Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XXVII/Cinquième partie/Livre II/Suite du Chapitre VII/Des couches de terre

Des couches de terre.

» Excepté dans quelques crevasses de rochers, on ne voit point de terre à la Géorgie australe ; partout ailleurs c’est un schiste compacte rempli de particules ferrugineuses, qui se trouve en couches horizontales ou presque horizontales, et qui çà et là est entrecoupé perpendiculairement par des veines de quartz.

» Les rochers des côtes de la Terre du Feu sont de la même nature, et offrent, dans les parties les plus élevées, des masses de granit grossier.

» L’île méridionale de la Nouvelle-Zélande, où nous avons abordé en deux différens endroits, est revêtue, à la surface, d’une couche de terreau noir et léger, formé de mousses, de feuilles, et d’arbres tombés en putréfaction. Cette couche a quelquefois dix ou douze pouces d’épaisseur ; mais en général elle n’est pas si profonde. Au-dessous nous avons remarqué une substance argileuse, approchant de la classe des pierres de talc, qui est devenue une espèce de terre, par l’action du soleil, de l’air, de la pluie, de la gelée, et dont l’épaisseur varie : un peu plus bas, la même substance est durcie en pierre qui se prolonge en couches obliques, qui en général s’inclinent au sud : sa dureté n’est pas partout la même ; quelques-uns des morceaux les plus compactes font feu avec l’acier : sa couleur est communément d’un jaune pâle, et elle a en outre de temps en temps une teinte verdâtre. Ces couches sont entrecoupées perpendiculairement, ou presque perpendiculairement, par des veines de quartz blanc ; elles renferment une espèce de pierre verte lamelleuse, qui approche des pierres de talc. Parmi les galets du rivage, j’ai trouvé (rarement à la vérité) un petit nombre de pierres noires et polies, de l’espèce des silex, et de gros morceaux isolés d’une lave solide, pesante, tachetée de gris, ou d’un vert noirâtre, dont les naturels font les armes qu’ils emploient dans les combats de corps à corps : j’ai remarqué aussi des pierres-ponces, mais en petite quantité : je ne puis pas dire si elles ont été produites par un volcan des environs, ou si la mer les y a charriées d’un parage éloigné. Parmi les autres productions de ce pays se trouve aussi une pierre verte, tantôt opaque, tantôt absolument transparente, dont les naturels fabriquent des haches, des ornemens, et qui semble être du talc néphrétique : ils la tirent des cantons de l’intérieur au sud-ouest des parties les plus lointaines du port de la Reine Charlotte ; ils nous indiquaient toujours ce côté quand nous les interrogions sur ce sujet. Ils nomment cette pierre poénammou ; et il est probable que tout le pays où on la trouve en a reçu son nom de Tavaï Poénammou. Près de Motouara, sur le petit îlot où était jadis un hippa ou forteresse, on découvre des veines de cette pierre, perpendiculaires ou quelquefois obliques, d’environ deux pouces d’épaisseur, au milieu de roches de pierre de talc grisâtre. Le talc néphrétique est rarement solide ou en grosses masses ; car les morceaux les plus considérables que j’ai vus n’excédaient pas dix à quinze pouces de largeur, et environ deux d’épaisseur. Sur le rivage, on rencontrait communément un schiste argileux, feuilleté, d’un gris bleuâtre, qui se dissout aisément quand on l’expose à l’air : quelquefois il est plus solide, plus pesant et d’une couleur plus foncée, probablement à cause des particules ferrugineuses qu’il contient.

» Nous avons remarqué sur l’île Norfolk presque les mêmes roches qu’à la Nouvelle-Zélande, et en outre, des morceaux de lave rouge et jaune. Cette île renferme aussi les mêmes plantes et les mêmes oiseaux que la Nouvelle-Zélande.

» L’île de Pâques paraît avoir subi récemment de violens changemens produits par un feu souterrain : tous ses rochers sont noirs, brûlés et poreux, et ressemblent à des scories. Le sol est couvert d’une terre rougeâtre, qui ressemble à de la poussière, et semble avoir été brûlé ; on pourrait le regarder avec raison comme une espèce de pouzzolane entremêlée d’une quantité innombrable de fragmens de pierres poreuses : quelques-uns des rochers que j’ai examinés étaient un tuf volcanique, ocreux et rougeâtre, rempli de crevasses, et mêlé de particules ferrugineuses. Les statues gigantesques de l’île sont faites de cette substance ; elles ne peuvent pas être d’une antiquité fort reculée, puisque cette pierre se décompose promptement à l’air. La partie méridionale de l’île, du côté de la mer, dans l’espace de plus d’un quart de mille, est de lave ou de scorie poreuse et pesante, qui probablement contient des particules de fer. Nous avons aperçu en outre plusieurs pierres noires vitreuses, ou de l’agate noire d’Islande, que l’on trouve aussi, comme je l’ai dit plus haut, en Islande ; près du Vésuve en Italie ; près de l’Etna en Sicile, sur l’île de l’Ascension, en un mot, dans tous les environs des volcans : j’y ai observé encore une espèce de lave pierreuse, légère, spongieuse, d’un gris blanchâtre.

» Les Marquésas ont un rivage de rochers composés d’une argile durcie, d’un schiste compacte, pesant, gris bleuâtre, contenant un peu de fer, et enfin d’une lave pierreuse, qui est ou grise et poreuse, avec du schorl pentagonal, ou hexagonal, feuilleté et vitreux, brunâtre ou verdâtre ; ou bien noire, avec du schorl radié, brun, et quelquefois blanc. Le sol est argileux, mêlé de terreau : les naturels le marnent avec des coquillages. Au-dessous se trouve une autre terre argileuse, mêlée de trass et de pouzzolane. Notre court séjour aux Marquésas ne m’a pas permis d’examiner les parties plus élevées de l’île.

» Taïti et toutes les îles de la Société sont sans doute de la même nature ; leurs côtes sont bordées de rochers de corail qui, à une certaine distance, s’étend depuis le récif qui environne ces îles jusqu’à la marque des plus hautes marges ; là commence le sable formé soit de fragmens de coquillages et de corail, soit d’un mélange noirâtre avec des particules d’un mica grossier, noires, souvent brillantes, et de minerai de fer réfractaire. Les plaines, depuis ce rivage jusqu’au pied des collines, sont revêtues d’une couche très-épaisse de beau terreau noir et gras, mêlé du sable de la rive au-dessous. Quand les naturels cultivent un canton pour y planter la plante de poivre enivrante, ou bien le mûrier à papier, ils se servent fréquemment de coquillages pour engrais. Les chaînes de montagnes les plus basses sont ordinairement formées d’une terre ocreuse, quelquefois très-rouge, que les naturels emploient à peindre leurs pirogues et leurs étoffes. Dans cette terre j’ai trouvé çà et là des morceaux d’ostéocolles ; les montagnes plus élevées sont d’argile dure, compacte et tenace ; elle se durcit en pierre dans les couches qui ne sont pas exposées au soleil, à l’air et à la pluie. On trouve sur le bord des rivières et dans les vallées, qui, entre les montagnes, pénètrent profondément dans l’île, de grosses masses de granit grossier, mélangé diversement. Près d’une cascasde que forme la rivière Matavaï, on voit une quantité de colonnes d’un basalte gris, solide et compacte ; des fragmens d’un basalte brun-noir, avec lequel les naturels font ordinairement leurs battoirs à pâte, leurs haches, leurs ciseaux et leurs outils tranchans. À O-aïtipiha, les naturels m’apportèrent une espèce de pyrite qui avait exactement la forme d’une stalactite, ou d’une substance qui s’était figée en coulant. L’existence de la pyrite sulfureuse confirme ce que le savant et habile docteur Casimiro-Gomez Ortéga, botaniste du roi d’Espagne et intendant du jardin de botanique à Madrid, m’a raconté des vaisseaux de guerre espagnols qui ont été à Taïti, et qui en ont rapporté un gros morceau de soufre natif, de la plus belle cristallisation transparente. Ce morceau est déposé maintenant dans le cabinet royal d’histoire naturelle de Madrid. Au sommet des profondes vallées qui entrecoupent ces îles, on voit de grandes masses de rochers noirs et caverneux, remplis de paillettes de schorl blanches et de différentes couleurs ; en un mot, de véritable lave. Ces rochers sont entremêlés aussi d’une lave grise en forme de stalactite et poreuse, qui renferme du schorl noir ; enfin une pierre ferrugineuse, argileuse et lamelleuse, d’un brun rougeâtre sale.

» Je pense que les îles des Amis ont le même sol que celles de la Société, avec cette différence seulement qu’elles ne sont pas si hautes ni si remplies de rochers. Quand nous relâchâmes à Anamocka, en 1774, nous aperçûmes sur l’île Tofoua, le matin, une fumée qui, la nuit, paraissait enflammée. En passant entre cette île et O-ghao, nous finies des tourbillons considérables qui s’élevaient du milieu de l’île, et qui donnaient une odeur pareille à celle de la tourbe brûlée. Les particules dont l’atmosphère était remplie tombaient sur le vaisseau, et nous causaient une vive douleur à l’œil dès qu’elles le touchaient. Sur la côte septentrionale de cette île nous remarquâmes un canton étendu qui paraissait évidemment avoir été brûlé depuis peu par le feu. La mer vomit souvent des pierres-ponces sur la côte d’Anamocka. Les naturels de toutes ces îles font aussi des haches et des outils avec des morceaux de basalte noir et compacte, comme aux îles de la Société. Parmi les instrumens de pêche de ces insulaires nous avons remarqué deux morceaux coniques d’une pierre calcaire ; mais je ne puis pas dire s’ils étaient de spath calcaire ou de rocher de corail : je crois pourtant qu’ils étaient spathiques.

» Le sol des Nouvelles-Hébrides semble approcher beaucoup de celui des deux groupes d’îles dont on vient de parler.

» À Mallicolo il paraît être d’une argile jaunâtre, mêlée de sable commun. Les rochers, le long de la mer, sont de corail et de madrépores ; et plus avant, dans l’intérieur du pays, d’une argile durcie : l’île d’Ambrym a certainement un volcan, et peut-être deux : on trouve des pierres-ponces sur les côtes de Mallicolo opposées à cette île. Nous n’avons vu Irromanga que de loin, et elle nous a paru ressembler aux premières îles. Tanna a ses côtes bordées de rochers de corail et de madrépores, la grève est couverte d’un sable noirâtre composé de petits fragmens de schorl, et de pierres-ponces, qui sont proprement des cendres volcaniques. Le vent les répand sur toute l’île ; de sorte que sa surface est composée partout de ce sable de pierres-ponces entremêlé de terreau noir produit par les végétaux tombés en putréfaction. Le volcan vomit ces cendres en si grande abondance, que souvent, dans une étendue de plusieurs milles alentour, il n’y a pas une feuille d’arbre, pas une plante, pas une herbe qui n’en soit entièrement couverte ; mais ces cendres forment un sol très-fertile, dans lequel tous les végétaux croissent avec la plus grande profusion. J’y remarquai un petit nombre de pierres éparses, qui étaient un mélange de quartz et de mica noir (syénite) : l’un des morceaux était même un granit grossier, revêtu d’un minerai noirâtre de fer.

» La principale roche de l’île, autant que j’ai pu en juger d’après les cantons qui environnent le havre, est composée de couches d’argile mêlées de terre alumineuse, et renfermant des rognons de craie pure ; elles ont environ six ponces d’épaisseur, et s’écartent très-peu de la ligne horizontale. Dans quelques endroits je trouvai un grès mou et noir, composé de cendres volcaniques et d’argile. J’ai observé çà et là une substance qu’on appelle ordinairement pierre cariée, qui est un tripoli argileux brun ; et entre la pierre cariée et le grès dont je viens de parler, se trouve une couche qui est un mélange de l’un et de l’autre. Dans les montagnes, entre le volcan et le port, j’ai rencontré une substance argileuse blanchâtre, d’où s’élevaient continuellement des vapeurs aqueuses et sulfureuses, qui en rendaient les environs extrêmement chauds : elle a un goût styptique, et elle est, je crois, alumineuse. On aperçoit dans cette terre du soufre natif et plusieurs taches vertes, ou marques de cuivre. Au-dessous de ces solfatares (qui, à chaque éruption de volcan, jetaient des quantités considérables de vapeurs brûlantes) il y a près de la ligne de la marée haute différentes sources chaudes qui cependant ne semblent point du tout être sulfureuses. J’ai remarqué aussi aux environs de ces solfatares, ou lieux d’où jaillissaient des vapeurs chaudes, un ocre rouge ou terre vitriolique, semblable au colchotar vitriolique, avec laquelle les naturels se peignent le visage. Tous les cantons de l’île offrent des pierres-ponces de couleur violette, noire et blanche, et de gravités spécifiques différentes. À la côte méridionale de l’île est un rocher contenant plusieurs morceaux de lave, dont quelques-uns étaient noirs et compactes, d’autres poreux et remplis de cristaux de schorls verts et blancs : plusieurs étaient gris et spongieux, et renfermaient du schorl jaune et noir. Nous avons découvert en outre une lave, un trass rougeâtre et aussi léger qu’une pierre-ponce. Sur les côtes on voit des tufs calcaires remplis de trous de pholades.

» Je suppose qu’Anattom, île voisine, renferme des productions volcaniques aussi-bien que Tanna ; les naturels de cette dernière possédaient des haches d’un basalte noir et solide, qu’ils disaient venir d’Anattom ; ils avaient un nom particulier pour les distinguer des haches, faites d’un coquillage blanc qu’ils tirent de l’île d’Immer.

» Un récif de corail et de madrépores entoure la Nouvelle-Calédonie et les îles adjacentes : les rivages sont couverts de sable, de fragmens de coquilles et de particules de quartz. Le sol des plaines est un terreau mêlé de ce sable ; il est très-fertile quand on l’arrose et qu’on le fume. Les flancs des montagnes que j’ai examinées sont d’une argile jaune, ocreuse, remplie de petites paillettes d’une espèce de mica blanc. Dans les parties les plus hautes des montagnes, c’est une pierre composée de quartz et de gros morceaux de ce mica, qui est quelquefois d’un rouge foncé ou de couleur d’orange que lui donne un ocre ferrugineux. À l’ouest de notre mouillage, près de la côte, on rencontre de grosses masses extrêmement dures d’amphibole d’un vert noirâtre, remplie de petits grenats de la grosseur d’une tête d’épingle. En plusieurs endroits on voit des fragmens de quartz blanc transparent, et quelquefois teints de rouge dans les fentes. Les naturels ont l’adresse de casser ces pierres de manière à leur donner un tranchant aigu : ils s’en servent pour couper leurs cheveux. Ils portent constamment dans de petits sacs des pierres pour leurs frondes ; ces pierres sont d’une forme oblongue et arrondie, un peu pointues aux deux extrémités, et faites d’une espèce de stéatite ; j’y ai découvert en outre une espèce d’asbeste verdâtre, grossier et fibreux.

» Si j’en excepte les rochers de corail et les madrépores qui servent d’entourage aux côtes de la plupart de ces îles, je ne puis pas dire que j’aie vu une seule pétrification sur toutes les terres que nous avons visitées durant le cours de l’expédition.

» D’après ce qui précède, il est évident, je crois, que toutes les îles hautes et montagneuses et les volcans situés entre les tropiques, dans le grand Océan, ont subi des changemens ; vérité qu’attestent encore d’une manière frappante les volcans en activité que nous avons observés à Tofoua, Ambrym et Tanna.

» On trouve sans doute, sur plusieurs de ces îles, des substances pyriteuses et sulfureuses, ainsi que des particules ferrugineuses et cuivreuses ; mais les montagnes de la Nouvelle-Calédonie et celles de la Nouvelle-Zélande sont celles qui semblent renfermer les veines métalliques les plus riches : la violence du feu souterrain a probablement détruit et scorifié les substances métalliques de toutes les îles volcaniques : celles de la Nouvelle-Calédonie et de la Nouvelle-Zélande, au contraire, paraissent encore intactes, parce que les roches qui y dominent sont des substances que les minéralogistes ont regardées jusqu’à présent comme primitives, dans lesquelles se trouvent toutes les veines métalliques de notre globe. Cette conjecture générale est la seule probable qu’on puisse offrir sur cette matière : la courte relâche que nous avons faite dans ces deux îles nous a empêchés d’examiner plus en détail leurs productions minérales.