Almageste/Livre I/02

Almageste
Traduction par Nicolas Halma.
Librairie scientifique J. Hermann (1p. 92-93).

CHAPITRE  II.

LE CIEL SE MEUT SPHÉRIQUEMENT.

L’observation a sans doute suffi aux anciens pour leur donner les premières idées sur ces objets. Ils voyoient, en effet, Le soleil, la lune et les étoiles transportés d’orient en occident, dans des cercles toujours parallèles entr’eux, commencer par se lever d’en bas, comme de terre ; et, parvenus peu à peu en haut, redescendre d’une manière semblable, s’abaisser et finir par disparoître comme tombant sur terre ; et, après quelque temps de disparition, se montrer de nouveau, comme se levant d’un autre point, et se couchant de même, en observant exactement les vicissitudes réglées qui ramènent généralement et les mêmes temps et les mêmes lieux des levers et des couchers.

La révolution circulaire des étoiles toujours visibles, contribua le plus à l’idée de sphéricité dont on eut bientôt acquis la certitude, en voyant, surtout, que cette révolution se fait en tournant autour d’un centre unique et le même pour toutes. Ce point fut nécessairement pris pour le pole de la sphère céleste ; car les étoiles qui en sont les plus voisines, parcourent de plus petits cercles, et les autres qui en sont plus éloignées, décrivent des cercles plus grands, à proportion de leur éloignement, jusqu’à la distance où commencent les étoiles qui disparoissent ; parmi celles-ci, on voyoit les plus proches des étoiles toujours visibles demeurer moins de temps dans leur disparition, et celles qui en sont plus éloignées rester d’autant plus longtemps cachées, que leur distance est plus grande. Cela seul a suffi d’abord pour faire naître cette idée que les observations suivantes ont confirmée ; toutes les appa- rences se trouvant absolument contraires à toute autre opinion.

Car, supposons que le mouvement des astres se fasse en ligne droite et sans fin, comme quelques-uns l’ont cru ; quel sera le moyen que l’on imaginera pour expliquer comment il se fit que ces astres reparoissent tous les jours aux lieux où ils ont paru commencer à se mouvoir ? Comment pourraient-ils y retourner s’ils alloient à l’infini, et toujours dans une même direction ? Ou bien, s’ils revenoient sur leurs pas, comment le feroient-ils, sans être apperçus ? Ou comment ne disparoitroient-ils pas en diminuant insensiblement de grandeur ? Ne nous paroissent-ils pas, au contraire, plus grands à l’instant où ils vont disparoître, et ne sont-ils pas couverts peu-à-peu et comme coupés par la surface de la terre ? Il seroit absurde de soutenir que les astres s’allument en sortant de la terre, et qu’ils s’éteignent ensuite en y rentrant. Car, si l’on accordoit qu’un si bel ordre, tant dans les grandeurs et les quantités, que dans les distances, les lieux et les temps, se maintient par hazard, tel que nous le voyons constamment ; si l’on admettoit qu’une partie de la terre a la vertu d’allumer, et une autre celle d’éteindre ; et surtout que la même partie allume pour certaines nations et éteint pour d’autres, et que les mêmes astres sont allumés ou éteints pour les unes, mais pas encore pour les autres ; si, dis-je, on accordoit des choses aussi ridicules ; qu’aurions-nous à dire quant aux étoiles toujours visibles qui ne se lèvent et ne se couchent jamais ? ou, pour quelle raison, les astres qui s’allument et s’éteignent ne se lèvent et ne se couchent-ils pas pour tous les lieux, tandis que ceux qui n’éprouvent pas les mêmes alternatives, sont toujours par-tout au-dessus de la terre ? Car il ne peut se faire que les mêmes étoiles s’allument et s’éteignent pour certains lieux, et non pour les autres. Il est bien reconnu cependant que les mêmes étoiles se lèvent et se couchent pour certaines parties de la terre, et nullement pour d’autres.

En un mot, quelqu’autre figure que la sphérique qu’on suppose au mouvement des corps célestes, il faut que les distances de la terre au ciel et à ses parties, en quelque lieu qu’elle soit, et de quelque manière qu’elle soit située, soient inégales. Dès lors, les grandeurs et les distances les astres entr’eux ne paroîtroient pas les mêmes aux mêmes personnes en chaque révolution, puisqu’elles seroient tantôt dans un plus grand éloignement, tantôt dans un moindre ; c’est pourtant ce qui ne se voit point. Car si les astres nous paroissent plus grands quand ils sont dans l’horizon, ce n’est pas qu’ils soient moins éloignés de nous, mais c’est à cause de la vapeur humide qui environne la terre entre nos yeux et les astres, comme les choses plongées dans l’eau nous y paroissent d’autant plus grandes, qu’elles y sont plus profondément enfoncées.

Une autre raison qui milite en faveur de l’idée de sphéricité, c’est que les instruments construits pour indiquer les heures, ne pourroient pas être justes, dans toute autre hypothèse que la nôtre seule ; c’est aussi que la révolution des corps célestes se faisant rapidement et sans obstacle, la figure la plus favorable à ce mouvement, c’est, dans les plans, le cercle, et, dans les solides, la sphère ; c’est qu’enfin, de toutes les figures différentes, mais isopérimètres, les plus grandes sont celles qui ont le plus d’angles. Ainsi, le cercle est le plus grand des plans ; la sphère, le plus grand des solides ; et le ciel, le plus grand des corps.

Ce n’est pas tout : des raisons physiques viennent encore à l’appui de cette opinion. De tous les corps, l’air est celui dont les parties sont les plus subtiles et les plus semblables (a). Or, les surfaces des corps composés de parties semblables, ont aussi leurs parties semblables ; et les seules surfaces dont les parties soient semblables, sont la circulaire parmi les plans, et la sphérique parmi les solides ; donc, puisque l’air n’est pas plan, mais solide, il s’ensuit qu’il ne peut être que sphérique. Et, pareillement, la nature a composé tous les corps terrestres et corruptibles de figures rondes, mais dont les parties ne sont point semblables, et les corps divins et aériens, de molécules sphériques et semblables. Or, si les étoiles étoient planes et comme des disques, elles ne paroîtroient pas à ceux qui les regardent en même temps de différens lieux de la terre, avoir la figure ronde. Il est donc à présumer que l’atmosphère où elles sont plongées, étant par-tout de nature semblable, est par conséquent de forme sphéroïdale ; et que, par une suite de ce que ses parties sont semblables entr’elles, elle se meut circulairement et uniformément.