Albertine de Saint-Albe/Tome II/Chapitre 13

Renard (Tome IIp. 243-248).


CHAPITRE XIII ET DERNIER.


Madame de Genissieux me trouva dans ma chambre, préoccupée devant une croisée, et pensant à Léon que je voulais oublier. Elle me parla d’abord de choses indifférentes, et ensuite du désir qu’elle avait de me trouver moins triste. Après avoir causé long-temps : « Je ne vois pas, dit-elle, que la restitution que vous m’avez faite il y a un mois, ait opéré de grands changemens dans votre humeur, et je crois que j’ai mal-fait d’accepter ce présent. Qu’en dites-vous ? — Ah ! Madame, je vous ai priée de ne me plus parler de… — J’ai quelque envie de vous restituer cette boîte. — Ah ! Madame, approuvez ce sacrifice, et qu’il n’en soit plus question. — Mais enfin, ma chère Albertine, nous ne sommes pas assez bien informées pour renoncer à tout. Je n’ai pas reçu de lettre de ma sœur, moi. » Je me mis à pleurer. « Léon vous aimait trop sincèrement pour vous oublier avec tant de cruauté. — Oh ! Madame, tout est fini pour moi. Je veux l’oublier ; ne m’en parlez donc plus. — Je pense tout autrement, je ne perds jamais l’espoir, et je vous rapporte votre boîte. — Ô ciel ! quel supplice ! Remportez-la, je le veux. — Non, il faut encore la garder. — Ah ! Madame, je ne vous reconnais plus ! — Oh ! il faudra bien la garder, car je vous dirai en confidence que je suis chargée de vous la faire reprendre. — Chargée ! et par qui ? — Vous allez le savoir. Elle sortit alors la boîte, et la mit sous mes yeux. — Dieu ! qu’est-ce que je vois ! Un air de gaieté qui perce malgré vous. Quel soupçon ! Quoi ! il me renvoie son portrait ! il n’est pas marié ! » Et jetant les yeux sur l’adresse de la musique : « Ô ciel ! deux mots de lui ! Il est près de moi ! — Voilà ce qu’il était sûr que vous devineriez, ma chère Albertine ; il revient plus épris que jamais, et il n’y a point pour lui de lady Sarah sur la terre. — Ah ! Madame, m’écriai-je en tombant dans ses bras, comment supporter sa présence ! Ah ! puisqu’il revient, il me pardonne d’avoir trompé sa mère. Mais de quelle manière revient-il, après avoir tant offensé mon oncle ! — Comptez sur lui pour réussir ; il n’est jamais inspiré que par l’honneur et la délicatesse. — Je crains mon oncle ! Je crains Léon ! — Ne craignez rien ; Adrien est marié, et votre oncle ne peut plus s’opposer à votre bonheur. — Ah ! laissez-moi me remettre, je ne veux point paraître si faible ; je lui plairais moins si je manquais de courage, et je veux en avoir. »

Madame de Genissieux ayant cru entendre du bruit dans le corridor, entr’ouvrit la porte, et me dit : — Oh ! ma chère, voilà votre oncle et mon neveu ! » Je tressaillis et me levai. Mon oncle entra conduisant Léon ; il me dit : « Voici M. le baron d’Ablancourt qui vient de s’adresser à moi pour vous demander sa grâce ; que lui répondrez-vous, ma nièce ? » Je n’osais regarder Léon ; mon cœur palpitait, et le souvenir de son cruel abandon revint dans ma pensée. Il me devina et m’appela chère Albertine. Nos yeux se rencontrèrent Il lut sa grâce dans les miens, et se précipitant à mes genoux s’écria : « Oh ! ma chère Albertine, accordez-moi mon pardon. » Ces mots, le son de cette voix, me causèrent une si vive sensation que je devins extrêmement pâle, mes yeux se remplirent de larmes, et je me jetai dans ses bras, ayant à peine la force de dire : « Cher Léon ! »

Mon oncle, ravi de voir que l’on se soumettait à son autorité, et que Léon même venait de reconnaître que j’étais dans sa dépendance, lui adressa la parole, et dit avec l’air satisfait d’un homme à qui tout obéit : « M. le Baron, vous nous avez causé bien des chagrins ; que tout soit oublié. Je vous accorde la main de ma nièce. Faites son bonheur, elle mérite d’être heureuse. » Léon reçut ma main avec transport, et la serrant dans les siennes, s’écria : « Chère Albertine, je suis à vous pour la vie ! — Cher Léon, je veux obtenir mon pardon de votre mère ; écrivons-lui pour qu’elle vienne assister à l’union de ses enfans. — Oui, oui, dit madame de Genissieux en m’embrassant, il faut écrire à ma sœur. — Oui, mon cher Léon, continuai-je, Albertine méritera par son respect l’amitié qu’elle avait pour Constance. » Léon, se jetant à mes genoux, répondit avec chaleur : « Tous mes vœux sont comblés, Albertine devine tout ce que je désire !