Agnès de Navarre-Champagne - Poésies, 1856.djvu/Chansons

Poésies d’Agnès de Navarre-Champagne, dame de Foix
Texte établi par Prosper Tarbé (p. 36-38).


CHANSONS.




i.


Deux choses sont qui me font à martire (32)
Vivre et languir, dont mes cuers trop soupire :
La première est que mes très doulz amis,
Qui sa pensée et tout son cuer ha mis
En moy servir et amer loyaument,
Ne puet, ne vuet ou ne sut nullement
Géhir à moy sa doleur et sa peine,
Ne que je suis sa dame souveraine,
Et sy voy bien qu’il vit à grant dolour,
Dont il ha taint son vis et sa coulour.
Et vraiement moult volentiers guerroie,
À mon honneur, son bien, sa pais, sa joye.

La seconde chose est qu’il n’affiert mie
Que de ma bouche, ou par semblant, li die
Que mes cuers est tous siens où. que je soie,
Qu’en ce faisant, contre m’onneur feroie.

— 37 —

Et jaçoit ce qu’en mon cuer grief mal porte,
Pour li amer miex yorroie estre morte
Que de bouche, par regart ou par chière,
Li deisse que suy s’amie chière,
Ne qu’en mon cuer porte céléement
L’amour de li trop plus couvertement.

H.

Amis, mon cuer et toute ma pensée

Et mi désir sont en vous seulement ;

Amis, avoir ne puis lie journée

Quant ne vous voy ; mais sachiez vraiement

Que loing et près, très amoureusement,

De loial amour, sans penser tricherie,

Vous ameray tous les jours de ma vie.

Honneur, vaillance et bonne renommée,
Grâce, biauté sont en votre corps gent,
Dont je m’en sens si hautement parée ;
Car plus de bien n’ay, n’autre esbatement.
Tuit mi penser sont mis entièrement
En vostre bien 5 et pour ce, quoy qu’on die,
Vous ameray tous les jours de ma vie.

Et quant à vous entièrement donnée
Sui, sans partir, amez moy loiaument,
Très dous amis. Si seray confortée

— 38 —

De tous mes malz, et viveray liément.
Et, par ma foy î s’il estoit autrement,
Péchiés seroit, quant de vray cuer d’amie
Vous ameray tous les jours de ma vie.