Allumez vos lampes, s’il vous plaît !!!/05

Texte établi par Association de La Salle, Éditeurs Dussault & Proulx (p. 14-17).

« LE SOLEIL », 28 septembre 1920.

L’anglais à l’école primaire. — (deux articles.)


l’anglais à l’école primaire — I


Un grand débat est engagé dans la presse de notre province, autour de l’enseignement de l’anglais à l’école primaire.

D’une part on prétend qu’il faut enseigner le moins d’anglais possible à la petite école ; on va même jusqu’à dire, — il y a toujours des exagérations, — qu’on ne devrait pas l’enseigner du tout ; d’autre part, on insiste pour que notre petit compatriote soit le plus tôt possible familiarisé avec la langue anglaise. Les adversaires de l’enseignement trop hâtif et trop complet de cet idiome craignent qu’il nuise à l’enseignement du français, et finisse par changer la mentalité propre de nos compatriotes ; on craint l’anglification.

Tandis que les partisans de l’enseignement de l’anglais veulent qu’on s’y intéresse de plus en plus, sans sacrifier la langue maternelle.

Pour justifier leur prétention, les adversaires de l’enseignement de l’anglais disent que, trop souvent, quand ce n’est pas la majorité des cas, les élèves qui sortent des écoles où l’on donne une plus grand importance que dans d’autres à l’anglais, ne savent pas le français et l’impression qui se dégage de ce fait c’est que le français est négligé au détriment de l’anglais.

Nous connaissons la valeur de l’enseignement donné dans les collèges et les grandes écoles dirigées par les Frères, par le commerce que nous avons eu depuis nombre d’années avec de leurs élèves.

Il est vrai que nombre d’entre ces élèves n’écrivent pas le français correctement ; mais est-ce à dire que la faute en est à l’enseignement qu’ils ont reçu ?

Oh ! non. L’enseignement du français qu’on donne dans les maisons dirigées par les chers Frères, est le même qu’on enseigne partout et on l’enseigne abondamment ; au surplus les méthodes pédagogiques employées sont souvent supérieures.

À quoi tient donc alors l’ignorance apparente du français que les élèves de ces maisons affichent ? À leur défaut de culture et à leur inattention : voilà tout.

Sortis du collège, les élèves se consacrent à la carrière qu’ils ont embrassée et rarement on les voit lire des ouvrages français. Et le malheur aussi, c’est que très souvent ils sont en continuelles relations d’affaires avec des gens de langue anglaise, et il n’est pas surprenant qu’ils perdent la connaissance qu’ils avaient du français.

Il y a aussi l’inattention. Il nous a été donné de signaler des fois à un parent, jeune, brillant, des fautes d’orthographe qui souillaient sa lettre. Notre jeune homme reconnut bien ses erreurs, mais il ne manqua pas de récidiver.

Nos jeunes compatriotes qui sortent des collèges commerciaux, connaissent bien le français ; la preuve, c’est qu’on ne leur accorderait pas leur diplôme s’il en était autrement ; seulement une fois partis du collège, ils ne se soucient pas assez de cultiver cette belle langue.

D’ailleurs, seraient-ils les seuls auxquels on pourrait faire ce reproche ? Nous ne le croyons pas.

Combien de nos compatriotes, médecins, notaires, avocats même, produits de l’enseignement classique, portent sur leur conscience, des péchés mortels contre la langue, que durant huit années on leur a enseignée, et en apparence sans la leur apprendre ?

Dans bien des lettres de professionnels, que nous avons vues, l’orthographe et la syntaxe sont odieusement outragées et jamais il nous est venu à l’idée de dénoncer pour cela l’enseignement classique.

Dans ce cas encore le défaut de culture et l’inattention sont les coupables. Une vie d’homme ne suffit pas pour connaître à fond la langue française ; faut-il s’étonner que des gens instruits la déflorent, quand on sait qu’ils ne la cultivent aucunement ?

Nous reviendrons demain sur ce sujet.


l’anglais à l’école primaire — II


« Soleil », 29 septembre 1920.


Si nous ne nous trompons pas, l’école primaire a pour mission de donner à l’enfant qui la fréquente les notions indispensables des connaissances humaines qui lui aideront à gagner honnêtement sa vie.

Ces connaissances pourraient se résumer au catéchisme et à l’histoire sainte, pour ce qui est de l’enseignement religieux, et à la grammaire française, à l’histoire du Canada, à l’histoire universelle, aux quatre opérations de l’arithmétique et à l’anglais pour ce qui est de l’enseignement profane.

Ce qu’il faut donner à notre enfance, c’est le moyen de réussir dans la vie et de faire son salut, et c’est à cela que doit tendre l’enseignement primaire.

Nous insisterions sur l’enseignement de l’anglais dès l’école maternelle même, tant nous sommes convaincus de la nécessité de posséder l’anglais pour rivaliser avec les concurrents anglo-canadiens et autres dans la lutte pour la vie.

Qu’on n’aille pas penser, toutefois, que nous exigeons que l’enseignement de l’anglais soit sur le même pied que celui du français ; qu’on donne tout au plus chaque jour une vingtaine de minutes à des rudiments de conversations anglaises.

L’enfant, à la petite école est friand de nouveauté ; et bien, qu’un pédagogue averti, possédant bien le génie et les nuances de l’anglais fasse de son cours d’anglais un cours attrayant. Si ceux qui nous lisent veulent bien remonter dans leurs souvenirs, ils se rappelleront combien ennuyante était au temps passé, la classe d’anglais dans beaucoup de nos maisons d’enseignement. Rien de surprenant alors que tant d’hommes de notre génération aient à apprendre l’anglais une fois leur cours d’études même classiques, terminé.

L’anglais est la langue la plus facile du monde à apprendre ; le petit italien, le petit chinois, le petit russe, le petit espagnol, émigré en pays anglais, aux États-Unis ou dans une de nos provinces anglaises, l’apprennent peu de temps après leur arrivée au pays. Nous avons été à même de constater ce fait plus d’une fois, aussi bien dans notre province que dans l’ouest et aux États-Unis.

Et cette connaissance, quoique rudimentaire de l’anglais ne change aucunement la mentalité de ces petits bonshommes.

Pourquoi craindrait-on qu’il en fût autrement de nos jeunes compatriotes.

Il y a plus. L’enfant familiarisé dès la petite école avec l’anglais, ne sera jamais en peine pour se tirer d’affaires. Ceci nous fait penser à un petit homme de dix ans qui parle mieux l’anglais que son père, pourtant un homme instruit et bachelier ès-arts, s’il vous plaît.

Tandis que le bambin, après avoir puisé à la petite école des Sœurs quelques notions d’anglais, a eu l’avantage d’avoir ensuite de petits anglais pour compagnons de jeu, son bonhomme de papa n’a apporté avec lui que ce que l’enseignement classique lui avait appris d’anglais.

Le bambin aujourd’hui ne craindrait pas de rencontrer son semblable au jeu ou n’importe où, tandis que son père évite une longue conversation en anglais et ne peut même pas écrire une lettre en anglais sans faute. Il se contente de comprendre ce qu’il lit dans les journaux et les livres de langue anglaise.

Et cet enfant n’est pas pour tout cela plus anglomane : oh ! non, bien loin de là. Allez donc lui parler de l’Angleterre, par exemple ; son père serait obligé de le faire taire, tant il a parlé parfois un langage séditieux.

Il peut en être de même de tous nos enfants ; sauf l’anglophobie. Nous ne voudrions pas pour rien au monde qu’on enseignât le mépris des anglais à nos enfants, pas plus que nous n’aimerions qu’on cultivât chez les petits Anglais le mépris de notre race.

Ce que nous souhaitons, c’est que nos petits gars, surtout, puissent le plus tôt possible, faire connaissance avec la langue anglaise, afin de les préparer dès l’âge le plus tendre aux luttes pour la vie.

Exagérons-nous ? Nous ne le croyons pas et nous pensons avoir de notre côté tous les patriotes soucieux de l’avenir de notre jeunesse, qui préparera l’avenir de notre race.

Qu’on donne la première place au français dans l’enseignement primaire ; mais qu’on ne néglige pas l’anglais et l’on verra dans dix ou quinze ans les résultats d’un tel enseignement.

Nous croyons trop à la survivance de notre race pour craindre que l’enseignement de l’anglais à la petite école la transformera. Et là-dessus notre conviction est bien profonde, et bien sincère.