Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 3p. 361-373).

CHAPITRE QUARANTE-DEUXIÈME[1]



Longue et fructueuse administration de Michel Franklin (1766-1776). — Ses efforts pour réaliser les vœux de la Métropole et soulager la détresse des Acadiens. — Ceux-ci sont libres de s’établir où il leur plaît, à Prospect, Chezetcook, Isle Madame, Memramcook et autres lieux. — Les d’Entremonts recouvrent leurs anciennes propriétés du Cap Sable. — Un groupe de 800 se réunit à Boston et va se fixer en grande partie à la Baie Ste -Marie.


Il ne restait plus, à la mort de Wilmot, que 1,500 à 2,000 Acadiens dans toute l’étendue de ce qui compose aujourd’hui les Provinces Maritimes. C’était là, après onze années d’une persécution sans exemple dans l’histoire, tout ce qui restait d’une population de 18,000 âmes. Si ceux qui s’y trouvaient alors avaient un instant nourri l’espoir de rentrer en possession de leurs terres, ils purent se convaincre par la manière d’agir de Lawrence, Belcher et Wilmot, qu’ils avaient placé beaucoup trop haut leurs espérances ; aussi, on ne voit nulle part aucune revendication dans ce sens. Les spoliateurs n’avaient plus rien à craindre. L’abjecte misère à laquelle se trouvaient réduits les restes épars de cette population ; la longue série de déceptions qu’on leur avait fait subir, étaient une sauvegarde suffisante pour leurs intérêts.

Michel Franklin, qui succéda à Wilmot, se montra aussi bienveillant envers les Acadiens que celui-ci avait été cruel. Toute son administration nous fait voir qu’il paraissait s’appliquer particulièrement à adoucir leur sort et à leur faire oublier les maux dont ils avaient été accablés. C’était bien là, il est vrai, les ordres positifs du Gouvernement anglais, mais nous avons la preuve, dans tous ses actes et ses paroles, que sa conduite était dictée, plus encore par sa bienveillance naturelle, que par l’esprit de soumission aux ordres de ses supérieurs ou par tout autre motif. Il suffisait que les Lords du Commerce ne fussent plus trompés par des représentations intéressées, pour que leurs ordres ou leurs recommandations fussent empreints de justice et de bienveillance.

« Sa Majesté, lui écrivait Lord Hillsborough, a été heureuse d’apprendre par votre lettre les bonnes dispositions des Acadiens ; ces dispositions doivent être encouragées par toutes sortes de faveurs qui soient d’accord avec le salut public : Vous ne manquerez pas de leur donner les plus entières assurances de la faveur et de la protection de Sa Majesté et de ses bienveillantes intentions… Sa Majesté est pleine de tendresses et d’attentions à l’égard de ceux qui ont fait des établissements au cap Breton, sous la protection de permis temporaires du gouvernement de la Nouvelle-Écosse[2]. »

Toutes les lettres des Lords du Commerce qui suivent celle-ci, sont dans le même esprit, et c’est aussi dans le même esprit que sont dictés les ordres du gouverneur Franklin aux officiers ou magistrats de la Province. Écrivant au colonel Denison, il s’exprime en termes touchants, bien propres à nous faire apprécier hautement les sentiments humains qui l’animaient :

« Quelques-uns des Acadiens du comté de King et de Windsor m’ont informé qu’ils ont été enjoints de faire les exercices avec les milices ; ce qu’ils considèrent comme une charge trop dure pour eux, n’ayant pas d’armes, et étant incapables de les acheter immédiatement, s’il fallait le faire. En conséquence, je désire que vous les exemptiez d’être appelés et de faire ces exercices, jusqu’à ce que vous receviez des ordres contraires. De plus, je dois vous signifier que c’est l’intention du Roi, et que c’est aussi ma volonté, qu’ils soient traités par les officiers du gouvernement, avec toute la douceur et la tendresse possibles en toute occasion[3]. »

Que s’était-il donc passé que tout était ainsi changé ? Comment se fait-il qu’avec Lawrence, Belcher et Wilmot, tout était plainte et appréhension, et que maintenant tout était paix et contentement ! Il ne s’était rien passé, si ce n’est qu’un nouveau gouverneur, rempli de sentiments humains, avait pris la place de ceux qui s’étaient montrés sans entrailles ; si ce n’est encore que ceux qui l’avaient précédé, agissant par des motifs intéressés, avaient à dessein trompé les Lords du Commerce, et mécontenté les Acadiens par des vexations de toute nature. C’est assez clair ; toute l’explication est là. Faux rapports et mauvais traitements de la part de ceux-là ; droiture et bonté de la part de celui-ci. C’était l’administration sage et bienveillante de Hopson qui se répétait sous Franklin. Quant aux Acadiens, ils étaient les mêmes.

Ne serait-il pas permis de croire, que le Gouvernement anglais était alors pleinement informé du sort injuste fait aux Acadiens, et des motifs qui avaient inspiré leurs persécuteurs ? Ces expressions si touchantes de tendresse et de sollicitude, de la part de Lord Hillsborough, nous semblent, sans cette interprétation, sortir du cours ordinaire de ces communications. La conclusion qui dérive de ce fait, peut ne pas être rigoureuse sans doute, mais nous j sommes amenés par d’autres raisons plus puissantes et fort nombreuses. Nous savons par une foule de circonstances, dont quelques-unes ont été données autre part dans cet ouvrage, que la condamnation de la déportation devint à peu près générale à partir de la paix de 1763. Nous savons que, même au temps de Lawrence, le blâme des citoyens d’Halifax était assez prononcé pour inquiéter son auteur, au point de le déterminer à s’en ouvrir à son complice Boscawen. Pour un homme de son audace, qui dans le temps même faisait voir de mille manières le mépris qu’il entretenait pour l’opinion de ses administrés, le fait est d’une haute signification.

Tant que la guerre dura, le monde civilisé n’eut pas le loisir d’entrer dans les causes et les incidents de cette déportation ; mais il en fut autrement lorsque le calme se fit dans les esprits, après la paix de 1763. Le public, témoin des souffrances de ces exilés, de leurs transmigrations, de leurs vains efforts pour retrouver des parents perdus, pour retrouver l’ancienne patrie ou s’en faire une nouvelle, s’émut et s’intéressa à leur sort. Jetés en tous lieux, le monde civilisé put être témoin de la douceur et de la pureté de leurs mœurs, de leurs habitudes paisibles et laborieuses. En présence de cette dislocation des familles, on put voir clairement au moins que cette dispersion avait été cruellement exécutée, on s’étonna qu’ils eussent pu, de près ou de loin, mériter un châtiment aussi barbare ; on s’enquérit du caractère de Lawrence, de Belcher, de Wilmot, et la conviction se lit bientôt dans les esprits, qu’on se trouvait en présence d’un de ces crimes qui souillent l’histoire. La condamnation, — si l’on excepte un petit groupe à Halifax, — devint générale. Les écrivains, ou simplement ceux qui prennent intérêt aux choses de l’histoire, cherchèrent des éclaircissements en remontant aux sources. Les auteurs de la déportation, ou leurs fils, qui avaient la garde des Archives, ou y avaient un accès facile, s’émurent à leur tour ; il fallait s’expliquer, se justifier, ou faire quelque chose pour conjurer l’orage, amoindrir l’odieux et la honte qui menaçaient de les couvrir, et c’est alors que commença cette soustraction de documents qui paraît s’être continuée longtemps.

C’est évidemment cette condamnation générale qui provoqua ces soustractions ; autrement il faudrait supposer qu’on les pratiquait en vue de l’avenir, ce qui serait une preuve encore plus évidente de culpabilité et de la honte qu’on éprouvait.

Enfin, l’effroyable série de désastres qui, depuis onze ans, se précipitaient sur le peuple Acadien, commença à se ralentir. Après avoir été proscrits, transportés, retransportés, poussés et repoussés de misères en misères, ceux qui étaient restés en Acadie purent respirer un instant au milieu des ruines et des morts amoncelées autour d’eux. Chacun alors s’installa comme il le put, dans l’endroit où le sort l’avait jeté. Les prisonniers accumulés autour d’Halifax se portèrent : les uns à Prospect, au sud de la ville, les autres au nord, à Chezetcook, le plus grand nombre sur le détroit de Canso et aux îles Madame ; d’autres se groupèrent sur la Baie des Chaleurs, à Nipisiguy, Caraquette, Tracadie. Les plus favorisés, peut-être, furent ceux qui se fixèrent à Memramcook, sur des terres qui avaient été autrefois occupées par eux, et où ils purent profiter des défrichements déjà faits. Ces terres étaient encore inoccupées à cette époque ; mais elles n’en avaient pas moins été octroyées, comme tout le reste, à des favoris des gouverneurs et de leurs conseillers. Celles-ci l’avaient été à Frederick Wallet Desbarres, qui eut la sage prévoyance de laisser accomplir beaucoup de travaux avant de faire valoir ses droits. Heureusement, ceux qui se fixèrent là n’eurent pas à déguerpir comme ceux qui se fixèrent sur la rivière Saint-Jean. Ils s’obstinèrent dans leur occupation, et un arrangement fut finalement conclu, par lequel ils purent conserver leurs terres moyennant redevance. Desbarres se contenta d’exploiter un autre octroi qui lui avait été fait à Menoudy, où plus tard il loua à des Acadiens les terres dont ils avaient été propriétaires quelques années auparavant[4].

Au nombre des plus fortunés, nous citerons quelques membres de la famille des d’Entremont du Cap Sable. Ceux-ci furent non-seulement remis en possession de leurs terres, mais réintégrés dans leurs titres, et ce fut le commencement de la forte colonie Acadienne qui s’y est développée depuis. Voici à quelle occasion ils durent cette faveur. « Vers 1765, plusieurs membres de cette famille, descendants des anciens barons Pobomcoup, (Pubnico) s’étaient embarqués à Boston, dans l’intention d’aller se fixer à Québec. En passant à Halifax, où leur navire avait fait escale, ils rencontrèrent un officier anglais qui les reconnut et leur fit grand accueil, parceque l’un d’eux lui avait autrefois sauvé la vie. Il les détourna du dessein d’aller s’établir au Canada en promettant qu’il les ferait remettre en possession de leurs terres et de leurs titres, ce qu’il fit en effet[5]. »

Lorsque la paix fut conclue en 1763, sur environ 6,500 Acadiens qui avaient été déportés aux États-Unis, il en restait un peu plus de la moitié. Souvent, ils avaient imploré des autorités la permission de s’éloigner du lieu de leur proscription, mais après la paix leur essor fut irrésistible. Divers groupes se dirigèrent alors sur le Canada, où ils s’établirent, les uns à l’Acadie, près de Saint-Jean, d’autres à Saint-Grégoire, Nicolet et Bécancour, dans le district des Trois-Rivières, et d’autres enfin à Saint-Jacques l’Achigan, où ils ont formé des paroisses riches et prospères.

Ceux qui n’avaient pu alors profiter de cet exode, se réunirent trois ans plus tard à Boston, au printemps de 1766, avec l’intention de retourner vers leur Acadie perdue et regrettée. Il ne demeura plus alors sur le sol étranger qu’une faible minorité, qui resta rivée dans le pays, par les infirmités ou l’extrême misère. Nous excepterons toutefois ceux qui avaient été déportés au Maryland, où la présence de coreligionnaires anglais et de quelques prêtres avait rendu leur situation moins intolérable et où l’on retrouve encore leurs descendants[6].

« L’héroïque caravane qui s’était, dit Rameau, formée à Boston, avec l’intention de franchir les solitudes du Maine pour retourner en Acadie, se composait d’environ 800 personnes. À pieds et presque sans approvisionnements, ces pèlerins affrontèrent les périls et les fatigues d’un retour par terre, en remontant les côtes de la Baie de Fundy jusqu’à l’isthme de Shédiac, à travers 600 milles de forêts et de montagnes inhabitées ; des femmes enceintes qui faisaient partie de ce misérable convoi accouchèrent en route ; nous avons connu quelques-uns des fils de ces enfants de la douleur, et c’est de leur bouche que nous tenons le récit que leur avaient transmis leurs pères, nés pendant cette douloureuse traversée. »

« Jamais on ne saura tout ce que souffrirent ces malheureux, abandonnés et oubliés de tous, en se frayant une route dans le désert ; les longues années qui se sont écoulées ont éteint depuis longtemps les échos de leurs gémissements dans la forêt ! celle-ci même a disparu ; toutes les misères de ces infortunés sont noyées aujourd’hui dans l’ombre du passé ; depuis longtemps on moissonne joyeusement sur leurs campements effacés, et c’est à peine si quelques traditions affaiblies de ce sublime et douloureux exode se trouvent encore éparses dans les récits des vieillards Acadiens de la Baie de Fundy. »

« Dans les sentiers sauvages qui serpentaient parmi les forêts interminables du Maine, cette longue file d’émigrants cheminaient péniblement ; c’étaient de petites troupes de femmes et d’enfants, traînant le mince bagage de la misère, tandis que les hommes, dispersés ça et là, cherchaient dans la chasse, dans la pêche et même parmi les racines sauvages, quelques ressources pour les alimenter. Il y avait des enfants tout petits, marchant à peine, que l’on menait par la main, les plus grands les portaient de temps en temps ; plusieurs de ces malheureuses mères tenaient un nourrisson dans leurs bras, les cris de ces pauvres enfants rompaient seuls le silence sombre et lugubre des bois.

« Combien moururent en route : d’enfants, de femmes et même d’hommes ? Combien ont expiré, accablés par la lassitude, souffrant la faim, assis et oubliés pour toujours dans un sentier perdu, sans prêtre, sans consolation, sans amis ? Personne ne les a comptés, personne ne redira leurs noms, et les dernières agonies de la mort furent empoisonnées, pour ces innocentes victimes, par toutes les angoisses des regrets et de l’abandon !

« À mesure que cette triste caravane s’avançait, il s’en trouvait en effet dont les forces défaillantes se refusaient à les porter plus loin ; tous ne succombaient point cependant, et il s’échelonna ainsi le long de la route quelques groupes qui demeurèrent comme des noyaux de colonies à venir. C’est ainsi que sur les bords du fleuve Saint-Jean, plusieurs familles se fixèrent sur les ruines des établissements qu’avaient occupés les français dans ce district, et où se maintenaient encore dans l’ancien fief Jemsek (de La Tour) et dans celui d’Ekoupag quelques rares familles Acadiennes.

« Lorsque la colonne des proscrits, éclaircie par les fatigues du voyage, atteignit les bords du Peticoudiac, il y avait quatre mois qu’ils étaient en route. Là ils purent enfin goûter quelques instants de repos et de consolation ; les premiers qui débouchèrent en bas des montagnes boisées qui bordent cette rivière rencontrèrent devant eux quelques hommes demi-chasseurs, demi cultivateurs, qui parlaient leur langue et parmi lesquels ils ne tardèrent pas à reconnaître des compatriotes et des parents ; c’étaient là les restes des anciens habitants de Memramcook, de Chipody et de l’isthme de Shédiac. Déjà l’on voyait des constructions et des défrichements s’étaler le long de la rivière, lorsque la troupe des captifs revenant des États-Unis les rejoignit à la fin de l’été de 1766.

« Quelle dut être touchante la rencontre de ces êtres dont les cœurs étaient dévastés par une calamité commune, après une séparation de onze années ! Ici, au moins, ils pouvaient un instant se reposer en paix de leurs extrêmes fatigues, sans le danger d’essuyer les rebuffades et la malveillance d’étrangers indifférents ou hostiles ; les amis qu’ils venaient de retrouver étaient eux-mêmes fort pauvres, mais leur accueil était cordial et sympathique.

« Malheureusement, après ce premier mouvement de joie, ils eurent à éprouver un grand serrement de cœur. Ils avaient nourri l’espoir que là-bas, de l’autre côté de la Baie de Fundy, à Beauséjour, à Beaubassin, à Grand-Pré, à Port-Royal, ils retrouveraient leurs terres et peut-être leurs habitations ; ils avaient espéré qu’on les laisserait s’établir sur celles qui n’étaient pas encore occupées, mais ils eurent bientôt à se rendre compte qu’ils n’y devaient pas songer ; tout avait été distribué à leurs persécuteurs ou à de nouveaux colons. Ce grand et pénible voyage qu’ils venaient de faire se trouvait inutile ; il n’y avait plus pour eux ni patrimoine ni patrie. À cette décourageante nouvelle, la plupart se sentirent abattus, ils étaient à bout de leurs forces, et ne cherchant pas à pousser plus avant, ils demeurèrent au lieu même où la Providence venait de les conduire.

« Cependant un certain nombre ne put se résoudre à croire que tout fût perdu, et qu’ils fussent ainsi dépouillés sans aucun espoir de ces riches terres, conquises autrefois sur la mer par l’industrie laborieuse de leurs aïeux. Cinquante à soixante familles reprirent de nouveau leur route, hommes, femmes et enfants ; ils tournèrent le fond de l’ancienne Baie Française, devenue Fundy Bay ; ils visitèrent successivement Beaubassin, Pigiquit, Grand Pré ; mais Beauséjour s’appelait Cumberland, Beaubassin, Amherst ; Cobequid avait pris le nom de Truro, Pigiquit celui de Windsor et Grand Pré se nommait Horton ; tout était changé ! Noms anglais, villages anglais, habitants anglais ; partout où ils se présentaient, ils semblaient des revenants d’un autre âge ; personne depuis longtemps ne songeait à eux.

« Ils effrayaient les enfants, ils inquiétaient les femmes et les hommes, comme une menace sortie du tombeau ; on s’irritait contre eux, et les malheureux se traînaient de village en village, harassés par la fatigue, la faim et le froid, et par un désespoir qui s’accroissait à chaque étape ; la dernière fut à Port-Royal (Annapolis), où les mêmes inquiétudes d’un côté et les mêmes déceptions de l’autre se répétèrent.

« Que faire cependant de cette caravane de misérables en haillons, écrasés par la lassitude, les privations et le chagrin ? Les officiers de la garnison prirent le parti de les diriger un peu plus au sud, sur la Baie Ste -Marie, dont les rives inoccupées étaient bordées de vastes forêts. Les pauvres Acadiens, épuisés et désespérés par tant de malheurs, ne sachant plus où porter leurs pas, se laissèrent conduire et finirent ainsi par s’échouer sur cette rive déserte, où des terres leur furent concédées le 23 déc. 1767. Ceux-ci avaient ainsi parcouru à pied, une distance d’environ 1000 milles avant d’atteindre le terme de leur voyage, et cela ne représente pas les longues distances qu’ils eurent à franchir de la même manière pour se réunir à Boston.

« Les plus cruelles traverses n’abattent pas toujours entièrement l’énergie humaine ; le calme après la tempête, la moindre lueur d’espoir qui renaît, permettent à nos sens rassis de se rattacher à la vie, de se reprendre au travail et d’inaugurer de nouveaux progrès. Sous la pression de la nécessité, ces misérables proscrits élevèrent des huttes ; on se mit à pêcher, à chasser, les défrichements commencèrent, et bientôt avec les bois abattus on vit se remonter quelques grossières maisons[7]. » Telle fut l’origine de cette colonie qui couvre aujourd’hui toute la partie ouest de la péninsule.

Pendant de longues années il y eut de nombreux déplacements. On venait de France, des Antilles, de la Louisiane, du Canada, des États-Unis ; on allait d’une colonie à une autre, à la recherche, d’un père, d’une mère, d’un frère, d’un parent dont on n’avait pas eu de nouvelles. Souvent la mort avait moissonné celui qu’on cherchait ; quelquefois cependant, contre toute attente, on retrouvait celui qu’on croyait mort. Lentement, les membres épars d’une même famille parvenaient à se reconstituer. Ceux que le sort avait le plus favorisés, attiraient à eux les plus indigents, jusqu’à ce qu’enfin, la mort, les liens nouveaux, eussent fait de chaque groupe isolé une unité indépendante et étrangère aux autres.



  1. Le sommaire manque dans le MS. Nous le traduisons d’après l’édit. anglaise.
  2. N. S. D. P. 352-3.
  3. N. S. D. P. 354-5.
  4. Ce Desbarres ainsi enrichi devint plus tard Gouverneur du Cap-Breton. (Note du MS. original.)
  5. Casgrain. Pèlerinage au pays d’Évangéline. P. 247.
  6. Le MS. original — fol. 878 — a la note suivante, empruntée à un passage de Casgrain, p. 207.

    « Le Général Sheridan était petit-fils d’un de ces Acadiens.

    L’abbé Robin, attaché comme aumônier à l’armée du Comté de Rochambeau, a tracé un tableau touchant de la petite colonie acadienne de Baltimore en 1781 : Ils conservent entre eux la langue française, sont demeurés très-attachés à tout ce qui tient à leur ancienne nation, surtout à leur culte, qu’ils suivent avec une rigidité digne des premiers âges du christianisme. La simplicité de leurs mœurs est un reste de celle qui régnait dans l’heureuse Acadie… La vue d’un prêtre français sembla leur rappeler leurs anciens pasteurs. Ils me sollicitèrent d’officier dans leur église. Je ne pus, en remplissant cette sainte fonction, me dispenser de les féliciter sur leur piété, et de leur retracer le tableau des vertus de leurs pères. Je leur rappelais des souvenirs trop chers ; ils fondirent en larmes. »

  7. Une Colonie. Ch. XV. P. 186 à 190.