L’action paroissiale (p. 181-182).
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XXVI


Lentement, je m’acheminai vers la Bastille. Contrairement à mon attente, tout l’hôtel était illuminé. Que voulait dire cette profusion de lumières à minuit ? Je m’approchai lentement, pour constater qu’un bal battait son plein. Contraste de la vie ! Ici, un cœur brisé par l’émotion ; là, la joie faisant vibrer les cœurs dans un tourbillon de danses plus ou moins recommandables et dans des enlacements plus ou moins irréprochables.

J’entrai furtivement, avec l’intention de me glisser silencieusement au deuxième étage ; mais je ne pus échapper à l’attention des invités. Ce fut M. Latour qui vint au-devant de moi, suivi de près par Mme Latour.

— Bonsoir, mon ami, dit-il. Vous arrivez un peu en retard, mais la fête n’est pas finie. Vous aurez encore le temps de vous amuser !

— Vous restez ? me dit calmement Mme Latour.

Elle n’avait plus son petit air protecteur et elle m’entourait de mille attentions, tout en agitant son éventail de plumes d’autruche, pour chasser ses vapeurs.

Comme je ne m’endormais pas, je m’assis sur une marche de l’escalier, regardant danser les jeunes qui y allaient avec tout l’entrain de leur innocente candeur. Le tournoiement des danseurs était en harmonie avec les idées qui tourbillonnaient dans mon esprit, où tout était dans la confusion.

Je profitai d’un silence de l’orchestre pour monter à ma chambre, où je me barricadai comme un homme qui craint une attaque.

J’avoue que ma prière fut plus ou moins distraite par les sons de l’orchestre et par les pensées qui m’assaillaient.

La musique se tut enfin et, un à un, les danseurs réintégrèrent leurs chambres. Je regardai à ma montre ; il était quatre heures du matin. Déjà le soleil se montrait derrière la montagne et inondait ma chambre de ses rayons. Je me levai, pris un bain d’eau froide et m’habillai.

Si je préparais mon discours pour le banquet que doit m’offrir le premier ministre ? me dis-je. J’essayai, mais en vain, de rassembler mes idées. Les pulsations de mon cœur faisaient battre mes tempes avec trop de violence ; je ne pouvais m’astreindre à aucun travail de l’esprit. J’avais un peu de cognac dans une gourde. J’en ingurgitai un bon verre, tout en me déshabillant de nouveau ; puis, je me jetai sous mes couvertures. Je m’assoupis, sans doute, car je m’éveillai bientôt en sursaut.