Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XXI/Cinquième partie/Livre I/Chapitre II

CHAPITRE II.

Loaysa, Salazar, Saavedra, Alcazova, Grijalva, Gaëtan, etc.

Le gouvernement espagnol, persuadé par le succès du voyage de la Victoire que l’on pouvait aller aux Moluques par la route que ce navire avait parcourue, équipa une flotte de six vaisseaux, commandée par Garcias de Loaysa. Il avait pour second Sébastien del Caño, compagnon de Magellan. La flotte fit voile de la Corogne, au mois de juillet 1525. Avant d’entrer dans le détroit, le bâtiment monté par Caño fut poussé par la tempête contre les rochers, et brisé près du cap des Vierges ; les autres furent désemparés. On embouqua néanmoins le détroit le 26 janvier 1526 ; mais les vents contraires repoussèrent la flotte dans l’Océan atlantique, jusqu’auprès de la rivière de Sainte-Croix, par 49° 45′ de latitude sud, sur la côte des Patagons. Des soldats descendirent à terre, pénétrèrent dans l’intérieur, et en quatre jours de marche ne trouvèrent pas une seule habitation. Ils ne virent que des restes de feu nouvellement éteint. Après bien des traverses, les Espagnols rentrèrent dans le détroit le 8 avril. Des canots portant des sauvages de haute stature, abordèrent les navires ; plusieurs matelots moururent de froid ; enfin, le 25 mai, on entra dans le grand Océan.

« Dans quelques endroits où le détroit est le plus resserré, disent les historiens de ce voyage, les montagnes sont si hautes de chaque côté, qu’elles paraissent toucher le ciel. Le froid est extrême dans ces endroits, où le soleil ne pénètre que rarement. La neige, à force de vieillir, y est devenue bleue. Cependant on y trouve de beaux arbres résineux, de bonne eau, de bons poissons, et d’excellens ports. Les marées des deux mers y remontent à soixante-dix lieues en venant de l’est, à trente lieues en venant de l’ouest ; vers le milieu du détroit, dont la longueur est de cent lieues, le flux et le reflux sont très-forts. »

Vers les 46° sud, un coup de vent sépara les vaisseaux. Quelques-uns ne se revirent jamais. Épuisé par le chagrin et la fatigue, Loaysa mourut le 31 juillet ; Sébastien del Caño, qui prit le commandement après lui, ne lui survécut que quatre jours ; il expira le 4 août. Il eut pour successeur Alphonse de Salazar. Le 13 septembre, on découvrit l’île Saint-Barthélémy, par 14° de latitude nord, 15° 42′ nord, 164° 53′ est. Vainement Salazar y voulut mouiller, on ne trouva point de fond à cent brasses ; il fallut continuer à naviguer jusqu’aux îles Ladrones. En abordant à celle de Rota ou Saypan, les Espagnols virent venir à eux, dans un canot, un homme qui leur cria dans leur langue : Je suis Galicien, natif de Vigo ; je me nomme Gonsalve ; j’ai déserté du navire la Trinité, quand il eut quitté les Moluques, avec deux autres de mes camarades que les insulaires ont mis à mort, parce qu’ils avaient commis des imprudences. Nous étions dans une île plus au nord, d’où je suis venu dans celle-ci. J’en parle la langue. Accordez-moi mon pardon, au nom du roi, je retourne avec vous. » Il n’eut pas de peine à l’obtenir. Les habitans apportèrent à l’envi du poisson, des cocos, des fruits, et de l’eau douce, en demandant en espagnol des clous et du fer. « Leurs pirogues ou canots, dit le narrateur, sont d’une ou de deux pièces, et portent une sorte de voile latine très-bien tissue. Les hommes vont entièrement nus ; les femmes se couvrent le milieu du corps d’une ceinture de feuilles. Ils adorent les os de leurs ancêtres, qu’ils conservent chez eux dans une espèce de chapelle, où ils les oignent d’huile de coco. Nous ne vîmes dans ces îles aucunes sortes de grains, ni d’autres oiseaux qu’une espèce de tourterelle, dont les insulaires font beaucoup de cas. Ils façonnent le bois avec des cailloux, n’ayant aucune sorte de métal. Ils sont bien faits ; ils s’oignent le corps d’huile de coco. Plusieurs portent la barbe longue. Les femmes comme les hommes se couvrent la tête d’un large chapeau ; leurs armes sont la fronde et des bâtons garnis de l’os du bras d’un homme, dentelé comme une scie. Ce qu’ils estiment le plus, ce sont les écailles de tortue, dont ils font des hameçons et des peignes. »

Ces insulaires avaient bien accueilli les Espagnols. Ils ne leur avaient pas donné de sujet de plainte, comme à Magellan, par leurs nombreux larcins : quelle fut la récompense de tant de tant de bonhomie ? Salazar, après être resté cinq jours à Saypan, en enleva furtivement onze hommes pour travailler à la pompe, car son navire faisait eau de toutes parts. Dans cette occurrence, Salazar méritait le nom de brigand. Il est de toute justice de le lui donner, puisque les insulaires avaient été flétris de la dénomination injurieuse de larrons.

Salazar, après cet exploit, prit le chemin des Moluques ; mais il mourut en chemin. Le commandement fut disputé entre Martin Iniguez et Fernand Bastumante, qui avait déjà fait le tour du monde avec Magellan. Iniguez l’emporta, et conduisit le navire à Mindanao, où il arriva le 2 octobre, et alla ensuite à Gilolo et à Tidor.

Lorsque la flotte de Loaysa fut dispersée par les vents, un des petits vaisseaux et une patache restèrent ensemble. Ils furent désolés de la disparition des autres bâtimens, parce que leurs canots avaient été enlevés, et qu’ils étaient mal pourvus de vivres. On ne prenait pas de poissons ; on était réduit à vivre des oiseaux qui venaient se percher sur les vergues. Le 11 juillet, étant à au nord de la ligne, les Espagnols aperçurent une terre ; ils prirent quelques poissons qui leur apportèrent du soulagement. Enfin le 25 juillet, ils eurent connaissance d’une côte. Elle était garnie de sauvages, qui, avec une bannière blanche, leur faisaient signe d’aborder : par malheur les bas-fonds empêchaient les navires d’approcher de la côte. Dans cette extrémité, Juan d’Arrayzaga, aumônier du bâtiment, offrit de se mettre sur un coffre vide pour gagner le rivage. On lui remit diverses bagatelles pour les donner aux sauvages et se garantir, s’il était possible, d’être tué ou mangé. Il n’était qu’à un demi-quart de lieue de terre, lorsque le coffre tourna ; comme on avait eu la précaution de le lier par la ceinture à une corde attachée au coffre, il ne fut pas noyé. Il se croyait plus près du rivage qu’il ne l’était réellement ; il fut donc obligé de faire de grands efforts pour le gagner à la nage ; mais les forces lui manquèrent, et il serait infailliblement allé à fond, si les sauvages ne fussent entrés dans l’eau pour le secourir. Ils le tirèrent sur le sable à demi mort. Quand il eut repris ses sens, ces hommes l’entourèrent en se prosternant à terre sans proférer une parole. L’aumônier en fit autant. Alors ils chargèrent le coffre sur leurs épaules, et firent signe à l’aumônier de les suivre ; de sorte que les gens du vaisseau le perdirent de vue. On le conduisit dans un bois, au delà duquel il trouva des habitations fort propres, avec des vergers. Plus de vingt mille hommes armés d’arcs et de flèches se réunirent sur la route jusqu’à ce qu’il fût arrivé chez leur chef, qu’il trouva assis sous un gros arbre. Ils se parlèrent un moment sans se comprendre. Bientôt le cacique lui montra du doigt une croix de bois planté en terre, en lui disant : Sancta Maria. À cette vue si consolante, l’aumônier se prosterna en adoration, pleurant de joie. Il apprit qu’il était à Tecoantepec, sur les côtes du Mexique. On porta des vivres à la patache, et on lui indiqua un mouillage où elle jeta l’ancre. Le capitaine descendit à terre, il reçut la visite d’un Espagnol qu’on avait envoyé chercher, et qui le conduisit à Fernand Cortez.

L’arrivée de ces Espagnols confirma ce conquérant dans le projet qu’il avait conçu d’envoyer à la recherche des îles de l’Épicerie, à travers du grand Océan. Il fit équiper trois vaisseaux, et donna le commandement de cette escadre à Alvar de Saavedra, son parent, qui partit du port de Xevatlancico, dans la province de Soconusco. Le 31 octobre 1526, une tempête le sépara de ses deux conserves. Le 6 janvier 1527, il découvrit un groupe d’îles qu’il nomma islas de los Reyes (îles des Rois), par 11° de latitude nord, et 189 de longitude. Les insulaires sont de haute taille et robustes, ont la peau noire et le visage très-barbu. Ils portent de grands chapeaux, se servent de lames de roseaux, fabriquent de belles pirogues et de jolies nattes. Ils se couvrent les parties naturelles d’une petite natte, laissant le reste du corps nu.

Saavedra attérit à Mindanao, puis aux Moluques, où les Portugais et les Espagnols se faisaient une cruelle guerre. Il trouva à Tidor plusieurs personnes de l’équipage de Magellan, et une partie de celui de Loaysa. Ceux-ci étaient alors commandés par Fernand de Valdaya, qui avait empoisonné Martin Iniguez pour lui succéder, ce qu’il avoua à sa mort, arrivée peu de temps après, dans un combat où Saavedra battit les Portugais.

Cet amiral fit voile de Tidor, le 3 juin 1528, pour retourner au Mexique. Après un calme de trente jours et une navigation de deux cent cinquante lieues, il surgit aux Îles d’Or. C’était une partie de la Nouvelle-Guinée. Les habitans de ces îles sont des nègres, à cheveux crépus. Ils vont nus, portant des armes ferrées et de bonnes épées. Cent autres lieues de traversée amenèrent Saavedra en d’autres îles, habitées de même par des nègres armés de flèches ; il en prit trois qu’il emmena, et ayant encore navigué cent cinquante lieues, il trouva des îles à au nord de l’équateur, peuplées d’hommes blancs, et s’émerveilla fort de cette différence de couleur dans l’espèce humaine, à si peu de distance. Ils s’efforcèrent de grimper sur le navire, et lancèrent des pierres avec la fronde. Saavedra fit ensuite route au nord et au nord-ouest, jusqu’à 14°, où un vent violent du nord-est le repoussa du côté d’où il venait jusqu’aux îles Ladrones. Le vent ne lui permit pas d’y mouiller, et il fut chassé sur les côtes de Mindanao.

Saavedra repartit une seconde fois de Tidor en 1529 pour gagner le Mexique ; il suivit la même route que dans le voyage précédent, et revit les îles dont il avait enlevé trois nègres. L’un d’eux s’était fait chrétien et annonçait de l’intelligence. Saavedra l’envoya dire à ses compatriotes qu’il venait pour commercer avec eux, mais non pour leur faire du mal ; mais à peine l’insulaire mettait le pied sur le rivage, qu’il fut tué par les siens. Alors l’amiral leva l’ancre, et, naviguant au nord-est, découvrit cinq petites îles, la plus grande de quatre lieues de long. Les insulaires étaient nus, noirs et barbus ; ils avaient de petites pirogues à voiles turques en feuilles de palmier. Cinq de ces sauvages s’avancèrent vers le navire en criant d’une voix menaçante ; ils semblaient dire que l’on amenât les voiles. Un d’eux jeta une pierre contre le vaisseau d’une telle force, qu’il fendit une planche du bordage. On leur tira un coup de mousquet qui n’atteignit personne ; ils se sauvèrent. Ces îles sont à au nord de l’équateur, à moitié chemin de Tidor au Mexique. Ce sont probablement les îles des Barbus. Quatre-vingts lieues plus loin, toujours dans la direction du nord-est, on mouilla près d’îles basses, par 12° nord. Des hommes, qui puisaient de l’eau, firent signe aux Espagnols avec une bannière. Sept pirogues vinrent à la proue du navire. Vingt insulaires y montèrent avec une femme qui avait l’air d’une sorcière. Elle toucha de la main tous les Espagnols les uns après les autres. L’amiral leur fit donner un manteau et un peigne ; il les régala, leur demanda par signes leur amitié ; ce qu’ils parurent bien recevoir ; de sorte qu’un Castillan se hasarda d’aller à terre avec eux. Les chefs le reçurent à la descente. Ils le menèrent dans leurs maisons, qu’il trouva logeables et couvertes de feuilles de palmier. Ce peuple est blanc ; il se peint le corps et les bras. Les femmes sont jolies, à grands cheveux noirs, et vêtues de nattes très-fines. Leurs armes sont des bâtons brûlés, leur nourriture du poisson et des cocos. L’amiral descendit à terre ; les chefs vinrent le recevoir. Un d’eux parut très-curieux de savoir ce que c’était qu’un fusil qu’il voyait. On le lui expliqua : il demanda qu’on le tirât, mais, quand le coup partit, la foule des insulaires tomba par terre à demi morte d’épouvante, puis s’enfuit, en tremblant, vers un bois de palmier. Les chefs seuls restèrent, quoique fort effrayés aussi. L’amiral tomba malade, ce qui força de faire quelque séjour dans cette île. Les habitans portèrent au vaisseau deux mille cocos, et aidèrent de bonne grâce l’équipage à remplir les barriques d’eau fraîche.

Quand le vaisseau eut repassé le tropique, il retrouva les vents d’est qui le repoussèrent hors de sa route. L’amiral mourut sur ces entrefaites, et recommanda au pilote de tâcher de s’élever à 30° nord[1], et alors, si le vent ne changeait pas, de retourner à Tidor, où il consignerait le vaisseau et tous les effets appartenans à la couronne d’Espagne, entre les mains du capitaine Fernand de la Torre, ce qui fut exécuté.

En 1533, Cortez expédia Diego Hurtado et Fernand de Grijalva pour faire des découvertes dans le grand Océan ; mais elles se bornèrent à celle d’une île par 20° 30′ nord, et environ 108° de longitude ouest. Après beaucoup de peine, on y mouilla sur vingt-cinq brasses ; elle est partagée par une haute montagne, et paraît avoir vingt-cinq lieues de tour. Elle était couverte de bois touffus. On y trouva quantité de tourterelles et des oiseaux de proie ; on entendit des cris de quadrupèdes. Les côtes parurent très-poissonneuses. L’on y remplit quelques barils d’eau de pluie un peu saumâtre. Elle fut nommé île Saint-Thomas, d’après le jour de la découverte. Les gens de l’équipage assurèrent avoir vu distinctement deux hommes marins, probablement de grands phoques.

Simon de Alcazova, Portugais au service d’Espagne, fut chargé en 1534 de conduire une colonie au Pérou. Il partit de San-Lucar avec son escadre, et le 17 janvier 1535 il jeta l’ancre à l’embouchure du Rio-Gallego, sur la côte des Patagons. La crainte d’arriver trop tard au détroit de Magellan l’empêcha de faire aiguade à cette rivière ; de sorte que l’on souffrit une si grande disette d’eau pendant cinquante jours, que les chats et les chiens des navires burent du vin pur, ne pouvant supporter l’eau de mer. En approchant du détroit, on vit sur le rivage une vingtaine de Patagons qui paraissaient joyeux de l’arrivée des Espagnols.

Le temps devint si mauvais et si froid quand on se fut engagé dans le détroit, qu’à force d’instances on détermina Alcazova à retourner aux îles qui sont à l’entrée orientale. On y mouilla donc, et deux cents hommes débarquèrent sur la côte du continent, l’amiral à leur tête, pour aller à la découverte. Alcazova, déjà malade, ne put soutenir les fatigues de la marche, et revint au camp avec les plus faibles de la troupe, laissant le commandement à Rodrigue de la Isla. Celui-ci tira au nord-ouest, et souffrit beaucoup de la soif dans un trajet de vingt-cinq lieues, jusqu’à une rivière étroite, rapide et profonde, située entre deux montagnes, qui reçut le nom de Guadalquivir. Quatre femmes se trouvaient là avec un vieillard, occupées à moudre une graine qui faisait leur nourriture avec la chair de guanaco. Le vieillard en avait un apprivoisé qui lui servait à en attraper d’autres au piége quand ils venaient boire à la rivière. Les Espagnols, ayant construit un radeau, et pris les femmes pour guides, passèrent la rivière, traversèrent à gué un ruisseau bordé d’osiers, franchirent des montagnes, et retrouvèrent le même ruisseau dans lequel ils péchèrent de bon poisson semblable au saumon. Leur provision de biscuit tirait sur sa fin ; la plupart voulurent retourner sur leurs pas malgré les signes des femmes indiennes et de trois autres qu’ils avaient rencontrées depuis, qui leur donnaient à entendre qu’un peu plus loin ils trouveraient une nation portant des anneaux d’or aux bras et aux oreilles. La Isla leur représenta vainement qu’étant à quatre-vingt-dix lieues des vaisseaux, ils ne pouvaient les regagner sans courir le risque de mourir de faim, et qu’au moins fallait-il suivre le cours de la rivière jusqu’à la mer, et par ce moyen se procurer du poisson. Les Espagnols persistèrent à retourner par la même route. Durant quarante jours ils ne vécurent que de racines, et arrivèrent presque morts de faim aux vaisseaux, où de nouveaux malheurs les attendaient encore. L’équipage s’était révolté contre Alcazova et l’avait massacré ; il refusa l’entrée du vaisseau à la Isla et à ses compagnons, qui furent obligés d’errer encore quinze jours sur le rivage, éprouvant une disette affreuse. Cependant la division se mit entre les chefs des mutins. La Isla, qui en fut informé, réussit à gagner quelques officiers touchés de sa malheureuse situation, et, par leur moyen, parvint à faire sentir aux moins coupables l’énormité de leur crime. Ceux-ci se saisirent des deux chefs de la révolte. Alors la Isla, montant sur le vaisseau amiral, attaqua les autres, s’en empara, fit couper la tête aux principaux conjurés, et mena la flotte à Espagnola, où les coupables furent punis de mort.

Cortez, toujours animé du désir des découvertes, fit encore armer, en 1536, deux vaisseaux pour reconnaître les îles qui se trouvent sous la ligne jusqu’aux Moluques ; mais, informé que les affaires de Pizarre au Pérou étaient dans une situation très-critique, il recommanda aux deux bâtimens de toucher d’abord aux côtes du Pérou. L’un devait poursuivre le voyage à l’est, et l’autre retourner au Mexique. En conséquence de ces instructions, Grijalva, dont il a été question plus haut, partit de Payta, dans le Pérou, au commencement d’avril 1537. Il était arrivé à 29° sud, lorsque son mât se fendit. Aussitôt il revint vers la ligne : il l’avait passée, et se trouvait à nord. Le mât acheva de se rompre. L’ayant réparé autant qu’il lui fut possible, il courut jusqu’à 25° nord. Il se proposait d’attérir à la Californie ; les vents l’éloignèrent constamment de terre : il gouverna sur la ligne. Son équipage le pressait de se rendre aux Moluques ; il refusa, disant qu’il ne pouvait entrer dans les possessions portugaises sans passer pour un traître. Une révolte éclata ; Grijalva fut tué avec son neveu Lobo d’Avalos. Le maître qu’on lui donna pour successeur fit aussitôt voile pour les Moluques ; mais, surpris par les calmes, il ne put arriver qu’aux îles de la Nouvelle-Guinée. Il ne lui restait plus que sept hommes ; tous les autres étaient morts de faim et de fatigue. Le vaisseau, qui tenait la mer depuis dix mois, faisait eau de toutes parts. Pour éviter de couler à fond, les Espagnols furent obligés de se mettre dans un canot, et côtoyèrent une île qu’ils nommèrent Crespos. Les insulaires, qui étaient des nègres, vinrent à bord, défoncèrent le canot, firent les Espagnols prisonniers, et allèrent les vendre dans les îles voisines. Quelques-uns furent conduits aux Moluques, où Antoine Galvan paya leur rançon, et les renvoya en Espagne.

En 1538, Cortez expédia pour Ternate-Fernand, Alvarado, qu’il connaissait pour un homme de cœur, et qu’il ne voulait pas laisser languir dans le repos. Alvarado courut plus de mille lieues sans rencontrer aucune terre. Par les nord il découvrit une île appelée Asea ; cinq cents lieues plus loin, l’île des Pêcheurs ; ensuite, Hayme, autre île au sud de la ligne ; puis Apia. Retournant au nord, il surgit à Coroa, située par nord ; puis à Meousum, sous la ligne, et à Boufou. Les habitans de toutes ces îles sont noirs, et ont les cheveux crépus. Ce sont des Papous. On y voit un oiseau de la grosseur d’une grue : il ne vole pas ; ses ailes lui aident seulement à courir. Les insulaires parent leurs idoles des petites plumes de cet oiseau. Alvarado eut plusieurs combats à soutenir avec eux. Il reconnut ensuite les îles Gouelles, situées à nord à l’est et à l’ouest, et à cinquante lieues de Ternate. Il attérit à Moto, passa devant les Moluques : mais les habitans ne voulurent pas le laisser descendre à terre sans une permission de Galvan.

Malgré le mauvais succès de l’entreprise d’Alcazova, la difficulté de traverser l’isthme de Darien pour parvenir au grand Océan et gagner le Pérou engagea l’Espagne à faire de nouvelles tentatives pour y arriver par le détroit de Magellan. Guttierès de Carvajal, évêque de Placentia, fît armer à ses frais trois vaisseaux, qui firent voile de Séville en août 1539, sous le commandement d’Alfonse de Camargo. Le 20 janvier 1540, ils mouillèrent près du cap des Vierges, à 52° 20′ sud. Entrés dans le détroit, le vaisseau amiral fut brisé contre les rochers ; l’équipage put se sauver à terre. Camargo, sur le second bâtiment, arriva dans le grand Océan, et surgit en très-mauvais état au port d’Aréquipa. Le troisième bâtiment, après avoir essuyé bien des misères, revint en Europe par l’Océan atlantique.

Les événemens désastreux qui avaient accablé toutes les expéditions essayées depuis celle de Magellan, dégoûtèrent les Espagnols du passage par le détroit. On se borna donc, pour assurer désormais contre les pirates le trajet par terre d’une mer à l’autre, à fortifier la ville de Nombre de Dios dans l’isthme de Panama.

Cependant, les vice-rois du Mexique continuaient à faire des tentatives pour arriver aux Moluques par le grand Océan. Jean Gaëtan, pilote italien au service d’Espagne, partit du port de la Nativité le 1er. novembre 1542. On fit route à l’ouest pendant trente jours ; durant ce temps on parcourut neuf cents lieues, et on eut connaissance de diverses îles, dont quelques-unes avaient déjà été découvertes : Saint-Thomas, à cent quatre-vingts lieues des côtes du Mexique, par 20° 40′ nord ; deux cents lieues plus loin, Roca Partida par 20° nord : toutes deux inhabitées ; les îles des Rois qui s’étendent du 9e. 11e. parallèle nord ; vingt lieues au delà, par 10°, les îles du Corail ; les Jardins, par 9° 30′ ; deux cent quatre-vingts lieues plus avant, la Matelote ; et trente lieues plus loin, l’Arezife.

Les habitans des îles des Rois et des îles du Corail sont de pauvres gens qui vont nus, n’ayant qu’une espèce de brayette. Ils ont des poules semblables à celle d’Europe. La côte est bordée de corail ; l’île produit des cocos et d’autres fruits. On n’y trouva ni or ni argent, objet constant des recherches des Espagnols. Les îles des Jardins plaisent à la vue par les beaux palmiers dont elles sont couvertes ; de même que la Matelote, peuplée d’assez bonnes gens, qui donnèrent aux Espagnols un peu de poisson et de cocos. Arezife, qui est plus grande, a près de vingt-cinq lieues de tour. Son nom, qui signifie chaussée, indique qu’elle est composée d’îlots réunis par des récifs de corail qui forment comme des chaussées. On y vit aussi beaucoup de palmiers.

Les Espagnols, sans s’arrêter, se hâtèrent d’arriver aux Philippines, d’où ils envoyèrent leur conserve au Mexique pour rendre compte au vice-roi de leur heureux trajet ; ils allèrent ensuite à Tidor et à Gilolo. Les Portugais, qui voyaient avec peine que leurs voisins et leurs rivaux en Europe vinssent partager les profits qu’ils retiraient du commerce des épiceries, protestèrent contre le projet formé par les Espagnols de s’établir aux Moluques, disant que ces îles, et même celles qui se trouvaient à cinq cents lieues plus à l’est, appartenaient au roi de Portugal en vertu de la donation d’Alexandre vi. Il paraît que le commandant espagnol se laissa ou intimider ou gagner par les Portugais ; car il refusa d’accepter l’offre du roi de Tidor, qui voulait lui donner un navire tout neuf en remplacement du sien que l’on avait déclaré hors d’état de tenir la mer ; ce prince proposait en outre de se reconnaître vassal du roi d’Espagne. Cependant tout l’équipage, et entre autres Gaëtan, voulait retourner au Mexique. Le capitaine l’emporta et tînt à l’exécution d’un accord qui le mettait à la disposition des Portugais, et les Espagnols furent menés à Malaca.

Gaëtan soutient dans sa relation que, selon le règlement d’Alexandre vi, les Moluques et les Célèbes se trouvent dans le lot assigné à l’Espagne ; il prétend avoir observé que les Portugais dressaient des cartes de ces parages dans lesquelles ils mettaient des longitudes fautives, qui étaient à leur avantage. Il ajoute que, s’étant aperçus de ses connaissances dans ces matières, et de son habileté dans la navigation lorsqu’il alla des Moluques à Malaca, ils s’efforcèrent de le débaucher du service de l’Espagne et de l’attirer à celui de leur roi. Il rejeta leurs offres, qui étaient très-brillantes, se promettant bien, à son retour en Europe, d’instruire l’empereur Charles-Quint de ce qui se pratiquait à l’extrémité de l’Orient au préjudice de ses droits. Il tint parole, et publia une relation qui malheureusement est trop succincte ; mais peut-être n’en avons-nous qu’un extrait. On voit par ce qui précède qu’il avait en deux fois fait le tour du monde.

Bernard de La Torre, qui commandait le bâtiment expédié en aviso des Moluques au Mexique par le capitaine du navire de Gaëtan ; en 1543, se rapprocha de la ligne, et découvrit à 30° sud une côte qu’il prolongea pendant six cent cinquante lieues ; il y surgit par sud, et trouva le pays habité par des nègres à cheveux crépus ; c’est un peuple fort agile, qui porte pour armes des lances et des flèches non empoisonnées.

Les vaisseaux espagnols avaient les premiers fait le tour du monde en allant de l’orient à l’occident ; les premiers aussi ils traversèrent le détroit de Magellan d’occident en orient. Dès l’année 1557, le gouverneur général du Chili, fils de don Antonio de Mendoça, vice-roi du Pérou, chargea le capitaine Juan Ladrilleros, qui s’était fait connaître avantageusement dans les guerres civiles du Pérou, d’aller reconnaître l’entrée du détroit par le grand Océan. Ladrilleros avait deux vaisseaux sous ses ordres, le San-Luis, qu’il montait, et le San-Sebastian, commandé par Cortès Ogea. Fernand et Pedro Gallego, deux habiles navigateurs, étaient employés dans l’expédition en qualité de pilotes.

Ladrilleros, ayant fait voile du port de Valdivia, prolongea la côte jusqu’à la hauteur de l’embouchure du détroit : des observations mal faites qui lui donnèrent de faux résultats, et l’ignorance de ses guides, le firent se méprendre sur la véritable entrée. Trois fois il s’engagea dans divers canaux qui se rencontrent sur cette côte, dont il a donné une description très-détaillée. Il parvint enfin à trouver le vrai détroit, et séjourna dans le port de Nuestra Senora de los Remedios, environ quatre mois, depuis la fin de mars jusqu’au 22 juillet. Il suivit, reconnut et visita les côtes du détroit dans le plus grand détail, comme le lui prescrivaient ses instructions, jusqu’à ce qu’il eût atteint l’embouchure orientale. Parvenu à cette extrémité du canal, il revint sur ses pas, répéta dans sa traversée de retour les mêmes reconnaissances qu’il avait faites en allant ; et, après avoir essuyé les plus grandes fatigues, et vu périr plusieurs de ses compagnons, il rentra dans le port de Valdivia, d’où il était parti.

Ce voyage des Espagnols au détroit est le premier qui ait renversé l’opinion accréditée et dénuée de fondement, qu’il n’était pas possible de rentrer du grand Océan dans l’Océan atlantique par ce passage ; mais en même temps il a donné lieu à des fables qui se trouvent insérées dans quelques collections de voyages : on a supposé que Ladrilleros avait découvert plusieurs passages autres que le détroit de Magellan. Mais ce navigateur dit expressément dans son Routier qu’en passant du grand Océan austral dans l’Océan atlantique méridional, on peut, dans la bonne saison, traverser le détroit en cinq ou six jours.


  1. On voit que l’on savait dès lors qu’il faut s’élever au delà du 30e. parallèle pour trouver des vents d’ouest qui conduisent directement à la côte de Californie.