Allumez vos lampes, s’il vous plaît !!!/06

Texte établi par Association de La Salle, Éditeurs Dussault & Proulx (p. 17-18).

« LA PRESSE », 4 octobre 1920.

Pas de faux patriotisme !


Si l’on ne doit pas faire d’une question de pédagogie une question de personnes, il semble qu’on ne doive pas davantage en faire une question de sentiment. Dans l’un et l’autre cas, on embrouille inutilement les choses, au point de rendre impossible, peut-être la solution d’un problème qu’une étude sérieuse, à sang-froid et à tête reposée, rendrait relativement facile.

Ainsi, certains ne veulent voir dans les partisans de l’enseignement de l’anglais aux enfants canadiens-français de la province de Québec, dès les premières leçons du cours élémentaire, que des agents d’anglicisation, des déformateurs de notre caractère national. Pourquoi déplacer ainsi la question et la porter sur un terrain qui n’est pas le sien, bien qu’elle s’y rattache par plusieurs points de contact ?

Loin de s’occuper au « travail effrayant » de ruiner notre structure ethnique et d’annihiler nos forces de résistance, les champions de l’enseignement de l’anglais dans les écoles primaires canadiennes-françaises s’emploient, au contraire, à consolider notre structure nationale en élargissant les bases sur lesquelles elle s’appuie et à augmenter ses moyens de résistance contre les assauts futurs qu’elle aura à affronter. Ils veulent, que, vivant dans un pays bilingue, leurs compatriotes soient en mesure de se développer pleinement comme peuple, au triple point de vue moral intellectuel et matériel.

Or, nous soutenons que la connaissance approfondie et pratique de l’anglais chez les Canadiens français leur permettra de jouer en Canada un rôle qu’ils ne pourraient pas remplir autrement. Nous soutenons que cette connaissance de l’anglais dès les premières années scolaires contribuera à former des citoyens animés du plus pur patriotisme, autant et mieux que si le français était le seul et exclusif medium d’enseignement du cours primaire. Pourquoi ? Parce que nos enfants ne seront pas devenus esclaves de la langue anglaise qu’ils auront apprise, mais plutôt ses maîtres. Ils auront cultivé et amplifié leur propre génie national, tout en s’assimilant celui de leurs concitoyens avec lesquels ils doivent vivre en relations constantes.

Sachons donc envisager notre situation comme elle se présente dans la réalité. Nous ne gagnerons rien à élever des cloisons étanches entre notre vie nationale et celle des peuples qui nous entourent. Ceux qui, consciemment ou inconsciemment, poussent ainsi les nôtres à faire groupe à part, nous paraissent ignorer l’importance de favoriser l’influence canadienne-française en ce Dominion. Si nous voulons accomplir notre mission, toute notre mission, il nous faut être plus grands, plus forts, plus instruits que les autres, parce que c’est dans le développement de notre personnalité, et non pas dans notre importance numérique, que nous trouverons la force qui nous donnera la victoire.

Encore une fois, attachons-nous à étudier cette question de l’anglais aux écoles primaires, en elle-même et à la lumière des besoins de la race. Examinons bien où nous voulons aller, ce que nous voulons faire, et marchons d’un pas ferme vers ce but. Nous n’avons pas de temps à perdre.