Alton (p. 63-72).
◄  Chapitre 3
Chapitre 5  ►

Consultation sur le criminel procès d’Alector. Mandement d’oracle par l’Archier. L’occision du Prophete Calliste, qui fut cause du devorateur serpent au theatre. Sentence capitalle prononcée sur Alector d’estre exposé au serpent. Chapitre IIII.



Le Seigneur Dioclès, après avoir quelque brief espace de temps pensé à toutes les choses dictes, alleguées et prouvées, se retira en la chambre du conseil avec les principaux assesseurs, où la matiere fut mise en conseil divers, les uns opinans l’absolution d’Alector, comme celluy qui n’estoit convincu de nul crime que de jeunesse amoureuse et oeuvre de faict en son corps defendant, les autres, principallement les vieillardz qui avoient filles mariables en leurs maisons et auxquelz autant en pendoit à l’oeil, disoient qu’il y avoit exemple mauvais contre les bonnes meurs et presomption valide de rapt domestic, meritant pour le moins la torture, pour puys y proceder selon sa confession. Et quant bien il n’y auroit que les homicides de tant de gens occis, par contumace rebellion de ne vouloir obeyr à la Justice, il estoit coulpable de mort. Les autres, ne voulans conclurre à la mort, le sentencioient devoir estre chastié de quelque pene corporelle et ignominieuse, avec bannissement.

Ainsi donc, comme ces diverses opinions se agitoient et que le Potentat Dioclès les balançoit, voicy un des ministres du temple, Diacre de l’Archier, c’est à dire premier Sacerdot et prince des presbtres du temple de JOVE, le grand et souverain Dieu d’Orbe, lequel ministre vint de par l’Archier du temple, nommé en son propre nom Croniel, dire aucuns motz secretz à l’oreille du Potentat Dioclès, puys soubdain se departit. Car aux hommes sacrez n’est permis d’assister en jugement capital. Ce Diacre departi, Dioclès, parlant à tous les assesseurs, leur dist ainsi : Mes Seigneurs, l’Archier du Temple de JOVE, le sainct homme Croniel, maintenant me a mandé que par revelation qui luy est advenue la nuyct precedente, en veillant et en priant au temple pour le bien et salut de nostre Republique, luy a esté commandé par l’Ange du souverain JOVE nous advertir et defender ne jecter sentence capitalle sur ce jeune estrangier autre que celle qui de JOVE est ordonnée : c’est de l’exposer en plain Theatre aux Arenes, avec seullement son espée et son escu, et une flesche sans arc, à combatre le grand serpent des Arenes, pour faire preuve de son innocence s’il le surmonte, ou souffrir pene de son forfaict s’il y succombe. Celle sentence comme divine fut bien receüe et approuvée de tous les plus rigoureux, estimans que jamais il ne pourroit eschapper la force, les dens et le venin du serpent, et si donneroit passe-temps au peuple et espargneroit un de leurs hommes ; les plus equitables, esperans que luy qui avoit defaict le biforme Centaure viendroit bien à bout du serpent, et si delivreroit le Theatre et la ville d’une cruelle beste, ennemie interne. Or est il à entendre que quelques ans avant l’Archier Croniel, il avoit esté au Temple un autre Archier, nommé Calliste, homme de grand vertu, Sainct et Prophete, lequel, ès jours festifz que le peuple s’assembloit aux spectacles du Theatre ou des Arenes, il venoit au mylieu des gens, les reprenant aigrement et apertement de leurs vices, et leur prophetisant que du juste sang espandu la terre produiroit l’oblique vengeur qui leurs entrailles devoreroit, jusques à tant que le filz deux fois né devers le Pol arctic les en delivreroit. Ainsi alloit cryant ce Sainct Prophete par le Theatre et les Arenes, tellement qu’il empeschoit et troubloit les jeux, comedies, spectacles et autres publicques passe-temps ; d’ond un jour le peuple irrité, par esmotion et fureur populaire, à coups de pierres le chassa jusques soubz une cloaque ou esgout du Theatre, et là dedans le lapidarent, laissant son corps en l’ordure, lequel neantmoins, lendemain après la fureur populaire passée, fut tiré par les ministres du temple, et enseveli honnorablement à l’entrée de la cloaque où il avoit esté occis, en un tombeau de marbre noir, hault elevé, avec inscription de sa prophetie, lequel tombeau bouchoit la gueulle de la cloaque. Mais il ne cacha point si bien le meurtre du sainct homme que, an et jour après, horrible vengence du crime public n’en apparust. Car ainsi que le peuple en grande multitude estoit assemblé au spectacle d’un Elephant dansant sur les cordes, voicy que d’entre les pierres de la Cloaque et de l’autel sortit un tresgrand et treshorrible serpent, qui se jecta sur les gens et en tua de queüe et de gueulle un tresgrand nombre, tout le reste en hideuse frayeur fuyant hors du Theatre ; et de trois jours en trois jours continua de ainsi faire, sans que par nul engin ou force humaine on y peust mettre remede ; voire alloit ravir les gens mesmes dans leurs maisons, jusques à ce qu’il fut advisé de luy bailler toutes les sepmaines deux criminelz capitaux à devorer, lesquelz incontinent il ravissoit en la cloaque, et ainsi se tenoit quoy. Adonc entendit le peuple que la prophetie de l’Archier Calliste estoit advenue en partie, mais non du tout mise à fin. Par deux jours après le procès d’Alector estoit le jour de bailler la proie au serpent. Parquoy le grand Potentat Dioclès, sorti du conseil avec ses assesseurs circonstans, et luy assis au Pretoire, estant Alector representé devant luy, ainsi prononça la sentence :

« La cause presente constituée en l’accusation criminelle des Gratians contre Alector, tant en faict que en droict, estant obscure et doubteuse d’une part et d’autre, au jugement des hommes, est par oracle renvoiée au divin jugement qui condamnera son forfaict par mort ou demonstrera son innocence par victoire, à l’espreuve du combat avec l’espée, l’escu et une sagette sans arc, contre le vengeur serpent du Theatre, au plan des Arenes, où nous le renvoions dans trois briefz jours. »

Celle sentence prononcée, fut tresbien approuvée et receüe, tant de toute l’assistance (qui ne demandoit point la mort de ce bel Escuyer, ains luy portoit tacite faveur et espoir de quelque merveilleuse aventure du combat, telle que advint) comme des deux parties. Car les Gratians s’attendoient bien que leur criminel seroit incontinent englouti par le treshorrible serpent, qui de son seul sifflement veneneux tuoit les personnes qu’il approchoit. Alector d’autre part, se confiant en sa hardyesse, legiereté et proesse, ne demandoit sinon que le tiers jour fust venu, et souvent enqueroit si son escu et son espée estoient sauves. A quoy luy fut respondu qu’il ne s’en souciast, et que le jour du combat on les luy mettroit entre les mains. D’ond à merveilles resjouy, remercia le Potentat de sa clemence, au grand esbahissement de tous, qui s’estonnoient de le voir ainsi asseuré en si mortel et prochain peril. Puys par commandement, se retira au logis du capitaine Palatin, qui l’avoit en sa garde, où incessamment il ne faisoit que regretter sa Noemie, parlant à elle comme si presente eust esté, et luy promettant vengence, à si grand regret d’elle que toutes les nuyctz, de trois en trois heures, il se reveilloit, battoit ses bras et ses palmes et s’escrioit à haute voix « O Noemie ! O Noemie ! O Noemie ! » , et reclamant incessamment le Soleil, pour advancer les jours et le temps de son combat contre le serpent ; d’ond il se soucioit aussi peu comme il estoit en gran’pensée de recongnoistre le Sagittaire meurtrier de sa Noemie. Ainsi demoura là pour ce temps, pendant lequel le souverain et tresbon justicier Dioclès feit faire diligentes et secrettes enquestes pour savoir qui estoit celluy là qui par le tumulte avoit tirée la sagette de laquelle la belle, gracieuse et vertueuse Noemie avoit esté occise si malheureusement ; d’ond tous et toutes en general estoient tristes et dolens. Car en la mort de celle noble pucelle estoit estaincte la fleur de beauté et de graces de toutes les pucelles de la cité d’Orbe. Parquoy elle estoit plorée, regrettée et lamentée en dueil commun, tout le peuple à une voix cryant vengence et justice penale contre l’occiseur. Mais pour quelques diligences qu’on feist à s’en enquerir, on n’en peut jamais rien trouver, sinon une legiere presomption sur un jeune et assez maling adolescent, nommé Coracton, qui autresfois l’avoit fort courtisée, et d’elle n’avoit faict conqueste que de refus, pour la vicieuse nature d’ond il estoit. Mais ceste presomption n’estoit assez valide, mesmement que à l’ensevelissement d’elle ce galland avoit mené plus grand dueil que nul des autres, tellement que à force de larmes il se lava de telle suspicion. Le Potentat, voyant que autre chose ne s’en trouvoit, estoit allé, avant que donner permission de l’ensevelir, veoir en personne le corps de la belle, gisant devant le perron des trois graces, de telle grace (encore que morte) qu’elle sembloit doucement dormir, plus blanche que ses blancz habitz purpurisez en son sang. D’ond luy mesme, homme tressevere, se sentit esmeu jusque aux larmes, et demanda la flesche meurtriere luy estre baillée ; laquelle après l’avoir consyderée, la leva hault, demandant s’il y avoit personne qui la recogneust. Mais nul ne dist mot. Adonc, elevant les yeulx, regarda les trois Charites d’Albastre et vit que de leurs yeulx de pierre decouloient larmes en abondance, comme deplorantes leur quatriesme soeur. Ce que il monstra à tout le peuple, qui de tel miracle fondit tout en larmes, criant vengence. Et en ces entrefaictes, Dioclès advisa entre les mains de deux Charites un bien petit brevet roullé, lequel il print secretement sans que nul s’en apperceust, et après l’avoir leu le serra en sa main avec la flesche et se retira en son logis, donnant congé d’enterrer le corps de la defuncte, qui en dueil public fut enseveli devant les statues des trois Graces, et l’epitaphe inscript comme a esté dict. Et la sepulture toute couverte de fleurs et parfums, espanduz de tout le peuple en lamentation de la belle Noemie.