Albertine de Saint-Albe/Tome II/Chapitre 12

Renard (Tome IIp. 237-242).


CHAPITRE XII.


Il aperçut de loin les tours du château de Saint-Marcel, et dès ce moment se mit à saluer tous ceux qui passaient sur la route, croyant toujours rencontrer des amis de M. de Saint-Albe. Il s’inclina aussi devant ce chemin où il avait vu Albertine pour la première fois, et, le cœur plein de souvenirs, il arriva chez madame de Genissieux.

Elle fut bien surprise de le voir, et lui demanda sur-le-champ s’il avait amené sa femme avec lui. Léon recula de trois pas… « Et vous aussi, ma tante, vous conspirez contre moi. Mais qui donc a pris la peine de me marier avec tant d’acharnement ? — C’est une nouvelle de madame de Séligny à madame de Courcel. — Ah ! ma tante, parlez-moi d’Albertine, voilà tout ce qui m’occupe. Pense-t-elle à moi ? attend-elle mon retour ? — Elle vous croit marié, a défendu qu’on prononçât votre nom devant elle, et m’a renvoyé vos lettres et votre portrait. » Léon, qui s’était flatté que je ne croirais pas à son mariage, parut très-affecté, et demanda vivement à voir ce portrait. Madame de Genissieux apporta la boîte sur la table, et Léon baisa son portrait comme si c’eût été le mien ; mais c’était mon ouvrage.

En jetant un coup d’œil sur les lettres, il en aperçut une de mon écriture, et demanda sur-le champ à la lire ; la voici :

« Ma chère voisine, la nouvelle que vous nous avez donnée hier, a confirmé ce que je redoutais ; il n’y a plus d’espoir. Je sens, mais trop tard, que ma fuite de chez mon oncle m’a perdue auprès de votre neveu. Était-ce à lui de m’en punir ? Il est marié ! Ces mots seront effacés par mes larmes. (Ici Léon, attendri, en versa une à la même place.)

Je vous renvoie ses lettres et son portrait ; je ne dois plus les garder. Je ne veux plus entendre parler de lui. Je vais m’armer de courage, et vivre pour un oncle et un frère qui ne cessent de me donner des preuves de leur tendresse. Venez me voir. »

Après avoir lu, il remarqua avec douleur qu’Albertine ne l’avait point appelé Léon ; et il s’affligea sérieusement au moment où il allait la revoir, de ce qu’elle se sentait le courage de l’oublier. Il s’empara de ma lettre comme d’un bien qui lui appartenait.

Il rêvait tristement à la manière dont il rentrerait au château de Saint-Marcel, et madame de Genissieux n’osait lui parler, lorsqu’il s’écria : « Ah ! ma tante, j’ai une idée, mais une idée excellente ; reportez ces lettres et ce portrait à ma chère Albertine. — Mais, Léon, elle les refusera. Que lui dirai-je ? — Vous lui direz qu’on vous a priée de les lui rendre. Partez, je vous en prie… — Il est bon de savoir si… — Mon Dieu ! ma tante, vous me désespérez. Mais partez donc, vous me faites mourir ! » Et voyant arriver Julien qui posait sur la table le rouleau de musique, il la rappela, en lui disant : « Ah ! ma tante, ma tante, attendez ; revenez, vous allez trop vite ! Est-ce qu’on ne peut vous arrêter ? » Elle rentra en riant de la vivacité de son neveu. « Vite une plume et de l’encre. » Et il écrivit sur le cahier : À mademoiselle Albertine-Constance, jeta force poudre sur l’adresse, et pria sa tante de lui remettre aussi cette musique.

Madame de Genissieux, jalouse de bien remplir sa commission, voulut savoir ce qu’il fallait répondre, si je demandais de quelle part venait cette musique. « Oh ! ma tante, vous perdez trop de temps. Elle ne vous demandera rien ; Albertine devinera tout ! » Madame de Genissieux sortit.

Il resta seul, et se mit à réfléchir aux moyens de se présenter à M. de Saint-Albe ; il relut la lettre que j’avais écrite à sa tante, et la couvrit de baisers en me demandant pardon, et me promettant de me rendre la plus heureuse des femmes.

Inquiet de ne pas voir revenir sa tante, et craignant que je ne fusse trop irritée contre lui, il prit le parti de se rendre sur-le-champ au château, se flattant, par cette démarche franche et loyale, d’intéresser M. de Saint-Albe à le protéger auprès de sa nièce.

Il le fit demander, et mon oncle le reçut dans sa bibliothèque.