Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome Ip. 177-209).

CHAPITRE CINQUIÈME


Administration de Richard Philipps, 1720-1722. — Proclamation ordonnant aux Acadiens de prêter le serment d’allégeance ou de s’en aller dans l’espace de quatre mois, sans rien emporter de leurs biens. — Les habitants se décident pour cette dernière alternative. — Désappointement de Philipps. — Nouvelles omissions du compilateur Akins. — Les Acadiens entreprennent d’ouvrir un chemin pour effectuer leur départ. — Philipps ordonne la suspension des travaux. — Prolongation du délai d’abord fixé. — Cajoleries pour retenir les habitants. — Lettre importante du Secrétaire d’État Craggs. — Parkman


En 1720, le général Richard Philipps, qui en réalité était déjà depuis près de trois ans gouverneur de la Nouvelle Écosse, vint à Annapolis prendre charge de sa province. Il était revêtu de plus amples pouvoirs que ses prédécesseurs ; et sa haute situation dans l’armée donnait encore du poids et du prestige à son autorité.

Philipps le prit d’abord de très haut avec les Acadiens. À peine était-il arrivé qu’il lança une proclamation leur intimant l’ordre de prêter serment sans réserve, ou d’évacuer le pays dans un délai de quatre mois, sans pouvoir emporter aucun de leurs biens ni en disposer à leur gré. Voici le texte de cette étrange proclamation :


G. R.


« Par son Excellence Richard Philipps, Escuyer, Capitaine Général et Gouverneur en Chef de la Province de sa Majesté la Nouvelle Écosse ou Accadie, etc.

« Sa Sacrée Majesté George Par la Grâce de Dieu, Roy de la Grande Bretagne et d’Irlande etc, Duc de Brunswick et Lunnenbourg, Seigneur de Bremen, Souverain Prince d’Hannover, Prince Electeur du Saint Empire, Seigneur de plus vastes Domaines en Amérique, et en particulier l’incontestable Souverain Seigneur de toute la Nouvelle Écosse, ou Accadie, aussy bien par Traité que par conqueste ; estant informé que les Habitants François de cette ditte Province ou la plus grande Partie d’entreux ont négligé jusque icy de satisfaire a leur Obligation, de jurer véritable et Fidelle allegiance a sa Majesté, quoy qu’ils ayent Jusques icy joui des Influences de son Gouvernement doux et benign (comme ils le confessent eux mesme :) m’a commandé de Déclarer et Publier a mon arrivée dans cette Sienne Province, que son Vouloir et Bon Plaisir Royall est que quoy que les dits Habitants, François, ayent par leur obstination ou negligeance escoulé le tems stipulé pour eux dans le Traité de Paix conclu à Utrecht pour prester le dit Serment ou se retirer de ce pays avec leurs Effets, Sa Majesté, cependant par la grande Indulgence, qu’il a pour eux, est portée à ne prendre aucun advantage de leur deportement et veut de sa Grâce leur donner une autre occasion d’obtenir Sa Faveur Royalle, en leur accordant quatre mois de plus, a commencer de la datte de cette Proclamation, pour prendre le dit Serment, Promettant, a tous ceux qui s’y conformeront le libre Exercise de leur Religion et qu’ils jouiront de Droits et Privilèges civils comme s’ils estoient anglois, aussy longtems qu’ils se comporteront comme Bons et Fidelles Subjects de Sa Majesté et que leurs Biens et Possessions deviendront a leur Héritiers : mais il est Positivement défendu a ceux qui choisiront de sortir du Pais de faire aucune sorte de dégast ou domage a leurs maisons ou Possessions ou d’alienner, disposer, ou emporter avec eux aucuns de leurs Effets. De quoy toutes personnes qui y sont Intéressées doivent prendre connoissance a leur Péril Donné à Annapolis Royalle le Dixme jour de Avrill V. S. dans l’année de note Seigneur 1720 et dans la Sixième année du Regne de Sa Majesté. »

Vive Le Roy.

« Par ordre de Son Excellence[1]. »


L’on voit que les conditions posées dans cette proclamation étaient draconiennes. Et il n’y a pas à s’étonner dès lors de ne pas la voir figurer dans la compilation de Akins. Ainsi le plan de temporisation inventé par Vetch, poursuivi par Nicholson et ses successeurs, aboutissait au résultat espéré. Les Acadiens avaient eu le tort de s’être laissés berner, et d’avoir attendu débonnairement une réponse toujours promise, et qui leur arrivait enfin sous cette forme imprévue.

Le but de Philipps était évident. Il savait bien que, sans moyens de transport, les Acadiens ne pourraient s’éloigner, surtout dans le court délai qu’il leur accordait. Il s’imaginait qu’ils étaient tellement attachés à leurs biens, que sa défense de ne rien emporter avec eux les forcerait à accepter son serment sans réserve, et même toutes les autres conditions qu’il lui plairait d’exiger. Nous verrons qu’il se trompait dans ses calculs. Toutefois des ordres aussi sévères jetèrent la consternation parmi ces pauvres habitants ; leur agitation fut extrême. Et comme une prompte décision s’imposait à leur esprit, ils répondirent au Gouverneur dans les termes que voici :

« A Son Excellence Richard Philipps, etc.


« Pour executer vos ordres, nous nous somme assemblé, tous les Habitants de cette Rivière, pour donner a Votre Excellence vne Reponce Positive a la Proclamations que vous avez eûe la bontée de nous envoyer, nous Representons donc très humblement a votre Excellence qu’il est notoires que nous ne pouvons pas prester serment à sa Majesté Britannique sans courir un Risque très certain D’estres Esgorgée dans nos maison par les Sauvages les quel nous en menace tous les jour c’est pourquois Monsieur nous ne pouvont pas faires D’autre serment que ce luy cy, qui est d’estre fidelle au Roy George sans que l’on nous puisse contraindre a prendre les armes contre Personne, dont nous vous supplions très humblement de vouloir l’accepter vous prommestant de le garder fidellement Votre Excellence verra bien que ce sont le Sauvage que nous aprehendons doutant que nous somme tous prest d’abandonner tous nous bien pour nous sauver nôtre vie a nous et a nos familles et sy vôtre Excellence ne nous peut pas permettre de rester icy sur ce serment nous vous suplions très humblement Monsieur de vouloir bien nous accorder vn peut plus longtemps pour nous retyrer nous et nos familles nous estant presques impossible de nous retyrer en sy peut de temps le pays même estant denuée de vivres par les semences que long a faitte De puis peut, c’est pourquois, nous vous prions de vouloir bien nous accorder la grâce de nous lesser emporter les effects que nous avons pour substanter a notre vie et a celle de nos familles pour nous retirer sur les terre du Roy de France Espérant que Votre Excellence nous permettra d’aller à L’Isle Royal pour demander du secour pour nous retyrer. Nous estant impossible de nous retyrer de nous même en sy peut de temps, la plus grande partie n’ayant aucune voitures nous espérons que votre Bontée a ceux qui auront des voytures de se Retyrer avec, oû qui leur serat permis den Lover ou d’en achepter. C’est la grâce que nous espérons que vôtre Ecellence accordera a tous ceux qui sont avec tous le respect et la soumission possible. Les plus soumis de vostres humble serviteur »


« Les Soubsignez ou son marquez
Nicholas Lavigne
and 135 Inhabitants french
« Signed their names »[2]


Mais ce n’est pas là le seul document que nous ayons par devers nous, se rapportant à ces faits. Il en est d’autres, d’une égale importance, et dont la production est indispensable à la claire intelligence des événements. C’est d’abord une lettre du Père Justinien Durand à Philipps ; puis un mémoire des habitants d’Annapolis au même gouverneur, en date du 20 mai 1720 ; une lettre du gouverneur de Louisbourg au gouverneur Philipps, du 8 juin 1720 ; une lettre des Acadiens au gouverneur de Louisbourg avec la réponse de ce dernier. Aucun de ses documents ne se trouve au volume des Archives, et pourtant les quatre premiers sont aux Colonial Records, tout à côté de ceux qu’il a plu à Akins de choisir pour son ouvrage. Sa compilation contient toutes les lettres de Philipps aux personnes ci-dessus mentionnées, mais omet de signaler les réponses qui y furent faites. Je me trompe. Il y a une lettre[3], une seule, écrite par les habitants des Mines. Akins nous en donne la traduction. Nous ne pouvons savoir quelle elle était dans l’original ; mais constatons seulement qu’elle est, telle quelle, bien mal rédigée et bien peu explicite. Est-ce la faute du traducteur ? Ou ne l’a-t-il pas choisie, entre les autres, précisément à cause de telle lettre imprécise des Acadiens au gouverneur de Louisbourg, lorsqu’il y en avait une autre qui exposait en termes clairs et formels la situation[4] ? Cette lettre au gouverneur de Louisbourg, en date du 6 mai 1720, ne devait se trouver ni aux Archives de Halifax, ni à celles de Londres. Elle ne pouvait être qu’aux Archives de la Marine, à Paris. C’est donc là que notre compilateur est allé la dénicher. Mais alors, il avait donc compulsé ces archives. Et quel intérêt avait-il à s’écarter de sa route habituelle et à aller puiser ailleurs, quand il laissait systématiquement de côté tant de pièces importantes que pouvaient lui fournir les Archives de Londres aussi bien que celles de Halifax ? Pour ne pas paraître le prendre trop à parti, nous ne le tiendrons responsable que de la révoltante partialité avec laquelle il a utilisé les Archives d’Angleterre ou de Nouvelle-Écosse. Et ses procédés d’élimination à cet égard sont plus que suffisants pour accabler sa mémoire. Du reste, nos lecteurs doivent savoir à quoi s’en tenir sur ce personnage, et nous voudrions n’avoir à parler de lui désormais que le moins souvent possible.

Voici donc un extait de la lettre au gouverneur de Louisbourg, soigneusement omise par Akins, ainsi que nous venons de le dire :


Extrait d’une lettre des Habitans du Port Royal, des Mines,
de Beaubassin, envoyée a Mr. de St-Ovide par des
Habitans députés de leur part[5].


« Monsieur

« Le nommé Prudent Robichau vous remettra la lettre que nous avons l’honneur de vous écrire, nous l’avons député pour vous informer qu’un nouveau lieutenant-gouverneur étant arrivé nous avons reçu ordre de lui de faire le serment de fidélité pour le roi de la G. B. ce que nous avons refusé avec autant de constance que nous le fîmes les années dernières au général de Nicholson en présence de Mrs de la Ronde et de Pensens.

« Vous savez Mr, les difficultés qui nous ont été faites pour notre sortie lorsque nous l’avons demandés et l’impossibilité dans laquelle nous nous sommes trouvés d’effectuer ce que l’on demandoit de nous. Cependant aujourd’hui il semble qu’on veuille nous contraindre de faire ce serment ou d’abandonner le pays il nous est absolument impossible de faire ni l’un ni l’autre.

« Nous sommes résolus de ne point faire de serments parce que nous sommes bons et vrais sujets du roi T. C. Vous avez veû la dessus notre déclaration que rien ne sera capable de nous la faire changer et nous ne pouvons abandonner sans des facilités convenables qui nous étoient promis de la part de la cour de France et qui nous ont été toujours refusez de la part de la cour d’Angleterre, pour notre situation est très rude et que la conjoncture dans laquelle nous nous trouvons est très épineuse, nous vous supplions Monsieur de nous honorer de vos charitables conseils au cas qu’il nous soit fait de nouvelles instances de la part du gouverneur, nous en ferons le meilleur usage qu’il nous sera possible avec le secours de nos missionnaires[6]. »

Le 14 mai 1720, Richard Philipps avait écrit une longue lettre au gouverneur du Cap Breton (Akins, p. 26), et voici la réponse qu’il en reçut, datée du 8 juin 1720 :

« Le P. Justinien m’apprend les ordres précis que vous avez donnés (aux) habitants de l’Accadie de prester le serment ou de se retirer, c’est apparemment ceux que vous entendez natifs du pays dont vous me parlez dans votre lettre ; J’ay Egalement taché lorsque l’occasion s’en est présentée de leur inspirer l’Esprit de tranquilité du mieux qu’il m’a esté possible cependant Monsieur quelque juste que soit la resolution que vous avez prise de les fixer en conséquence des Ordres Expresses du Roy vostre maistre, vous voulez bien me permettre de vous représenter que L’inaction dans laquelle ces peuples sont restez jusqu’à présent ne peut ni ne doit leur estre imputé a crime tant par raport au deffaut des Secours essentiels a leur transmigration que par les obstacles que les Gouverneurs generaux et particuliers qui vous ont précédé y ont mis.

« Je ne puis non plus me dispenser, Monsieur, de vous exposer que les deux clauses de vostre Proclamation qui concernent le terme, et les circonstances de leur Evacuation me paroissent peu conformes aux assurances de bien veillance qu’ils auoient de la part de la Cour d’Angleterre surtout après un Traitté et une Convention de bonne foy entre la feu Reyne Anne et le Roy Louis quatorze de glorieuses mémoire, Traitté qui a esté exécuté en Entier de la part de la France et en partie de la part de l’Angleterre.

« Vous n’Ignorez pas Monsieur que par cette convention Le sort des Habitants de l’Accadie étoit et deuoit être le même que celuy des habitants de Plaisance. On ne peut rien ajouter à la gracieuseté et a la bonne Foy avec laquelle cest Traittée cette Evacuation et j’auray l’honneur de vous representer que rien ne pourroit estre de plus dur que l’Extremité ou pour mieux dire l’Impossibilité à laquelle se trouveroient réduits ces pauvres Peuples Si vous ne vouliez vous relacher en rien du temps que vous leurs accordez et de la manière dont vous Exigez leur sortie.

« En vérité, Monsieur, ce seroit leur faire sentir bien foiblement les effects de la bienveillance Royalle du Roy vostre Maistre que vous leur faites valoir avec tant et de si justes Tiltres dans votre Proclamation et dont Ils auoient de si heureux préjugez par le Traitté et la Convention dont vous ne pouvez ignorer ni les clauses ny le poids.

« Je suis persuadé, Monsieur, qu’en considération de cette sincere indissoluble et inviolable Union qui se trouve entre les Rois nos maîtres et leurs États, vous ne refuserez pas L’attention convenable a La représentation que j’ay l’honneur de vous faire et que trouvant a l’avènement a votre Gouvernement l’heureuse occasion de faire valoir la forte inclination que vous me protestez auoir de vous y conformer en tout ce qui pourra dependre de vous vous me donnerez les occasions d’y repondre en Faisant valoir au Roy mon maître l’humanité avec Laquelle vous aurez traitté Ses sujets en cette importante occasion. »

« J’ay l’honneur d’Estre très parfaitement
« Monsieur
« Vostre tres humble et tres
« obeissant Serviteur
« St-Ovide de Brouillan[7].

Voilà plus de vingt documents, dont aucun ne figure au volume des Archives de la Nouvelle-Écosse, que nous citons pour prouver les empêchements qui furent mis au départ des Acadiens. À l’encontre de ces affirmations claires et précises, que renferme ce volume ? À peu près rien. Nous ne voyons nulle part que ces affirmations aient été l’objet de contradictions formelles. Ni Nicholson, ni Doucett répondirent aux assertions de Costabelle et de Brouillan. Seul un passage d’une lettre de Philipps aux autorités anglaises pourrait être interprété comme une dénégation de tout ce que nous avons exposé :

« Les Français qui sont établis dans la péninsule et sur les bords de la rivière qui arrose Port-Royal sont les anciens colons qui se sont beaucoup multipliés depuis la cession de la Province à la Couronne Britannique. À l’époque de cette cession, il fut stipulé en leur faveur qu’ils avaient le choix entre continuer à demeurer dans le pays, à la condition de changer d’allégeance, ou en partir après avoir disposé de leurs immeubles et effets à leur plus grand avantage : le délai d’un an leur était accordé pour prendre une décision. Mais, à l’expiration de ce délai, voyant que leurs nouveaux maîtres n’étaient pas en mesure de les forcer à se prononcer soit dans un sens soit dans l’autre, les Acadiens sont restés sur leurs terres au mépris du gouvernement, attendant l’occasion d’une rupture entre les deux Couronnes pour restaurer l’ancienne autorité, intriguant sous mains avec les sauvages pour les inciter au pillage et au meurtre, à la destruction du commerce[8]… » Philipps ne connaissait rien personnellement des empêchements dont nous avons parlé. Ses seules sources d’informations avaient pu être dans les témoignages de Vetch, Caulfield, Doucett et autres officiers de la garnison. Mais ces témoignages étaient plus que douteux, étant donné que ces messieurs n’étaient pas empressés de s’accuser de leurs propres fourberies. L’on peut juger du crédit que méritent les déclarations de Philipps par la peine qu’il prend de défigurer le traité qu’il avait sous les yeux. L’on se souvient que ce traité donnait aux Acadiens le droit d’emporter avec eux, en cas de départ, leurs effets mobiliers, leurs bestiaux, etc. Philipps convertit cette clause en un droit de vendre et de disposer. Et s’il était capable de falsifier si grossièrement la lettre d’un traité, quelle valeur attacher à des assertions qu’il ne fait que de seconde main, après les avoir recueillies de la bouche de personnes tout intéressées à le tromper ? Prétendre que les pauvres Acadiens ne pouvaient rien prendre avec eux des choses qui leur appartenaient, quelle inhumaine mesure, et quelle ruse de barbare ! Mais ces gens étaient les seuls habitants du pays, ou à peu près. À qui donc auraient-ils pu vendre leurs biens avant de s’éloigner ? C’était là une fourberie dont le but évident était de les obliger à rester contre leur gré. Philipps n’allait pas tarder à se convaincre qu’il s’était laissé duper par son entourage sur les vraies causes qui avaient empêché l’exode des Acadiens, et qu’il était lui-même dans une illusion profonde, en s’imaginant que ses cruelles ordonnances allaient produire le résultat qu’il en attendait.

N’espérant donc plus fléchir le gouverneur dans sa détermination, n’espérant plus ni secours opportun ni prolongation du délai fixé, les Acadiens se mirent à l’œuvre pour deviser des voies et moyens d’effectuer leur départ. Impossible de songer à s’en aller par mer, les vaisseaux manquant ; force leur était de choisir la route de terre. Mais pour cela il fallait ouvrir des communications, là où il n’y en avait pas. Le temps pressait. Les gens de Beaubassin avaient l’avantage de pouvoir s’enfuir par Baie Verte. Mais ceux des Mines et surtout ceux d’Annapolis ? Il n’y avait pour ces derniers d’autre issue possible que par l’intérieur des terres. Or, entre les Mines et Annapolis se trouvait un espace de vingt à trente milles qui n’avait jamais été ouvert au passage des voitures. C’est de ce côté que se portèrent d’abord les efforts des Acadiens des Mines, désireux de venir en aide à leurs frères de Port-Royal. Toute la population en état de travailler prêta vaillamment son concours, et le chemin se dessinait rapidement à travers la forêt et la brousse. En face d’une détermination de quitter le pays, qui se manifestait avec si peu d’équivoque, Philipps prit l’alarme. Mais qu’y faire ? Pouvait-il raisonnablement s’opposer à ces travaux, indispensables pour que les colons pussent opérer leur transmigration ? Évidemment non, car c’était le seul moyen qu’il leur restait pour s’éloigner, et se conformer par là à l’alternative que la proclamation du gouverneur les avait laissés libres d’adopter… Et pourtant, il fallait de toute nécessité entraver ce départ, en ruiner l’exécution !…

Non vraiment, si les documents officiels n’étaient là pour établir, de façon irréfutable, à quels procédés Philipps eut recours pour frustrer à nouveau les Acadiens et anéantir leur légitime projet, l’on n’y croirait pas. Voyons donc ces procédés :


« À un conseil tenu en la résidence de M. le Lieutenant gouverneur, Garnison de Sa Majesté, Annapolis Royal, le mardi 17 mai 1720.

Présents :

Monsieur le Lieutenant-Gouverneur, Major Lawrence Armstrong, président, Major Paul Mascarene, le révérend John Harrison, Cyprien Southack, Ecr., Arthur Savage, Ecr., Hibbert Newton, Ecr., William Skene, Ecr., William Shirreff, Ecr.

Monsieur le Lieutenant-Gouverneur ayant informé le Bureau que son Excellence le général Philipps a reçu avis que les français habitant sur cette rivière sont à percer un chemin d’ici aux Mines, ce qui le porte à croire qu’ils ont par là l’intention d’inquiéter Annapolis, ou de se servir de cette voie pour conduire leurs troupeaux et aller se porter ailleurs, avec tous leurs effets, afin de fonder un établissement, soit aux Mines, soit à Shignectou, d’où ils pourraient défier le gouvernement, — il est agréé et résolu :

Que Son Excellence soit priée d’envoyer des ordres spéciaux aux habitants de cette rivière, ainsi qu’à ceux des Mines, leur défendant d’ouvrir une telle route sans en avoir reçu la permission écrite de la main de son Excellence ;

Que les ordres susdits soient rédigés et présentés à l’approbation de Son Excellence ; — que Monsieur le Lieutenant-Gouverneur, Major Lawrence Armstrong, le Major Paul Mascarene et Cyprien Southack, Ecr., composent le comité chargé de rédiger les ordres en question[9]

La proclamation rédigée en conformité avec cet ordre en conseil se termine sur ces mots : « Je défends en outre à toute personne de quitter sa maison clandestinement et sans en avoir reçu ma permission.

« Donné sous mon sceau, à Annapolis Royal, ce 18 mai 1720. »

Richard Philipps[10].

L’ordre avait été rédigé comme si l’on avait supposé aux Acadiens d’autres desseins que celui de quitter le pays, et il fallait s’attendre à une pareille supposition de la part de l’autorité ; elle n’avait rien que de naturel. Le gouvernement avait tout intérêt à voiler son méfait sous ce prétexte spécieux. Mais il faudrait avoir d’épaisses écailles sur les yeux pour ne pas voir le vrai sens de cet ordre et pour n’en pas saisir la note finale.

Philipps et son conseil savaient fort bien que le but des Acadiens n’était pas de venir molester le pays, à la faveur d’un chemin facile ouvert d’une place à l’autre, mais seulement de se préparer une issue pour le quitter à jamais. Dans une lettre au Secrétaire d’État Craggs, le gouverneur n’avait pas sans doute les mêmes motifs à invoquer contre eux que dans sa proclamation, aussi dit-il simplement : « Les Acadiens furent très surpris de l’arrivée d’un gouverneur en titre, chose à laquelle ils étaient loin de s’attendre. Par conséquent ils tâchent de se soustraire à sa juridiction le plus vite possible, de façon que, s’étant tous réunis et formant un seul corps, et protégés dans leur retraite par les Indiens, ils soient libres de sortir avec tous leurs effets par la voie de Baie Verte, après avoir détruit tout ce qu’ils seront obligés de laisser derrière eux, et cela sans crainte de représailles de la part de la garnison, laquelle suffit à peine à assurer la sécurité du Fort tel qu’il est présentement[11]. » Il appert clairement par ce texte que le gouverneur Philipps ne voyait, dans les travaux entrepris par les Acadiens pour ouvrir une route, que leur volonté de quitter la province par la voie de Baie Verte : le fait que ces colons aient l’intention de venir molester la garnison n’entre pas du tout en ligne de compte. Au dire de Philipps, c’est plutôt la garnison qui sera empêchée d’aller les inquiéter dans leur marche vers la liberté.

Hélas ! il était décrété que les Acadiens ne quitteraient jamais leur pays, si ce n’est quand viendrait l’heure sombre de la déportation. Cette fois encore, le mauvais vouloir de l’autorité les rivait malgré eux à un sol toujours cher, mais où leur cœur ne reconnaissait plus la patrie. L’alternative qu’on les avait mis à même de choisir s’évanouissait à nouveau. Faisons la somme des tromperies dont ils furent victimes : ils avaient cru d’abord pouvoir partir sur les vaisseaux anglais, cela leur fut refusé ; ils avaient alors demandé que l’on permit à des navires français l’entrée des ports de l’Acadie, même refus ; finalement, ayant construit de petits bâtiments, ils voulurent se procurer de quoi les fréter soit à Louisbourg, soit à Boston, mais en vain. La voie maritime leur était fermée, ils essayèrent de la voie de terre, et là encore tout fut inutile. Il leur restait donc les airs. Par malheur, les ballons dirigeables, voire même la primitive montgolfière, n’étaient pas encore inventés. La lettre de la reine Anne leur avait accordé le droit de vendre leurs immeubles. Or, d’obstacle en obstacle, de restriction en restriction, de ruse en ruse, les agents chargés d’exécuter les ordres royaux en étaient arrivés à les interpréter ainsi : « Si vous partez, nous ne vous permettrons même pas d’emporter vos effets ! » La formule voulait dire au fond : « Vous resterez ici aussi longtemps qu’il nous plaira. Nous nous chargeons d’effectuer ce départ tant souhaité, mais il ne se fera pas dans les conditions que vous espériez. Quand le moment en sera venu, nous vous prendrons, vous, vos femmes, vos enfants, et nous irons vous semer au hasard sur toutes les plages du Nouveau Monde, nous disperserons vos débris au vent de l’exil ! » — Telle était la perspective qui s’ouvrait devant les yeux des pauvres Acadiens, et l’événement n’a que trop montré tout ce qu’elle avait de réel.

Il fallait être gens paisibles comme ils l’étaient pour se soumettre à de si criantes injustices. Ces habitants pouvaient mettre sur pieds six fois plus de combattants que n’en comptait la garnison d’Annapolis, et c’était bien là ce que redoutait Philipps, ainsi qu’on l’a vu. La détermination des Acadiens avait jeté le gouverneur dans une grande perplexité. Dans sa lettre au Secrétaire Craggs, que nous venons de citer, il disait expressément : « Pour gagner du temps et éviter toute perturbation jusqu’à ce que j’aie reçu de vous d’autres ordres m’enjoignant de quelle manière agir, j’ai cru qu’il importait au bon service de Sa Majesté de renvoyer dans leurs foyers les députés (des Mines) avec des paroles de conciliation et la promesse de prolonger le délai qui avait été d’abord fixé : ce qui me permettait d’exposer, entre temps, le cas à votre Excellence et d’attendre les nouvelles instructions qu’il plairait à Sa Majesté de me signifier. »

Et il termine sa longue épître par ces mots : « Au moment où j’écris, les députés envoyés par les habitants de cette rivière qui avaient, contre mes ordres, commencé à tracer un chemin pour se mettre en communication avec les Mines, m’ont apporté un acte de soumission signé collectivement, duquel vous trouverez copie ci-jointe, en sorte que je ne désespère pas de maintenir parmi eux l’autorité du gouvernement et de les amener à obéir : ils affirment qu’ils sont prêts à s’engager à devenir de bons sujets à tous égards, exception faite de l’obligation de prendre les armes contre le Roi de France. Je proposerais donc humblement que, si une formule de serment leur était présentée, par laquelle ils promettraient de prendre, en cas de nécessité, les armes contre les Indiens, de vivre paisiblement dans leurs maisons, de ne donner ni refuge ni aucune espèce d’assistance aux ennemis de Sa Majesté, d’obéir au gouvernement, de posséder leurs terres de la part du Roi et en vertu d’une nouvelle tenure,… dans quelle mesure ce serment, au jugement de Votre Excellence, serait-il suffisant pour assurer la sujétion des Acadiens[12]. »

L’on n’a qu’à suivre la correspondance de Philipps avec le Secrétaire d’État Craggs et les Lords du Commerce pour s’apercevoir qu’il se sentait profondément humilié de son insuccès. Cet homme s’était flatté que sa haute position dans l’armée, l’éclat de son nom, en imposeraient à une population simple et ignorante, et aplaniraient tous les obstacles qu’elle pourrait lui susciter. Sur un ton de conquérant, il avait, dès son arrivée, lancé une proclamation pompeuse et sévère ; et voici qu’il s’était heurté à des difficultés que des procédés plus souples et plus courtois auraient pu faire tomber, tandis que ses allures impérieuses les avait encore rendues plus insurmontables. Le Gouverneur aurait voulu alors revenir sur ses pas, se montrer conciliant, mais il était un peu tard : son attitude avait jeté la méfiance, répandu l’alarme. Il s’était imaginé que l’attachement des Acadiens à leurs biens, le délai très court qu’il leur accordait pour évacuer le pays, la défense qu’il leur faisait d’emporter leurs biens, les décideraient infailliblement à accepter le serment proposé. Il était tombé en cela dans la même erreur que Nicholson ; comme ce dernier, il se trouva dans la nécessité d’empêcher à tout prix le départ des habitants, avec cette différence que Nicholson pût user de subterfuges, tandis que cette suprême ressource lui était refusée à lui-même. Son ordre défendant aux colons de s’ouvrir un chemin pour se retirer de la province, quand sa proclamation leur enjoignant de la quitter était encore toute fraîche, dût bien l’affecter. Sa réputation, d’ailleurs méritée, croyons-nous, d’homme habile, agréable, même conciliant, ne pouvait que souffrir de ce piteux échec.

Plus Richard Philipps essayait de se faire doux et aimable envers les Acadiens, plus sa correspondance avec les autorités anglaises renfermait d’amertumes et d’insinuations malveillantes à leur égard. Pour se justifier ou pour pallier l’insuccès de sa mission, il eut recours à la diversion trop habituelle, hélas ! à notre pauvre humanité, c’est-à-dire qu’il en mit sur d’autres la responsabilité. Il voulut prouver que les Acadiens étaient des gens obstinés, incontrôlables, soumis à leurs « prêtres fanatiques ». Mais écoutons ses doléances :


Le Gouverneur Philipps au Secrétaire d’État Craggs.

« Monsieur,

« Depuis la dernière lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire, il ne s’est pas produit de changement dans la situation des habitants français ; ils semblent toujours indécis quant au parti à prendre, encore qu’il paraisse bien que, s’ils étaient laissés à eux-mêmes, ils choisiraient de continuer à jouir de leurs biens en devenant les sujets de la Grande Bretagne. Mais les gouverneurs français qui résident dans notre voisinage, persuadés que ces colons ne pourraient plus servir leurs intérêts après avoir prêté le serment d’allégeance, et calculant trop bien les avantages qu’entraînerait pour leurs colonies l’adjonction d’un si grand nombre de nouvelles recrues, ont recours à tous les stratagèmes possibles pour les attirer à eux : dans ce but les prêtres se sont tous assemblés aux Mines afin d’être à portée du Cap Breton où se tient leur grand conseil ; entre ces deux endroits, c’est un va-et-vient continuel de missionnaires, qui s’emploient à nouer des intrigues avec ces gens et à leur transmettre des messages trompeurs. L’une des choses qu’ils cherchent à leur faire croire, est que la promesse qui leur a été donnée de pouvoir pratiquer librement leur religion, n’est qu’une chimère, qu’ils ne peuvent pas, y compter, et qu’en réalité ils seront vite réduits à la même condition que celle dans laquelle se trouvent les sujets papistes de Sa Majesté, en Irlande. Je fais bien tout ce que je puis pour ne pas décevoir ces gens, mais je n’espère pas que mon autorité soit assez forte pour contrebalancer auprès d’eux l’influence de leurs prêtres. Si ceux-ci l’emportent, un grand nombre de belles possessions deviendront vacantes. Je crois cependant qu’il ne serait pas difficile d’amener ici, de la Nouvelle-Angleterre, sans dépouiller complètement une colonie voisine, suffisamment de monde pour remplacer les partants, échange auquel nous gagnerions beaucoup. J’ai donc la confiance que l’on prépare déjà en Angleterre des projets en vue de peupler le pays, au printemps, de colons britanniques : d’ici là les habitants français ne songeront pas à s’en aller, puisqu’ils bénéficient du prolongement de délai que je leur ai accordé jusqu’à ce que j’aie reçu de vous de nouvelles instructions. L’un des dangers que nous avons à redouter, dans le repeuplement de ces fermes, est d’avoir maille à partir avec les indiens, qui voient d’un mauvais œil l’émigration des Acadiens, et qui ne seront pas lents à venir nous molester[13]… »

Le gouverneur Philipps broyait donc beaucoup de noir ; et son état d’esprit finit par déteindre sur les Lords du commerce. À la date du 28 décembre 1720, ceux-ci lui écrivent en effet de Whitehall :

« Monsieur,

« … Pour ce qui est des habitants français de la Nouvelle-Écosse, dont l’attitude semble être si mouvante et indécise, nous craignons qu’ils ne puissent jamais devenir de bons sujets de Sa Majesté, aussi longtemps qu’ils seront soumis à l’influence des gouverneurs français et de leurs prêtres. Nous croyons donc qu’il vaudrait mieux qu’ils fussent transportés ailleurs[14] dès que les contingents que nous avons proposé de vous envoyer, pour la protection et le meilleur peuplement de votre Province, seront arrivés. Cependant comme vous n’allez pas tenter d’opérer cette transportation sans en avoir reçu un ordre positif de Sa Majesté, nous vous conseillons d’user d’ici là, à l’égard des Acadiens, de la même ligne de conduite prudente et avisée, de ne pas les tromper en ce qui concerne l’exercice de leur religion : il n’est pas douteux qu’on les laisse libres de la pratiquer, au cas où l’on jugerait à propos de les garder là où ils sont maintenant… »

Vos amis affectueux et humbles serviteurs,

Westmoreland
T. Pelham
M. Bladen
Edw. Ashe[15].


À cette lecture, comme un manteau de plomb s’abat sur nos épaules, l’air respirable nous manque tout à coup. L’on est suffoqué ; un frisson nous saisit. C’est que le sinistre projet de la déportation des Acadiens vient d’éclore. Le sens exact du document que nous venons de citer est celui-ci :

« Mon cher Philipps,

« Je vois que vous ne venez pas à bout de vos Acadiens, comme vous l’espériez avant votre départ. Il est tout de même singulier que ces gens aient préféré perdre leurs biens plutôt que de s’exposer à combattre leurs frères. C’est là une enfantine sentimentalité. Ces Acadiens sont évidemment trop attachés à leurs compatriotes et à leur religion pour que nous en fassions jamais de bons anglais. Nous avouons que votre position à leur égard était critique ; il était difficile de les empêcher de partir, après leur avoir laissé le marché en mains. Néanmoins, vous avez bien fait d’en agir ainsi, c’était le seul moyen de vous en tirer. Au diable le traité ! Vous n’avez pas plus à vous occuper de la question de droit et de justice que Nicholson n’a fait. Ce n’est pas une semblable préoccupation qui avancerait nos affaires. Si l’on laissait partir les Acadiens, la puissance coloniale de la France serait augmentée d’autant, et c’est à quoi nous ne devons pas nous prêter. Il faudrait plutôt les déporter en quelque endroit, où, englobés parmi les nôtres, perdus parmi les étrangers, ils perdront fatalement leur langue, leur religion et le souvenir du passé pour devenir de vrais anglais. Pour l’instant, cette déportation serait prématurée, elle affaiblirait trop la colonie ; mais au printemps, lorsque nous aurons dirigé de votre côté les renforts nécessaires, ce sera l’heure de la mettre à exécution. Attendez d’ailleurs que nous vous en ayons donné l’ordre précis. Jusque-là, rentrez vos grands airs arrogants, montrez-vous affable et bénin à l’égard de ces habitants. Faites-leur espérer tout ce qu’il leur plaira, vous avez carte blanche. L’important est d’entraver leur exode : c’est à ce prix que vous aurez mérité notre gratitude. »

(Signé) Craggs,…
Secrétaire d’État

« (P. S.). — Faites croire à ces naïfs Acadiens que nous voulons leur laisser le libre exercice de leur religion. Nous verrons plus tard ce qu’il y aura à faire à ce sujet, au cas où l’on déciderait de les garder dans la province. Advenant ceci, il est probable que la liberté religieuse leur sera accordée. »

Voilà, dépouillée de tout vain artifice, l’essence de cette lettre : la paraphrase que nous venons d’en donner n’ajoute rien au texte ; elle en fait seulement éclater le caractère odieux[16]. « Cette lettre (des Lords du Commerce,) dit Rameau, est une merveille dans son genre : il est vraiment regrettable que certains auteurs modernes, grands amateurs de documents, et qui cherchent aujourd’hui à justifier la proscription des Acadiens, ne l’aient point reproduite. Elle complète et éclaire les phrases entortillées dans lesquelles Philipps enveloppait son petit machiavélisme. Lorsqu’on lit cette missive ministérielle, on pressent déjà le complot odieux de la proscription, on est saisi d’un frisson ; on croit entendre les premiers sons de la sinistre trompette qui devait ordonner l’embarquement. Dans ces phrases raides et glacées en apparence, on sent la colère qui couve en secret dans le cœur. Sous les dehors patelins qu’elle est obligée de revêtir, cette colère contenue s’envenime, s’enrage avec le temps pour éclater furieuse, aveugle et bestiale, en 1755, après avoir fermenté pendant trente-cinq ans. Là est le secret véritable des excès auxquels se portèrent les Anglais à cette époque, et les mêmes âmes qui en sont surprises n’ont pas besoin, pour les expliquer, de prêter aux Acadiens des crimes imaginaires. Maintenant on peut dire avec assurance que la proscription n’a pas été une œuvre improvisée ab irato, mais préparée et méditée de longue date : on y pensait déjà en 1720.

« Ces documents suffiraient, à défaut de tous autres, pour montrer quelle appréhension extrême éprouvaient le Board of Plantations en Europe, et en Amérique le gouverneur d’Annapolis, dans la crainte de voir les Acadiens leur échapper. Elle éclate à chaque ligne ; on veut à tout prix éviter ce malheur ; aussi faut-il voir, malgré l’âpre colère qui les dévore au dedans, comme ils prodiguent les bonnes paroles : c’est avec une douceur insinuante que la gracieuseté du sieur Philipps, en louant la tendresse du roi George, leur glisse ces assurances perfides de liberté, de quiétude, de franchise religieuse ; afin de tirer en longueur en louant la tendresse du roi George, et de leur faire accepter une tolérance provisoire qui n’engageait à rien, en attendant l’heure des circonstances favorables où l’on pourrait les égorger sans inconvénient. Philipps comprit parfaitement cette consigne : lui qui avait fait sa fortune dans les intrigues de la cour, se trouvait tout à fait sur son terrain ; il rentra son grand sabre et les phrases superbes de sa mise en scène, et il continua la politique qu’il venait d’inaugurer : amadouer les Acadiens pour les faire demeurer sur leurs terres, réclamer l’allégeance si l’occasion s’en présente, sinon prodiguer de belles paroles, sans toutefois s’engager jamais à fond, se réserver toujours quelque retraite honnête, de manière à prouver que l’on n’avait jamais fait de promesse, mais seulement des ébauches de contrats ; telle fut désormais sa règle de conduite. On obtint ainsi des Acadiens la somme d’utilité que l’on en désirait, en leur prodiguant la tolérance, sans jamais leur donner aucune certitude.

« Philipps fit durer encore cette situation pendant deux ans : sans nier la duplicité de Nicholson, mais sans accepter non plus le serment sans réserve que réclamaient les Acadiens ; sans se prononcer sur leur droit absolu de rester, mais sans exiger non plus leur départ, les maintenant au contraire sur leurs terres, en prolongeant le délai de leur séjour. Il leur fit considérer qu’il était bien préférable pour eux de conserver leurs héritages, et qu’après tout, en acceptant le régime anglais, on finirait toujours par s’arranger. Il gagna ainsi 1722, année où il retourna en Europe,… laissant comme lieutenant-gouverneur d’Annapolis le capitaine John Doucett, lequel fut remplacé peu après par le lieutenant-colonel Armstrong[17]… »

Dans son ouvrage Montcalm et Wolfe, Francis Parkman, prenant pour guide le compilateur Akins, avait affirmé que les Acadiens étaient restés dans la Nouvelle-Écosse de leur plein gré[18]. La première édition de cet ouvrage date de 1884. En 1892, le même auteur, continuant la série de ses études sur la France et l’Angleterre dans l’Amérique du Nord, publiait un autre ouvrage intitulé : A Half Century of Conflict, dans lequel, nous le constatons avec plaisir, il a modifié ses opinions premières sur cette question du séjour des Acadiens. C’est que, entre temps, la masse considérable de documents inédits sur l’Acadie, recueillis par l’abbé Casgrain, avait paru dans le Canada-Français ; et il était difficile à l’historien de ne pas céder à l’évidence émanant de ces pièces parfaitement authentiques et qui mettaient les faits dans leur vrai jour. Nous donnons crédit à Parkman de s’être rendu, au moins sur ce point, à la force de la vérité. Que n’en a-t-il fait de même pour les autres erreurs qu’il a commises concernant l’histoire de l’Acadie ! Mais alors, il lui aurait fallu détruire presque tout ce qu’il avait écrit en la matière.

« Le gouverneur Nicholson, dit Parkman, dans ce dernier ouvrage, avait résolu, tout comme son prédécesseur, de garder si possible les Acadiens dans la province. Cet homme, plein de ressources, énergique, pervers, entêté, sans scrupules, se conduisit, même à l’égard des officiers et des soldats anglais, d’une manière inexplicable, qui souleva contre lui leur plus profonde indignation. Son attitude à l’égard des Acadiens fut encore pire. Costebelle n’ayant pas tenu sa promesse de leur envoyer des vaisseaux pour les transporter à l’Île Royale, ils s’en construisirent eux-mêmes, et les autorités françaises de Louisbourg leur firent venir tout ce qu’il fallait pour les gréér. Nicholson ordonna que tous ces agrès fussent renvoyés d’où ils venaient, leur défendit de vendre leurs terres et leurs maisons, — mesure bien inutile puisqu’il ne se trouvait personne pour les acheter, — et ne leur permit même pas de disposer de leurs effets personnels, — empêchant ainsi froidement l’exécution du Traité d’Utrecht et de la lettre de la reine Anne. Nicholson ne demeura pas longtemps à Annapolis, où il laissa pour le remplacer, durant la plus grande partie de son terme d’office, Caulfield et plus tard Doucet : ces deux députés dénoncèrent carrément la conduite générale de leur chef, mais suivirent son exemple, à un degré ou à un autre, en entravant autant qu’ils le purent l’exode des Acadiens[19]. »

Le sens général de ce passage est conforme à la vérité, encore qu’il ne soit pas, au point de vue des faits, rigoureusement exact. Ainsi Nicholson n’ordonna pas de renvoyer à Louisbourg les agrès, pour la bonne raison que les Acadiens ne les avaient pas reçus, étant donné la défense qui leur avait été faite de s’en procurer là où ailleurs ; il n’empêcha pas non plus les habitants de vendre leurs effets, mais de les emporter avec eux. Ce sont là sans doute des inexactitudes de détail, qu’aussi bien Parkman eut pu facilement s’exempter de commettre. Mais voyons ce que cet historien a encore à nous dire, et comment, après avoir fait une déclaration en apparence si franche et si candide, il va s’y prendre pour en pallier l’effet : « Si les Acadiens avaient vraiment souhaité d’émigrer, il n’était pas au pouvoir du gouverneur anglais de les en empêcher… Ils étaient armés, et leur nombre dépassait de beaucoup celui des troupes de la garnison… Prétendre qu’ils ont désiré quitter l’Acadie, mais qu’ils en furent empêchés par une ombre de garnison en service à l’autre bout de la province, si faible qu’elle suffisait à peine à garder la seule Annapolis, c’est faire tort à un peuple, qui, bien qu’ignorant, et sans dessein bien arrêté, ne manquait cependant pas de courage physique. La vérité est que, depuis ce moment jusqu’à leur expatriation forcée, en 1755, tous les Acadiens, à l’exception de ceux d’Annapolis et de ses alentours immédiats, furent laissés parfaitement libres de s’en aller ou de rester[20]. »

Arrêtons-nous sur cette délicieuse citation. Les Acadiens en effet, à part ceux d’Annapolis, avaient, ainsi que le dit Parkman, la puissance du nombre et pouvaient, sans qu’on eût pu y mettre obstacle, effectuer leur sortie du pays : ils ne manquaient pas non plus de courage physique. En outre, ils avaient incontestablement le droit d’émigrer. Mais nous ferons remarquer à l’historien américain ceci : ce n’est pas avec nos idées qu’il faut juger de leurs actions. Parkman aurait dû comprendre que ces gens, ces paysans ignorants, comme il affecte de les qualifier, avaient, bien autrement que nous, l’amour de la paix et professaient pour l’autorité un respect et une soumission qui nous sont étrangers. Au lieu de renverser par la force les barrières qu’un pouvoir inique dressait devant eux, ils s’adressèrent aux gouverneurs français dans l’espoir de faire tomber ces obstacles. Dans leur simplicité d’âme, ils s’imaginaient que les conventions d’un traité étaient chose sacrée, que la justice finirait par prévaloir. Ils ne soupçonnaient pas jusqu’où pouvait aller la perversité de leurs gouvernants. C’est leur esprit de soumission qui permit plus tard à Lawrence de les déporter. Parkman voudrait-il leur faire un crime de leur naïve obéissance ? Et parce que les Acadiens auraient pu, en dépit des autorités, effectuer leur départ, ces autorités furent-elles excusables d’en agir avec eux comme elles l’ont fait ? Avaient-elles le droit d’imposer un serment à des colons qu’elles détenaient injustement ?

Il y a d’autres considérations fort importantes auxquelles Parkman, du fond de son moelleux cabinet, ne s’est pas donné la peine de songer. S’il est vrai, par exemple, que les Acadiens de Beaubassin et des Mines étaient assez nombreux et assez forts pour passer outre à tout obstacle et réaliser leur dessein d’émigrer, nous ne pouvons en dire autant des gens d’Annapolis. Les premiers, en s’éloignant seuls, auraient donc laissé derrière eux un groupe de leurs compatriotes, de leurs parents, de leurs frères, à la merci d’un pouvoir duquel il n’y avait pas à attendre un traitement équitable. C’était exactement pour permettre à ceux-ci de se joindre à eux dans un exode commun, que les habitants des Mines avaient commencé d’ouvrir un chemin vers Annapolis. Car ils ne pouvaient pas partir sans emmener tous leurs frères. Quand des liens, rendus encore plus étroits par le malheur, unissaient entre elles les familles acadiennes des divers cantons, les plus privilégiées eussent fui en abandonnant les autres à leur sort ? Mais c’eût été la séparation pour toujours. C’eût été briser des affections plus fortes que la mort. C’eût été, en plus, encourir le risque de rencontrer, un jour, ces frères trahis sur les champs de bataille et d’avoir à guerroyer contre eux. Quelle perspective effrayante ! Et cependant tout cela n’est d’aucun poids dans l’esprit de Francis Parkman. Eh ! bien, moi, je dirai que, s’il faut choisir entre l’historien gonflé de sa science, et de pauvres gens ignorants qui n’avaient pour tout guide de leurs actions que les sentiments naturels, tout homme de cœur se prononcera pour ces derniers. Les Acadiens ont vu plus loin et plus juste que ce superbe auteur, ils ont mieux apprécié la délicatesse de la situation, mieux calculé les conséquences fâcheuses qui résulteraient d’une séparation opérée dans de pareilles conditions. Et qui donc osera les blâmer de s’être exposés à toutes les infortunes, plutôt que de renier leur sang et de fouler aux pieds les devoirs les plus saints ?

Toujours dans Half-Century of Conflict, Parkman fait l’étrange affirmation que voici : « Le traité d’Utrecht, comme nous l’avons vu, donnait aux Acadiens le délai d’un an pour se décider soit à demeurer dans le pays à titre de sujets anglais, soit à aller se fixer sur les terres du roi de France. L’année était écoulée depuis longtemps qu’ils se trouvaient encore en Acadie, s’opposant à en partir, et refusant également d’appartenir au roi Georges[21]. »

Mais quoi ! Au dire du même historien, Vetch, Nicholson, Caulfield et Doucett, ont employé tous les moyens possibles pour empêcher le départ des Acadiens, — et ce sont maintenant d’après lui, les Acadiens qui ne veulent pas s’en aller ! Il y a là une contradiction que nous ne nous chargerons pas de concilier. Continuons la citation : « En l’année 1720, le général Richard Philipps lança une proclamation ordonnant aux Acadiens de prêter allégeance au roi Georges ou de quitter la province, sans emporter leurs effets, dans un délai de quatre mois. Grandement alarmés, les habitants recoururent à leurs prêtres, et supplièrent le Père Justinien, Récollet, Curé des Mines, de demander avis et secours à M. de St-Ovide, successeur de Costebelle à Louisbourg, protestant qu’ils étaient prêts à tout abandonner plutôt que de renoncer à leur religion et à leur roi. Sur les entrefaites, ils prirent leurs dispositions pour émigrer en masse par la voie du détroit et de Baie Verte, — par où il eut été impossible de les en empêcher, where it would have been impossible to stop them[22]. »

Si Parkman n’a pas vu les antinomies dont fourmille ce neuvième chapitre de son ouvrage Half-Century of Conflict, c’est qu’il avait un pauvre jugement. Mais ce tissu de contradictions ne peut échapper au lecteur impartial ni à tout homme de science. Ah ! les Acadiens voulaient bien partir, — tous les documents nous le prouvent, et l’historien américain, au risque de se donner un éclatant démenti, l’admet ; — mais, ce que Parkman ne dit pas, et ce qui est essentiel dans l’espèce, c’est que ce départ fut entravé en dernier ressort par le gouverneur Philipps qui défendit aux habitants de percer une route entre les Mines et Annapolis, enjoignant du même coup aux gens de ce dernier endroit l’ordre de ne point quitter leurs maisons sans en avoir une permission écrite de sa main.

Les Acadiens, voyant l’impossibilité où on les mettait d’opérer leur exode en terre française, offrirent unanimement au gouverneur Doucett de prêter serment d’allégeance à la condition que, par une clause spéciale introduite dans la formule de serment, on les exemptât de porter les armes contre les Français et contre les Sauvages leurs alliés, ou simplement contre les Français, si l’on trouvait le moyen de les protéger efficacement contre les Sauvages. Depuis lors jusqu’à l’heure de la déportation, ils ne refusèrent jamais de prêter un tel serment. Parkman n’a pas ignoré ce détail, qui a bien son importance pour juger de l’esprit qui animait les Acadiens. Et cependant, il n’a pas daigné le mentionner : il a dit de ces habitants : unwilling to leave (the Province), yet refusing to own King George. Pour le besoin de sa cause, l’auteur américain avait intérêt à fausser l’histoire, à tronquer ou à dénaturer les textes. Ses manœuvres déloyales n’ont fait que trop de dupes. Il était grand temps de les signaler.



  1. P. R. O. Col. Records. Nova Scotia. Vol. 3. Pièce XXV des Doc. inéd. sur l’Acadie. Proclamation Reced. 12th August 1720, Read 15th August 1720. In Governor Philipps May 26th 1720.
  2. P. R. O. Col. Records Nova Scotia. Vol. 3. Pièce XXVIII, des Doc. Inédits. Vera copia, attested p Ar Savage Secry.
  3. Cf. Sélections from the Public Documents of Nova Scotia. Edited by Thomas B. Akins. Letter (translated from the French) from the Inhabitants of the Mines concerning the difficulties which have presented themselves to the execution of the orders, etc., etc. Halifax 1869, page 28-29.
  4. Cf. Compilation de Akins, p. 25, pour la lettre des Acadiens au gouverneur de Louisbourg, p. 28 pour la lettre des Habitants des Mines à Richard Philipps.
  5. Archives du Ministère de la Marine et des Colonies, Paris. — « Colonies » Île Royale. — Corr. Génér. Année 1718, vol. 3, fol. 179. Pièce XXX des Doc. inéd. sur l’Acadie.
  6. Il nous semble que cette lettre avait dû être citée dans le chapitre précédent, car elle concerne non pas Philipps, mais le lieut.-gouv. Doucette, et elle est de 1718. Elle a du moins, même à la place où le MS. la fait entrer, l’avantage de montrer clairement l’attitude constante des Acadiens sur la question du serment et du départ.
  7. P. R. O. Col. Rec. Nova Scotia, vol. 3. Endorsed : Nova Scotia.Letter from Monsr. St-Ovide Govr of Cape Breton to Col. Philipps. Dated 8th of June 1720. — Philipps avait terminé comme suit sa lettre au gouverneur du cap Breton : « I have nothing further to add but to assure Monsr. Ovide of my perfect esteem and that I shall always make it my business to cultivate a good understanding with him and the Govers. of his most Christian Majesty in these countrys ; in this I obey the comands of my Royal Master and at the same time gratifye the ambition of Sir your most humble and obedt servant. »
  8. Letter of R. Philipps to the Right Hon. the Lord Carteret, His Majesty’s Principal Secretary of State — sans date. — Archives de la Nouvelle Écosse, p. 18-19.
  9. Nova Scotia Documents, p. 29.
  10. Id. p. 30. « … and I do further forbid any person to quitt their Habitations clandestinely, and without my leave. »
  11. « They were indeed very much surprised at the arrival of a Chiefe Gov’r which they never expected, often saying that person was not borne, and therefore are getting out of his way as fast as they can, as you will find by the sequel, that so being once joined in a body, with the help of the Indians to favour their Retreat, they can march off at their leisure, by the way of the Baie of Verte with their effects, and distroy what they leave behind without danger of being molested by this Garrison which scarce suffices to secure the Fort in its present condition. »

    Nova Scotia Archives. Gov. Philipps to Secretary Craggs. Annapolis Royal, May 26th 1720, page 31.

  12. Nova Scotia Archives, p. 35. « And I would humbly propose that if an oath were formed for them to take whereby they should oblige themselves to take up arms against the Indians, if required, to live quietly and peaceably in their houses, not to harbour, or give any maner of assistance to any of the King’s enemy’s,… how farr this may be thought sufficient to bind them. »
  13. Nova Scotia Archives, p. 35-6. Annapolis Royal, July 1720, Richard Philipps to the Rt. Hon. James Craggs, Esq., one of His Majesty’s Principal Secretary of State at Whitehall, London, Great Britain.
  14. « We are of opinion they ought to be removed as soon as the Forces which we have proposed to be sent to you shall arrive in Nova Scotia… »
  15. Nova Scotia Archives. Board of Trade to Governor Philipps, p. 58.
  16. Il y a quelques remarques à faire ici. Et d’abord, le nom de Craggs n’apparaît pas au bas de la lettre que Richard vient de commenter. Et l’on peut se demander de quel droit il appose la signature du Secrétaire d’État au bas du commentaire, quand cette signature ne figure pas dans l’original ? Est-il équitable de prêter cette lettre à Craggs ? L’on peut supposer qu’il n’y a pas été étranger. Mais rien ne prouve qu’il en a été l’auteur. Officiellement, elle est l’œuvre de quatre membres de la Chambre de Commerce. À cet endroit de son manuscrit, l’auteur d’Acadie verse dans une erreur assez lourde, qui a passé, telle quelle, dans la traduction anglaise (p. 125.) Il s’agit précisément de James Craggs, l’un des principaux secrétaires d’État de Sa Majesté, auquel il impute l’idée première de la déportation des Acadiens, et Richard dit que « ce monsieur commença par être barbier, puis fut fournisseur de vêtements pour l’armée, et qu’à ce dernier titre il se livra à des manœuvres louches, qui donnèrent lieu à une enquête dont le résultat fut son incarcération dans la Tour de Londres. » — Il y a ici confusion : c’est à James Craggs, père, qui d’ailleurs ne fut jamais secrétaire d’État, qu’arriva cette aventure, suivie d’une autre plus retentissante, la South Sea Bubble. L’immense fortune qu’il avait amassée était si loin d’avoir des origines intègres qu’après sa mort, arrivée le 16 mars 1721, peut-être par suicide, un acte du Parlement confisqua toutes les propriétés qu’il avait acquises depuis décembre 1719. — Quant à James Craggs, fils, le seul dont nous ayons à nous occuper, il semble que sa carrière ait été plutôt honorable. Né à Westminster le 9 avril 1686, il puisa sa première instruction à l’école de Chelsea et partit bientôt pour le continent, il séjourna à la cour de Hanovre et à celle de Turin. C’est à la cour de Hanovre qu’il résida le plus longtemps ; grâce à l’influence de la comtesse de Platen, il y gagna la faveur de l’électeur, qui devint dans la suite Georges I. Il fut plus tard nommé résident auprès du Roi d’Espagne, à Barcelone. Au commencement de la campagne de 1709, Craggs se trouvait dans les Flandres. Le 13 avril 1717, il était nommé ministre de la guerre, en remplacement de William Pulteney. Il succéda à Addison comme l’un des principaux secrétaires d’État, chargé du département du sud, et ce même jour, 16 mars 1718, prêta serment comme membre du Conseil Privé. Malheureusement pour sa réputation, Craggs fut impliqué dans les affaires de la South Sea Company, mais pas aussi profondément que son père. Il y a cependant peu de preuves directes contre lui dans les sept rapports du Comité Secret. Craggs mourut de la petite vérole le 16 février 1721, dans la 35e année de son âge, avant qu’il pût se disculper des attaques faites contre lui en plein parlement, par Shippers, le 4 janvier de cette même année. Il était bel homme, bon orateur, et très populaire. Son corps repose à Westminster. Son ami Pope lui composa une épitaphe restée célèbre.
  17. Rameau de Saint-Père. Une colonie féodale en Amérique. Tome II, ch. XI, p. 35 et seq.
  18. Montcalm and Wolfe. France and England in North America. Part seventh. By Francis Parkman. In two volumes. (Boston, Little, Brown & Co., 1900). Cf. Tome I, ch. IV, Conflict for Acadia, p. 94 & seq. Au bas de la page 95, se trouve cette note de l’auteur : « See the numerous papers in Selections from the Public Documents of Nova Scotia (Halifax, 1869,) pp. 1-165 ; a government publication of great value. » Au cours de cette même page 95, Parkman, citant l’art. du traité d’Utrecht qui donnait à tous ceux qui préféreraient émigrer autorisation de le faire, dans le délai d’un an, en emportant leurs effets, ajoute : « Very few availed themselves of this right ; and after the end of the year those who remained were required to take oath of allegiance to King George. There is no doubt that in a little time they would have complied, had they been let alone ; but the French authorities of Canada and Cape Breton did their utmost to prevent them, and employed agents to keep them hostile to England. Of these the most efficient were the French priests. » Il y a dans ce passage autant de faussetés que de mots. Ce que nous avons déjà vu montre l’inanité de ces affirmations.
  19. A Half-Century of Conflict. Vol. I. (Boston, Little, Brown & Co., 1909.) Ch. IX, 1712-1749. Louisbourg and Acadia, p. 195-96.
  20. Ibid., p. 196-97.
  21. « The Treaty of Utrecht, as we have seen, gave the Acadians a year in which to choose between remaining in the Province and becoming British subjects, or leaving it as subjects of the King of France. The year had long ago expired, and most of them were still in Acadia, unwilling to leave it, yet refusing to own King George. » Vol. I, ch. IX, p. 206.
  22. Id. Ibidem.