L’action paroissiale (p. 183-185).
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XXVII


Celui qui connaît les angoisses d’une nuit d’insomnie pourra juger plus facilement dans quel état nerveux je me trouvais à mon second lever. Cependant, je fis précipitamment ma toilette et me rendis à la messe de huit heures.

Au sortir de l’église, j’allai prendre des nouvelles d’Allie. Je la trouvai entourée de ses enfants et leur lisant une poésie dans son recueil. La porte n’étant pas fermée, j’entrai sans frapper. Je restai interdit, ne sachant trop quoi dire, devant le calme imperturbable de Mme Montreuil.

— Tu as bien dormi, Allie ? finis-je par lui dire.

— Très bien, Olivier. J’étais si fatiguée ! Et toi ?

— Moi ?

— Eh oui ! Toi ?

— Je n’ai pas bien dormi… Je n’ai pas dormi du tout… Il y avait un bal à la Bastille !

— Et tu as dansé ?

— Non… J’ai… j’ai… veillé. Je te demande pardon, Allie, mais n’insiste pas pour savoir, c’est trop fou… À mon âge… dans ma situation… Non. Je voulais simplement te dire que je pars pour Ottawa.

– Pour le banquet que t’offre le premier ministre ?

– Tu as su ?

– Tous les journaux en font mention ! On ne parle que de toi, dans les gazettes : de ce Canadien-Français qui, parti pour la guerre, a fait fortune au pays des Bœrs ! Vois plutôt.

Je jetai un coup d’œil sur les journaux du matin. En effet, on parlait beaucoup de moi. Ma photographie, placée en vedette, était même encadrée de titres sensationnels. C’en était fait de ma tranquillité. Je n’avais pu échapper à la publicité.

— Alors, mon voyage ne te surprend pas, Allie ?

— C’est un hommage que tu as bien mérité !

— Cette réunion mondaine me sourit fort peu ! J’aime tant la paix, à présent que j’y ai goûté ! Quand toute notre vie n’a été qu’un tourbillon, j’allais dire une tempête, le calme nous paraît si doux ! Cependant, je considère que c’est un devoir pour moi d’accepter cette invitation, pour l’honneur qui en rejaillira sur les Canadiens-Français. D’ailleurs, j’ai beaucoup de choses à dire, et je les dirai avec d’autant plus de fermeté que ce sera au cœur du pays, dans la capitale même, que je parlerai.

— Et quelle note toucheras-tu ?

— Je n’ai rien préparé… J’improviserai… Les émotions du moment m’inspireront. Tu verras, Allie, que, dans le cœur d’Olivier Reillal, député au parlement de l’Union Sud-Africaine, vibre encore l’amour de son pays et de sa race !

– Je serais étonnée du contraire, Olivier, alors que vingt années d’absence n’ont pas même altéré ton pur accent canadien.

— Et c’est dans ce français canadien que je parlerai d’abord ! Je te quitte, Allie, et te dis encore une fois au revoir !

— Bon succès ! répondit Allie, en me tendant la main.

J’y déposai un baiser et pris congé d’elle.

Maintenant que ma richesse était connue, pourquoi voyager comme tout le monde ? me dis-je. Je n’avais pas encore fait le trajet de Québec à Montréal en auto, sur le chemin qu’on venait à peine d’ouvrir. Le garagiste de Port-Joli avait une Packard flambant neuve à vendre. Je l’achetai. Il m’offrit les services d’un chauffeur, mais je refusai, préférant voyager seul. Pourtant, il est une compagnie qui m’eût été fort agréable ! Si je demandais à Allie de l’étrenner ? Après réflexion, je jugeai la démarche impertinente, et je décidai de partir seul.