Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 3p. 423-433).


APPENDICE V


(Extrait du MS. inédit de Mgr Richard)


LES RICHARD


La piété filiale me fait un devoir de consacrer à la mémoire de mes ancêtres paternels un chapitre spécial dans mes recherches. Mais ils portent un nom si répandu par tout le pays, que je ne puis ne pas embrasser dans un coup d’œil général, cette nuée de compatriotes, héritiers d’un nom illustre dans l’histoire, et que je vois épars dans les villes et les campagnes, livrés au commerce, à l’industrie, à l’agriculture, aux professions libérales.

Je trouve des Richard à Montréal, à Québec, à l’Ange-Gardien, au Château-Richer, à la Baie St-Paul, à St-Valier, à Ste-Foye, à la Pointe-aux-Trembles, à Boucherville, à vingt autres endroits. D’après les recherches faites par Mgr Tanguay, ils descendent de plus de vingt souches différentes, venus de tous les points de la France et arrivés successivement au Canada de 1669 à 1776.

La Normandie, la Bretagne, le Poitou, la Champagne, la Touraine, le Limousin, les villes de Paris et de Lyon ont tour à tour envoyé des Richard au Canada. Mais c’est la Saintonge qui paraît en avoir fourni le plus fort contingent.

Les uns étaient soldats, d’autres charpentiers, celui-ci notaire, celui-là meunier ; le plus grand nombre cependant étaient agriculteurs. Il y eut même un prêtre missionnaire, François Richard, S. J., mort desservant de la cure de Batiscan en 1751.

On couvrirait de grands in-folios, si l’on voulait seulement citer leurs noms avec celui de leurs femmes et de leurs enfants. Mais il n’entre pas dans mon plan de suivre les développements des branches canadiennes de la famille Richard. J’aurai assez à faire de montrer ceux de la branche acadienne à laquelle je tiens par mon ascendance directe.

Quoique, depuis mon bisaïeul jusqu’à mon père, les alliances aient été contractées avec des canadiennes, je suis cependant demeuré acadien par le caractère et par le cœur ; et, aujourd’hui que mes études m’ont mis en état d’apprécier mieux que jamais la pureté et la noblesse de ce sang des confesseurs de la foi de 1755 qui coule encore dans mes veines, je suis fier de me dire Acado-canadien,


LE PREMIER RICHARD ACADIEN


Nous avons dit que la Saintonge avait donné plusieurs Richard au Canada, c’est aussi probablement de cette province de France qu’était originaire le premier acadien de ce nom, Michel Richard, dit Sans Soucy, venu avec l’expédition Le Borgne et Guilbeau en 1654 et arrivé à Port-Royal tout juste pour être témoin de la prise de la place par Robert Sedgwick, 16 août 1654.

Michel Richard était alors un jeune homme de 24 ans, dans toute la vigueur de l’âge, qui venait chercher fortune sur la terre d’Amérique, mais en n’y apportant que la force de ses bras. Il se mit immédiatement à l’œuvre en travaillant au défrichement d’une terre que lui concéda le nouveau seigneur Le Borgne dont les Anglais avaient reconnu les titres de propriété.

Bientôt il voulut se marier, mais les filles françaises étaient rares dans la colonie ; et, dans les quelques familles établies à l’Acadie, depuis un peu plus longtemps, celles qui arrivaient à l’âge de puberté trouvaient vite à se marier. Regardant donc autour de lui, Michel Richard vit que la petite Madeleine Blanchard, fille de Jean Blanchard et de Radégonde Lambert, qui arrivait à sa douzième année, pourrait bientôt lui faire une bonne compagne. En effet, il célébrait son mariage au plus tard vers 1656 ; car au recensement de 1671, l’aîné de ses fils, René, est déjà âgé de 14 ans.

Ce même recensement fait constater que Michel Richard, arrivé à peine à 41 ans, était devenu un des habitants les plus aisés de Port-Royal par le nombre d’arpents qu’il a mis en valeur, 14 ; et par le lot d’animaux qui remplissait ses étables, 15 bêtes à cornes et 14 moutons.

Autour de sa table se rangeaient déjà sept ou huit enfants, savoir :

René, né en 1657, âgé de 14 ans ;

Pierre, né en 1661, 10 ans ;

Catherine, née en 1663, 8 ans ;

Martin, né en 1665, 6 ans ;

Alexandre, né en 1668, 3 ans ;

Marie-Anne et Madeleine, jumelles, nées en 1671.

Le bonheur et l’aisance commençaient à sourire à cette famille qui continua à se développer par la naissance de nouveaux enfants : Marie, née en 1674 ; Cécile, née en 1676 ; Marguerite, née en 1679. Mais la mort prématurée de M.-Madeleine Blanchard qui dut quitter cette terre vers l’an 1679, alors qu’elle n’avait même pas encore atteint sa quarantième année, vint plonger cette famille dans le deuil et couper court à ses progrès. Durant son veuvage qu’il prolongea plus de trois ans, Michel Richard s’occupa activement de l’établissement de ses fils.

Dès l’année 1674, Jacob Bourgeois avait fondé la colonie de Beaubassin ; Michel Richard songea aussitôt à y prendre des terres pour y placer quelques-uns de ses garçons. Nous verrons plus tard Martin y devenir le chef d’une fort intéressante famille.

En 1680, Pierre Mélanson et Pierre Thériot ouvraient l’établissement des Mines. Comme ce dernier endroit était tout aussi propice à la colonisation que Beaubassin, et que de plus, il avait l’avantage d’être plus à proximité de Port Royal, les nouveaux colons s’y portèrent en grand nombre, et Michel Richard fut encore un des premiers à diriger ses enfants vers ce centre de colonisation.

Il est probable que Pierre son cadet, y travaillait en 1686, lorsqu’on fit le recensement de Port Royal, et qu’il était retenu chez son père, lorsqu’on fit celui des Mines ; car il ne figure ni à l’un ni à l’autre endroit.

Pendant ce temps-là la famille de Michel Richard commençait à se disperser. François Brossard, colon nouvellement arrivé à Port Royal, lui demandait, en 1678, la main de sa fille ainée, Melle Catherine ; et c’est ainsi que la famille Brossard, devenue plus tard une des plus importante de la colonie de Chipondy, se trouve alliée à la famille Richard par la première grand’mère acadienne.

Deux ans plus tard en 1680, René, l’aîné de ses garçons établi à Port Royal, épousait Madeleine Landry, fille de René et de Perrine Bourg. Bientôt ce fut le tour de sa fille cadette, Marie Anne, que Germain Thériot, né en 1662, fils de Claude à Jean et de Marie Gautrot, épousait en 1665. Germain Thériault habita d’abord Port Royal, puis il devint un des premiers colons de Cobequid. Vers le même temps, Madeleine, jumelle avec Marie-Anne, était demandée en mariage par Charles Babin, fils d’Antoine et de Marie Mercier. Ce jeune couple demeura une couple d’années à Port Royal ; Mais Charles Babin s’était approprié une terre aux Mines et il ne tarda pas à aller l’exploiter.

Cependant Michel Richard n’avait pas attendu le mariage de ses deux filles pour songer à convoler en secondes noces. Quoiqu’il dépassait la cinquantaine et qu’il eût encore avec lui cinq ou six enfants, depuis deux ans déjà, il avait eu l’étrange fantaisie d’épouser une fillette à peine âgée de 15 ans, Jeanne Babin, fille d’Antoine et de Marie Mercier. Par le fait de cette alliance, il se trouvait être à la fois le beau-père et le beau-frère de Charles Babin.

Quant à ses trois autres garçons, comme ils eurent à préparer leurs établissements avant de songer à se marier, ce n’est qu’après le recensement de 1686 que nous les trouvons à la tête de familles distinctes.

Pierre prit sa femme, Marguerite Landry (1687) chez le beau-père de René, et il paraît avoir demeuré constamment aux Mines, ainsi que tous ses enfants.

Martin, épousa vers 1689 Marguerite Bourg (née en 1668), fille de François et de Marguerite Boudrot. Lors du recensement de 1686 Marguerite Bourg avait déjà perdu son père et sa mère, et elle demeurait chez son grand-père, Antoine Bourg.

Elle avait un frère du nom de Michel qui fut marié à Élisabeth Mélanson. Martin Richard et son beau-frère Michel Bourg allèrent habiter Beaubassin.

Alexandre, né en 1668, resta à PortRoyal où il épousa vers 1690, Élisabeth Petitpas, fille de Claude et de Catherine Bagard, (ou Bugueret).

Il restait encore à Michel Richard trois filles du premier lit ; Marie, née en 1674, qui épousa vers 1694, Michel Vincent, fils de Pierre et d’Anne Gaudet. Michel Vincent alla s’établir à Pigiguid. Marguerite, née vers 1679, qui épousa vers 1696 Jean Leblanc, fils de Jacques à Daniel et de Catherine Hébert, habitant de St-Charles des Mines. Cette Marguerite Richard serait la grand-mère de Charles Leblanc, le fameux millionnaire de Philadelphie ! Quant à Cécile, née vers 1676, elle a dû mourir jeune avant d’arriver à l’âge de se marier.

C’est donc encore Michel Richard i qu’au recensement de 1686, nous trouvons marié à Jeanne Babin et recommençant courageusement la génération d’une nouvelle famille dont le petit Michel, alors âgé de deux ans, forme les prémices. Michel Richard avait alors 56 ans et sa femme 18.

D’après M. Pl. Gaudet, Michel Richard aurait eu de Jeanne Babin (a) six garçons et deux filles. (a) Devenue veuve à un âge encore jeune, Jeanne Babin épousa en secondes noces Laurent Doucet.

Mais de ces huit enfants du second lit, nous ne connaissons sûrement que Michel ci-haut, qui prit le surnom de Lafont et qui épousa à Port Royal, le 25 février 1707 Agnès Bourgeois, née en 1685, fille de Germain et de Madeleine Dugas ; et Alexandre, né vers 1686, établi à Port Royal et qui maria le 26 décembre 1711, Marie Madeleine Levron, veuve de Jean Garceau et fille de François Levron dit Nantais et de Catherine Savoie.

Le recensement de 1714, bien que nécessairement incomplet, est cependant un document à étudier pour se rendre compte des développements de la famille de Michel Richard i. À cette époque, non seulement tous ses enfants du premier lit étaient mariés depuis plusieurs années, mais déjà leurs familles commençaient à se dédoubler par le mariage des aînés. Cependant, il n’y a pas de doute que quelques-unes de ces familles n’aient eu beaucoup à souffrir des invasions successives des Anglais en 1704, 1707 à 1710, et de la peste de 1703.

Michel Richard était mort avant 1707, ainsi que le prouve l’acte de mariage de son fils Michel ii avec Agnès Bourgeois. Il est donc probable que la veuve Richard, signalée à l’article 4 du recensement de 1714 est Jeanne Babin. On lui donne quatre garçons et deux filles. Il est possible qu’elle eut encore avec elle ce nombre d’enfants. Mais comme ce recensement ne fait pas mention de son fils Alexandre, marié le 26 décembre 1711 à Marie Levron, il est probable que c’est parce que celui-ci demeurait avec sa mère que son nom aurait été omis. Dans cette hypothèse, le nombre des enfants du second lit chez Michel Richard serait ramené à cinq garçons et deux filles.

Il n’est pas question de la famille de René Richard dans ce recensement de 1714. Était-elle éteinte ou avait-elle émigré à l’Île Royale ?… En effet, durant l’été de 1714, des agents du gouverneur de Louisbourg s’étaient tenus à Port Royal pour favoriser l’exode des Acadiens ; et les mesures tyranniques et arbitraires de Nicholson qui commandait à Annapolis, forcèrent plusieurs habitants à émigrer. Il est donc probable que quelques membres de la famille de René Richard suivirent le courant qui portait les Acadiens vers le Cap Breton. Mais, d’un autre côté, il est certain qu’il en restait encore au moins un à Port Royal en 1714, témoin cette lettre des Acadiens au major Caulfield, 22 janvier 1715, sur laquelle figurent les signatures de deux Michel Richard. Évidemment c’est le fils de René qui alors pouvait avoir 34 ans et celui de Michel ier qui en avait 31, qui ont signé cette lettre. Je suis donc incliné à adopter l’opinion de M. Pl. Gaudet qui prétend que la veuve Beaupré, mentionnée à l’article ii du recensement de 1714 n’est autre que Madeleine Landry, épouse de René Richard, qui aurait adopté le surnom de Beaupré, et que les trois DeBeaupré qui suivent, Pierre, Renée et Michel, sont ses enfants : contrairement à l’affirmation de M. Rameau qui croit que cette veuve Beaupré est Marie-Anne Martignon, veuve de Guillaume Bourgeois.

M. Gaudet appuie son opinion sur le fait qu’un descendant de cette famille Richard qui est allé s’établir à Memramcouk après la dispersion, était connu sous le nom de Petit René de Beaupré.

Mais un fait absolument concluant contre l’opinion de M. Rameau, c’est la présence sûrement constatée à Port Royal en 1714, des trois frères Richard, ayant chacun un enfant, tel que le montre un recensement à l’endroit de ces Beaupré, qui par dessus le marché portent les prénoms des trois Richard ; Michel, femme et un garçon, René, fem. et une fille ; Pierre, fem. et un garçon.

Voici un petit tableau collationné d’après les données des recensements de 1686 et 1714, et de notes supplémentaires fournies par M. Pl. Gaudet, qui va nous montrer combien sont légitimes les traditions de ces centaines de familles, aujourd’hui éparses dans la Province de Québec, dans les provinces maritimes et ailleurs qui se réclament comme descendantes de Michel Richard i dit Sans Soucy.

1o René, né en 1657, marié vers 1680, à Madeleine Landry, (de René et de Perrine Bourg) demeurant tantôt à Port Royal, tantôt aux Mines, eut cinq garçons.

2o Pierre, né en 1661, m. vers 1687 à Marguerite Landry (de René et de Perrine Bourg) paraît avoir toujours demeuré aux Mines, ainsi que ses enfants. Il eut 7 garçons et trois filles.

3o Martin, né en 1665, m. vers 1688 à Marguerite Bourg (de François et de Marguerite Boudrot) habitant de Beaubassin, eut six garçons et trois filles.

4o Alexandre, senior, né en 1668, m. vers 1690 à Élisabeth Petitpas (de Claude et de Catherine Bugard) resta à Port Royal et eut trois garçons et cinq filles.

Du second lit : 5o Michel, né en 1684, marié à Port Royal, 25 février 1707, à Agnès Bourgeois : cinq garçons et trois filles.

6o Alexandre, junior, né vers 1688, m. 26 déc. 1711, à Marie Madeleine Levron, n’avait encore qu’un enfant en 1714. Quand plus tard sa famille sera complète il aura 3 garçons et 3 filles.


Chez les cinq gendres de Michel Richard, les familles ne sont pas moins patriarcales. François Brossard, époux de Catherine, célèbre par la part active qu’il prit à la fondation de Chipondy en 1700, eut cinq garçons et quatre filles. Germain Thériault, époux de Marie-Anne, habitant de Cobequid, 5 garçons et 5 filles. Charles Babin, époux de Madeleine, habitant des Mines, paroisse de St-Charles, eut six garçons et deux filles. Michel Vincent, époux d’Anne, habitant de Pigiquid, trois garçons et 5 filles. Jean Leblanc des Mines, époux de Marguerite, plusieurs garçons et plusieurs filles.

Ce tableau nous montre la famille Richard s’alliant dès la première génération aux plus anciennes familles acadiennes : Bourg, Bourgeois, Babin, Landry, Leblanc, Petitpas, Thériault, etc. Il nous fait constater l’appoint énorme fourni par une seule famille au grand désastre de la déportation.

En effet, si cinq des fils de Michel Richard, mariés de 1680 à 1710, ont pu produire les éléments de 25 ou 26 nouvelles familles et que celles-ci à leur tour, de 1710 à 1755, ont pu continuer leur développement naturel, les chiffres donnés par les statistiques sur le nombre des Richard chassés de l’Acadie, n’ont plus rien qui étonne.


LE SECOND RICHARD ACADIEN


Cependant il est à propos d’observer qu’un rameau tout à fait étranger à la branche de Michel Richard est venu s’implanter à Port Royal vers 1710.

François Richard, originaire de la ville de Dorez (d’Auray) en Bretagne, fils de Jean Richard marchand et d’Anne Christin, tel est le nom de ce nouvel acadien, appelé directement de France pour protéger l’Acadie contre l’Anglais ; mais qui arrive lui aussi, tout juste pour être témoin de la prise de Port Royal par Nicholson.

François Richard, suivant les traces de son homonyme, échangea l’arme du soldat contre la hache du défricheur et il ne tarda pas à épouser une acadienne, Anne Comeau, fille de Jean et de Françoise Hébert, et veuve de Louis D’Amour d’Échauffour, qui bientôt lui apporta en dot plusieurs gros garçons. Le recensement de 1714 lui en donne déjà trois. En effet, l’article 54 portant simplement : « Richard et femme trois garçons », désigne évidemment François Richard marié à Port Royal à Anne Comeau.

Au reste, les époux Richard-Comeau ne paraissent pas avoir été longtemps en ménage ; Anne Comeau fut inhumée à P. R, 7 août 1722, et dès le 26 octobre de cette même année, François Richard convolait en secondes noces, avec Marie Martin, fille de René et de Marie Menier.

Un Richard qui mérite une mention spéciale dans ces notes, c’est le vieux René, marié vers 1710 à Marguerite Thériot et enterré à Bécancourt le 26 déc. 1776. Son acte de sépulture porte qu’il était âgé de 97 ans !… Évidemment il y a ici une erreur de près de dix ans ; car à ce compte-là il serait né en 1679 et il faudrait en faire le fils de Michel Richard I et de Madeleine Blanchard.

Les statistiques données plus haut en font le petit-fils de Michel I, par René et Madeleine Landry. Or celui-ci n’était pas encore marié en 1679, et au recensement de 1686, il n’est pas encore question de son fils René. On voit apparaître celui-ci sur la scène en 1714. Alors il est marié, père de deux enfants et il réside aux Mines.

Cependant, de 1730 à 1753, nous le retrouvons à Port Royal, mariant successivement six de ses enfants.

Mais où demeurait-il quand arriva le « grand dérangement » ? C’est ce qu’il n’est pas facile de déterminer. Il y a de fortes présomptions pour croire que c’était à Port Royal, puisqu’il y était encore le 29 novembre 1753, lors du mariage de son fils, Charles. Cependant comme il est venu finalement partager le sort de la famille de Joseph, on peut présumer qu’il demeurait chez celui-ci en l’année funeste. Or, j’ai déjà eu occasion d’observer que Joseph, marié à Port Royal en 1743, n’avait fait baptiser aucun de ses enfants à cet endroit, et, qu’en conséquence après son mariage, il avait dû aller demeurer, soit aux Mines, soit à Beaubassin.

Je conjecture que ce fut plutôt aux Mines, pour plusieurs raisons : 1o parce que son père y avait des propriétés ; 2o parce que parmi les déportés des Mines, j’en trouve deux qui répondent à son propre nom et à celui de son frère ; 3o parce que en 1768, je retrouve ce frère, René, à Pigiquid, cherchant sans doute à recouvrer son ancienne propriété.

Maintenant la conclusion qui s’impose à de telles prémisses, c’est ce que Joseph Richard et son père René, subirent la déportation dans ce qu’elle eut de plus odieux et de plus inhumain, c’est-à-dire dans la séparation des membres d’une même famille, tel que le rapporte l’histoire pour les malheureux exportés des Mines.

Cependant Joseph Richard vint mourir avec trois de ses enfants, sous les murs de Québec en 1757 ; il avait donc réussi à se joindre aux Acadiens de la Rivière St-Jean que protégeaient les soldats de M. de Boishébert.

Mais il n’en fut pas de même du vieux René. Aux alarmes et aux cruelles séparations de l’automne de 1755, vinrent s’ajouter les ennuis et les profondes misères de l’exil ; c’est à Boston qu’il fut déporté avec sa femme et une fille. Son gendre Paul Leblanc et son fils Charles Richard furent aussi déportés au Massachusetts ; mais qui sait s’ils ont pu se rencontrer et se porter aide et assistance ? car les Acadiens furent dispersés et disséminés dans toutes les localités de l’État ; de Newburyport à Plymouth, et de Boston à Worcester ! Si René Richard a pu rejoindre son fils Charles, ce n’aura été que pour être témoin de son découragement, de sa maladie et de sa mort, arrivée vers 1760 ; car celui-ci ne put résister plus longtemps aux misères et aux privations de cette vie de mercenaire, à laquelle il n’était pas accoutumé.

Les déportés du Massachusetts ne manquèrent aucune occasion de manifester leur attachement à leur foi et à la France. Au mois d’août 1763, apprenant que leurs frères détenus dans les ports d’Angleterre, avaient été rapatriés en France, 178 chefs de famille, parmi lesquels le vieux René Richard, signèrent une lettre exprimant le désir d’être traités comme leurs frères d’Angleterre. Cette demande n’ayant pas eu d’effet, et ayant d’ailleurs appris que leurs frères du Canada étaient traités avec bonté et avec justice par le Gouverneur Murray, ils adressèrent à ce dernier, 2 juin 1766, une requête (sur laquelle figure encore le nom de René Richard) pour être reçus au Canada.

Cette fois la réponse ayant été favorable, un grand nombre d’entre eux prirent leurs mesures pour passer au Canada durant l’été de 1767. Quelques-uns plus pressés de partir et plus courageux, entreprirent de faire le voyage à pied à la raquette, au cours de l’hiver 1766-67 !  ! Il n’est pas vraisemblable que le vieux René Richard ait songé à prendre ce chemin pour venir ici ; il dut attendre les vaisseaux qu’on devait affréter pour les fins de transport des femmes, des enfants, des vieillards et des infirmes, et c’est avec le gros de ses compatriotes qu’il arriva à Bécancourt à l’automne de 1767.

Ce n’étaient pas seulement des connaissances et des amis qu’il retrouvait à Bécancourt, c’étaient les familles de deux de ses enfants. C’était son gendre, Jean-Bte Leprince, veuf de Judith Richard, et remarié à Madeleine Bourg, veuve de Pierre Richard ; c’était sa bru, Madeleine Leblanc, veuve de Joseph, et mariée en 2e à Joseph Leprince, veuf d’Anne Forest. Ces familles, établies au lac St-Paul, depuis 8 ans, n’avaient pas encore recouvré l’aisance des anciens jours ; mais elles commençaient à sortir de misère et elles avaient à elles en propre, des maisonnettes en état de recevoir et d’abriter les malheureux arrivants de l’exil.

René Richard put couler en paix les dernières années de sa vie, mais sa part de tribulation et d’infortune avait été si grande et l’avait si prématurément vieilli, que ses petits-fils ont pu, avec une entière vraisemblance, le croire dix ans plus vieux qu’il n’était en réalité ! Qu’y a-t-il d’étonnant en cela ? La vie de cet Acadien, surtout depuis 1755, s’était écoulée au milieu de tant de vicissitudes et de si tragiques événements !

Dans sa jeunesse, il avait vu la prospérité et les beaux jours de l’Acadie sous la domination française. Dans son âge mûr, il avait été témoin des tracasseries des Gouverneurs anglais d’Annapolis et il avait vu grossir lentement le nuage qui portait la tempête… Il entrait déjà dans la vieillesse, quand éclata la tourmente… Depuis lors et pendant douze années, sa vie n’avait été qu’une suite d’aventures étranges, de tribulations inouïes, de deuils prématurés, de misères morales et physiques de toutes sortes… Encore une fois, il n’y a pas lieu de s’étonner de le voir doubler ses années durant les longs jours de l’exil, vieillir plus que son âge, et, en définitive, contracter des infirmités si nombreuses qu’on put dans son entourage, le croire presque centenaire, quand il n’avait pas même atteint sa 90ième année !

Sa femme, la mère Marguerite (le nom de famille de la veuve Richard avait été oublié de ses petits-fils), suivit d’assez près son mari dans la tombe. Elle fut inhumée à Bécancourt le 28 avril 1777. On lui donne à elle aussi l’âge exagéré de 97 ans.

Mais si René Richard mourut sans connaître le sort de ses autres enfants, il eut du moins la consolation de voir que sa postérité et son nom ne périraient pas avec lui. Déjà la famille de Félicité sa petite-fille, promettait beaucoup, et celle de Michel commençait sous d’heureux auspices.

Hâtons-nous de faire connaissance avec ces familles, pour témoigner l’intérêt et la sympathie que l’histoire de leur ancêtre a si justement provoquées.

Félicité Richard, fille de feu Joseph et de Madeleine Leblanc, née à l’Acadie vers 1747, s. à St-Grégoire, 30 août 1823, âgée de 76 ans, épousa à Béc. 2, 14 janv. 1765, un compatriote du nom de Pierre Beliveau, fils de Joseph et de Marie Gaudet. Dieu bénit cette union en donnant aux époux Beliveau-Richard une nombreuse famille.

Michel Richard  v, né à l’Acadie en 1745, s. 4, 2 février 1829, âgé de 84 ans, s’établit au village Godfroy et eut le titre de concession de sa terre le 23 mai 1770. Il épousa à Nicolet 17 fév. 1772, Madeleine Pellerin, fille de Pierre et de Marie-Josette Beliveau. Enfants :

1e Joseph, b. 2, 19 janv. 1773, est mort jeune.

2e Michel, b. 2, 23 mars 1775, s. 2, 16 oct. 1780.

3e François d’Assise, b. 2, 23 mars 1777, s. 4, 2 janv. 1841, âgée de 65 ans, m. 5, 9 nov. 1801, à Angèle Bourg, (de Joseph et de Marie Bergeron). Issus « François-Xavier », b. 4, 24 mars 1803, m. 4 août 1828, à Angélique Martel « Marie-Julie », b. 5, 26 juillet 1804, m. 4, 6 juillet 1824, à Raphaël Foucault ; « Marguerite », b. 4, 12 mars 1806, m. 4, 18, 25 sept. 1828, à Pierre Bergeron ; « Marie » b. 4, 4 déc. 1807, m. 4, 18 janv. 1841, à Adrien Genest-Labarre ; « Marie-Lucille », b. 4, 19 déc. 1809, m. 2 juillet 1832 à p. 3 x 4 Joseph D. Tourigny. « Pierre », b. 4, 18 sept. 1811 ; « Marie-Madeleine », b. 4 sept. 1813 m. 4, 7 janv. 1833, à Joseph G.-Labarre, (de Joseph et de Made Massé) ; « Michel », b. 4, 16 oct. 1815, s. 4, 9 sept. 1817 ; « Anonyme », s. 25 oct. 1819 ; « Marie-Sophie », b. 4, 23 novembre 1821 ; « Marie-Odile », b. 4, 24 juillet 1824, m. 3 fév. 1845, à Augustin Picher (de Frs. et de Marie Poirier).

4e Marie-Madeleine, b. 2, 24 oct. 1778, morte jeune.

5e Marguerite, b. 2, 27 avril 1780, mariée à Nicolet 5, 21 janv. 1799, à Charles Bourg, (de Simon et de Rosalie Gaudet), morte en 1801, âgée de 21 ans, s. 5.

6e Charles-Auguste, b. aux Trois-Riv., 15 janv. 1782, s. 4, 8 mars 1854 ; m. 5, 8 oct. 1804, à Marie Hébert, (d’Honoré et de Madeleine Prince). Issus : « Chs-Auguste », b. 5, 16 août 1806, m. 4, 17 janv. 1832, à Marie Thibodeau, (de Joseph et de Pélagie Héon) ; « Pierre », b. 4, 2 janv. 1807, m. 4, 9 janv. 1838, à Angélique Cormier, (de Jos. et de M.-Josette Champoux) ; « François », b. 4, 29 nov. 1808, m. 4, 8 nov. 1841, à Mathilde Thibodeau, (de Jean et de Marie Prince) ; « Joseph-Hilaire », b. 4, 9 sept. 1810, m. à Gentilly, 10 janv. 1837, à M.-Lse-Henriette Fournier ; « Honoré-Cathbert », b. 4, 3 juin 1812 ; « Marie-Esther », b. 4, 8 mars 1815, s. 25 août 1817 ; « Louis-Eusèbe », b. 4, 1er Mars, 1817, m. 4, 25 janv. 1841, à Hermine Prince, (de Jos. et de Julie Doucet) ; « Marie-Hélène », jumelle, b. 4, 3 avril 1819, m. 4, 8 nov. 1841, à Olivier Thibodeau, (de Jean et de Marie Prince) ; « Marie-Julie », jum., b. 4, 3 avril 1819, m. 6 fév. 1837, à son p. 3 x 3 Joseph Hébert, (d’Honoré et de Rosalie Breau) ; « Raphaël », b. 4, 3 fév. 1821, m. 4 sept. 1854, à Eulodie Prince, (de Joseph et de Julie Doucet) ; « Marie-Louise », jum., b. 4, 21 juin 1823, m. 4, 17 oct. 1845, à Édouard Prince, (de Joseph etc.). « Marie-Odile », jum., b. 4, 21 juin 1823, m. 10 oct. 1843, à son p. 3 x 3 Pierre Beliveau, (de Pierre et de Louise Hébert) ; « Marie-Lucile », b. 4, 29 sept 1826.

7o Joseph, b. 3, 18 juillet 1784 ; 1o m. 4, 13 fév. 1813, à sa p. 4 x 4, Marie Beliveau, (de Jean-Bte et de Gen. Morin), enterrée 4, 7 avril 1823, âgée de 42 ans. 2o m. 4, 17 août 1824, à Luce Dionne, (de Marcel et de Françoise Dubé). Issus du 1er lit : « Marie-Louise », b. 4, 24 nov. 1813, m. 4, 23 janv. 1838, à Joseph Girard, (de Michel et de Marie Biron) ; « Jean-Baptiste », b. 4, 24 mars 1815, s. 28 mai 1832, âgé d’environ 18 ans ; « Joseph-Louis », b. 4, 19 déc. 1816, m. 4, 15 oct. 1844, à Calixte Landry, (de Noël et de Claire Lord) ; « Marie-Julie », b. 4, 31 oct. 1818, m. 8 avril 1839, à Narcisse Gagnon, de Nicolet, veuf de Marie Bergeron ; « Marie-Madeleine », b. 4, 5 fév. 1821, m. 3 fév. 1845, à Gilbert Prince, (de Jude et de Judith Gagnon). Issus du second lit : « Marie-Odile », b. 4, 15 juillet 1825 ; « Marie-Marguerite », b. 4, 19 fév. 1827 ; « Julienne », b. 4, 19 janv. 1829, s. 20 août 1844, âgée de 16 ans ; « Joseph », b. 4, 16 oct. 1831 ; « Stanislas », b. 4, 6 août 1835 ; "Pierre-Gédéon « , b. 4, 3 sept. 1838 ; » François-Xavier", b. 4, 8 oct. 1840, s. en 1841.

8o Marie-Madeleine, b. 5, 17 mai 1786 ; m. 4, 2 fév. 1807, à Pierre Hébert, (d’Étienne et de Marie Babin).

9o Michel, b. 5, 9 fév. 1790, m. 4, 13 fév. 1821, à Marie-Louise Poirier, (de feu Pierre-Joseph et de déf. Marguerite Bergeron). Issus : « Pierre-Léon », b. 4, 1er août 1824, m. 4 25 oct. 1845, à Marie-Louise Bergeron, (de Pierre et d’Angélique Beliveau ; « Marie-Louise », b. 4, 27 oct. 1826, m. 24 oct. 1848, à Étienne Leblanc, (d’Étienne et de Marie-Lucie Désilets).

10o David, b. 5, 14 sept. 1792, m. 4, 14 fév. 1814, à Marguerite Poirier, (de Joseph et de Marguerite Bergeron). Issus : « Séraphine », b. 4, 23 janv. 1815, m. sous le nom de Marie, 9 janv. 1837, à Alexis Gaudet, (de François et de Didace Beaudet) ; « Anonyme », ond. et s. 18 mars 1816 ; « François-Esdras », b. 4, 15 janvier 1817, s. 23 nov. 1817; « Marie-Julie », b. 4, 27 août 1818, m. 15 fév. 1847, à Eusèbe Doucet, (de Joseph et de Marie Desanges Prince). « Joseph-Sévère », b. 4, 1er sept. 1820, m. 4, 15 fév. 1847, à Marguerite Parenteau, (de Michel et de Josephte Béliveau). « Pierre », b. 4, 1er nov. 1822 ; « Joseph-Julien », b. 4, 21 janv. 1826, m. 4, 13 fév. 1849, à Lucie Leblanc, (d’Étienne et de M. Lucie Désilets). « Charles », b. 4, 31 mars 1828, m. 4, 25 sept. 1860, à Boniface Leblanc, (d’Étienne et de Marie-Lucie Désilets). « Marguerite Delphine », b. 4, 4 sept. 1832, m. 28 sept. 1852, à Moïse Doucet, (de Joseph et de Marie Marié).

Voilà certes une famille qu’il serait intéressant de suivre dans ses développements ! En effet, le travail, l’énergie, l’esprit d’entreprise furent la caractéristique de chacun de ses membres. Elle ne tarda pas à recouvrer une certaine aisance et à acquérir une importance considérable dans la nouvelle paroisse de St-Grégoire où elle compte aujourd’hui de nombreux descendants.

Toutefois, ceux-ci se retrouvent aussi ailleurs et notamment dans les Cantons de l’Est et, depuis quelques années au Manitoba et au Nord-Ouest… Quand, vers 1830, les Bois-francs s’ouvrirent à la colonisation, les petits-fils de Michel Richard furent les premiers à aller s’y établir un domaine. C’est alors que l’un d’eux, feu L’Hon. Louis Richard, devint par son intelligence et son activité l’un des principaux citoyens de Stanfold (Princeville). Non seulement la fortune, mais bientôt les honneurs mêmes vinrent s’asseoir à son foyer. À sa mort, il se trouvait à la tête d’une maison de commerce très florissante ; et la confiance de ses concitoyens l’avait fait appeler à la position de « Conseiller législatif ».

C’est le propre fils de l’Hon. Louis Richard, Édouard, qui vient en 1895, dans un livre aussi consciencieusement conçu que littérairement écrit, qui vient, dis-je, de venger victorieusement les Acadiens, de toutes les calomnies que certains écrivains anglo-américains, comme Akins, Parkman et d’autres après eux, avaient sans pudeur accumulées sur la mémoire des malheureux déportés, pour justifier à leur égard la conduite du gouvernement colonial de Halifax.