Allumez vos lampes, s’il vous plaît !!!/04

Texte établi par Association de La Salle, Éditeurs Dussault & Proulx (p. 10-13).

LETTRE DE M. AMÉDÉE MONET, M.P.P., le 27 sept. 1920


L’enseignement de l’anglais au premier âge ne nuirait pas à celui du français. Toutes nos écoles académiques de garçons ne sont pas des académies commerciales.

La Patrie, lundi 27 septembre 1920


M. Amédée Monet, député de Napierville, nous communique le texte d’une lettre qu’il vient d’adresser à Mgr Ross, relativement aux articles que celui-ci a publiés sur l’enseignement de l’anglais dans les écoles de la province de Québec.

M. Monet déclare que l’enseignement de l’anglais au premier âge ne nuirait en rien à celui du français. L’enfant aura de cette manière l’avantage de savoir quelques notions de l’anglais quand il arrivera plus tard dans les classes supérieures. Mais laissons parler M. Monet.

« Monsieur le Rédacteur,

À titre d’ancien élève des Frères et par amour de la justice et de la vérité, je me permets de faire quelques remarques au sujet des articles que Mgr Ross a publiés dans le « Devoir » de la semaine dernière ; je vous saurais gré de les publier.

J’abonde dans le sens de Mgr Ross sur la nécessité d’alléger le programme de nos écoles primaires élémentaires, mais je ne puis aller plus loin. À mon avis, l’importance qu’on attache à une matière ne se mesure pas au fait qu’elle est inscrite au programme, mais à l’étendue qu’elle a au programme, mais au nombre d’heures qu’on lui consacre par semaine, mais à la méthode que l’on préconise pour l’enseigner. Je suppose qu’à Montréal, centre bilingue, l’on emploie chaque semaine une heure et demie en 2e, 3e et 4e années à l’étude orale et intuitive de la langue seconde, pensez-vous que la langue seconde aurait le pas sur la langue première ? Pensez-vous qu’il en résulterait de sérieux inconvénients, surtout si la langue première est dix heures par semaine l’objet d’une étude méthodique et suivie ? Je ne le crois pas.

Que le Conseil de l’Instruction Publique détermine explicitement, pour les centres bilingues, de quelle façon l’on enseignera la langue seconde, qu’il indique minutieusement quel temps on lui consacrera, et la question sera réglée. Le programme des écoles anglaises spécifie quel temps l’on doit, chaque semaine, attribuer aux diverses matières. Ce ne sera pas de l’anglomanie d’imiter en cela… les Anglais.

Je ne crois pas que la formation française d’un enfant de sept ans soit compromise par vingt minutes d’anglais, tous les jours, si on se sert pour cela du procédé direct et oral, parce qu’alors l’on ne fait nullement appel au vocabulaire français de l’enfant, mais au jeu de ses facultés par l’intermédiaire des sens. Je connais des petits Italiens de sept ans, qui pensent en italien, en français et en anglais, parce que, à la maison et sur la rue, ils ont acquis intuitivement le mécanisme de ces trois langues. Cela s’est fait sans effort et sans heurt.

Je ne demande pas à l’école primaire d’enseigner à nos enfants de la grammaire anglaise, à coups de thèmes et de versions, mais seulement de les initier au mécanisme vivant qui fait penser en anglais. Cela suppose des professeurs qui parlent parfaitement la langue anglaise ! Et, à ce compte, une heure et demie d’anglais par semaine, pendant les six années du cours primaire, vaudrait mieux que tout ce qu’on nous a donné dans le passé ; et cela ne nuirait pas plus à la formation générale des enfants que si l’on employait le même temps à leur enseigner la musique vocale.

J’irai même jusqu’à dire que si l’on retranchait complètement l’anglais du programme primaire, le français de nos enfants serait tout aussi pauvre et tout aussi farci d’anglicismes. Le français de la famille est misérable : celui de l’école un tant soit peu moins mauvais : celui de la rue, pitoyable. L’enfant pousse dans un milieu vicié et son langage s’en ressent… Voilà tout. Mais ! nos gens instruits, les rédacteurs de nos journaux, à peu d’exceptions près, n’ont commencé à apprendre l’anglais — et quel anglais ! — qu’à treize ou quatorze ans !

Écoutez parler ce jeune bachelier qui sort du collège classique, où l’anglais ne lui a pas troublé les méninges, et demandez-vous si son français est meilleur que celui du diplômé des collèges commerciaux dont on dit tant de mal. Faites-lui écrire une lettre à un marchand français, et vous en verrez de belles !

En quoi le français de Mgr Ross diffère-t-il de celui des « bons frères, » que l’on rend responsables de tous les maux passés, présents et… futurs de la langue française au Canada ?

Non, réfléchissons un peu et nous nous rendrons compte que le peu d’anglais qu’on nous donne à l’école primaire et ailleurs, n’est pas responsable du charabia de nos journaux, ni du fait que nous avons besoin d’une douzaine de dictionnaires du bon langage et de multiples sociétés du parler français ! Le français est mauvais parce que nous ne le savons pas, parce qu’il n’est pas assez bien enseigné dans nos écoles et dans nos collèges, pendant le temps qui lui est consacré.

Au surplus, s’il faut, comme on le prétend, qu’un enfant possède l’esprit de sa langue maternelle et qu’il s’en soit assimilé le génie, avant de poursuivre la connaissance d’une 2e langue, Mgr Ross a tort d’enseigner l’anglais au cours primaire élémentaire, et tout ce qu’il dit des « bons frères » peut, lui être appliqué pour son programme d’anglais des 3e, 4e, 5e et 6e années. Si l’anglais est néfaste en 2e année — je ne le crois pas tel quand on l’enseigne intuitivement — il l’est autant en 3e et 4e années. L’enfant de la 3e année n’est pas plus prémuni contre les dangers que l’on signale à grand renfort d’appels patriotiques, que l’enfant de 2e année, parce que l’enfant de 3e année — même celui de 6e année — ne « possède pas encore convenablement la langue maternelle ». Veut-on me faire croire qu’il y a une cloison étanche entre les programmes de 2e année et de 3e année ? Veut-on me faire croire que l’enfant de 2e année possède l’ « esprit » de sa langue maternelle ?

Il est vrai que je n’y entends rien, depuis la semaine dernière moins que jamais. Pourquoi grand Dieu ! Wolfe a-t-il escaladé les falaises de Québec ? C’est lui le grand coupable et non les « bons frères » et leurs académies « commerciales. »

Venons au fait : « toutes les écoles académiques de garçons dans notre province sont des académies commerciales ». Ce n’est pas vrai. J’en appelle à Monsieur Magnan. Les écoles académiques sous le contrôle du Conseil de l’Instruction publique suivent le programme officiel de la province, et ce programme n’est pas plus commercial que scientifique : j’y trouve beaucoup de français — pas trop —, de l’anglais — assez —, toutes les histoires qu’on enseigne aux humanistes, la cosmographie, la physique, l’arithmétique et la comptabilité. Qu’est-ce qu’un cours commercial alors ? Quant aux pensionnats commerciaux, en quoi la refonte du programme les atteint-elle, puisque ce sont des institutions indépendantes.

On rend ces derniers responsables de la désertion des campagnes. Chimère ! Il afflue à Montréal autant de gens de Ste-Clothilde de la Rivière Noire, qui n’a pas de collège commercial, que de Saint-Rémi, qui en a un ; avec cette différence que les uns y tiennent les pelles si les autres y « tiennent les livres »… Je me demande, en plus, ce que les collèges commerciaux viennent faire dans une discussion où l’on ferraille contre l’introduction de l’anglais en 2e année… et aux examens de 6e année.

Pauvres frères qui songez à faire subir un examen d’anglais en 6e année alors qu’on vous concède quatre années pour l’enseigner ! Vous n’êtes pas raisonnables ! J’avais toujours entendu dire que vous n’enseigniez pas assez d’anglais… Vous êtes des anglomanes, et si l’on ne vous demande pas de « disparaître de l’enseignement, » soyez encore bien reconnaissants.

Passons à l’erreur pédagogique : « l’orientation du programme élémentaire vers l’académie commerciale ». « On veut rendre l’école élémentaire plus anglaise afin de faciliter la tâche aux académies commerciales. » D’abord, l’école élémentaire n’est pas orientée vers l’école commerciale. On y enseigne à peine à faire un « reçu » ; ce qui serait utile même aux avocats et aux curés. Ensuite, qui songe à faciliter la tâche aux académies commerciales dans les milliers d’écoles modèles où le cours se termine en 6e année ? Qui pense à saturer d’anglais les milliers d’écoles modèles où l’on trouve à peine, dans chacune d’elles, un homme sachant bien l’anglais ? Don Quichotte, tu n’es qu’un mythe ! Et même si l’on enseignait présentement la comptabilité en anglais dans les classes de 7e et 8e années, quel mal y aurait-il, puisque Mgr Ross lui-même concède qu’au nouveau cours complémentaire, on pourra enseigner « tout l’anglais qu’on voudra » ?

Et tout cela, parce que les Frères veulent enseigner l’anglais intuitivement en 2e année, et poser des questions d’examen sur la langue anglaise en 6e année…

Je pense que s’il y avait à Québec, dans les sous-comités du Conseil de l’Instruction publique, trois « bons frères » pour s’occuper des programmes primaires au lieu de quelques vieux novices en pédagogie spéculative il ne serait pas question en 1920 de refonte de programme ; la chose aurait été faite en 1880.