Almageste/Livre I/03

Almageste
Traduction par Nicolas Halma.
Librairie scientifique J. Hermann (1p. 97-98).

CHAPITRE  III.

LA TERRE EST SENSIBLEMENT DE FORME SPHÉRIQUE DANS L’ENSEMBLE DE TOUTES SES PARTIES.

Pour concevoir que la terre est sensiblement de forme sphérique, il suffit d’observer, que le soleil, la lune et les autres astres ne se lèvent et ne se couchent pas pour tous les habitans de la terre à-la-fois, mais d’abord pour ceux qui sont à l’orient, ensuite pour ceux qui sont à l’occident. Car nous trouvons que les phénomènes des éclipses, particulièrement de la lune, qui arrivent toujours dans le même temps absolu, pour tous les hommes, ne sont pourtant pas vues aux mêmes heures, relativement à celle de midi, c’est-à-dire, aux heures également éloignées du milieu du jour ; mais que, partout, ces heures sont plus avancées pour les observateurs orientaux, et moins pour ceux qui sont plus à l’occident. Or, la différence entre les nombres des heures où les uns et les autres voient ces éclipses, étant proportionnelle aux distances de leurs lieux respectifs, on en conclura que la surface de la terre est certainement sphérique, et que de l’uniformité de sa courbure prise en totalité, il résulte que chacune de ses parties fait obstacle aux parties suivantes, et en borne la vue d’une manière semblable pour toutes. Il en seroit tout autrement, si la terre avoit une autre figure, comme on peut s’en convaincre par les réflexions suivantes (a).

Si la surface terrestre étoit concave, les habitans de ses parties occidentales seroient les premiers qui verroient les astres se lever ; si elle étoit plane, tous ses habitans ensemble et à-la-fois les verroient se lever et se coucher ; si elle étoit composée de triangles, de quadrilatères ou de polygones de quelqu’autre figure, tous les habitants d’une même face plane verroient les phénomènes dans le même temps ; chose qui toutefois ne paroît pas avoir lieu. Il est certain aussi, que la terre n’est pas un cylindre dont la surface regarde le levant et le couchant, et dont les bases soient tournées vers les poles du monde, conjecture qu’on pourroit juger plus vraisemblable ; car, si cela étoit, les habitans de la surface convexe ne verroient pas perpétuellement de certaines étoiles ; mais ou elles se lèveroient et se coucheroient entièrement, ou les mêmes à égale distance les unes d’un pole, les autres de l’autre, seroient toujours invisibles pour tous. Cependant, plus nous avançons vers les ourses, plus nous découvrons d’étoiles qui ne se couchent jamais, tandis que les australes disparaissent à nos yeux dans la même proportion. Ensorte qu’il est encore évident, qu’ici, par un effet de la courbure uniforme de la terre, chaque partie fait obstacle aux parties latérales suivantes, de la même manière ; ce qui prouve que la terre a dans tous les sens une courbure sphérique (b). Enfin sur mer, si, de quelque point que ce soit, et dans toute direction quelconque, nous voguons vers des montagnes, ou d’autres lieux élevés, nous voyons ces objets comme sortir de la mer où ils étoient auparavant cachés par la courbure de la surface de l’eau.