur sont propres, se font toujours et partout perpendiculairement au plan mené sans inclinaison par le point d’incidence où il est tangent. Il est clair qu’ils se rencontreroient tous au centre, s’ils n’étoient pas arrêtés par la surface, puisque la droite menée jusqu’au centre est perpendiculaire sur le plan qui touche la sphère au point d’intersection dans le contact même.

Ceux qui regardent comme un paradoxe qu’une masse comme la terre ne soit appuyée sur rien, ni emportée par aucun mouvement, me paroissent raisonner d’après les préjugés qu’ils prennent de ce qu’ils voient arriver aux petits corps autour d’eux, et non d’après ce qui est propre à l’universalité du monde, et c’est ce qui cause leur erreur. Ils seroient loin d’y tomber, s’ils savoient que la terre, toute grosse qu’elle est, n’est pourtant qu’un point, comparativement au ciel, qui l’environne. Ils trouveroient qu’il est possible que la terre, étant un infiniment petit relativement à l’univers, soit maîtrisée de toutes parts et maintenue fixe par les efforts qu’exerce sur elle également et suivant des directions semblables, l’univers qui est infiniment plus grand qu’elle, et composé de parties semblables. Il n’y a ni dessus ni dessous dans le monde ; car on n’en peut concevoir dans une sphère. Quant aux corps qu’il renferme, par une suite de leur nature, il arrive que ceux qui sont légers et subtils sont comme poussés par un vent vers le dehors et vers la circonférence et ils nous paroissent aller en haut, parce que c’est ainsi que nous appellons l’espace qui est au-dessus de nos têtes jusqu’à la surface qui nous enveloppe. Il arrive au contraire que les corps pesans et composés de parties épaisses se dirigent vers le milieu comme vers un centre, et nous paroissent tomber en bas parce que c’est de ce nom que nous appellons ce qui est au-dessous de nos pieds dans la direction du centre de la terre. Mais on doit croire qu’ils s’arrêteroient autour de ce milieu, par l’effet opposé de leurs chocs et de leurs efforts. On conçoit donc que la masse entière de la terre, qui est si considérable en comparaison des corps qui tombent sur elle, puisse les recevoir dans leur chûte, sans que ni leurs poids ni leurs vitesses lui communiquent le moindre mouvement. Mais si la terre avoit un mouvement qui lui fût commun avec tous les autres corps graves, elle les précéderoit bientôt par l’effet de sa masse, et laisseroit sans autre appui que l’air, les animaux et les autres corps graves, et seroit bientôt portée hors du ciel même. Toutes ces conséquences sont du dernier ridicule, même à imaginer.

Il y a des gens qui, tout en se rendant à ces raisons, parce qu’il n’y a rien à y opposer, prétendent que rien n’empêche de supposer, par exemple, que le ciel étant immobile, la terre tourne autour de son axe, d’occident en orient en faisant cette révolution une fois par jour à très peu près ; ou que, si l’un et l’autre tournent, c’est autour du même axe, comme nous avons dit, et d’une manière conforme aux rapports que nous observons entr’eux.

Il est vrai que, quant aux astres eux-mêmes, et en ne considérant que les phénomènes, rien n’empêche peut-être que, pour plus de simplicité, cela ne soit ainsi ; mais ces gens-là ne sentent pas combien, sous le rapport de ce qui se passe autour de nous et dans l’air, leur opinion est ridicule. Car, si nous leur accordions que les choses les plus légères et composées de parties les plus subtiles ne se meuvent point, ce qui serait contre nature, ou ne se meuvent pas autrement que les corps de nature contraire, tandis que ceux qui sont dans l’air, se meuvent si visiblement, avec plus de vitesse que ceux qui sont plus terrestres ; si nous leur accordions que les choses les plus compactes et tes plus pesantes ont un mouvement propre, rapide et constant, tandis qu’il est pourtant vrai qu’elles n’obéissent qu’avec peine aux impulsions qui leur sont données ; ils seraient obligés d’avouer que la terre, par sa révolution, aurait un mouvement plus rapide qu’aucun de ceux qui ont lieu autour d’elle, puisqu’elle ferait un si grand circuit en si peu de temps. Les corps qui ne seraient pas appuyée sur elle, paroîtroient donc toujours avoir un mouvement contraire au sien ; et, ni les nuées, ni aucun des corps lancés, ou des animaux qui volent, ne paraîtraient aller vers l’orient car la terre les précéderait toujours dans cette direction, et anticiperait sur eux par son mouvement vers l’orient ; ensorte qu’ils paraîtroient tous, elle seule exceptée, reculer en arrière vers l’occident.

S’ils disoient que l’atmosphère est emportée par la terre avec la même vitesse que celle-ci dans sa révolution, il n’en serait pas moins vrai que les corps qui y sont contenus, n’auraient pas la même vitesse. Ou s’ils en étoient entraînés comme ne faisant qu’un corps avec l’air, on n’en verroit aucun procéder ni suivre mais tous paroîtroient stationnaires ; et, soit qu’ils volassent ou qu’ils fussent lancés, aucun n’avanceroit ou ne s’écarteroit jamais ; c’est pourtant ce que nous voyons arriver, comme si le mouvement de la terre ne devoit leur causer ni retard ni accélération.