Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 3p. 434-457).

APPENDICES VI


(Chapitre Trente-unième)


GÉNÉALOGIE DES FAMILLES ACADIENNES AVEC DOCUMENTS.
par Placide Gaudet.


Conformément au désir du département de publier une partie de mon travail cette année, j’ai dressé à cette fin la généalogie des trois familles acadiennes Bourgeois, Lanoue et Belliveau. Par suite du manque de données officielles qu’on ne trouve que dans certains registres paroissiaux et recensements nominatifs, cette partie de mon travail est nécessairement incomplète.

La tâche entreprise est colossale et lente. De fait, ce n’est que depuis dix-huit mois qu’il m’est possible de puiser dans les documents éparpillés aux États-Unis et en Europe. Une fois terminé, cet ouvrage formera un dictionnaire généalogique composé de plusieurs volumes d’un format considérable disposés alphabétiquement. Bien que des milliers d’actes aient été extraits de registres d’état civil, je n’ai pu compléter qu’un certain nombre de tableaux généalogiques. Les trois généalogies publiées dans ce volume démontrent le progrès accompli dans cette voie, et l’on constatera que les registres qui font défaut aujourd’hui n’auraient permis de les dresser d’une façon à peu près complète.

Le système de coopération établi entre la division des archives et ceux qui font des recherches historiques au Canada et à l’étranger, me fait espérer d’obtenir bientôt plusieurs documents essentiels pour compléter cet ouvrage. Les pièces découvertes durant l’année dernière m’ont fourni des renseignements que je n’espérais presque plus me procurer. Parmi ces documents découverts récemment par M. Biggar à la mairie de La Rochelle, se trouvent les registres paroissiaux de Beaubassin, de 1712 à 1748, et ceux de Saint-Pierre et Miquelon, de 1763 à 1776.

Si j’avais eu ces registres de Beaubassin à ma disposition, les branches de la famille Bourgeois établies à Chignictou, n’auraient pas été omises dans la généalogie de cette famille.

La tâche de dresser la généalogie des familles acadiennes n’est pas facile.

Pour procéder avec méthode il faut d’abord établir que l’arrivée des familles primitives en Acadie, remonte à l’expédition du commandeur de Razilly en 1632, car sauf les La Tour, on ne trouve pas en Acadie de descendants des colons qui y vinrent avec de Monts et de Poutrincourt.

Les Acadiens descendent donc presque tous des « trois cents hommes d’élite » — d’après la Gazette de Renaudot — venus avec de Razilly. Ils descendent aussi des immigrants français venus avec d’Aunay de Charnisay, de 1639 à 1649, et avec Charles de Saint-Étienne de La Tour en 1651 ; et de quelques petits contingents d’immigrants venus ultérieurement.

Quant aux Le Borgne, ceux-ci semblent avoir très peu contribué à faire venir des colons en Acadie.

Les premiers colons qui s’établirent d’une manière permanente en Acadie, y arrivèrent donc en 1632. Il faut remarquer que les « trois cents hommes d’élite » du commandeur de Razilly n’étaient pas tous mariés, car à l’exception de 12 à 15, les autres sont inscrits comme « engagés célibataires » qui plus tard épousèrent des jeunes filles venues de France. Cependant il est probable que plusieurs d’entre eux restèrent célibataires et retournèrent dans leur pays natal à l’expiration de leur engagement.

Trois frères capucins vinrent avec de Razilly pour prendre charge des missions acadiennes ; ils furent suivis par d’autres religieux de leur ordre jusqu’en 1654, époque où l’Acadie passa sous la domination anglaise.

Comme les premiers colons étaient accompagnés de leurs missionnaires, il serait intéressant de s’assurer si les registres où furent sans doute consignés durant cette période, les baptêmes, les mariages et les sépultures, existent encore. Ces registres auraient une importance exceptionnelle et nous indiqueraient de quels endroits en France sont sorties les premières familles acadiennes. J’espère que les recherches qui se font actuellement en Europe, nous révéleront l’existence de ces documents, soit au Vatican ou à Senlis.

Pendant une période de dix ans à peu près, de 1654 à 1664, aucun missionnaire n’a résidé à Port-Royal. Les jésuites qui résidèrent à Chedabouctou et à Miscou, baie des Chaleurs, de 1657 à 1662, visitaient probablement Port-Royal de temps à autre. Néanmoins aucun de leurs registres n’a pu être découvert.

Nous avons vu que l’Acadie passa sous la domination anglaise durant l’été de 1654. Bien qu’elle fut restituée à la France par le traité de Bréda, ce ne fut qu’en 1670 que le chevalier de Grandfontaine prit possession des forts au nom du roi de France et établit ses quartiers généraux à Pentagouët, aujourd’hui Penobscot dans l’État du Maine.

Il fut fait un recensement nominatif de toute l’Acadie en 1671. Il fut fait un recensement nominatif du district des Mines en 1698 et la lettre de Villebon du 3 octobre 1698, indique que ce recensement fut envoyé au ministre de la Marine à Paris.

M. Biggar a été chargé de rechercher en France l’original de ce document qu’il est possible de découvrir avec le temps, et qui serait une acquisition très précieuse puisqu’on y trouverait non seulement les noms des parents mais ceux des enfants et leurs âges. En outre, il ferait suite aux recensements de 1671, 1686 et 1693 dont il existe des copies au bureau des archives du Dominion depuis 1904. Il se trouve aussi à cet endroit des copies des recensements faits à Port-Royal et à Beaubassin en 1698, 1700 et 1701.

À l’arrivée de Grandfontaine à Port-Royal, cet endroit et Pentagouët étaient les deux principaux établissements de l’Acadie. Il en existait deux autres moins importants à Pobomkou, qu’on appelle à tort cap de Sable, et à la rivière Saint-Jean. Peu de temps après, de nouveaux établissements furent formés à Beaubassin ou Chignictou et aux Mines. Ce dernier endroit est mieux connu sous le nom de la Grand-Prée.

Au commencement du dix-huitième siècle d’autres établissements se formèrent à la rivière aux Canards, à Piziquid, à Chipoudy, à Petkoudiack, et ensuite à Memeramcouk et à Tintamarre. Les quatre derniers se trouvaient dans les limites des comtés appelés aujourd’hui Westmorland et Albert au Nouveau-Brunswick.

À une certaine époque, le district de Port-Royal ou Annapolis Royal possédait deux églises, celle de la ville dédiée à Saint-Jean Baptiste et une autre située à dix milles de cette dernière.

L’église de la Grand-Prée fut dédiée sous le vocable de Saint-Charles ; celle de la rivière aux Canards, sous le vocable de Saint-Joseph et celle de Cobequid sous le vocable de Saint-Pierre et Saint-Paul. Le district de Piziquid comptait deux églises, celles de l’Assomption et de la Sainte-Famille. Sainte-Anne fut choisie pour patronne du district de Beaubassin.

Les registres de ces différentes églises rendraient facile la tâche de dresser la généalogie des familles acadiennes à partir de 1632 jusqu’à 1755, mais malheureusement il ne s’en trouve que quelques-uns dans le pays. En fait, jusqu’à présent, deux volumes seulement des registres de l’église Saint-Jean Baptiste de Port-Royal ont été découverts ; ils commencent avec l’année 1702 pour se terminer en 1755. Les originaux sont à Halifax et depuis 1882 il s’en trouve une copie au bureau des archives du Dominion.

À l’époque de leur expulsion, les Acadiens emportèrent à la Louisiane les registres de l’église Saint-Charles de la Grand-Prée qui formaient cinq volumes commençant en 1687 et se terminant en 1755. Ils furent confiés au curé de la paroisse Saint-Gabriel d’Iberville qui ne paraît pas en avoir pris grand soin. Dans l’automne de 1893, une inondation du presbytère de Saint-Gabriel détruisit entièrement deux volumes de ces registres et une partie des autres. Deux ans après, Sa Grandeur feu Mgr  O’Brien, archevêque d’Halifax, fit copier ce qui restait et au printemps de 1899 je fus chargé d’en faire un duplicata pour le bureau des archives du Dominion. Ces registres commencent en 1707 pour se terminer en 1748. Il y manque plusieurs baptêmes, mariages et sépultures.

Il y a quelques mois, l’archiviste a découvert à la Louisiane plusieurs registres à partir de 1773 jusqu’à 1859. On est à faire actuellement la transcription de ces registres pour le bureau des archives.

Un document daté de Paris en 1766, fait mention que les registres de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul furent détruits par les Anglais. C’est une lettre de l’abbé de l’Isle Dieu dans laquelle il est question de deux jeunes Acadiens Joseph Mathurin Bourg et Jean Bte, natifs de la rivière aux Canards, qui possédaient leur extrait de baptême. Ceux-ci se préparaient à la prêtrise dans un petit séminaire du diocèse de Saint-Malo et furent ordonnés au Canada en 1772.

Il est vraisemblable que les extraits de baptême requis pour leur ordination furent tirés des registres de l’église Saint-Joseph, et que ces registres devaient être en France. Il est probable qu’ils y furent transportés par les Acadiens déportés à la Virginie, d’où ceux-ci furent ensuite envoyés en Angleterre et de là à Saint-Malo et à Morlaix. En 1772 et 1774, plusieurs de ces familles vinrent s’établir à la baie des Chaleurs et à Arichat.

Mgr  Tanguay dit dans l’un de ses ouvrages qu’il a trouvé les registres de l’église de la Grand-Prée à Paris, en 1867. Il est probable que Mgr  Tanguay s’est trompé et que les registres en question étaient ceux de l’église Saint-Joseph de la rivière aux Canards, car en dépit des recherches de M. Marmette et de M. Richard, ceux de la Grand-Prée n’ont pu être découverts.

Les registres des paroisses de L’Assomption et de la Sainte-Famille de Piziquid seront probablement trouvés un jour dans quelque ville de France, car je ne crois pas qu’ils aient été détruits à l’époque de l’expulsion. Ils seraient très utiles pour dresser la généalogie des familles de ce district, car sauf les recensements très incomplets de 1701, de 1703 et de 1714, parce que les noms des femmes et des enfants y ont été omis, je n’ai pas de données officielles à ma disposition.

De 1749 à 1755, plusieurs familles de ce district émigrèrent à l’île Saint-Jean, d’où elles furent transportées en France en 1758. Quelques-unes se fixèrent dans ce pays et les autres se transportèrent à la Louisiane vers 1748. Onze cents personnes de celles qui restèrent à Piziquid furent déportées comme prisonnières, savoir : 200 à la Virginie, sur le sloop Neptune ; 263 à Annapolis, Maryland, sur le sloop Ranger ; 230 au même endroit sur le sloop Dolphin ; 156 à Philadelphie, sur le sloop Three Friends ; 206 à Boston, sur le sloop Seaflower, et environ 50 furent embarquées à la Grand-Prée sur d’autres navires.

On lit dans la Maryland Gazette, Annapolis, 4 décembre 1755 :

« Dimanche dernier (30 nov.) est arrivé le dernier transport de la Nouvelle-Écosse, chargé de déporter des Français neutres dans cette province ; c’est le quatrième depuis quinze jours et le chiffre des déportés dépasse 900. Pour des motifs politiques ces malheureux ont été dépouillés des biens qu’ils possédaient à la Nouvelle-Écosse et envoyés ici dans le plus grand dénuement : aussi l’humanité et la charité chrétienne font-elles à chacun de nous un devoir de secourir selon nos moyens ces êtres dignes de compassion. »

Le chiffre 900 donné par le Maryland Gazette n’est pas exact, car il arriva 493 déportés sur Le Ranger et Le Dolphin et 420 du district de la Grand-Prée, dont 242 sur la goélette Elizabeth et 178 sur la goélette Léopard, formant un total de 913.

Dans les archives coloniales de la province de Pennsylvanie, je trouve ce qui suit dans les procès-verbaux d’une séance du Conseil tenue à Philadelphie le 8 décembre 1755 : « Après avoir débarqué les Français neutres de la Nouvelle-Écosse à proximité de l’hôpital des pestiférés, les capitaines des vaisseaux nolisés par Lawrence, demandèrent leur décharge et elle fut accordée le jour même à ceux qui étaient munis de la formule requise de reçu imprimé :


« Transportés à Philadelphie par le sloop Hannah, capitaine Richard Adams, cent trente-sept personnes d’origine française de la Nouvelle-Écosse ;

« Par le sloop Three Friends, capitaine James Carlyle, cent cinquante-six personnes d’origine française ;

« Par le sloop Swan, capitaine Jonathan Loviett, cent soixante et une personnes d’origine française. Total, 454 personnes.


Dans les archives de la Pennsylvanie, vol. ii, p. 581, se trouve la lettre suivante du gouverneur Dinwiddie de la Virginie, au gouverneur de la Pennsylvanie, datée de Williamsbourg le 21 février 1756 :


« Monsieur,


« Il nous a été envoyé de la Nouvelle-Écosse, 1140 neutres qui causent beaucoup d’embarras à la population. Nous les avons accueillis et le Conseil et moi avons donné ordre qu’il soit pourvu à leurs besoins, mais il me paraît bien incertain que la Législature prenne des mesures à leur égard. J’ai raison de me plaindre de la conduite du gouverneur Lawrence qui aurait dû nous avertir de l’arrivée de ces gens, afin de nous permettre de prendre des dispositions à ce sujet.

« Je vous prie de me faire connaître ce que votre Législature a décidé à cet égard ; ce renseignement nous sera utile.

« Robt. Dinwiddie. »


Il paraît que la Législature de la Virginie refusa de prendre des mesures à l’égard des Acadiens déportés dans cette province, puisqu’ils furent rembarqués sur des vaisseaux et transportés en Angleterre, comme l’indique l’extrait ci-après d’une lettre des lords du Commerce au gouverneur Lawrence, datée de Whitehall, 8 juillet 1756, savoir : « Bien que par votre lettre vous nous ayez fait savoir que les provinces avaient accueilli les Acadiens qui y ont été envoyés, nous devons vous informer que plusieurs centaines de ces gens ont été transportés ici de la Virginie, et plusieurs de la Caroline du Sud, et que Sa Majesté a donné instruction aux lords de l’amirauté de charger les commissaires des marins malades et blessés d’en prendre soin. »

Ces Acadiens furent envoyés à Liverpool, à Southampton, à Bristol et à Penryn et traités comme prisonniers jusqu’au printemps de 1763, alors que les démarches du duc de Nivernois eurent pour effet de les faire transférer à Saint-Malo et à Morlaix.

En 1765, des terres furent concédées à Belle-Isle-en Mer dans le département du Morbihan, à 78 familles presque toutes venues d’Angleterre. En 1767, ces familles furent requises de faire devant une commission des dépositions assermentées afin de retracer leur origine et leur filiation. L’abbé Le Loutre, ancien missionnaire des Micmacs, était présent lors de ces dépositions, et après avoir entendu les déclarations des chefs de famille, établis dans les quatre paroisses de Belle-Isle-en-Mer, il fit la déclaration suivante : « Déclaration de M. l’abbé Le Loutre, ancien vicaire général du diocèse de Québec en Canada. Du douze mars mil sept cent soixante-sept, a le dit messire Le Loutre déclaré que les Acadiens placés en cette isle ont été transportés par les Anglois à Boston et autres colonies angloises au mois d’octobre mil sept cent cinquante-cinq ; que des colonies ils ont été transférés dans la vieille Angleterre et dispersés en divers endroits du royaume dans le courant de l’année mil sept cent cinquante-six ; qu’en mil sept cent soixante-trois après le traité de paix ils ont été transportés en France par les Gabarres du roy et placés en divers ports de mer. Et qu’en mil sept cent soixante-cinq dans le courant du mois d’octobre ils ont passé en cette isle par ordre de Monseigneur le Duc de Choiseul, Ministre de la Marine. Ce qu’il a affirmé véritable et a signé après lecture le dit mois et an que devant.

« Signé : J. L. Le Loutre ptre miss. »


La déportation de 1755 eut pour effet de démembrer les familles acadiennes et de les disperser aux quatre coins du monde. Suivre la trace de ces familles dans leurs déplacements n’est certes pas une tâche facile, et il n’est pas possible de dresser des généalogies complètes avant d’avoir découvert les documents qui font défaut.

Je ne me suis pas proposé d’apprécier dans ce travail les circonstances dans lesquelles l’expulsion eut lieu, mais de placer sous les yeux de celui qui s’intéresse à l’histoire, une série de documents, la plupart inédits, rassemblés au prix de persévérantes recherches et qui éclairent d’un jour nouveau l’histoire de ce malheureux peuple, surtout après son bannissement du pays natal

Quelques-uns de ces documents sont antérieurs à l’expulsion, d’autres ont trait à cette époque et quelques-uns sont extraits du Journal de Winslow. Ce journal a déjà été publié dans les Collections de la Société historique de la Nouvelle-Écosse, mais ces volumes sont rares aujourd’hui. Pour cette raison, j’ai cru devoir insérer dans cet ouvrage, de nombreux extraits de ce journal, afin de faire le récit de l’expulsion d’après les données de ceux qui ont exécuté les ordres du gouverneur Lawrence et du Conseil. Je n’ai tiré de ce journal que les parties essentielles au récit de la déportation.

Le lieutenant-gouverneur Lawrence et le Conseil prirent à Halifax, le 28 juillet 1755, la décision finale d’expulser et de déporter les Acadiens. Trois jours après, Lawrence transmettait dans une longue lettre ses instructions au major John Handfield, au capitaine Alexander Murray et au lieutenant-colonel Robert Monckton, commandants respectifs aux forts Annapolis Royal, Édouard et Beauséjour et leur faisait part en même temps de « la résolution du Conseil d’expulser les Acadiens et de purger la province de tous ces mauvais sujets. »

Le même écrivait à Monckton : « L’ordre est donné d’envoyer en toute diligence à la Baie (Chignictou) un nombre suffisant de transports pour embarquer la population. Vous recevrez en même temps les instructions relatives aux dispositions à prendre à l’égard des déportés et aux endroits qui leur sont assignés et tout ce qui pourra vous être nécessaire en cette occurrence. Dans l’intervalle, vous devrez agir avec le plus grand secret, de crainte qu’ils ne s’enfuient avec leurs bestiaux, etc., etc. Et pour mettre ce projet à exécution vous devrez avoir recours à quelque stratagème pour faire tomber les hommes en votre pouvoir, jeunes comme vieux et surtout les chefs de famille. Vous les détiendrez ensuite afin que tous soient prêts à embarquer à l’arrivée des transports ; après quoi, il ne sera plus à craindre que les femmes et les enfants ne s’enfuient avec les bestiaux. »

Le six août, Monckton envoya au lieutenant-colonel Winslow, au camp Cumberland sur la Butte-à-Mirande, un billet dans lequel il exprimait le désir de lui parler. Ce qui fut arrêté lors de cette entrevue, nous est révélé par les extraits du journal de Winslow. Winslow s’embarqua le 16 août à Chignictou avec 313 hommes, y compris les officiers et arriva le 18 août au fort Édouard, à Piziquid (aujourd’hui Windsor) où il trouva une note du lieutenant-gouverneur Lawrence lui enjoignant de prendre ses quartiers aux Mines. À la marée suivante, Winslow descendit la rivière Piziquid et entra dans la rivière des Gaspareaux où il jeta l’ancre le 19. Il établit son camp entre l’église et le cimetière, réserva pour lui le presbytère, et l’église fut transformée en place d’armes.

Le presbytère de la Grand-Prée était vacant depuis le 4 août, car ce jour-là, le curé de la paroisse, l’abbé Chauvreulx avait été arrêté et envoyé au fort Édouard. Le 6 du même mois l’abbé Daudin, curé d’Annapolis Royal, fut aussi arrêté au moment où il terminait la messe et envoyé au même endroit. Quant à l’abbé Lemaire, curé de la paroisse Saint-Joseph de la rivière aux Canards, il se livra lui-même à Murray le 10 août. Ces trois prêtres (il n’y en avait pas à Piziquid depuis le mois de novembre 1754) furent envoyés à Halifax où ils furent incarcérés. Au mois d’octobre de la même année, ils furent embarqués sur le vaisseau du vice-amiral Boscawen et transportés à Portsmouth où ils arrivèrent au commencement de décembre. Ils nolisèrent une petite embarcation à cet endroit et partirent pour Saint-Malo où ils arrivèrent le 8 décembre, jour où la flotte d’Annapolis mettait à la voile avec sa cargaison humaine de 1,664 Acadiens.

Le 28 août, Winslow écrivit la note suivante dans son journal : « L’enceinte palissadée a été parachevée aujourd’hui et nous avons entrepris la tâche de nous débarrasser de l’une des plaies d’Égypte. »

Le lendemain au soir, Winslow reçut la visite du capitaine Murray du fort Édouard, porteur de nombreuses dépêches du lieutenant-gouverneur Lawrence, parmi lesquelles se trouvaient deux lettres d’instruction concernant la déportation des habitants des districts des Mines, de Piziquid, de la rivière aux Canards, de Cobequid, etc. Ces pièces datées d’Halifax, 11 août 1755, sont reproduites dans l’appendice B. Il s’y trouvait une circulaire de Lawrence pour les gouverneurs des provinces du continent où les Acadiens devaient être déportés, que Winslow devait remettre aux capitaines des transports.

Dans cette soirée du 29 août, Winslow et Murray décidèrent d’avoir recours au stratagème employé par Monckton à Beauséjour le 11 du même mois, pour s’emparer des habitants de ce district. Il fut convenu de sommer toute la population mâle des villages de la Grand-Prée, des Mines, de la rivière aux Canards, de la rivière des Habitants et de la rivière des Gaspareaux, de se rassembler à l’église de cet endroit (Saint-Charles de la Grand-Prée) le 5 septembre suivant, pour entendre l’ordonnance du roi. D’autre part, le capitaine Murray devait rassembler de la même manière au fort Édouard, les habitants de Piziquid et des villages adjacents. Winslow écrivit ensuite à Lawrence pour lui faire part de la détermination qui venait d’être prise. Après le départ du capitaine Murray, le même consigna ce qui suit dans son journal : « J’ai convoqué les capitaines Adams, Hobbs et Osgood et après leur avoir fait prêter serment de garder le secret, je leur ai communiqué mes instructions et mes plans et tous ont approuvé ce qui a été arrêté entre le capitaine Murray et moi. »

Dans l’après-midi du 30 août, trois vaisseaux arrivèrent de Boston à l’entrée de la rivière des Gaspareaux, conformément aux ordres de Lawrence, pour déporter les Acadiens. C’était L’Indeavour, 83 tonneaux, capitaine John Stone ; L’Industry, 86 tonneaux, capitaine Georges Goodwin (ou Gooding), et Le Mary, 90 tonneaux, capitaine Andrew Dunning. L’ordre de marche de chaque vaisseau, signé de Chas. Apthorp et fils et Thomas Hancock, était daté de Boston, 21 août, sauf celui du Mary qui était daté du 22.

Le jour suivant, le 1er septembre, Winslow écrivit à Murray : « Je dois vous informer que trois transports sont arrivés, que les habitants sont allés à bord et ont cherché à connaître leur destination, mais je m’étais rendu de bonne heure auprès des capitaines et leur avais donné instruction de dire qu’ils avaient été envoyés pour me servir et accommoder les troupes en quelque endroit qu’il me plairait de leur assigner. Les capitaines m’ont informé que dans quelques jours onze autres vaisseaux doivent partir de Boston. Je serais heureux de voir M. Saul ici avec les vivres. »

Le 31 août, une autre goélette de 90 tonneaux, Le Neptune, capitaine Jonathan Davis, arriva et se rendit immédiatement à Piziquid.

Deux autres transports, le sloop Elizabeth, 93 tonneaux, capitaine Nathaniel Mulburry, et la goélette Leopard, 87 tonneaux, capitaine Thomas Church, arrivèrent au bassin des Mines, le premier le 4 septembre et le second le 6. Il s’en suit que six vaisseaux seulement arrivèrent au bassin des Mines et à Piziquid, tandis que sept furent envoyés de la capitale du Massachusetts à Annapolis Royal. Au mois d’octobre il fut ordonné à ces sept vaisseaux de se rendre au bassin des Mines et à Piziquid, parce que les transports que Lawrence avait promis d’envoyer de Chignictou à Winslow n’étaient pas arrivés. Treize transports en tout furent donc envoyés de Boston, mais il faut ajouter à ce nombre la goélette Seaflower, 81 tonneaux, qui partit de Kitterney Point, Maine, pour la Grand-Prée, au commencement de septembre. Le propriétaire de ce vaisseau, le colonel Nathaniel Donnal (alias Dunniel ou Donnel), se rendit à cet endroit pour se faire payer des sommes que lui devaient depuis longtemps les Français neutres.

Quelques semaines après, on s’est servi de ce vaisseau pour transporter de la Grand-Prée à Boston, 206 personnes du district de Piziquid. Le 2 septembre, Winslow se rendit au fort Édouard, afin de s’entendre avec Murray au sujet de la sommation pour rassembler les habitants, tel que Winslow le mentionne dans son journal. Cette sommation reproduite dans les extraits du journal de Winslow qui forment l’appendice B, semble avoir été rédigée et traduite en français par Isaac Deschamps, marchand, d’origine suisse, établi à Piziquid, qui, en 1783, devint juge en chef de la Nouvelle-Écosse. Cette sommation enjoignait à tous les habitants de Piziquid, aux vieillards comme aux jeunes gens, y compris les jeunes garçons de dix ans, de se rendre au fort Édouard ; et à ceux du district de la Grand-Prée, de la rivière des Mines (aujourd’hui Cornwallis), de la rivière aux Canards, etc., « de se réunir à l’église de la Grand-Prée, le vendredi, 5 courant, à trois heures de l’après-midi, afin que nous leur fassions part de ce que nous avons reçu ordre de leur communiquer. »

Le lendemain Winslow se consulta avec ses capitaines et tous furent d’avis d’adresser la sommation aux habitants le jeudi matin, 4 courant. Le « Dr  Rodion » (il s’agit évidemment du Dr  Whitworth) fut chargé de cette tâche. Le 5 septembre dans l’après-midi, 183 Acadiens se rendirent au fort Édouard et 418 à l’église de la Grand-Prée. Il leur fut annoncé que « leurs terres et leurs maisons, de même que leurs bêtes à cornes et tous leurs bestiaux étaient confisqués au profit de la Couronne et qu’eux-mêmes allaient être déportés de la province ». Ils furent ensuite déclarés « prisonniers du roi. »

Cinq jours après, Winslow fit embarquer 141 jeunes gens et 89 hommes mariés sur les cinq transports qui se trouvaient dans le bassin. Par suite d’une erreur commise par Haliburton qui a déclaré que ces cinq transports partirent le 10 septembre, jour même de l’embarquement, plusieurs historiens anglais et français de mérite qui ont puisé leurs renseignements dans son ouvrage, ont commis la même inexactitude. Parkman a été le premier à la signaler dans son Acadian Tragedy. De fait, ces transports sont restés au bassin des Mines jusqu’au 27 octobre, alors qu’ils partirent avec le reste de la flotte composée de neuf autres transports, sans compter les 10 de Chignictou qui partirent le 13 pour leur rendez-vous au dit bassin.

Dans une lettre à Monckton en date du 15 novembre 1755, Winslow parlant des 1510 personnes qu’il avait embarquées sur neuf transports, dit : « J’espère que les déportés sont arrivés ou sont sur le point d’arriver aux ports. » Il s’agissait des ports de Williamsbourg, à la Virginie ; de Philadelphie, à la Pennsylvanie ; d’Annapolis, au Maryland. Cette explication a été jugée nécessaire pour faire disparaître l’impression qui persiste chez plusieurs et surtout chez les écrivains acadiens, au sujet des événements du 10 septembre 1755.

Les transports que Lawrence avait promis à Winslow et à Murray et que Monckton devait envoyer de Chignictou, n’arrivant pas, ceux-ci se trouvèrent fort embarrassés pour exécuter l’ordre de déporter les habitants. Ils convinrent de demander à Lawrence de leur faire parvenir les navires de Boston qui se trouvaient à Annapolis, et le 29 septembre, Winslow écrivit une lettre à cet effet au lieutenant-gouverneur. Lawrence répondit ce qui suit le 1er octobre : « Je viens de recevoir votre honorée lettre du 29 septembre. Vu que nous n’avons pas un nombre suffisant de transports pour déporter les habitants des Mines et de Piziquid, je transmets ci-inclus l’ordre au major Handfield de vous envoyer ainsi qu’au capitaine Murray, tous les transports qui se trouvent à Annapolis afin de déporter immédiatement les habitants de vos districts. Dans quelques jours j’enverrai d’ici au major Handfield, d’autres transports pour remplacer ceux qu’il doit vous faire parvenir. Maintenant vous êtes prié de lui transmettre l’ordre ci-inclus en toute diligence, avant qu’il ne commence l’embarquement de la population de son district, et afin que vous ayez des transports à votre disposition le plus tôt possible… Le major Handfield recevra en même temps l’ordre de vous remettre les circulaires adressées aux gouverneurs sur le continent à raison du nombre de transports qu’il vous enverra. »

Le 4 octobre, une demi-heure après avoir reçu cette lettre, Winslow chargea un détachement d’aller porter à Annapolis les ordres adressées au major Handfield. Six jours, après, dans l’après-midi du 10 octobre, sept transports arrivèrent d’Annapolis, savoir : Les sloops Hannah, 70 tonneaux, capitaine Richard Adams ; Sally and Molley, 70 tonneaux, capitaine James Purrington (alias Puddington, Parrington) ; Dolphin, 87 tonneaux, capitaine Zebad Farman ; Prosperous, 75 tonneaux, capitaine Daniel Blagdon ; Ranger, 90 tonneaux, capitaine Francis Perrey ; Three Friends, 69 tonneaux, capitaine James Carlyle ; Swan, 80 tonneaux, capitaine Ephm. Jones. Le capitaine Jones qui était malade demanda que le commandement du vaisseau fut confié à l’officier en second. Bien que cette demande fût accordée, Jonathan Loviett devint par la suite capitaine du Swan, et c’est le nom de ce dernier qui apparaît sur la décharge du vaisseau à Philadelphie et dans les comptes transmis à Lawrence en 1756, par Apthorp & Hancock de Boston.

Ces détails sont donnés pour faire mieux comprendre le journal de Winslow dans lequel le nom du vaisseau est invariablement omis et remplacé par celui du capitaine. De plus, il devient possible avec ces renseignements de trouver le nom du transport sur lequel ont été embarqués les habitants de tel ou tel village du district des Mines et où ils furent déportés.

Les transports Three Friends et Dolphin reçurent le 12, l’ordre de se rendre au fort Édouard et le même ordre fut donné au Ranger le 16. Huit cent soixante personne de Piziquid furent embarquées sur ces trois vaisseaux et sur le Neptune, transport de 90 tonneaux arrivé de Boston le 31 août.

Le 14 octobre Murray écrivait à Winslow : « La population d’ici, y compris les enfants, dépasse le chiffre de 920 personnes. »

Le 23 octobre, Winslow écrivait à Apthorp & Hancock : « Le capitaine Murray est arrivé de Piziquid avec plus de 1,000 personnes distribuées sur quatre vaisseaux — Nous nous sommes procurés la goélette du colonel Dunniel. » Il ajoute ensuite : « Le capitaine Murray a déporté toute la population de Piziquid dont le chiffre dépasse 1,100 personnes."

Le 3 novembre le même écrivait à Monckton : « Le capitaine Murray s’est débarrassé de la population de son district qui dépassait le chiffre de 1,100 personnes. »

Il semble évident que le 14 octobre, Murray croyait que la population de son district se composait de 920 personnes, mais qu’il en a découvert d’autres après cette date, et que ces derniers joints au chiffre ci-dessus formaient un total de plus de 1,000 personnes qui furent embarquées sur quatre vaisseaux et transportés au bassin des Mines. À cet endroit, 206 furent transférées sur la goélette Seaflower du colonel Dunniel, nolisée par Winslow. Il restait donc sur les quatre vaisseaux d’Apthorp & Hancock 860 personnes qui ajoutées aux 206 transférées sur le Seaflower formaient un total de 1,066 personnes.

Le 19 octobre Winslow se rendit à cet endroit appelé « Pointe-des-Boudrots » sur la rivière aux Canards, et le 21 il retourna à son camp à la Grand-Prée. Murray l’attendait à bord du senau Halifax dans le bassin des Mines où il était arrivé le 20 avec ses quatre transports sur lesquels se trouvait la population de Piziquid.

Immédiatement après son arrivée au camp, Winslow approuva un projet de Murray, en vertu duquel un certain nombre d’Acadiens que celui-ci avait embarqués, furent transférés sur la goélette Seaflower. C’est après cela que Winslow écrivait à Apthorp & Hancock le 23 du même mois que « le capitaine Murray était arrivé de Piziquid avec plus de 1,000 personnes sur quatre transports » et qu’il « avait déporté tout son monde » ; ce qui ne fut fait qu’après avoir nolisé la goélette Seaflower. Il reste à examiner une autre version de Winslow transmise à Monckton le 3 novembre, en vertu de laquelle le major Murray se serait débarrassé de toute la population de son district qui comprenait plus de 1,100 personnes.

À ce sujet, il faut se rappeler que plusieurs familles s’étaient réfugiées dans les bois où elles se tenaient cachées. Le document ci-après fait voir les moyens auxquels on avait recours pour s’emparer des Acadiens ; il fut rédigé par le lieutenant Cox qui remplaça Murray au fort Édouard au commencement de novembre, et se lit comme suit :

« D’autant que certains des habitants des départements de Pisiquid, des villages Landry, Forêt, Babin, etc., se sont absentés de leurs habitations dans la crainte que le gouvernement de sa Majesté ne leur veuille mal, et soit dans l’intention de les punir de leur témérité et désobéissance aux ordres de son Excellence le gouverneur : Je déclare au nom et de par Sa Majesté le roi de la Grande-Bretagne, que si les dits habitants réfugiés se rendent et se soumettent aux ordres de Sa Majesté, qui n’est rien autre que de les embarquer et les consigner aux colonies de Sa Majesté Très Chrétienne, ils seront reçus et bien traités ; au contraire, s’ils s’obstinent à rester dans leur retraite, ils seront traités comme des rebelles ils doivent s’attendre au châtiment le plus sévère. Et comme il y a à la Grand’Praye nombre suffisants, je promets aux habitants qui se rendront icy sous trois jours qu’ils seront immédiatement envoyés joindre les dits habitants de la Grand’Praye, pour vivre et être embarqués avec eux, sitôt que les transports pour cet effets seront arrivés. Donné au Fort Édouard ce douzième de novembre, l’an 1755. »

Aucun document ne démontre que les Acadiens tombèrent dans le piège tendu par la déclaration ci-dessus.

Pour expliquer le chiffre de « 1,100 » dont il est fait mention, il est raisonnable de supposer que plusieurs Acadiens du district de Piziquid furent embarqués à la rivière des Gaspareaux, sur quelques-uns des transports que Winslow avait déjà remplis avec les Acadiens de ses districts.

Il a été constaté déjà que trois des sept transports arrivés au bassin des Mines le 10 octobre, reçurent l’ordre de se rendre au fort Édouard.

Outre les quatre autres, à savoir : le Hannah, le Sally and Molly, le Prosperous et le Swan, Winslow avait encore à sa disposition pour transporter son monde, l’Indeavour, l’Industry, le Mary, l’Elizabeth et le Leopard. Il faut se rappeler que le 10 septembre, 141 jeunes gens et 89 hommes mariés furent embarqués sur ces vaisseaux et que plus tard 100 autres Acadiens furent ajoutés à ce nombre.

Après avoir reçu de Lawrence la promesse que les transports qui se trouvaient à Annapolis seraient envoyés au bassin des Mines, Winslow commença ses préparatifs pour embarquer les Acadiens. Dans son journal se trouve la note suivante en date du 6 octobre : « Sur l’avis de mes capitaines, il a été fait une division de la population de chaque village, et il a été décidé que les habitants d’un même village seraient embarqués sur le même transport autant que possible, afin que les membres d’une même famille soient déportés ensemble. J’ai ensuite donné ordre aux familles de se préparer à embarquer avec leurs effets, etc., mais malgré cela je n’ai pu les convaincre que j’étais sérieux.

8 octobre. — « On a commencé à embarquer les habitants qui partirent à regret et malgré eux. Les femmes très affligées portaient leurs nouveaux-nés dans leurs bras et d’autres traînaient dans des charrettes leurs parents infirmes et leurs effets. En somme, ce fut une scène où la confusion se mêlait au désespoir et à la désolation. Quatre-vingts familles ont été embarquées sur les vaisseaux des capitaines Church et Milburry.

9 octobre. — « À l’arrivée des autres transports, les hommes qui avaient été mis à bord des trois premiers vaisseaux, furent débarqués pour leur permettre de se réunir à leurs familles. »

Ces deux citations du journal de Winslow démontrent que le 8 octobre, 80 familles furent embarquées sur le Leopard et l’Elisabeth qui se trouvaient dans le bassin des Mines depuis le commencement de septembre, et que les hommes qui avaient été mis à bord des trois premiers transports furent débarqués. Il faut donc conclure que 330 personnes se trouvaient sur les trois transports Indeavour, Industry et Mary, arrivés de Boston le 30 août et dont il a été question précédemment, et que les hommes mariés ou non mariés qui avaient été embarqués sur le Leopard et l’Elisabeth, ont été transférés depuis le 10 septembre.

Dans une lettre à Lawrence, en date du 11 octobre, Winslow dit : « Nous avons rempli deux transports qui sont pourvus des choses nécessaires. » C’étaient le Léopard et l’Elizabeth auxquels Winslow donna ordre le 13 de mettre à la voile, comme il est démontré par les extraits du journal de Winslow qui forment l’appendice B. Il est fait mention dans les instructions au Capitaine Church que cent soixante-quatorze personnes qui font partie des habitants français de la Nouvelle-Écosse, ont été embarquées sur la goélette Léopard, et il est ordonné au capitaine de transporter ses « passagers » au Maryland. Dans une liste provenant de Winslow qui indique les noms des navires, leur destination et le nombre de déportés sur chaque transport, il est démontré que 178 personnes ont été mises à bord du Léopard, et ce chiffre doit être exact. L’Elizabeth avec 186 déportés avait reçu ordre aussi de se rendre au Maryland. Il est dit dans un autre document que 242 déportés se trouvaient sur l’Elizabeth ; or d’après cette version 56 autres personnes auraient été embarquées après le 13 octobre. Il s’en suit que 420 Acadiens, tous du village de la Grand-Prée, ont été déportés sur ces deux transports. Le reste des habitants de ce village et ceux de la rivière des Gaspareaux qui formaient un total de 462 personnes, furent embarqués comme suit ; 168 sur le Swan, 140 sur le Hannah, et 154 sur le Sally and Molly. Ce dernier chiffre ajouté à celui de 420, démontre que 882 personnes ont été déportées du village de la Grand-Prée et de la rivière des Gaspareaux. Le Swan et le Hannah transportèrent leurs cargaisons humaines à Philadelphie et le Sally and Molly prit la route de la Virginie.

Le 19 octobre, les quatre transports restés au bassin des Mines remontèrent la rivière de ce nom (aujourd’hui Cornwallis) jusqu’à la « Pointe des Boudrots » où 182 personnes furent embarquées sur le Mary, 177 sur l’Industry, 166 sur l’Endeavour et 152 sur le Prosperous, formant un total de 677 personnes de la rivière aux Canards et de la rivière des Habitants, qui furent mis à bord de ces quatre transports et déportés à Williamsbourg, à la Virginie.

À mon sens, c’est la première fois que sont mis au jour de tels renseignements concernant l’embarquement des Acadiens. Pour les obtenir il a fallu plus de travail qu’on ne saurait se l’imaginer, mais ils sont nécessaires pour faire connaître les endroits où les familles de tel ou tel district ont été exilées, afin de pouvoir les suivre à travers leurs déplacements jusqu’à leur rapatriement.

Si l’on ajoute les 882 personnes de la Grand-Prée et de la rivière des Gaspareaux aux 677 de la rivière aux Canards et de la rivière des Habitants, on obtient un total de 1,559 Acadiens déportés par Winslow le 27 octobre, sur neuf transports. Ce chiffre dépasse de 49 celui de 1,510 fourni par Winslow, mais ni l’un ni l’autre ne doivent être exacts, puisqu’il est reconnu que par suite du manque de transports, plusieurs personnes furent embarquées après avoir donné aux capitaines l’ordre d’appareiller.

Le 20 octobre, Winslow écrivait à Shirley qu’il n’avait des « transports que pour 1,500 personnes seulement » et qu’il croyait « qu’il y en avait 2,000 dans ses districts ». Le 27 octobre, jour du départ de la flotte, le même écrivait à Lawrence : « Bien que les déportés aient été entassés sur les vaisseaux à raison deux par tonneaux, il me faudrait encore des transports pour embarquer tous les habitants des villages d’Antoine et de Landry où résident 98 familles formant une population de 600 âmes. Je les ai transportées toute de la Pointe à Boudrot à la Grand-Prée où je les ai installées dans des maisons à proximité du camp. Sur leur parole qu’elles seront prêtes à embarquer au premier avis et qu’elles répondront à l’appel de leurs noms, au camp, à l’heure du coucher du soleil, je leur permets de se visiter. Je serais heureux d’avoir des vaisseaux à ma disposition pour terminer ma tâche. » Cette lettre est écrite du fort Édouard et Winslow la termine en ajoutant : « J’apprends par un détachement qui arrive de la Grand-Prée que les transports mettent à la voile. Vous trouverez ci-inclus un rapport concernant la distribution des soldats que j’ai sous mon commandement. »

À la fin du journal de Winslow se trouve un compte-rendu statistique qui renferme les chiffres ci-après, qu’il est important de faire connaître : —


Déportés par Winslow 
1,510
Déportés par Osgood 
732

2,242


Winslow partit de la Grand-Prée le 13 novembre et arriva à Halifax le 19 du même mois. Le capitaine Osgood de son bataillon fut chargé de déporter les habitants qui n’avaient pas été embarqués. Du 13 novembre au 12 décembre, celui-ci a dû expulser 150 personnes, bien qu’il n’en fasse pas mention dans ses lettres à Winslow. Il peut se faire que ce dernier ait égaré ou perdu les lettres d’Osgood, ce qui expliquerait pourquoi ce fait n’est pas indiqué dans son journal. Il est dit dans deux autres lettres que le 13 décembre la goélette Dove, capitaine Samuel Forbes, partit du bassin des Mines pour le Connecticut avec 114 personnes et que le brigantin Swallow, capitaine William Hayes, prit la route de Boston le même jour avec 236 personnes. Le 20 décembre, la goélete The Race Horse, capitaine John Banks, partit pour Boston avec 120 personnes et, le même jour, la goélette Ranger, capitaine Nathan Munrow, partit pour la Virginie avec 112 Acadiens. Il s’ensuit que 582 Acadiens furent déportés par Osgood sur ces quatre transports, et que pour atteindre le chiffre 732 fourni par Winslow, il faut supposer que 150 ont été déportés avant le 12 décembre. Pendant le cours du même mois, 50 délégués acadiens, détenus à Halifax depuis le mois de juillet, furent déportés à la Caroline du Nord sur la goélette Providence, capitaine Samuel Barrow.

Dans le journal de John Thomas, résidant à Chignictou, chirurgien du bataillon de Winslow, il est fait mention de ce qui suit :

« 21 août. — Le Syren, capitaine Proba, (Proby), est arrivé d’Halifax avec sept transports sous son escorte, pour déporter les habitants français.

« 1er  octobre. — Nuit obscure et orageuse. Quatre-vingt-six prisonniers français se sont frayé une issue en creusant sous le mur du fort Lawrence et se sont évadés en trompant la vigilance de la sentinelle.

« 9 octobre. — Le capitaine Rousse (Rous) est arrivé ici d’Halifax pour hâter le départ de la flotte avec les prisonniers.

« 11 octobre. — Le dernier contingent de prisonniers français a été embarqué sur les vaisseaux pour être déporté de la province.

« 13 octobre. — Une flotte de 10 vaisseaux, sous le commandement du capitaine Rousse (Rous), est partie ce matin avec 960 prisonniers français pour la Caroline du Sud et la Géorgie. »

L’extrait suivant du journal historique de John Kiox, vol. i, pp. 84 et 85, concernant Port-Royal ou district d’Annapolis, me paraît intéressant :

« Je n’ai jamais pu savoir le nombre exact de combattants que pouvaient fournir ces familles (celles d’Annapolis) ou celles des autres endroits de la province. Néanmoins, j’ai réussi à me procurer une liste indiquant le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants déportés sur le continent au commencement de la guerre et les endroits qui leur ont été assignés, etc. J’ai aussi obtenu une liste indiquant les noms des vaisseaux, leur tonnage et pour combien de jours ils avaient été approvisionnés, ainsi que le nombre d’habitants français qui furent déportés d’ici (Annapolis) et leur destination. Je connais les noms de ceux qui ont pris la fuite ou qui s’étaient retirés dans les bois mais je ne crois pas qu’il soit important de les mentionner. »

Noms des vaisseaux
et leur destination.
(Approx.) nombre
de jours
Tonnage Hommes Femmes Garçons Filles Total
(Navire) Le Helena, pour Boston 
28 166 52 52 108 111 323
(Senau) l’Edward, pour le Connecticut 
28 139 41 42 86 109 278
(Senau) Le Two Sisters, pour le Connecticut 
28 140 42 40 95 103 280
(Brigantin) L’Experiment, pour New-York 
28 136 40 45 56 59 200
(Senau) Le Pembroke, (a) pour la Caroline du Nord 
42 139 33 37 70 92 232
(Navire) le Hopson, pour la Caroline du Sud 
42 177 42 46 120 134 342
Une goélette pour la Caroline du Sud 
42 30 1 1 4 3 9








Sept vaisseaux 
238 927 251 263 539 611 1664


« J’apprends que plusieurs de ces malheureux sont morts durant le trajet et que plusieurs d’entre eux (seulement ceux qui étaient à bord du Pembroke) ont réussi à s’échapper et à rejoindre les autres fugitifs dans les montagnes. »

Je ne sache pas que les instructions du roi au gouverneur Cornwallis en 1749, et au gouverneur Hopson en 1752, aient été publiées par aucun historien.

J’ai tiré d’une copie des instructions du roi à Cornwallis, reçue de Londres récemment, les extraits qui forment l’appendice C.

Les paragraphes 49 et 50 de ces instructions permettent de considérer la question acadienne à un point de vue nouveau.

Sauf la disposition différente des matières, les instructions à Hopson et à Cornwallis sont identiques. Dans le paragraphe 69 des instructions à Hopson, auquel correspond le paragraphe 42 des instructions à Cornwallis, est omise une partie de ce dernier après les mots : « À l’égard des habitants français qui ne se seront pas soumis à ces conditions dans l’intervalle assigné. » Beaucoup de personnes sont sous l’impression que les Acadiens furent requis de prêter les serments d’allégeance, de suprématie et d’abjuration et qu’ils furent déportés parce qu’ils refusèrent de les prêter. Tel n’est pas le cas, comme il est démontré par l’extrait ci-après des procès-verbaux du Conseil : —


« À bord du transport Beaufort, le vendredi, 14 juillet 1749.


« Son Excellence ouvrit et lut la commission et les instructions de Sa Majesté et considéra particulièrement les instructions relatives aux sujets français et la déclaration qui devait être faite conformément aux ordres de Sa Majesté.

« Après avoir lu la formule de serment ci-après que les habitants français avaient prêté, le colonel Mascarène en remit à Son Excellence une copie signée de ceux-ci : « Je promets & jure sincèrement en Foi de Chrétien que je serai entièrement fidèle & obéirai vraiment Sa Majesté Le Roi George le Second que je reconnois pour le Souverain Seingneur de l’Acadie ou Nouvelle-Écosse. Ainsi que Dieu me soit en Aide. »

« Le colonel Mascarène fit part au Conseil que les Français prétendaient n’avoir prêté ce serment qu’à la condition d’être toujours dispensés de porter les armes. Pour cette raison, il fut proposé d’ajouter la clause suivante à la formule de serment ci-dessus : « Et ce serment je prens sans réserve. » Mais comme le Conseil fut d’avis que la formule de serment ci-dessus qu’ils ont prêté et souscrit jusqu’à présent, ne renfermait aucune condition, il fut jugé nécessaire d’informer les Français qu’ils devaient prêter le serment sans aucune réserve ou clause sous-entendue. »

« Dans les procès-verbaux du Conseil, il est fait mention de « la déclaration qui doit être faite aux Acadiens par ordre de Sa Majesté. »

J’ai cru pendant longtemps et bon nombre ont dû penser comme moi, que cette déclaration avait été rédigée par ordre de Cornwallis. Mais tel n’est pas le cas puisqu’il est dit dans une lettre contenant des instructions des Commissaires du Commerce, datée de Portsmouth, 15 mai 1749 (vieux style) : « Nous vous transmettons aussi dans des boîtes indiquées par les numéros 1, 2, 3 et 4, que vous remettra le capitaine Rous, 100 exemplaires en anglais et 200 en français de la déclaration que vous avez ordre de communiquer aux habitants français. » Cornwallis signa ces exemplaires à « Chebouctou le 14 juillet 1749, » soit le 25 juillet d’après le nouveau calendrier.

La version française de cette déclaration est reproduite dans l’appendice C où se trouve aussi une autre déclaration en français fait par Cornwallis lui-même, en réponse à la demande que lui firent les habitants le 1er  août 1749, d’être dispensés de prendre les armes en temps de guerre. Il est déclaré dans cette requête que si cette faveur leur est accordée, tous les Acadiens sont prêts à renouveler leur serment de fidélité au roi d’Angleterre. Cornwallis repoussa cette demande, et par la suite, ni les efforts de Cornwallis, ni ceux de Hopson son successeur, et du colonel Charles Lawrence qui devint président du Conseil après le départ de ce dernier, ne purent décider les Acadiens à prêter le serment sans réserve.

Dans l’appendice D se trouvent la pétition de l’abbé Charles René de lesquels est une lettre de William Cotterell au gouverneur Hopson, concernant la formule du serment qui fut proposé de temps à autre aux Acadiens et les réponses de ceux-ci.

Dans l’appendice C il y a quelques documents relatifs à ce sujet, parmi Breslay, curé de Port-Royal, au général Richard Philipps et celle des Acadiens de Port-Royal ou rivière Annapolis dans laquelle ils déclarent qu’ils sont prêts à prêter le serment de fidélité. Il y a aussi avec d’autres pièces importantes, savoir : les listes des habitants des districts de la rivière Annapolis, des Mines, de Piziquid, de Cobequid et de Beaubassin qui prêtèrent le serment en décembre 1729 et en avril 1730.

Dans les premiers jours de mai de l’année 1750, le colonel Lawrence partit d’Halifax avec ses soldats pour déloger de la pointe-à-Beauséjour et des autres endroits de l’isthme de Chignictou, le détachement canadien envoyé de Québec, l’année précédente pour conserver ce territoire que la France prétendait n’avoir pas cédé à l’Angleterre par le traité d’Utretcht. À l’approche de Lawrence, presque tous les habitants du riche district de Beaubassin abandonnèrent leurs fermes et traversèrent la petite rivière Mesagouèche pour se mettre sous la protection du Chevalier de la Corne.

Immédiatement après leur départ, les Micmacs mirent le feu aux habitations des Acadiens et incendièrent l’église avec trois cents maisons.

Lawrence n’attaqua pas La Corne et retourna immédiatement à Halifax. Il revint au mois de septembre de la même année et sur les ruines du village de Beaubassin, il érigea un fort auquel fut donné son nom. À cette seconde approche de Lawrence, les habitants qui étaient resté sur leurs fermes, les abandonnèrent et se réfugièrent sur l’isthme. C’est ainsi que cinq ans avant le « Grand dérangement », furent abandonnés les villages florissants ci-après : Beaubassin ou Messagouche, Les Planches, La Butte, Veschtock, la rivière de Nampaune, la rivière de Mainkanne, la rivière des Mines ou des Hébert et Menoudy.

Dans les documents anglais, ces Acadiens sont appelés « habitants désertés » et dans les documents français « habitants réfugiés ». Durant l’été de 1751, Franquet fit un « dénombrement des habitants réfugiés de chaque village et auxquels le Roy fournit les Vivres », qui démontre que la population atteignait le chiffre de 1, 056 âmes, savoir : 153 hommes, 148 femmes et 655 enfants.

Au printemps de 1750, la population du district de Beaubassin atteignait avant le départ des Acadiens, le chiffre de 2, 000 âmes environ. Il est donc évident qu’à l’époque du dénombrement de Franquet, plusieurs centaines d’habitants avaient déjà émigré à l’île St-Jean et un certain nombre à l’île Royale, comme l’indique le journal de La Roque. Un dénombrement des habitants de l’Acadie française ou des villages de l’isthme, fait le 31 janvier 1752, indique une population de 1,473 âmes réparties comme suit : Baie Verte, 5 ; Pont-à-Buot, 5 ; Weskak, 64 ; Pré-des-Bourg, 24 ; Les Richard, 40 ; Tintamarre, 152 ; La Coupe, 34 ; Le Lac, 78 ; Beauséjour, 114 ; Memeramcouk, 246 ; Petkoudiack, 352 ; Chipoudy, 359.

Un autre dénombrement des Acadiens réfugiés, fait à la même date, nous donne les chiffres suivants pour le même district : Les Gaspareaux, 83 ; Baie Verte, 127 ; Le Portage, 18 ; Pont-à-Buot, 92 ; La Coupe, 15 ; Le Lac, 421 ; Pointe-à-Beauséjour, 93 ; Weskak, 37 ; Pré-des-Bourg, 37 ; Les Richard, 24 ; Tintamarre, 120 ; Memeramcouk, 46 ; Chipoudy, 8 ; Petkoudiack, 1. — Total, 1,113 âmes.

Or, ce total de 1,113 réfugiés ajouté aux 1,473 âmes du dénombrement du 31 janvier 1752, indique qu’à cette date, la population était de 2,586 âmes.

Pendant les trois années qui suivirent, le nombre des réfugiés fut doublé par les Acadiens qui quittèrent les districts de Port-Royal, des Mines, de Piziquid et de Cobequid. Mais après la reddition de Beauséjour le 16 juin 1755, un fort courant d’émigration se dirigea du côté de l’île Royale et de l’île Saint-Jean.

Dans un mémoire du juge Belcher lu devant le Conseil à Halifax le 28 juillet 1755, il est dit que la population de la Nouvelle-Écosse et de l’isthme de Chignictou, était à cette époque de 8,000 âmes. Le 11 août 1755, le lieutenant-gouverneur Lawrence dit dans sa circulaire aux gouverneurs des colonies britanniques en Amérique : « La population doit être de 7,000 âmes environ. » Le chiffre de 10,000 serait plus exact, car près de 7,000 furent faits prisonniers et déportés et les autres s’enfuirent dans les bois ou se réfugièrent à la rivière Saint-Jean, à Miramichi, à l’île Saint-Jean, etc. Au-delà de 1,500 qui échappèrent à la déportation se réfugièrent dans la province de Québec où ils furent rejoints par un nombre aussi considérable qui revinrent des colonies de la Nouvelle-Angleterre pendant les années 1766, 1767 jusqu’à 1775 et se fixèrent dans cette province. Il doit donc y avoir aujourd’hui plus d’Acado-canadiens dans la province de Québec que d’Acadiens dans les provinces maritimes où ils forment une population de 140,000 âmes.

Il y a aussi beaucoup d’Acadiens à la baie Saint-Georges de Terre-Neuve, à Saint-Pierre et Miquelon, aux îles de la Madeleine et sur les côtes du Labrador, sans compter plusieurs autres milliers qui habitent la Louisiane et le grand nombre disséminé dans les autres états de la république voisine. Un grand nombre d’habitants de la Colombie-Anglaise, du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de la province d’Ontario, sont d’origine acadienne. En fait, il se trouve des Acadiens partout, même en France.

Les archives coloniales des provinces de la baie du Massachusetts, de New-York, du Connecticut et de la Pennsylvanie, démontrent que des lois furent édictées pour secourir et mettre en apprentissage les malheureux Acadiens déportés dans l’automne de 1755.

Les lois de la Législature du Massachusetts, relatives à ce sujet, sont reproduites dans l’appendice E.

Le 20 février 1756, la Chambre d’assemblée de Philadelphie vota un projet de loi intitulé « Acte à l’effet de placer les habitants de la Nouvelle-Écosse déportés dans cette province, dans les comtés de Philadelphie, de Bucks, de Chester et de Lancaster et dans les bourgs d’iceux, et de prendre des mesures à cette fin. » Le même jour cet acte fut soumis à l’approbation du gouverneur.

Le 3 mars deux membres de la Législature furent délégués auprès du gouverneur pour savoir si celui-ci avait pris une décision au sujet du projet de loi concernant les Français neutres. Le gouverneur répondit que le Conseil considérait cette mesure dans le moment même et celle-ci après avoir subi sans objection une seconde lecture, fut renvoyée à la Chambre des représentants avec l’approbation du gouverneur.

Le vendredi, 5 mars, le secrétaire du Conseil fut délégué pour annoncer verbalement à la Chambre des représentants que le gouverneur s’était rendu à la chambre du Conseil pour y recevoir la députation et sanctionner le projet de loi concernant le placement des Français neutres. L’orateur accompagné de tous les représentants s’était rendu auprès du gouverneur, il plut à celui-ci de donner la sanction législative au dit bill auquel le grand sceau fut ensuite apposé ; puis celui-ci fut déposé en greffe.

Un autre bill intitulé : « Loi relative à la mise en apprentissage et à l’établissement des habitants de la Nouvelle-Écosse, déportés dans cette province et qui n’ont pas encore atteint l’âge de majorité, ainsi qu’à l’entretien des vieillards, des malades, des infirmes, aux frais de la province, » fut voté et sanctionné par le gouverneur en Conseil le vendredi, 14 janvier 1757. Cette loi fut confirmée par le roi à la cour de Kensington, le 16 juin 1758.

Dans les Colonial Records of Connecticut, vol. 10, p. 245, nous lisons :

« Attendu que, dans l’intérêt public et pour la sécurité des colonies américaines de Sa Majesté, des mesures sont prises pour expulser les habitants français de la Nouvelle-Écosse et les disposer dans d’autres endroits :

« Il est résolu par cette assemblée, que si par suite de la mise à exécution de ce projet, des Acadiens sont envoyés dans cette colonie (voir copie de l’acte à l’appendice C) avec l’espoir d’y être accueillis et secourus, Son Excellence le gouverneur donne des ordres, à leur arrivée, pour qu’ils soient accueillis, secourus et installés dans un endroit ou des endroits de cette colonie, dans les conditions qui paraîtront les plus avantageuses ; ou pour leur renvoi ailleurs, et en ce cas, que des mesures soient prises pour opérer leur translation. »

Cette résolution fut adoptée au mois d’octobre 1755 et c’est le seul endroit connu, où des moyens furent pris pour recevoir les Acadiens chassés de la Nouvelle-Écosse. Les gouvernements des autres provinces se sont plaints de n’avoir pas été prévenus du projet de Lawrence de leur expédier des contingents d’Acadiens.

Cependant, les gouvernements pouvaient difficilement ne pas connaître le projet d’expulsion des Acadiens, car le fragment suivant d’une lettre, datée d’Halifax, 9 août 1755, publiée dans la New York Gazette, le 25 du même mois et dans la Pennsylvania Gazette le 4 septembre 1755, n’a pas dû échapper à leur connaissance.

Le voici :

« Nous formons actuellement le noble et grand projet de chasser de cette province les Français neutres qui ont toujours été nos ennemis secrets et ont encourager nos sauvages à nous couper la gorge.

« Si nous pouvons réussir à les expulser, cet exploit sera le plus grand qu’aient accompli les Anglais en Amérique, car au dire de tous, dans la partie de la province que ces Français habitent, se trouvent les meilleures terres du monde. Nous pourrions ensuite mettre à leurs places de bons fermiers anglais, et nous verrions bientôt une abondance de produits agricoles dans cette province. »

L’Assemblée législative de la colonie de New-York vota un bill intitulé : « Loi pour donner le pouvoir aux juges de paix des comtés de Westchester, de Suffolk, de Queens, de Kings et de Richmond de placer en apprentissage, ceux des sujets de Sa Majesté appelés Français neutres, qui ont été déportés de la Nouvelle-Écosse dans cette colonie et distribués dans les comtés susdits. »

Le bill fut envoyé au Conseil le 1er  juillet 1756 pour y recevoir son adhésion. Et le vendredi, 9 juillet 1756, le gouverneur le sanctionna en présence du Conseil et de l’Assemblée législative.

Les minutes des assemblées du Conseil donnent les noms des déportés et indiquent à quels endroits ils furent envoyés, avant que ne fut adopté le bill relatif à leur mise en apprentissage. Des mesures ont été prises pour se procurer une copie de ces listes.

Pendant que les négociations pour la paix se poursuivaient à Versailles, les Acadiens qui se trouvaient à Liverpool (Angleterre), envoyèrent par un Irlandais qui avait épousé une Acadienne, une lettre au duc de Nivernois, plénipotentiaire de Louis XV à Londres, pour lui exposer leur pénible situation.

Immédiatement après avoir reçu cette lettre le duc confia une mission secrète à M. de la Rochette. Celui-ci partit de Londres le 26 décembre 1762 et arriva à Liverpool le 31 du même mois ; il y trouva 224 Acadiens et apprit qu’il s’en trouvait d’autres à Southampton, à Penryn et à Bristol. Aussitôt revenu à Londres, le duc l’envoya dans tous ces endroits ; il constata qu’il y avait 219 Acadiens à Southampton, 159 à Penryn, 184 à Bristol et environ 80 à bord des corsaires anglais formant avec ceux de Liverpool un total de 866 âmes, débris de 1500 déportés qui furent envoyés dans ces endroits en 1756 ; la plus grande partie des autres étant morts de la variole peu de temps après leur arrivée. De la Rochette les assura que des mesures étaient prises pour leur translation immédiate en France où le roi les recevrait à bras ouverts. Le printemps suivant ils furent transportés à St-Malo et à Morlaix.

En apprenant qu’ils seraient bientôt transportés en France, quelques Acadiens de Liverpool écrivirent à leurs parents et à leurs amis qui se trouvaient à Baltimore, à Philadelphie, à New-York, à New-Haven, à Boston et ailleurs dans les colonies anglaises, pour leur apprendre cette nouvelle et les engager à demander aussi leur translation en France. Des copies de lettres écrites aux Acadiens de Philadelphie, furent envoyées à quelques-uns de leurs compatriotes détenus à Halifax.

Ces lettres furent saisies par les fonctionnaires du gouvernement à Halifax ; la teneur en fut communiquée au gouverneur en Conseil et des duplicatas en furent envoyés en Angleterre. Il se trouve des copies de ces duplicata au Bureau des Archives du Canada ; elles sont reproduites dans l’appendice F. Elles nous font connaître que ceux qui voulaient passer en France furent requis de préparer des listes des chefs de famille, contenant aussi le nombre d’enfants de chacune, et de les faire parvenir ensuite à une personne dont le nom est donné, laquelle devait les envoyer en France aux autorités. À part ceux du Massachusetts, je ne sais si les autres Acadiens dispersés dans les différentes provinces anglaises d’Amérique, profitèrent de cette occasion de sortir de leur captivité. Ceux du Massachusetts préparèrent leur liste et la présentèrent au gouverneur. Les sources de renseignements que nous possédons, ne nous apprennent pas pourquoi ces Acadiens ne passèrent pas en France, après en avoir si fortement exprimé le désir. Il est probable que le gouvernement de la métropole repoussa leur demande. Ces gens étaient si certains d’obtenir la permission de partir, qu’ils quittèrent les bourgs dans lesquels ils avaient été placés et se rassemblèrent en grand nombre à Boston, où ils causèrent des embarras aux autorités. Il semble que le gouverneur du Massachusetts, en prévision d’une réponse favorable de la part du gouvernement de la métropole, accorda la permission à plusieurs familles de noliser des navires et de se rendre à Saint-Pierre-Miquelon. Le recensement des Acadiens qui habitaient ces îles au mois de mai 1767, nous donne les noms de ceux qui s’y étaient rendus de Boston. Il y avait à cette époque, 103 familles acadiennes à St-Pierre-Miquelon formant une population de 551 âmes. C’est un recensement très important qui avec le nom du chef de famille indique aussi l’endroit d’où il est venu, soit de Boston, de Chédabouctou, de Piziquid, de la Pointe-à-Beauséjour, de l’île St-Jean, etc. ; il s’y trouve en outre les noms et les âges des parents et des enfants. Ce recensement est dans l’appendice G.

Le 13 octobre 1755, une flotte de dix transports chargés de 960 Acadiens prisonniers, partit de Chignictou pour le bassin des Mines, avec ordre de faire voile de cet endroit pour la Géorgie et la Caroline du Sud.

Durant le mois de décembre de la même année, deux vaisseaux de cette flotte arrivèrent à Savannah avec environ 400 Acadiens qui, d’après l’histoire de la Géorgie, par Stevens, « furent distribués dans la province par petits contingents, et entretenus jusqu’au printemps, aux frais de la population. Le gouverneur leur permit alors de se construire des bateaux et au mois de mars ils partirent presque tous pour la Caroline du Sud. Deux cents s’embarquèrent sur des bateaux avec l’espoir de réussir à atteindre leur Acadie bien aimée. »

Quelques-uns seulement arrivèrent à destination ; car soixante-dix-huit qui débarquèrent à Long Island (New-York), furent empêchés d’aller plus loin, comme nous l’apprend la lettre suivante du gouverneur Hardy adressée aux lords du Commerce.

« Fort George, N. York, 5 sept. 1756.


« Milords,


« Le jeudi, 22 août, soixante-dix-huit Français neutres sont arrivés à Long Island sur des bateaux. Aussitôt averti de leur présence, j’ai donné ordre de saisir leurs embarcations et de les arrêter tous. Après les avoir interrogés, j’ai découvert que c’était un parti de Français neutres envoyés par Lawrence à la Géorgie ; ils avaient obtenu du gouverneur de cette province des passeports pour se rendre à la Caroline du Sud. Le gouvernement de cet endroit ne se souciant pas de les avoir à charge leur délivra d’autres passeports pour aller plus loin vers le nord ; de là, côtoyant le rivage, ils ont réussi à atteindre Long Island avec l’intention de retourner à la Nouvelle-Écosse. J’ai cru devoir les empêcher de mettre ce projet à exécution et pour cela je les ai fait disperser dans les parties les plus reculées de cette colonie et les plus propres à les faire tenir en tutelle. J’ai demandé en même temps aux magistrats de donner de l’ouvrage à ceux qui sont capables de travailler, et de placer les enfants en apprentissage chez des personnes qui en prendront bien soin. C’est le moyen le plus sûr d’en faire de bons sujets.

« J’ai l’honneur d’être de Vos Seigneuries le très humble et le très obéissant serviteur,

« Chas. Hardy. »


D’autres Acadiens se rendirent jusqu’à Boston où le lieutenant-gouverneur Phips les empêcha de continuer leur voyage.

Dans une lettre datée de Boston, 23 juillet 1756 et adressée au lieutenant-gouverneur Lawrence, Phips dit :

« Je viens d’apprendre que sept bateaux portant quatre-vingt-dix habitants français de la Nouvelle-Écosse, sont arrivés à un port dans le sud de cette province, après avoir longé le rivage depuis la Géorgie ou la Caroline du Sud, où votre gouvernement les avait déportés. Après avoir fait saisir leurs bateaux, je les ai fait arrêter et j’en ai envoyé trois ou quatre à Boston pour y subir un interrogatoire.

« Votre Excellence n’ignore pas sans doute, que nous avons reçu et entretenu ici un très grand nombre de déportés, nombre bien audessus de celui que nous aurions dû recevoir, s’il eut été compris d’en faire une part égale à toutes les provinces. Votre Excellence sait aussi que ce nombre est beaucoup plus élevé que celui qui nous était destiné au début. Malgré cela, je suis absolument convaincu qu’il serait dangereux de les laisser donner suite à leur projet. L’Assemblée législative doit se réunir le 11 août et comme le Conseil a raison de croire qu’elle refusera de pourvoir à l’entretien de ce nouveau contingent de déportés, j’ai été chargé d’écrire à Votre Excellence pour lui demander de défrayer, à l’avenir, le coût de l’entretien de ces gens afin qu’ils ne soient plus un fardeau pour cette province. »

Deux lettres de Vaudreuil, reproduites dans l’appendice H, nous disent que le 16 juin 1756, cinq familles acadiennes composées de 50 âmes, arrivèrent de la Caroline du Sud à la rivière St-Jean et qu’elles formèrent Boishébert que quatre-vingts autres exilés les suivaient. Il s’agissait de ceux dont il est fait mention dans la lettre écrite par Phips à Lawrence. Ces lettres de Vaudreuil nous fournissent aussi d’autres renseignements tout à fait nouveaux, à l’égard des Acadiens déportés dans les États du Sud.

Il serait trop long dans cet introduction, de suivre les Acadiens à travers leurs transmigrations dans les colonies anglaises où ils furent déportés ; il sera peut-être possible de le faire quand j’aurai terminé la présente tâche. J’ai consacré beaucoup de temps à ce sujet, fort peu connu des historiens. Il est en outre impossible de dresser les généalogies des familles acadiennes, sans une connaissance approfondie de leurs déplacements. Les archives du Massachusetts contiennent des renseignements très précieux au sujet des Acadiens qui y furent déportés et ensuite dispersés dans les différents bourgs de cette province. Il y a des centaines de listes contenant leurs noms, dont plusieurs indiquent aussi les âges, ceux des enfants et les noms des bourgs où les déportés avaient été placés, etc.

On fait actuellement des recherches dans les autres villes des États-Unis, où les Acadiens furent déportés pour obtenir de semblables données généalogiques.