Traduction par Eugène Talbot.
Œuvres complètes de XénophonHachetteTome 2 (p. 451-452).



CHAPITRE VII.


Patriotisme d’Agésilas ; sa haine des Barbares.


Son patriotisme, à le raconter en détail, demanderait trop de temps. Je crois qu’il n’y a aucune de ses actions qui n’ait été dirigée vers ce but. Bref, nous savons tous qu’Agésilas, quand il croyait une chose utile à sa patrie, ne s’épargnait aucune peine, n’évitait aucun danger, ne ménageait point sa fortune, n’alléguait ni son corps[1], ni son grand âge ; il pensait que le devoir d’un bon roi est de faire le plus de bien possible à ses sujets. Mais je place parmi les plus grands services rendus à sa patrie, qu’étant le plus puissant dans sa ville natale, il se montra le plus soumis aux lois. Qui donc eût refusé d’obéir, en voyant le roi se soumettre ? Qui donc, se croyant déclassé, eût entrepris d’innover, en sachant que le roi, docile aux lois, en accepterait l’empire, lui qui traitait ses adversaires politiques comme un père ses enfants ? Il les reprenait de leurs fautes, les récompensait quand ils faisaient bien, les secourait s’il leur arrivait malheur, ne considérait aucun citoyen comme un ennemi, était disposé à les louer tous, à regarder leur conservation comme un avantage, et comme un dommage la perte du dernier d’entre eux. Rester constant et fidèle aux lois, c’était, ainsi qu’il le disait hautement, le moyen que sa patrie fût toujours heureuse et qu’elle devînt puissante, quand les Grecs seraient sages.

S’il est beau pour un Grec d’aimer son pays, vit-on jamais un autre général ou refuser de prendre une ville, dans la crainte qu’elle ne fût saccagée, ou regarder comme un malheur une victoire gagnée dans une guerre contre les Grecs ? Quand on lui apporta la nouvelle que, dans un combat près de Corinthe, il était mort huit Lacédémoniens et près de dix mille ennemis, on ne le vit pas se réjouir, mais il s’écria : « Malheureuse Grèce, qui viens de perdre des hommes dont la vie nous eût assuré la victoire dans nos combats contre les Barbares ! » Les exilés de Corinthe lui disant que la ville allait se rendre, et lui montrant les machines à l’aide desquelles ils espéraient renverser les murs, il ne voulut point attaquer, disant qu’il ne fallait pas asservir les villes grecques, mais les rendre sages. « Si nous exterminions, ajouta-t-il, tous ceux de nous qui sont en faute, dites-moi où nous trouverions des hommes pour vaincre les Barbares. »

S’il est beau de haïr les Perses, puisque jadis l’un d’eux[2] a marché contre la Grèce pour la rendre esclave, et que leur roi actuel[3] fait alliance avec ceux qu’il croit le plus en état de nous nuire, ou paye ceux qu’il sait capables de faire le plus de mal aux Grecs, ou ne nous propose la paix que comme un moyen sûr d’allumer entre nous la guerre, conduite qui n’échappe aux regards de personne, qui donc fit jamais plus qu’Agésilas, pour soulever quelques provinces des Perses, les appuyer dans leur révolte, en un mot, pour nuire au roi de manière à ce qu’il ne pût inquiéter les Grecs ? Quoique sa patrie fût en guerre avec les Grecs, cependant il ne négligea pas le bien commun de la Grèce, mais il s’embarqua pour faire le plus de mal possible au barbare.



  1. « Il avait, dit Cornélius Népos, une petite taille, un corps grêle, et boitait d’un pied ; ce dernier défaut était même assez choquant. »
  2. Xercès.
  3. Artaxercès.