Traduction par Eugène Talbot.
Œuvres complètes de XénophonHachetteTome 2 (p. 450-451).



CHAPITRE VI.


Suite.


Son courage s’est produit, selon moi, par d’éclatants témoignages, en se présentant toujours pour combattre les plus puissants ennemis de sa patrie et de la Grèce, et en se plaçant en tête dans ces sortes de combats. Chaque fois que les ennemis voulurent l’attendre, il ne voulut point d’un succès dû à la peur et à la fuite, mais, sortant victorieux d’une lutte d’égal à égal, il érigea des trophées, monuments immortels de sa vertu, et témoignages évidents de son courage à combattre. Ainsi, ce n’est point par la renommée, mais par les yeux, que nous pouvons juger de son âme ; et l’on ne doit point compter ses succès par ses trophées, mais par ses campagnes, puisqu’il n’a pas moins vaincu les ennemis quand ils refusaient de combattre, et que sa victoire offrait moins de périls et plus d’avantages à sa patrie et à ses alliés. C’est ainsi que, dans les jeux, on ne couronne pas moins ceux qui triomphent sans combattre, que ceux qui sont vainqueurs après avoir combattu.

Quelle est celle de ses actions qui n’atteste point sa sagesse ? Dans ses rapports avec sa patrie, il se montra toujours docile[1]… plein de bienveillance envers ses compagnons d’armes, dont il se fit des amis à toute épreuve. Pour les soldats, tous étaient aussi obéissants que dévoués. Et comment une phalange ne serait-elle pas invincible, quand elle observe la discipline par obéissance, et que son amour pour son chef est le mobile de son dévouement ? Les ennemis mêmes ne pouvaient lui refuser leur estime, quand ils étaient contraints de le haïr. En effet, il mettait tout en œuvre pour les traiter autrement que les alliés, les trompant dans l’occasion, les prévenant de vitesse lorsqu’il le fallait, leur dérobant ses démarches quand son intérêt l’exigeait, tenant enfin à l’égard des ennemis une conduite toute différente de ses façons d’agir avec les alliés. Il agissait la nuit comme le jour, et le jour comme la nuit[2], disparaissant parfois, et laissant ignorer où il était, où il allait, ce qu’il faisait. De la sorte, il rendait inutiles les plus forts retranchements de ses ennemis, soit en les évitant, soit en les franchissant, soit en les surprenant. Chaque fois qu’il était en marche, sachant bien qu’il pouvait être assailli par les ennemis, s’ils le voulaient, il conduisait toujours son armée en bon ordre, de manière à ce qu’elle fût en état de servir, et la faisant avancer avec la réserve d’une vierge pleine de modestie. Il savait que c’est l’unique moyen d’être exempt d’inquiétudes, sans aucune espèce de terreur, de trouble, de fautes et d’embûches. Aussi, en agissant de la sorte, il était redoutable aux ennemis, et savait inspirer à ses amis de la confiance et de la force : par là il se garda du mépris de ses adversaires, des amendes de ses concitoyens, du blâme de ses amis, constamment aimé, constamment loué de tous les hommes.



  1. Lacune de quelques mots. — Voy. Plutarque, Agésilas., IV.
  2. Cf. Hist. Gr. VI, I ; Gouvern, des Lacéd., V.