Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome Ip. 267-296).


CHAPITRE NEUVIÈME


Difficultés d’Armstrong avec le clergé. — Le cas de l’abbé de Breslay, de l’abbé Isidore et de MM. de Chauvreulx et de St-Poncy. — Situation épineuse du clergé. — Son attitude.


Dans le chapitre précédent, il n’a été question que des difficultés que le gouverneur Armstrong eut avec ses officiers, son conseil, et des marchands d’Annapolis. Par ce que nous connaissons de son caractère, l’on peut bien penser qu’il ne manqua pas d’avoir également des démêlés avec les Acadiens et leurs prêtres. Chose étrange ! Ses démêlés avec les Acadiens furent peu nombreux et n’eurent trait qu’à la question du serment, avant qu’elle n’eût été réglée par Philipps, en 1730 : ce ne furent d’ailleurs que des vétilles dont nous ne croyons pas devoir entretenir le lecteur. Tout se borne à des plaintes aux Lords du commerce au sujet du serment qu’il exige des habitants français. Que si les faits mentionnés dans ces messages n’ont pas par eux-mêmes grande importance, les expressions dont Armstrong se sert pour les qualifier ont une énergie qui frise le ridicule : la conduite des Acadiens est trouvée insolente, leur résistance à ses volontés est flétrie comme impliquant une audace hors de pair…

C’est avec le clergé que ce gouverneur a eu le plus souvent maille à partir : s’il a laissé les Acadiens relativement tranquilles, il semble que ce ne fut que pour causer plus d’embarras à leurs missionnaires. Nous allons donc examiner sans parti pris la question des rapports d’Armstrong avec le clergé. Que l’on ne s’imagine pas que nous nous laisserons influencer, en cette délicate matière, par des idées préconçues. Nous faisons œuvre d’historien ; nous verserons au débat le pour et le contre. Et si la réputation d’Armstrong sort amoindrie de cette discussion impartiale, à base de documents, il ne faudra pas en accuser nos préjugés d’éducation, nos sympathies ou nos antipathies religieuses. C’est la vérité seule qui va prononcer.

M. de Breslay, curé d’Annapolis, est le premier prêtre avec qui Armstrong ait eu des difficultés[1]. Tout ce que nous savons de cette affaire est contenue dans une lettre d’Armstrong aux Lords du Commerce, en date du 23 juin 1729. Cette lettre, cela va de soi, a été reproduite par Akins, sauf qu’il n’en donne qu’une partie, la partie la plus accablante pour ce pauvre M. de Breslay. Or, nous allons citer ce document à peu près en entier, et d’après Beamish Murdoch[2], mettant seulement entre crochets le court extrait qu’en a fait le compilateur des Archives. L’on pourra ainsi se rendre compte que les parties omises modifient considérablement le sens de l’entrefilet qui figure dans le volume de Akins. Donc, dans cette lettre de juin 1729, Armstrong commence par « se plaindre des insultes dont il a été l’objet de la part de certaines gens, encouragées dans leurs malicieuses intrigues par l’attitude étrange à mon égard du major Cosby, lieutenant-gouverneur de cette garnison. Celui-ci, en effet, sans souci de sa propre dignité, s’est déclaré ouvertement en faveur de mes ennemis et donne son appui à tous ceux qui, au mépris de la vérité et de la justice, et au plus grand détriment du service de Sa Majesté, s’emploient à dénaturer mes actions et à faire échec à toutes mes entreprises.

[ « La première personne que je doive dénoncer est un M. Bresley (sic), prêtre papiste résidant ici, qui, dans le passé, a cherché par tous les moyens à soustraire les populations à la juridiction du gouvernement de Sa Majesté, en se constituant de sa propre autorité juge des affaires civiles, et en se servant des censures spirituelles pour amener les Acadiens à lui obéir. Son insolence et sa tyrannie dépassant toute mesure, j’ai finalement dépêché chez lui un adjudant avec mission de lui parler et de lui faire entendre raison. Mais mon messager n’était pas encore rendu à sa résidence, laquelle est située à quelque distance du Fort, que le prêtre avait déjà fui : depuis, il demeure caché dans les bois, quelque part le long de cette rivière, vivant avec les sauvages, qu’il continue à soulever contre l’autorité légitime et à pousser au désordre. Pour en finir avec de pareils procédés, j’ai envoyé un ordre, publié à la Chapelle Publique, (Mass House), enjoignant à cet abbé d’avoir à quitter la Province dans les trente jours. » ]

« Le sieur Maugeant, gentilhomme français… fut chargé par moi d’aller signifier cet ordre aux Acadiens, en français, en présence du major de ce Fort, de M. Wroth et de quelques autres. Leur mission étant accomplie, ces messieurs s’en revenaient m’en rendre compte, quand ils rencontrèrent sur le grand chemin, au milieu de la foule, le major Cosby, lieutenant-gouverneur : ce dernier, sans provocation aucune, se mit à insulter de la plus abominable façon le dit sieur Maugeant qui trouva prudent de s’enfuir en toute hâte, car son adversaire se fût certainement porté sur lui à de graves voies de faits, tant la colère l’aveuglait. Je reçus aussitôt une plainte de la part du major Cosby, alléguant que Maugeant lui avait fait un affront en se moquant de lui à sa face. J’assemblai alors les officiers, j’examinai attentivement les témoins de cette scène… et le résultat de l’enquête a été que les allégations de Cosby étaient sans fondement aucun, que la vraie raison de la fureur dans laquelle il était entré, était le service que le Sieur Maugeant avait rendu à sa Majesté, en allant lire et proclamer mes ordres défendant au peuple de quitter la province sans permis spécial, comme aussi l’ordre d’exil porté contre M. Bresley, prêtre papiste dont Cosby épouse ouvertement la cause, dans le seul désir de me nuire… »

Telle était l’accusation. Nous pouvons supposer que M. de Breslay avait été choisi comme arbitre ; que, dans un cas donné, l’une des deux parties refusant de se soumettre à sa décision, il avait eu recours, pour l’y contraindre, aux peines ecclésiastiques. Mais en quoi y avait-il eu dans tout ceci conspiration contre le gouvernement et offense à l’autorité ? Il a été de tout temps permis de se faire juger par des arbitres, et il serait même à souhaiter que la coutume en fut plus générale. Il y a des différends internationaux qui sont réglés de cette façon, à la satisfaction commune. Et c’est là l’un des grands progrès sociaux accomplis par le dix-neuvième siècle[3]. Dans la question qui nous occupe, la censure a pu être abusive, et d’une application erronée. Mais elle portait son remède en décourageant les plaignants, et en les détournant d’un arbitre qui le prenait de si haut pour rendre ses jugements exécutoires. Il pouvait être malhabile et impolitique, de la part de ce prêtre, de ruiner ainsi du coup la popularité et l’efficacité de son tribunal. Mais en quoi, je le demande à nouveau, son action compromettait-elle la sûreté de l’État ?

Il fallait cependant que la brutalité d’Armstrong fût bien redoutable pour contraindre ce pauvre prêtre à s’enfuir dans les bois, quand il n’avait commis qu’une erreur canonique, qui ne lésait en rien les droits du gouverneur. Nous savons, en effet, que pendant plus d’un an, M. de Breslay n’osa se montrer à Annapolis… Il est à présumer que toute la question n’est pas exposée dans la lettre d’Armstrong, et que tous les torts n’étaient pas du côté du missionnaire, puisque celui-ci porta ses plaintes devant les autorités de Londres, et se défendit de l’accusation de s’être mêlé des choses du gouvernement en produisant des certificats de Philipps et de Cosby, attestant qu’à leur connaissance, sa conduite avait été, en toute occasion, irréprochable. La partie de la lettre d’Armstrong, éliminée par le compilateur, fait voir que Cosby « avait épousé la cause » de M. de Breslay. Or, ce détail avait son importance, en introduisant un élément de doute sur la légitimité des procédés du gouverneur. Et maître Akins eut été très aimable de n’en pas priver le public.

Armstrong eut encore des difficultés au sujet du Père Isidore. Celui-ci était un prêtre interdit. Le gouverneur prétendit l’imposer par force à la Cure des Mines. Mais le simple bon sens aurait dû le persuader qu’une population catholique n’accepterait pas les services d’un prêtre notoirement interdit. Par le fait de cette interdiction, le Père Isidore ne pouvait ni dire la messe, ni entendre les confessions, ni administrer aucun autre sacrement. Méconnaissant la portée des peines ecclésiastiques qui lient et annulent en quelque sorte les pouvoirs du prêtre qui en est frappé, Armstrong prétendit passer outre à tous ces empêchements canoniques et donner charge d’âmes à son candidat irrégulier. Mal lui en prit d’intervenir dans un domaine où il n’avait que faire. Il en fut pour sa peine. Il restait aux fidèles blessés dans leur foi la ressource de ne pas fréquenter une église régie par un pasteur illégitime. Et c’est ce qu’ils firent en effet. Le gouverneur eut beau vouloir les punir de leur obstination en leur refusant un autre prêtre : sa fureur se brisa contre les droits imprescriptibles de la conscience catholique[4].

Venons-en au plus grave des démêlés d’Armstrong avec le clergé : il se rapporte à MM. de Chauvreulx et de St-Poncy. Le document concernant cette affaire est contenu aux Archives de la Nouvelle Écosse. C’est une délibération du conseil d’Annapolis. (Il importe de ne pas oublier qu’Armstrong n’était pas loin de composer à lui seul tout son conseil. Ses procédés en avaient écarté et dégoûté les membres les plus influents ; ceux qui consentaient encore à en faire partie — et le nombre n’en était pas suffisant pour constituer un quorum, à l’arrivée de Philipps en 1830 — avaient dû, il n’est pas douteux, abdiquer leur indépendance. Avec un tel homme, il fallait ou se soumettre ou se démettre, ou du moins ne pas faire acte de présence dans les moments scabreux.) Ceci posé, nous reproduisons, dans leurs parties essentielles, les minutes du conseil où le cas de MM. de Chauvreulx et de St-Poncy a été pris en délibéré[5] :

Extrait des minutes du conseil, 18 mai 1736.

« … MM. de St-Poncy et Cheavereaux (sic), les deux prêtres romains, furent appelés à comparaître et informés de ce dont il était question ; et il leur fut signifié que l’on jugeait nécessaire qu’avant le départ de M. de Poneys pour Cobequid, lui ou M. Cheavereaux se rendit à Pobomcoup, avec M. Charles Dentremont[6] et le lieutenant Amherst, afin de procurer la restitution des voiles de vaisseaux et de tous autres effets qui ont été pris par les Indiens.

« Ces deux messieurs, luttant d’audace et d’insolence, oubliant tout le respect dû à son Honneur et au conseil, répondirent qu’ils n’iraient pas, et qu’ils ne voulaient rien avoir à faire là-dedans ; et comme on leur demandait s’ils n’étaient pas prêts à obéir aux ordres justes et légitimes du gouvernement de Sa Majesté, M. Cheavereaux répliqua sur un ton de mépris et en faisant de grands gestes disgracieux : vous saurez « que je suis ici de la part du Roy de France » ; et M. St-Poncy affirma la même chose à peu près dans les mêmes termes.

« Ce qu’entendant, son Honneur leur dit que, eu égard au mépris qu’ils professaient pour cette Province et ce gouvernement, son intention était de les envoyer en France. Ils reprirent en riant très fort et en affectant l’air le plus hautain : « Puisse-t-il en être ainsi ! », après quoi ils tournèrent les talons et sortirent de la salle, apparemment en grande colère, frappant violemment les portes ; c’est ainsi qu’ils laissèrent le conseil où leur présence était requise pour répondre à la pétition (des habitants de Cobaquid), dont il a été parlé plus haut.

« M. Dentremont ayant été alors convoqué et informé que les prêtres avaient refusé de se rendre à Pobomcoup, M. Dentremont en exprima son regret, car il était d’avis que le meilleur moyen d’amener les Indiens à la raison et de leur faire remettre ce qu’ils avaient pris, était de leur envoyer un prêtre ; d’autant plus que la présence d’un missionnaire dans ce village était nécessaire pour administrer le baptême et les autres sacrements.

« Le conseil, après avoir mûrement délibéré au sujet de la manière d’agir de ces deux prêtres, adopta unanimement la résolution de les suspendre de leurs fonctions, et de leur enjoindre de se retirer au presbytère et d’y demeurer jusqu’à ce qu’une occasion s’offre de les renvoyer en France. Il fut donc convenu de les rappeler devant le conseil, pour leur apprendre à quelle détermination celui-ci en était venu, et pour leur enjoindre de se préparer à partir à la plus prochaine occasion.

« Ces deux prêtres réapparurent donc pour entendre la lecture de leur sentence : leur attitude était toujours aussi insolente que la première fois ; ils demandèrent à s’asseoir, signifièrent qu’ils n’entendaient pas être traités comme des criminels, qu’ils n’avaient pas à s’occuper de choses temporelles, et finalement s’exclamèrent : « Nous n’avons point d’ordres à recevoir ici ! » — Après qu’on leur eut rapporté leurs paroles et exposé leur manière d’agir, qu’on leur eut prouvé que leur conduite tendait manifestement à se soustraire à l’autorité de Sa Majesté et au pouvoir civil de ce gouvernement, pour ne relever que de leur propre juridiction, ordre leur fut donné de s’en aller au presbytère et d’y rester clos, ainsi qu’il a été dit ci-dessus ; ordre fut également donné de leur faire tenir l’article 14 du traité d’Utrecht.[7] »

Si le compilateur avait daigné joindre à ces minutes du conseil la déclaration de l’abbé de St-Poncy lui-même, laquelle fut communiquée par Armstrong aux Lords du Commerce, nous serions probablement mieux en mesure de juger de la situation. Que si nous prenons la question telle que présentée dans le document que nous venons de produire, nous dirons : « c’est une tempête dans un verre d’eau », ou « que de bruit pour une omelette ! » La demande faite à ces deux missionnaires n’avait peut-être en soi rien d’inacceptable, à la condition qu’on y eût mis des formes au lieu de vouloir l’imposer grossièrement. Et c’est ce qu’il faudrait savoir. Et si l’on ne connaît pas ce détail, l’on connaît Armstrong, l’on sait que ce monsieur avait le don peu enviable de froisser tout le monde et que les difficultés qu’il a rencontrées furent presque toujours le résultat de sa pétulance et de ses emportements. Ne sommes-nous pas dès lors autorisés à conclure que, dans l’affaire qui nous occupe, tout le tort n’a pas été du côté des missionnaires ? Si ces deux prêtres ont parlé et agi ainsi qu’il est représenté dans les Minutes du Conseil, c’est qu’ils avaient dû être provoqués. Ordinairement parlant, et sauf de rares exceptions, une demande polie amène une réponse polie, et une insolence engendre une insolence. Si l’on regarde de près à la chose dont il s’agit, l’on voit qu’Armstrong donnait ici un ordre formel et absolu. Or, n’était-ce pas là plus qu’il n’avait le droit de faire ? Est-ce que vraiment l’on pouvait demander à ces missionnaires d’intervenir dans ces choses purement temporelles ? Si, comme il n’est pas téméraire de le supposer, une demande déjà délicate en soi, a été accompagnée de procédés qui la rendaient proprement odieuse, quoi d’étonnant que ces deux abbés l’aient repoussée avec indignation, et y aient vu comme une atteinte à leur caractère ? Comme dans le cas de l’abbé de Breslay, il nous paraît qu’Amrstrong ne nous fait connaître que l’un des côtés de la question. Heureusement, nous possédons un document qui nous en dévoile les autres aspects. Ce document se rapporte à l’incident dont nous venons de parler et l’éclaire d’un jour tout nouveau. Comme s’exprime Casgrain, auquel nous l’empruntons[8], « il faut que les Acadiens aient eu à souffrir de bien criantes injustices pour avoir été obligés, à plusieurs reprises, d’aller porter leurs plaintes et implorer protection jusqu’au pied du trône de France. Une de ces requêtes, couverte des signatures des habitants de Port Royal, représente au roi Louis XV qu’ils sont en proie à une véritable persécution religieuse de la part du gouverneur Armstrong :

« Nous supplions, disent-ils, très humblement Votre Grande Majesté de nous permettre de représenter la triste situation où nous sommes réduits, déclarant véritablement que dans la paroisse de Saint-Jean-Baptiste d’Annapolis Royale, en la Nouvelle-Écosse ou Acadie : que le 29 mai 1736, contrairement aux articles du traité de paix fait à Utrecht, et contrairement à toutes les promesses à nous faites, quand nous avons prêté le serment de fidélité à Sa Majesté Britannique le roi George II, le gouverneur Laurent Armstrong a fait défense à MM. de St-Poncy et Chauvreulx, nos deux prêtres missionnaires aussi dignes que nous en ayons jamais eus, a fait défense, disons-nous, de dire la sainte messe, entrer dans l’église, entendre nos confessions, nous administrer les autres sacrements et faire aucune de leurs fonctions ecclésiastiques, mis aux arrêts, et obligé de partir les dits missionnaires, sans que le gouverneur, ni autres personnes qu’il a pu faire tomber dans son avis, aient pu nous faire connaître, ni qu’ils puissent prouver que nos susdits et dignes missionnaires aient d’autres fautes que celles dont ils prétendent les trouver coupables, pour n’avoir pas voulu aller, loin de notre paroisse, relever un brigantin, ce qui ne regarde en rien nos dignes missionnaires ni leurs fonctions.

« Le dimanche suivant, le dit gouverneur fit assembler les députés et leur fit défense de faire ni dire aucune prière dans la chapelle du haut de la rivière… Ce sont ces tristes et déplorables conjonctures où nous sommes chaque jour exposés au sujet de notre religion, article qui nous touche de plus près, qui nous oblige d’implorer, avec la dernière soumission, Sa Majesté chrétienne le roi de France Louis XV, pour qu’elle daigne… faire déterminer et arrêter, d’une manière stable, les conditions auxquelles nos missionnaires pourront se tenir dans la suite, afin que nous ne soyons pas privés de secours spirituels au moindre caprice de ceux qui commandent. »

Ainsi, d’après ce document, conçu en des termes modérés et dignes, ce n’était pas seulement pour faire restituer les effets que les sauvages avaient enlevés d’un vaisseau naufragé, qu’Armstrong ordonnait à M. de St-Poncy de se rendre à Pobomcoup, mais encore pour obliger ce prêtre à aider au relèvement et à la réparation de ce navire. Le gouverneur entendait donc assujettir un missionnaire, sujet français, aux corvées qu’il imposait, et qu’il avait le droit d’imposer aux Acadiens, sujets britanniques[9]. Si tel était le cas, — et l’affirmation des nombreuses personnes qui signèrent la requête vaut bien celle d’Armstrong, — l’on se trouve en présence d’un acte de persécution et d’un abus d’autorité qui complète dignement ce que nous connaissions déjà de ce personnage. L’insolence dont se plaignait Armstrong n’était imputable qu’à sa manière d’agir. Et lors même que les sévérités à l’égard de ces deux missionnaires eussent été justifiables, la défense qu’il fit aux Acadiens de se servir de leur église pour venir y prier, n’était-elle pas un acte d’odieuse tyrannie ? Et de quoi n’était pas capable un homme qui descendait jusque-là ! Ne sommes-nous pas fondé à croire que ce n’est qu’après avoir souffert de sa part une série de criantes injustices, que les Acadiens se décidèrent enfin à avoir recours au roi de France[10] ?

On le voit, le volume des Archives de la Nouvelle Écosse est trop incomplet, et présente des documents trop cyniquement tronqués, pour servir de base honnête à l’histoire. Malgré tous nos efforts pour lui arracher la vérité, par l’analyse intrinsèque de ce qu’il contient, et malgré nos recherches à d’autres sources plus sûres, notre travail offrira encore bien des lacunes. Mais nous aurons du moins la satisfaction d’avoir accompli un effort consciencieux pour jeter quelque lumière sur ce « chapitre perdu ». Le lecteur, mis au courant depuis longtemps de la méthode suivie par Akins, doit être maintenant plus qu’édifié sur ses étranges procédés ; il doit voir mieux que jamais qu’en accusant ce compilateur de partialité et de mauvaise foi, nous étions loin de charger sa mémoire d’une calomnie.

Puisque nous en sommes sur cette question du clergé acadien, nous compléterons par quelques considérations nos appréciations à son sujet.

Les faits que nous avons signalés durent être les plus graves comme cas individuels, puisqu’ils sont à peu près les seuls qui aient trouvé place dans le volume des Archives. Ce n’est pas cependant que les insinuations d’un caractère général et imprécis fassent défaut contre les missionnaires : au contraire. L’on se plaignait de leur influence et de l’usage indu qu’ils en faisaient sur les Acadiens. L’on supposait qu’ils faisaient tout en leur pouvoir pour conserver, pour cultiver chez leurs compatriotes l’attachement à la France, pour les détourner des obligations auxquelles ils s’étaient engagés par serment, et les inviter à quitter le pays. Les autorités savaient que les prêtres jouissaient d’un grand prestige parmi les Acadiens ; et d’autre part elles n’ignoraient pas que ceux-ci refusaient obstinément de prêter le serment qu’on leur offrait : il n’en fallait pas davantage pour faire naître des soupçons contre les missionnaires, et il est probable que, dans quelques cas, ces soupçons n’étaient pas sans fondement. Mais ici l’on n’a guère, pour se guider, que des conjectures : les conclusions auxquelles on peut en venir devant varier suivant les points de vue auxquels on se place, et selon la connaissance plus ou moins grande que l’on a pu acquérir de l’action sociale du clergé catholique. Que si réellement les Acadiens ont subi, dans le sens que certains historiens ont prétendu, l’influence de leurs prêtres, cette influence a dû se produire assez discrètement pour qu’il ait été à peu près impossible au gouvernement de la vérifier.

Étant donné la grande moralité des Acadiens, leurs habitudes paisibles et comme patriarcales, leur isolement, l’ardeur de leur foi, la solidité de leurs principes religieux, il est naturel de penser que leurs missionnaires avaient un puissant empire sur ce peuple. Mais que ce prestige se soit exercé au détriment de leurs intérêts spirituels ou temporels, voilà qui est inadmissible. Quoi d’étonnant que des populations simples et primitives, sans instruction, profondément imprégnées d’esprit chrétien, eussent mis toute leur confiance en ces hommes de Dieu, distingués par leurs vertus encore plus que par leur savoir, en ces prêtres qu’elles avaient vu à l’œuvre, et dont le dévouement à leur bien ne se relâchait jamais ? De là à conclure que ce clergé a abusé de son pouvoir pour semer la révolte dans l’esprit de ces fidèles, et pour les soulever contre les autorités légitimes, il y a loin. Et Parkman a montré à quel point les préjugés l’aveuglaient, en profitant de cette occasion pour illustrer sa théorie favorite sur l’influence indue et débilitante du clergé catholique dans l’ordre civil. Les faits sur lesquels il s’appuyait avaient trop peu de consistance et de précision pour servir à une démonstration rigoureuse en cette matière ; et tout ce que l’historien américain a réussi à nous prouver, c’est que le parti pris l’emportait chez lui sur le jugement froid et impartial. Et cela n’est certes pas à son honneur.

Pour insister davantage sur un point qui ne pourrait être élucidé que par de longues et minutieuses recherches, nous conviendrons que la position dans laquelle se trouvaient les prêtres acadiens était extrêmement délicate. Sujets français, ils étaient accrédités comme missionnaires auprès de compatriotes vivant en pays anglais, adjacent aux possessions françaises, et où il était bien impossible que les intérêts propres à ces deux nations ne fussent pas fréquemment en conflit : situation fausse et difficile à laquelle il ne semblait pas y avoir grand remède.

Armstrong songea à remplacer ces prêtres par des missionnaires de langue anglaise. Ce projet était irréalisable : il eut provoqué le départ en bloc des Acadiens. La seule manière de sortir de cette impasse était de créer parmi les Acadiens un clergé national. Les autorités pouvaient raisonnablement leur dire : Nous sommes tenues à honneur de vous accorder le libre exercice de votre religion ; mais, dans votre intérêt et le nôtre, pour régler loyalement une question qui autrement est sans issue, et fertile en dangers, il convient que vos prêtres soient choisis parmi vos enfants : de la sorte, vous aurez des missionnaires qui comprendront et partageront vos obligations. Comme ceci ne peut se faire à courte échéance, nous vous donnons huit ou dix ans pour accomplir cette idée. D’ici là, nous permettrons à deux prêtres français, dont l’un devra stationner à Port-Royal, et l’autre aux Mines, de s’occuper exclusivement de l’éducation de la jeunesse en vue du sacerdoce. Ce temps écoulé, vous devrez vous suffire à vous-mêmes, et l’entrée de l’Acadie sera interdite aux prêtres français, au moins tant que la France sera notre voisine[11].

Mais l’on était loin d’un semblable projet, lequel ne vint probablement pas même à l’esprit d’aucun des gouverneurs. Jusqu’à 1730, la question du serment et du départ des Acadiens occupa trop de place pour qu’un pareil plan put entrer en ligne de compte. Après cette époque, Armstrong voulut mettre en avant l’idée dont nous avons parlé plus haut ; et finalement l’on s’arrêta au vain espoir d’expulser les prêtres catholiques et de les remplacer par des ministres protestants français, en favorisant en même temps l’immigration de Huguenots en terre acadienne, ou encore d’appeler simplement des ministres anglais avec des colons anglais, comme nous le verrons plus tard. Parfois l’on penchait vers la première alternative, comme étant plus acceptable aux Acadiens, mais le plus souvent c’était la seconde qui l’emportait.

Il fallait bien peu connaître les sentiments des Acadiens pour s’imaginer qu’ils allaient se soumettre à une conspiration si mal déguisée, et si contraire à leur foi. Il fallait également que le respect des traités, des conventions, des promesses, et de la liberté de conscience fût bien oblitéré chez les vainqueurs, pour oser ourdir une trame d’un caractère aussi odieux. Disons-le toutefois à l’honneur de la Métropole, ces projets iniques, conçus à Annapolis et à Boston, ne reçurent jamais, que nous sachions, le plus faible encouragement à Londres.

Dans ce chapitre, nous ne voulons que définir et apprécier exactement l’attitude du clergé depuis le traité d’Utrecht jusqu’à 1740. Notre seule ambition est de frapper la note juste à son égard, et de mettre dans un relief lumineux le rôle qu’il a joué dans les événements de cette période. Le vrai moyen d’y arriver est de rechercher l’état des esprits à cette époque, et les points sur lesquels pouvait s’exercer l’influence de ce clergé. Les préjugés et le fanatisme ne furent peut-être jamais plus accentués qu’alors. De protestants à catholiques ou de catholiques à protestants, l’on s’injuriait à qui mieux mieux, soit dans la conversation, soit dans des documents de nature privée. Mais l’on est renversé, en parcourant les Archives de la Nouvelle Écosse, de voir que les pièces officielles sont saturées de ces aménités que la simple décence aurait dû en proscrire. Armstrong et ses prédécesseurs, dans leurs dépêches aux Seigneurs du commerce, ne font jamais usage, pour désigner la religion des Acadiens, que des expressions suivantes : « Popists — Popish Superstition — Mass House, etc., etc. » « Que pouvons-nous attendre de ces gens-là ? » écrit-il quelque part, « ce sont des papistes. » Et encore : « Quelle meilleure preuve pourrais-je apporter de leur mauvaise foi ? Ils sont papistes ! »

Tant que les catholiques et les protestants luttèrent, chacun dans leur sphère, à qui l’emporterait et finirait par avoir la domination, il y eut de fréquents complots et un état de constant malaise, aggravé par d’injustifiables violences. La tourmente passée, ces choses cessèrent peu à peu ; mais il resta dans l’esprit des maîtres l’idée bien arrêtée que la minorité continuait à comploter, tandis qu’en fait s’il y avait complot, c’était le plus souvent du côté du vainqueur, en vue d’écraser ceux qu’il avait conquis. L’esprit humain est ainsi fait, qu’il tombe presque toujours dans des extrêmes sur les questions de cet ordre. Ou l’on dort paisiblement lorsque l’ennemi ou l’adversaire ourdit ses trames ; ou, au contraire, en proie à une agitation morbide, l’imagination se peuple de fantômes et prend pour des dangers réels ses propres chimères. C’est ainsi que les gouverneurs voyaient dans de pauvres prêtres des conspirateurs à gages, menaçant la sûreté de l’état.

Examinons donc un peu le champ sur lequel l’influence des missionnaires pouvait s’exercer, et voyons de près ces « affreuses » machinations que leur prêtait l’autorité. Il y avait d’abord la question du serment et celle du départ des Acadiens. Les prêtres usèrent-ils de leur prestige dans un sens ou dans un autre ? On peut le croire ou en douter également. Pour notre part, nous inclinons à penser que quelques-uns d’entre eux, à un degré difficile à préciser, cherchèrent à faire entrer ou à confirmer leurs compatriotes dans l’idée du départ, et leur conseillèrent de ne prêter qu’un serment conditionnel. Mettant de côté le tableau fantaisiste tracé par la main de Francis Parkman, voici, selon nous, ce qui se passe d’ordinaire en pareille occurrence, et ce qui a dû avoir lieu en Acadie.

Parmi les prêtres, il y en a de mystiques, d’idéalistes, qui, entièrement voués aux intérêts spirituels, ne se mêlent en rien des choses de ce monde, où « n’est pas leur royaume », selon la parole de l’Évangile : ceux-là, on ne va pas les consulter sur les affaires temporelles, dans lesquelles ils ne veulent rien entendre, absorbés qu’ils sont par des soucis supérieurs. D’autres, d’un tempérament moins affiné peut-être ou moins entier, se laissent volontiers aller à donner un avis, quand on le leur demande, touchant des matières profanes : consultés par un petit nombre de personnes, l’opinion qu’ils émettent a plus ou moins de poids, suivant l’importance de la question, et la réputation de sagesse et de prudence qu’ils ont pu acquérir. Il en est d’autres, enfin, mais très rares, qui cherchent à imposer leurs idées sur des choses étrangères à leur mission sacrée, et qui vont jusqu’à faire intervenir, pour le besoin de leur cause, le domaine spirituel ; pareils écarts qui sont, heureusement, peu fréquents, produisent parmi les populations de l’agitation, des murmures, de la zizanie, et, ce qui est plus grave, un refroidissement de l’esprit religieux, une réelle diminution d’influence dans l’ordre surnaturel. Une seule intervention de cette nature, de la part d’un prêtre, est plus remarquée que le silence de vingt autres ; et, à distance des événements où elle a eu lieu, cette exception fâcheuse et solitaire passe facilement, aux yeux des esprits préconçus, pour la règle applicable à tous. Voilà peut-être comment il se fait que Parkman soit entré, à ce propos, dans de telles exagérations de langage. Que l’on ne dise pas que nous voulons, à tout prix, sauver l’honneur du clergé catholique en Acadie. Et d’abord, la conduite de ces admirables missionnaires a toujours été trop noble pour avoir besoin de nos apologies. Notre constatation impartiale repose en premier lieu sur la psychologie : les hommes changent peu, à travers les âges ; et quand, de nos jours, l’on surprend si rarement, dans le clergé, des cas d’influence indue, pourquoi y en aurait-il eu bien davantage, au sein de ce même corps, un siècle et demi en arrière ? Il y a d’ailleurs une chose qui ne change pas au gré des caprices humains, et c’est la discipline de l’Église. Or, sur le point qui nous occupe, la discipline ecclésiastique était, au dix-huitième siècle et en Acadie, ce qu’elle est aujourd’hui, et ce qu’elle a toujours été dans tous les endroits du monde : à preuve, c’est que, quinze ans après l’époque dont il s’agit, l’abbé Le Loutre fut sévèrement blâmé par Monseigneur l’Évêque de Québec, pour s’être mêlé d’affaires temporelles qui n’étaient pas de son ressort, et cela, contrairement non seulement à la règle générale de l’Église, mais encore aux instructions particulières que son Ordinaire lui avait données[12].

Notre opinion, à nous, est que la majorité des prêtres durent exprimer privément leur opinion sur cette question du serment et du départ, mais la solution de ce problème était si simple, et s’imposait avec une telle évidence, qu’aucune expression d’opinion n’était nécessaire pour la faire accepter : le résultat des délibérations à ce sujet eut été le même, avec ou sans avis donné au préalable. Quand même les conseils donnés par les prêtres auraient eu une influence réelle sur la détermination des Acadiens, où serait le crime ? Saurions-nous faire un grief aux missionnaires d’avoir émis des avis inspirés par la sagesse et par la charité ? Du moment que leur action restait dans les bornes légitimes de la prudence, n’avaient-ils pas le droit de l’exercer au profit de leurs peuples ? Ce n’était, certes, nullement conspirer que de répéter aux Acadiens ce que ceux-ci savaient parfaitement : par exemple, qu’ils étaient autorisés, de par la lettre des traités, à quitter la province s’ils le voulaient ; que les empêchements qu’on y mettait étaient injustes ; que, s’ils jugeaient à propos de rester, ce devait être à la condition de n’être pas assujettis à prendre les armes contre les Français.

L’attitude des divers gouverneurs, depuis Nicholson jusqu’à Armstrong, a été par contre une conjuration assez mal ourdie pour frustrer les Acadiens de leurs droits : toutes les ruses imaginables ont été mises en œuvre pour enlever à ces derniers l’occasion de se prévaloir des clauses d’un traité. Les historiens, qui grossissent à plaisir l’influence des missionnaires, oublient de nous expliquer ceci : peu de temps après la signature du traité de paix, les Acadiens en masse s’étaient offerts à demeurer dans la Province, pourvu qu’on les exemptât de prendre les armes contre leurs compatriotes. Et pareille détermination privait donc la France de l’apport considérable, que ces colons pouvaient ajouter à ses établissements voisins. Si les prêtres eussent exercé la pression que l’on dit, la résolution prise d’emblée par les Acadiens ne se comprendrait pas. Et donc, il faut conclure, ou que les missionnaires n’intervenaient que faiblement dans ces questions, ou qu’ils ne prenaient pas aussi à cœur qu’on voudrait le faire croire les intérêts de la France, ou qu’ils avaient souci avant tout du bien de leurs ouailles. Pour réduire à leur juste mesure les griefs qu’on leur reproche à cet égard, il faut se rappeler les préjugés qui régnaient à cette époque contre le nom catholique ; il est bon de se souvenir, également, que l’autorité qui détenait le pouvoir en Acadie était une autorité militaire, ombrageuse, jalouse à l’extrême de ses prérogatives, portée par nature à soupçonner partout des ingérences en son propre domaine.

C’est notre croyance — laquelle a pour garants les faits mêmes examinés sans passion — que l’action du clergé acadien fut, en somme, bienfaisante, qu’elle s’est exercée dans l’intérêt de la paix et de la soumission des Acadiens. Y eut-il, durant toute cette période de près trente années, qui va de 1713 jusqu’à 1740, une seule insurrection, une seule menace de troubler la paix publique, même une simple bagarre, un seul acte de résistance aux ordres de l’autorité, un seul meurtre ? Nous n’en voyons trace dans tout le volume des Archives. Durant tout ce temps, il n’y eut, à proprement parler, qu’une seule cause sérieuse de dissentiment, toujours la même, à savoir la prestation du serment.

À maintes reprises, les Acadiens avaient reçu l’ordre de s’assembler et d’envoyer des députés à Annapolis ; parfois, ces députés, simples porteurs d’une résolution ou d’une décision prise en commun, étaient mis aux fers par l’autorité qui cédait à une colère soudaine. Cependant, malgré la provocation à la désobéissance, venant de la façon même dont ils étaient traités, que l’on nous dise s’ils ont jamais refusé d’obéir. N’est-il pas extraordinaire que tant d’empêchements, tant de subterfuges auxquels le pouvoir avait recours, pour berner ces pauvres colons et faire échouer tous leurs plans, n’aient jamais abouti à amener un seul acte d’insoumission prolongée de leur part, — et cela quand le gouvernement, n’ayant pour appui qu’une faible garnison de cent à cent cinquante soldats, était hors d’état de dicter ses volontés à une population comparativement nombreuse, disséminée dans des endroits d’un accès difficile en été, et presque impossible en hiver ? S’il est une chose propre à étonner en toute cette histoire si féconde en surprises, c’est bien celle-ci ; et il faut en tenir un compte exact si l’on veut comprendre et apprécier équitablement l’ensemble des événements. Cela étant, il semble juste d’attribuer une part de ce fait remarquable au clergé, surtout si ce dernier possédait l’influence qu’on lui accorde. Or, nous n’hésitons pas à déclarer qu’aucun de nos devanciers n’a pris la peine, et pour cause, de prononcer un jugement sur ce point : seul nous l’avons scruté et médité, pour en tirer des conclusions toutes naturelles, et qui éclairent d’un jour singulier la question si débattue de l’ingérence cléricale.

Laissant de côté les expressions sonores et grossières, employées par Philipps et Armstrong, et dans lesquelles perce leur dépit de ne pouvoir forcer les Acadiens à prêter le serment, nous ne trouvons pas, pour toute la période qui s’étend de 1713 à 1740, un seul grief substantiel, ni même une seule plainte nettement formulée contre ceux-ci, hormis la suivante : De 1720 à 1724, les Sauvages commirent des hostilités sur toute la frontière des colonies anglaises, et particulièrement le long de la frontière du Maine. Dans la Nouvelle-Écosse, ces hostilités se bornèrent à des déprédations plutôt qu’à des rencontres sérieuses. Onze sauvages s’emparèrent d’un vaisseau dans le Bassin des Mines, et le pillèrent. Philipps fut grandement indigné de ce que les Acadiens de l’endroit n’intervinrent pas, soit pour empêcher la prise de ce bateau, soit pour donner la chasse aux Indiens. Il leur fut ordonné d’avoir à préparer un document exprimant, en termes non équivoques, l’énormité de leur faute par omission ; il leur était enjoint également que cette pièce, signée par tous les habitants du lieu, fut remise au gouverneur par des délégués, au nombre desquels devait se trouver le curé ; en outre, force leur était de payer la valeur des effets enlevés par les sauvages. Et tout ceci fut exécuté à la lettre.

Or, cette affaire se passait au commencement de l’année 1721, alors que Philipps venait d’ordonner aux Acadiens, soit de prêter serment au roi d’Angleterre, soit de quitter la Province sans rien emporter avec eux de leurs biens ; alors qu’il venait de leur défendre d’ouvrir un chemin favorable à leur migration. Il est probable que ces bonnes gens préférèrent signer le document susdit, et rembourser les pertes causées par le pillage du bateau, que de s’exposer, de la part des sauvages, à de terribles représailles. L’on sait, en effet, que tous ceux qui voulurent prendre parti contre les Indiens s’exposèrent à devenir les victimes de leur vengeance, sous un gouvernement qui n’était pas assez fort pour empêcher leurs incursions. Il nous semble que le sieur Philipps avait mauvaise grâce à exiger des Acadiens qu’ils fissent réparation pour les dommages encourus, quand il venait précisément de se montrer si injuste et si dur envers eux. C’était exactement pour éviter d’avoir à souffrir la vengeance des Indiens, que les habitants avaient exigé l’exemption de porter les armes contre eux ; et c’est à cause de ce même danger, toujours menaçant, que pendant quarante ans l’on ne put décider les colons anglais à venir se fixer dans le pays. Et enfin, nous ne comprenons pas pourquoi le gouverneur Philipps, qui tenait tant à ce que les prêtres ne se mêlassent pas d’affaires temporelles, forçait le curé des Mines à faire partie de la délégation, chargée de venir lui présenter amende honorable pour des dégâts dont nos frères n’étaient nullement responsables. Voir à la page 60 de Akins.

Nous avons plaisir à le répéter : l’influence du clergé acadien dut s’exercer dans le sens de la paix et de la soumission aux autorités. Toute l’histoire du Canada est là pour donner raison à cette assertion. Après le traité de Paris, 10 février 1763, l’évêque de Québec alla même jusqu’à excommunier ceux qui ne voulurent pas reconnaître la domination anglaise ; en vertu de cette peine, cinq personnes furent privées de la sépulture ecclésiastique[13]. Si le Canada est encore pays anglais, la Grande-Bretagne le doit à l’influence du clergé. Que l’on se rappelle les circonstances dans lesquelles se trouvait ce pays en 1755. Il était gouverné militairement, ce qui veut dire d’une manière âpre et despotique ; il ne contenait pas cinq mille Anglais, contre les soixante-dix mille que la France y avait laissés, lors de la cession, et qui continuaient à s’accroître dans une grande proportion. Les colonies de la Nouvelle-Angleterre venaient de se révolter contre leur mère-patrie, et la France venait de jeter son épée en leur faveur dans le plateau de la balance. Lafayette députait de ses compatriotes à Montréal et à Québec pour exciter le peuple à secouer le joug de la Métropole. Mais le clergé, s’opposa de tout son pouvoir à un soulèvement de la population ; si nos ancêtres prirent les armes, ce fut pour défendre leur territoire contre les soldats de Washington, et le pays demeura anglais.

Après la victoire remportée par la marine anglaise à Trafalgar, le 21 octobre 1805, un Te Deum solennel fut chanté dans la cathédrale de Québec. En 1837-38, malgré de justes griefs, beaucoup plus sérieux que ceux qui amenèrent l’indépendance des États-Unis, ce fut encore le clergé qui paralysa le mouvement insurrectionnel dans la province de Québec et le fit avorter. Que l’on approuve ou non ces procédés de l’autorité religieuse, il n’en sont pas moins des faits réels et indéniables ; pareille attitude est une tradition dont l’Église catholique ne s’est jamais départie, parce que cette attitude procède directement des principes que l’Église enseigne en matière d’obéissance. Pour elle, en effet, la révolte contre le pouvoir n’est légitime et permise que dans le cas d’intolérable persécution, où les intérêts religieux sont très gravement menacés. Si le Canada devait jamais essayer de briser, par un acte de rébellion, les liens qui le rattachent à l’Angleterre, nous n’hésitons pas à affirmer que le clergé catholique serait le premier à désapprouver cet acte et à prêcher la juste soumission au pouvoir établi : l’Angleterre peut être assurée que l’Église, par sa doctrine et son passé, est le plus ferme boulevard de son influence dans l’Amérique Britannique[14].

Ce qui est vrai du Canada en général l’est aussi de l’Acadie. Les prêtres Acadiens pouvaient désirer et souhaiter dans leur cœur, que cette province redevint colonie française, et cela moins par pur patriotisme encore, que par crainte que la religion n’eût à souffrir de la domination étrangère ; ils pouvaient entretenir chez leurs fidèles l’amour et le souvenir de la France, les éclairer sur leurs droits, leur dire comment agir à l’égard des ombrageuses autorités d’Annapolis, leur conseiller même de quitter le pays, ainsi que le traité leur en laissait la liberté, leur suggérer de ne pas prêter un serment inconditionnel, transmettre au gouvernement français leurs appréhensions ou leurs espérances, au sujet d’une colonie qu’il venait de perdre. En l’absence de documents certains prouvant toutes ces choses, on peut les supposer, les croire possibles et mêmes probables. Mais, ce qu’il n’est pas permis d’affirmer, parce que cela va contre la tradition constante du clergé catholique, dans tous les pays du monde, c’est que, quelles qu’aient pu être les indiscrétions individuelles, ou les exceptions qui sont rien moins que prouvées historiquement, les missionnaires aient fait quoi que ce soit, pour détourner les Acadiens de leur fidélité au serment, et de leurs légitimes devoirs envers le gouvernement anglais.



  1. Charles-René de Breslay, naquit en 1658, d’une famille remarquable du Maine. À l’âge de 21 ans, il entra à la cour de Louis XIV, en qualité de « gentilhomme servant de la chambre du roi ». Après avoir rempli cette charge honorifique pendant dix ans, il entra au séminaire de St-Sulpice, où il résolut, en 1689, de se préparer à la carrière sacerdotale. Le 1er  février 1694, il fut affilié à la Cie de St-Sulpice et demanda à passer dans la Nouvelle-France, pour laquelle il s’embarqua le 3 avril, et où il arriva seulement après une rude traversée de quatre mois. À Montréal, tout en s’occupant du ministère, il étudia la langue algonquine, travailla à réprimer l’abus des boissons spiritueuses, prit part à la construction du canal Lachine, que son Supérieur, M. Dollier de Casson, avait fait ouvrir dès l’année 1692. En 1703, fut nommé curé de la paroisse St-Louis, à Montréal. Fonda une mission isolée pour les Sauvages dans les îles de Vaudreuil. L’église, le presbytère, et le centre de la mission furent établis à l’Île-aux-Tourtes. Cette mission remplaça celle de la baie d’Urfè, près du lac Ontario. M. de Breslay s’y dévoua pendant 16 ans. En 1714, il fonda la paroisse de Ste-Anne-du-Bout-de-l’Île. Il ne put s’entendre avec le gouv.-gén. M. de Vaudreuil, au sujet de la vente de l’eau-de-vie aux Sauvages, que celui-ci persistait à autoriser, et en 1720, passa à l’Île Saint-Jean, (Prince-Édouard.) Il avait alors 62 ans. Il y séjourna 3 ans après lesquels l’évêque de Québec le nomma curé de Beaubassin, (Amherst), où il bâtit une église dédiée à Sainte-Anne, laquelle fut incendiée en 1750. La pierre d’autel que l’on retira des décombres est conservée au musée du collège St-Joseph de Memramcook. En 1724, M. de Breslay est employé aux missions de Louisbourg. De là il passa à Port-Royal, dont il desservit la paroisse en remplacement des Récollets qui retournaient à Louisbourg. L’église et le presbytère de Port-Royal avaient été détruits : empêchements sont mis par les gouverneurs à leur reconstruction. Le Conseil d’État assigna à l’abbé de Breslay pour presbytère et chapelle une maison connue sous le nom de fort Mohawk, située à l’extrémité du fort. C’est là qu’Armstrong commença à causer à ce vénérable missionnaire toutes sortes d’injustices. Pour éviter des conflits avec ce fonctionnaire ombrageux, il fallait à l’abbé de Breslay plus que la prudence et la patience d’un saint. Bien qu’il eût pris toutes les précautions possibles pour ne pas s’attirer de reproches de la part du chef du conseil d’Annapolis, il vit bien qu’il ne pourrait réussir longtemps à se soustraire aux dangereuses manœuvres de l’autorité civile. À cette époque, le conseil anglais d’Annapolis administrait toute la province. L’administration tentait d’arracher aux Acadiens un serment sans réserve. Armstrong ne put obtenir que le missionnaire de Breslay entrât dans ses vues astucieuses. Dès lors, rupture complète avec lui. La comédie que joua Armstrong, le dimanche 25 septembre 1725, (cet événement est relaté dans l’un de nos précédents chapitres) fut vite déjouée et dénoncée par les missionnaires français du pays. Dès lors l’abbé de Breslay devint insupportable au lieut-gouverneur. Armstrong alla jusqu’à l’apostropher dans l’église où le curé officiait. Une autre fois, il arrive au presbytère, fait enfoncer les portes, fouiller tous les meubles et forcer les serrures pour en enlever les papiers. N’y trouvant rien de compromettant, il fait enlever tout le mobilier et dépouille le pauvre missionnaire de tout ce qu’il possédait, y compris ses animaux.

    Dans un État de l’Acadie pour le gouvernement Ecclésiastique, 28 novembre 1731, envoyé au Ministère de la Marine et des Colonies, (cette pièce forme le No. v des Doc. inédits publiés par le Canada-Français, Tome I, p. 40), il est dit que M. de Breslay en est revenu, (de Port-Royal) rebuté des persécutions de M. Armestrom. (sic.) — L’abbé de Breslay fut obligé, pour éviter la prison et la mort, de se réfugier dans les campements indiens où il passa quatorze mois. C’est de là qu’il retourna au séminaire de Saint-Sulpice, à Paris, en 1735. Il était âgé de 77 ans.

    Les Anc. Missionnaires de l’Acadie devant l’Histoire. op. laud., p. 35 et seq.

  2. Vol. I, ch. L, p. 452. — Akins, p. 82.
  3. L’auteur d’Acadie croyait évidemment au progrès indéfini de l’humanité ; son esprit, naturellement utopiste et spéculatif, partageait sur cette question du progrès de notre espèce les idées émises par une certaine école qualifiée de positiviste, encore que sa doctrine soit fort mélangée de rêves et de chimères. Richard s’est peut-être souvenu, en écrivant ce passage, de l’affaire des Îles Carolines, soumise à l’arbitrage de Léon XIII par Bismarck lui-même et si heureusement réglée par le Grand Pontife, à la satisfaction de l’Espagne et de l’Allemagne. Mais quoiqu’il en dise, les peuples contemporains ont trop peu recours à cette forme de solution pacifique. Les événements actuels (guerre de 1914-15) sont un démenti donné aux espérances des pacifistes. C’est que ces espérances n’avaient pas pour fondement le christianisme, seul messager et agent de paix dans le monde. Voilà pourquoi le célèbre tribunal de la Haye, duquel on avait exclu le représentant de l’Église catholique, a eu une mission si peu fructueuse. Quant à l’abbé de Breslay, ce digne ecclésiastique avait dû appliquer abusivement les censures ecclésiastiques, (ce qui est grave), puisque l’Évêque de Québec, M. de Samos (Mgr  Dosquet) lui retira les pouvoirs de Grand Vicaire. (Cf. État présent de l’Acadie. Doc. inédits. C. F. p. 40.)
  4. Casgrain. Pèlerinage, etc., p. 79-80, d’après Documents, notes et traditions sur l’Acadie, recueillis par l’abbé Sasseville, curé de Ste-Foy.
  5. Nova Scotia Documents, p. 103.
  6. Sur l’origine des d’Entremont, v. Rameau. Une colonie, etc. Pièces justificatives, Ie Série, X, IIIe Série, V. Les d’Entremont descendaient de Philippe de Mius d’Entremont, baron de Pobomcoup.
  7. Parkman, qui, on l’a vu, accepte généralement sans les discuter les documents colligés par Akins et ne voit rien en dehors de là, s’est prononcé contre les abbés de Chauvreulx et de St-Poncy, et contre tous les missionnaires français qui ont fait du ministère en Acadie, après la conquête anglaise ; il les a représentés comme des agents de la France : « At all the Acadian settlements, he (le gouverneur de l’Isle Royale) had zealous and efficient agents in the missionary priests… These were not only priests of the Roman Church, they were also agents of the King of France ; and from first to last they labored against the British government in the country that France had ceded to the British Crown… When two of their number, Saint-Poncy and Chevereaux, were summoned before the Council at Annapolis, they answered with great contempt : « We are here on the business of the King of France. » They were ordered to leave Acadia… The political work of the missionaries began with the cession of Acadia and continued with increasing activity till 1755… » A Half-Century of Conflict. Vol. I, ch. IX, p. 200-1.

    Cf. dans Beamish Murdoch, vol. I, ch. LVII. Toute cette histoire des démêlés des abbés Chauvreulx et St-Poney avec Armstrong. Le chapitre se termine par des considérations où l’auteur dit que bien des troubles eussent été évités « si les missionnaires, au lieu d’être stipendiés par le Roi de France, l’avaient été par la Couronne Britannique ». C’était faire peu d’honneur à ces dignes prêtres que de les prendre pour des mercenaires, qui se fussent vendus au plus offrant.

  8. Pèlerinage au pays d’Évangéline, ch. III, p. 77-8. Le document a été trouvé aux Archives de la Marine et des Colonies. Amérique du Nord. Acadie.
  9. « A merchant vessel, which is suppose to have sailed from Dublin, 7th october 1735, Round to Annapolis, Maryland, having got out of its course, put into Jeboque harbour in december. One person only (a woman who called herself Mrs. Buekler) appeared to have been found on board when the vessel was visited by the Cape Sable Indians. Eight dead bodies were found on the shore. The woman called herself the widow of the sole owner of vessel and cargo, and to have been robbed of great treasures in silver and gold and merchandise… The tale of the woman received little confirmation afterwards, but being told with some degree of plausibility, it created much stir in the little quiet government… The further details of the affair are not of themselves worth, at this day, much attention : but there was one result of mischief from it in a new quarrel which it led to between lieut. governor Armstrong and two of the R. Catholic Priests, Messrs. St. Poney and Chevereulx. » Murdoch, vol. I, ch. LVII, p. 512.
  10. Richard met en note ce qui suit : « Lorsque nous avons entrepris ce travail, nous n’entendions que publier une série d’articles pour rectifier ce que nous pensions être les erreurs dont fourmillait une étude insérée dans le Week, de Toronto, et due à la plume de l’historien Stevens Pierre Hamilton, — lequel s’est suicidé au commencement de cette année, (1893). Les conclusions de Hamilton étaient en grande partie basées sur les affirmations de Armstrong, — autre victime du suicide, — et particulièrement sur ce que rapporte ce gouverneur au sujet de MM de Chauvreulx et de St-Poney. La triste fin du publiciste de Toronto nous a éclairé sur sa mentalité ; elle a expliqué à nos yeux l’intempérance de son langage : cet homme n’était évidemment pas dans la condition d’esprit requise pour apprécier sainement les choses de l’histoire. Voilà pourquoi nous avons rayé son nom de notre travail, lequel s’est converti, en quelque sorte à notre insu, en l’ouvrage que nous offrons aujourd’hui au public. »
  11. L’idée émise ici par l’auteur d’Acadie est bonne en soi, même excellente, et elle a fini par prévaloir pour le plus grand bien de nos frères Acadiens, lesquels savent tout ce qu’ils doivent aux admirables prêtres sortis de leur sein. Seulement Richard se trompe quand il s’imagine que deux prêtres « français », et vivant séparés l’un de l’autre, eussent pu, en dix ans, et chez un peuple où les moyens d’instruction n’existaient pas encore, former une jeunesse cléricale. Ignorait-il tout ce que demande de temps et de soins la préparation au sacerdoce ? Il eut fallu pour cela tout un collège, et les temps n’étaient pas mûrs pour la création d’une œuvre qui devait éclore au dix-neuvième siècle, à Memramcook, et dont les résultats bienfaisants sont incalculables.
  12. Richard réfère ici à une lettre, écrite par Mgr  Henri-Marie Dubreuil de Pontbriand, (né à Vannes, Bretagne, janvier 1708, nommé évêque de Québec 6 mars 1741, sacré le 9 avril de la même année ; mort à Montréal le 8 juin 1760 ; il avait succédé sur le siège de Québec à Mgr  François-Louis Pourroy de L’Aube-Rivière, décédé le 20 août 1740), en 1748 ou 1749, à l’abbé Le Loutre, laquelle lettre, provenant des «  Tyrrell’s Papers », est donnée, dans la traduction anglaise, à la page 240-41 des Documents sur l’Acadie, édit. Akins ; la date n’en est pas marquée. D’après la teneur de cette lettre, l’abbé Le Loutre avait simplement excédé en laissant croire aux Acadiens réfugiés dont il avait la charge qu’ils ne pouvaient « en conscience » retourner en territoire anglais. L’Évêque lui dit : …It is right for you to refuse the sacraments, to threaten that they (the Acadians) shall be deprived of the services of a priest, and that the savages shall treat them as enemies ! I wish them conscientiously to abandon the lands they possessed under English rule ; but is it well proved that they cannot conscientiously return to them, secluso perversionis periculo ? I think this question too embarrassing to make it the subject of a charge ; and I confess that I should have much trouble in deciding, even at the tribunal of penance. » — Parkman, fidèle à sa méthode, crible d’injures l’abbé Le Loutre : « a man of boundless egotism, a violent spirit of domination, an intense hatred of the English, a fanatism that stopped at nothing. » Cf. Montcalm and Wolfe, Tome II, c. IV, p. 118, et passim. Tous les documents sérieux prouvent au contraire que cet abbé fut un saint missionnaire, qui a seulement un peu manqué de prudence sur un point où il s’est laissé emporter par son patriotisme. Nous reviendrons là-dessus.
  13. Le fait dont il est parlé ici se passa sous Mgr  Jean-Olivier Briand, né à Plérin (Bretagne) le 23 janvier 1715, nommé vicaire général de Québec, le 13 septembre 1759, évêque de Québec, pour succéder à Mgr  de Pontbriand, le 21 janvier 1766, sacré le 16 mars de la même année ; il résigna le 29 novembre 1784, mourut au Séminaire de Québec le 25 juin 1794, à l’âge de 79 ans et 5 mois. « … les troupes françaises partirent pour rentrer en France ; avec elles laissèrent le Canada presque tous les chefs de la société ; dans le pays restaient plusieurs seigneurs,… et une population d’origine française d’environ 70,000 âmes. Avec elle demeurait le clergé, qui, dans l’absence des anciens chefs du peuple, se trouva ainsi chargé, non seulement de conduire le peuple dans la voie de la religion, mais encore de le guider dans la politique et les matières civiles. Lui-même venait de perdre son chef. À Montréal, venait de mourir Mgr  de Pontbriand ; mais le chapitre exerçait encore une certaine influence ; et M. Briand, V. G., par ses bons procédés et son bon caractère, exerçait beaucoup d’influence auprès du général Murray, et avait été chargé par le chapitre de veiller à Québec sur les affaires religieuses. Pendant près de trois ans le siège de Québec demeura vacant. Le 15 septembre 1763, le chapitre choisit pour premier pasteur M. Montgolfier, mais cette nomination ne convenait pas au général Murray, qui s’y opposa avec instance. M. Montgolfier, de guerre lasse, donna sa démission, et le chapitre, assemblé de nouveau, choisit celui que M. Montgolfier leur avait recommandé, M. Briand, au sujet duquel Murray écrivait à Lord Shelburne : « … M. Briand, V. G., a constamment agi avec une candeur, une modération, un désintéressement qui le proclament un digne et honnête homme, et je ne connais personne de sa robe qui mérite aussi justement la faveur royale. » — Ferland Hist. du Canada. Vol. II, ch. XLII, p. 607-8.
  14. Cf. pour la doctrine de l’Église touchant la soumission des peuples au pouvoir établi, l’opuscule de S. Thomas : De Regimine Principum ; le liv. I, ch. VI, en particulier, expose le devoir des catholiques à l’égard de la tyrannie. — Cf. aussi l’encyclique de Léon XIII, Diuturnum, sur l’Origine du Pouvoir Civil ; l’encyclique du même Pontife, Immortale Dei, sur La Constitution chrétienne des États. — À propos des événements de 1837-38, Mgr  Lartigue, évêque de Montréal, avait lancé un Mandement qui débute ainsi : « Il n’est jamais permis de se révolter contre l’autorité légitime, et (le clergé) ne doit point absoudre quiconque enseigne que l’on peut se révolter contre le gouvernement sous lequel nous avons l’honneur de vivre… »