Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XXI/Cinquième partie/Livre I/Chapitre I

LIVRE PREMIER.


CHAPITRE PREMIER.

Magellan.

Fernand Magalhaens, que nous avons pris l’habitude de nommer Magellan, était Portugais de nation, et d’une famille noble. Les historiens qui nous ont fait connaître ses actions ne nous ont instruits ni du lieu de sa naissance, ni des particularités de sa vie privée. On sait seulement qu’il s’adonna de bonne heure à la navigation, se livrant à l’étude de la cosmographie et de l’astronomie, comme tous les hommes de son temps qui se sont illustrés sur mer. Pour acquérir des titres aux faveurs de la cour, et obtenir un emploi convenable à ses talens, il entreprit le voyage des Indes, et servit avec distinction sous le célèbre Albuquerque, surtout à Malacca, en 1511, lorsque ce vice-roi en acheva la conquête.

Il se trouvait à cette expédition avec son parent François Serrano. Argensola, historien des Moluques, écrit que Magellan partit avec Serrano et Antonio Abreu pour aller à la découverte de cet archipel ; mais il est le seul qui fasse mention de cette particularité. Il paraît, au contraire, que Magellan sollicita un commandement et ne put l’obtenir ; alors il résolut de revenir en Europe demander l’avancement qui lui avait été refusé dans les Indes. Il avait profité de son séjour dans ces contrées pour prendre toutes les informations qu’il croyait propres à servir à sa fortune. Les lumières qu’il devait à Serrano, avec lequel, selon tous les historiens, il conserva toujours d’étroites relations, semblaient lui promettre un accueil favorable en Portugal.

Ce fut dans sa campagne de l’Inde que la force de caractère et le courage qui rendirent Magellan si propre aux grandes entreprises se manifestèrent avec éclat. Herréra en cite un trait qui mérite d’être connu : un bâtiment qu’il montait se perdit sur un écueil isolé au milieu de la mer ; il ne restait plus de ressource que de se sauver sur une petite île voisine ; mais quand il fut question de s’embarquer dans les canots pour s’y rendre, de violentes contestations s’élevèrent. Les chefs et les officiers voulurent, à la faveur de leur rang, être du premier voyage : les matelots et les soldats s’y opposèrent. Magellan, voyant que de pareils débats dans une situation si périlleuse pouvaient causer la perte de tous, dit à l’équipage : « Mes enfans, laissez-les partir, je resterai avec vous ; mais qu’ils nous donnent leur parole de nous envoyer chercher dès qu’ils auront mis pied à terre. » Le trouble s’apaisa, et sa présence suffit pour les tranquilliser.

Arrivé à Lisbonne, Magellan continua de correspondre, autant que l’éloignement le permettait, avec son ami Serrano. Celui-ci l’invitait à retourner aux Indes, et même à se rendre aux Moluques, dont il lui indiquait même la distance de Sumatra. Il l’engageait à chercher les moyens de découvrir l’extrémité du continent où Colomb avait abordé, afin de parvenir dans la mer que Balboa avait vue. Magellan s’adonnait avec ardeur à l’étude de la géographie, et de la navigation. Il obtint la permission de consulter les mémoires et les cartes déposés dans les archives, et y puisa de nouvelles lumières. Il se lia d’amitié avec Martin Behaim, célèbre cosmographe, et avec Ruy-Falero, si habile astrologue que le peuple le croyait sorcier. Ces deux hommes, versés dans la géographie, fortifièrent Magellan dans la résolution de s’ouvrir un passage dans l’océan situé à l’ouest de l’Amérique.

Magellan, s’il faut en croire un historien, avait, à son retour, demandé une augmentation de paie de six francs par mois. Sa requête avait été rejetée ; il pensa qu’elle obtiendrait plus de faveur lorsqu’elle serait appuyée du mémoire dans lequel il présentait les découvertes qu’il méditait. Mais il était du destin de la cour de Lisbonne de ne pas prêter l’oreille aux propositions qu’on lui adressait de tenter des voyages aventureux. Colomb avait échoué ; il en fut de même de Magellan ; ses offres furent reçues avec une sorte de mépris. Outré de dépit d’un refus si humiliant et d’un traitement si peu mérité, il résolut de s’expatrier. Des correspondances secrètes l’instruisirent des dispositions de la cour d’Espagne, et le décidèrent à quitter le Portugal pour se rendre auprès de Charles-Quint. On trouva par la suite dans les papiers de Serrano des lettres par lesquelles Magellan l’informait qu’il espérait bientôt le rejoindre ; que l’état de ses affaires le forçait à ce voyage ; que, s’il ne pouvait réussir à l’entreprendre au service de Portugal, ce serait à celui d’Espagne.

Accompagné de Ruy-Falero, qui croyait aussi avoir à se plaindre du roi, et suivi de quelques pilotes auxquels il avait persuadé d’abandonner le Portugal, Magellan arriva, en 1517, à Valladolid, où Charles-Quint faisait sa résidence. Ce prince était alors absent ; Magellan s’adressa à don Juan Rodriguez de Fonseca, évêque de Burgos, chargé du département des Indes. Ce ministre l’écouta avec attention, et, approuvant ses vues, informa son souverain des propositions de Magellan, qui s’offrait de démontrer que les Moluques et les autres îles d’où le Portugal tirait tant d’épiceries précieuses, appartenaient à l’Espagne, conformément à la ligne de démarcation du pape Alexandre vi, ajoutant que ce navigateur se proposait d’y trouver une route par la mer de l’ouest, opposée à celle des Portugais, qui s’y rendaient en allant à l’est par la mer des Indes.

Charles, qui était à Saragosse, fit venir Magellan, et lui donna audience en présence de ses ministres. Magellan, qui avait déjà fourni des informations sur la richesse des productions des Moluques, n’eut pas de peine à prouver au roi que l’Espagne avait des droits sur ces îles, et la proposition de les faire valoir fut accueillie avec empressement. Les motifs sur lesquels cette prétention était fondée paraîtront très-plausibles, si toutefois on se reporte au temps où la question fut agitée. Alexandre vi avait partagé le monde en deux parties égales par une ligne qui, relativement à l’Europe, passait à l’ouest des Canaries et des Açores, et de l’autre, côté de la terre marquait une séparation à 180° en longitude. Les Espagnols devaient avoir la possession de tous les pays qu’ils pourraient découvrir à l’ouest de cette ligne de démarcation, et les Portugais, de ceux qu’ils découvriraient à l’est. Étrange donation fondée sur l’ignorance totale de la bonne philosophie et de la physique. Avec l’une on aurait fait réflexion que le pape ne pouvait donner ce qui ne lui appartenait pas, et avec l’autre on aurait su qu’en conséquence de la forme sphérique du globe il était très-possible que deux nations arrivassent au même point, en allant, l’une au levant, et l’autre au couchant. La partie inférieure de ce cercle imaginaire tracé par le pape fixait le terme où devaient s’arrêter de part et d’autre toutes les prétentions : or, comme on ignorait les lieux où cette ligne devait passer, et que l’on manquait des moyens de les connaître, il s’ensuivit des contestations, dont celle qui occupait alors la cour d’Espagne est la plus remarquable. Tous les cosmographes croyaient alors, d’après Ptolomée, que les côtes de Siam et de Cochinchine étaient à 180° de longitude, comptés du méridien des îles Canaries ; il pouvait, en conséquence, y avoir des difficultés entre le Portugal et l’Espagne sur la possession de quelques points de ces côtes. Cependant les Moluques, situées à une grande distance à l’est, semblaient se trouver dans la moitié du monde concédé à l’Espagne. Cette dernière puissance pensa qu’elle donnerait plus de poids à ses prétentions si elle envoyait chercher ses îles du côté de l’ouest. Mais il fallait pour cela contourner la barrière que le continent d’Amérique semblait opposer de ce côté. Magellan s’y était engagé ; il confirma devant Charles-Quint ce qu’il avait dit à son ministre ; et, pour prouver la possibilité de ce qu’il avançait, il montra au roi, sur une carte ou un globe ingénieusement enluminé, la route qu’il se proposait de suivre pour aller aux Moluques par l’ouest. L’on y voyait un détroit tracé immédiatement à la suite des terres les plus au sud de l’Amérique. L’on demanda à Magellan comment, dans la supposition où le détroit n’existerait pas, il arriverait dans le grand Océan. Il répondit qu’il lui était impossible de douter de la réalité du détroit ; mais qu’en supposant même qu’il put se tromper il prendrait la même route que les Portugais, ajoutant qu’ils n’avaient aucun droit de s’en plaindre, puisqu’on pourrait toujours leur prouver que les Moluques étaient dans les limites assignées à l’Espagne par la décision du pape.

Magellan parvint à persuader le conseil d’Espagne ; et Charles-Quint, dont le génie était capable d’apprécier un projet hardi, conçut une haute opinion de celui qui le lui présentait : il voyait d’ailleurs ses raisonnemens appuyés du témoignage d’un Portugais aussi renommé que Serrano, et d’un savant aussi célèbre que Falero : il ne balança pas à lui accorder sa confiance. Il les créa l’un et l’autre chevaliers de Saint-Jacques de Calatrava, et les nomma capitaines de vaisseau.

Le conseil d’Espagne conclut avec Magellan un traité dont les dispositions sont curieuses à connaître.

Magellan s’engagea à découvrir les Moluques et les îles occidentales dans les limites assignées à l’Espagne par la ligne de démarcation, et de s’y frayer une route par la mer de l’ouest. Le roi lui promet que pendant dix ans il ne permettra à aucun navigateur, sujet de l’Espagne, d’aller sur les traces de ses découvertes. Il accorde à Magellan le vingtième de toutes les richesses qu’on retirera des nouvelles découvertes, déduction faite des frais de l’armement. Magellan et ses descendans, nés en Espagne, auront le titre de général de tous les pays qui seront découverts. Ils auront aussi la faculté d’envoyer, tous les ans, pour la valeur de 10,000 ducats dans les vaisseaux du roi, qui en rapporteront les retours, sans autres frais que les droits ordinaires. Si les îles que Magellan découvrira excèdent le nombre de six, la quinzième partie du revenu net de deux de ces îles lui sera accordée. Il recevra, en outre, le cinquième de ce que rapporteront les vaisseaux de la première expédition. Le roi s’engage à faire armer cinq vaisseaux. La flotte aura deux cent trente-quatre hommes d’équipage, payés et nourris pendant deux ans.

Le dessein de Magellan fui d’abord traversé par don Alva d’Acosta, ambassadeur de Portugal, qui sentit combien le succès de cette entreprise nuirait aux intérêts de son souverain. Il s’efforça de l’empêcher, se donna beaucoup de mouvemens pour faire chasser Magellan de la cour, représentant que c’était un homme dans la disgrâce de son roi légitime ; et en même temps il assurait Magellan que, s’il voulait retourner en Portugal, le roi le chargerait de ces mêmes découvertes, qu’il avait le dessein d’entreprendre, et lui accorderait de bien plus grands avantages que ceux qu’il obtenait en Castille. Magellan ne se laissa pas amorcer par les propositions d’Acosta, et eut même besoin d’une certaine adresse pour échapper à ses embûches, car le bruit courut que des assassins étaient postés pour attenter à la vie de Magellan et de Falero. D’un autre côté, Acosta échoua dans ses tentatives de détourner le conseil d’Espagne d’exécuter le projet de Magellan, et celui-ci partit avec les ordres du roi pour faire armer à Séville la flotte destinée à son expédition.

De nouveaux obstacles attendaient Magellan à Séville. Les officiers du gouvernement apportèrent à l’équipement de la flotte des lenteurs extraordinaires ; ce ne fut qu’avec une sorte de répugnance qu’ils la pourvurent d’armes, de munitions, de provisions et de marchandises. L’argent nécessaire manqua ; Alonzo Guttierez, trésorier, et Christophe Aro de Burgos, firent de leurs propres fonds des avances pour accélérer l’armement ; et, en considération de l’évêque de Burgos, des négocians de Séville suppléèrent à ce qui manquait encore. Enfin, comme il était question d’une entreprise nouvelle, et que l’on ne savait pas précisément où elle devait aller, les pilotes refusaient de s’embarquer. Il arriva des ordres de les y contraindre. La flotte était sur le point de faire voile lorsqu’il s’éleva un différent entre Magellan et Ruy-Falero, qui devait faire le voyage en qualité de cosmographe. Il s’agissait de savoir auquel des deux serait confié le droit de porter l’étendard royal et le fanal. Le roi ordonna que Falero resterait en Espagne pour y rétablir sa santé, jusqu’au prochain voyage.

Sancho Martinez de Leyva, corrégidor de Séville, eut ordre en même temps de remettre à Magellan l’étendard royal dans l’église de Sainte-Marie de la Victoire, et de lui faire prêter serment, suivant l’usage d’Espagne, de se conduire en loyal et fidèle serviteur du roi. Magellan reçut ce même serment de tous les officiers de la flotte, qui lui jurèrent de le suivre partout où il voudrait les conduire, et de lui obéir en tout ce qu’il leur commanderait. S’étant tous recommandés à Dieu, ils s’embarquèrent pour ce voyage, qui devait immortaliser le nom de Magellan.

Ce chef de l’expédition commandait la Trinité, Juan de Cartagéna le Saint-Antoine, Louis de Mendoça la Victoire, Gaspard de Quésada la Conception, dont Sébastien del Caño était second ; enfin Rodrignez Mendoza commandait le Saint-Jacques. Sur ces cinq navires les deux premiers étaient de cent trente tonneaux chacun, les deux autres de quatre-vingt-dix, le cinquième de soixante : ils portaient en tout deux cent trente-sept hommes d’équipage. Quels faibles moyens pour une longue navigation dont le terme était inconnu !

La flotte partit de Séville le 10 août 1519, mais ce ne fut que le 20 septembre suivant qu’elle appareilla de San-Lucar à l’embouchure du Guadalquivir. Le départ de la flotte, dit Herréra, fut ainsi retardé jusqu’à l’arrière-saison par les vives instances que faisait le Portugal pour détourner Charles-Quint de cette entreprise ; mais ce monarque déclara que son intention était de ne rien usurper sur les possessions accordées au Portugal par la capitulation conclue avec lui, et qu’il avait donné des ordres précis à tous ses capitaines de ne se mêler en rien des affaires des Portugais. Ceux-ci publiaient que le roi d’Espagne en serait pour les frais de cet armement ; que Magellan était un homme d’un caractère trop vain et trop inconséquent pour que l’on pût fonder sur ses discours la plus légère espérance, et qu’il ne tiendrait en aucune manière les promesses qu’il avait faites.

Magellan, ayant relâché à Ténériffe pour se ravitailler, en repartit le 2 octobre. On suivit la côte de Guinée jusqu’à de latitude nord, et l’on fut pris de calme avec de la pluie et des raffales jusqu’à la ligne équinoxiale. Ces temps contraires empêchaient d’avancer. Les capitaines, ennuyés déjà de la longueur de la route, annonçaient un esprit de révolte ; ils étaient indignés d’obéir à un homme qui n’était pas de leur pays, et Magellan éprouvait combien il est difficile de réussir chez une nation dans laquelle on est étranger. Un jour, le capitaine Juan de Cartagéna demanda au pilote de la capitane pourquoi il ne naviguait pas d’après les instructions données à Séville, et signées par Magellan. « Laissez là les questions, reprit celui-ci ; votre devoir est de me suivre. » Cartagéna lui représenta qu’il aurait dû prendre là-dessus le conseil de ses officiers, et ne pas agir ainsi d’autorité ; qu’il n’était pas juste de décider une chose, puis d’en faire une autre ; et qu’il était au moins inutile de leur avoir donné la route par écrit. « Vous êtes dans l’erreur, reprit Magellan ; la route par écrit vous devient utile dans le cas où des coups de vent vous écarteraient de l’escadre ; mais tant que nous marcherons de conserve, mon pavillon dans le jour, et mon fanal dans la nuit, doivent vous guider. »

Le 13 décembre, les Castillans arrivèrent au Rio de Janeiro, sur la côte du Brésil, et imposèrent à cette baie le nom de Sainte-Luce. Les Indiens vinrent dans des pirogues chargées de volailles, de maïs, de fruits, de perroquets et d’autres oiseaux. Ils offraient un esclave pour une hache. Le général défendit sous peine de la vie d’acheter aucun esclave, pour ne pas donner lieu aux Portugais de se plaindre qu’il eût trafiqué sur leurs terres, et d’ailleurs pour épargner leurs vivres.

« Ici, dit Pigafetta, auquel on doit la relation de ce voyage, nous fîmes une abondante provision de poules, de patates, d’une espèce de fruit qui ressemble au cône du pin ; mais qui est extrêmement doux et d’un goût exquis (l’ananas) ; de roseaux fort doux (cannes à sucre), de la chair d’anta (tapir), laquelle ressemble à celle de la vache, etc. Nous fîmes d’excellens marchés ; pour un hameçon ou pour un couteau, l’on nous donnait cinq à six poules ; pour un petit miroir ou une paire de ciseaux nous obtenions assez de poisson pour nourrir dix personnes ; pour un grelot ou pour un ruban les indigènes nous apportaient une corbeille de patates ; c’est le nom qu’on donne à des racines qui ont à peu près la forme de nos navets, et dont le goût approche des châtaignes. Nous changions aussi chèrement les figures des cartes à jouer : pour un roi de denier[1] on me donna six poules, et encore s’imagina-t-on avoir fait une très-bonne affaire.

» Nous avions alors le soleil à notre droite, et nous souffrions bien plus de la chaleur qu’en passant la ligne. La terre du Brésil, qui abonde en toutes sortes de denrées, est aussi étendue que l’Espagne, la France et l’Italie ensemble : elle appartient au roi de Portugal.

» Les brésiliens ne sont pas chrétiens ; mais ils ne sont pas non plus idolâtres ; car ils n’adorent rien : l’instinct naturel est leur unique loi. Ils vivent très-long-temps, car les vieillards parviennent ordinairement jusqu’à cent vingt ans, et quelquefois jusqu’à cent quarante. Ils vont tout nus, les femmes aussi-bien que les hommes. Leurs habitations sont de longues cabanes qu’ils nomment boï, et ils se couchent sur des filets de coton appelés hamacs, attachés par les deux bouts à de grosses poutres ; leur cheminée est par terre. Un de ces boïs contient quelquefois jusqu’à cent hommes, avec leurs femmes et leurs enfans ; il y a par conséquent toujours beaucoup de bruit. Leurs barques, qu’ils appellent pirogues, sont formées d’un tronc d’arbre creusé au moyen d’une pierre tranchante, car les pierres leur tiennent lieu de fer, dont ils manquent. Ces arbres sont si grands, qu’un seul canot peut contenir jusqu’à trente et même quarante hommes, qui voguent avec des avirons semblables aux pelles de nos boulangers. À les voir si noirs, tout nus, sales et chauves, on les aurait pris pour les matelots du Styx.

» Les hommes et les femmes sont bien bâtis et conformés comme nous. Ils mangent quelquefois de la chair humaine, mais seulement celle de leurs ennemis. Ce n’est ni par besoin ni par goût qu’ils s’en nourrissent, mais par un usage qui, à ce qu’ils nous dirent, s’est introduit chez eux de la manière suivante : Une vieille femme n’avait qu’un seul fils qui fut tué par les ennemis. Quelque temps après, le meurtrier de son fils fut fait prisonnier et conduit devant elle ; pour se venger, cette mère se jeta comme un animal féroce sur lui, et lui déchira une épaule avec les dents. Cet homme eut le bonheur non-seulement de se tirer des mains de cette vieille femme et de s’évader, mais aussi de s’en retourner chez les siens, auxquels il montra l’empreinte des dents sur son épaule, et leur fit croire (peut-être le croyait-il lui-même) que les ennemis avaient voulu le dévorer tout vif. Pour ne pas céder en férocité aux autres, ils se déterminèrent à manger réellement les ennemis qu’ils prendraient dans les combats, et ceux-ci en firent autant. Cependant ils ne les mangent pas sur-le-champ ni vivans, mais ils les dépècent et les partagent entre les vainqueurs ; chacun porte chez soi la portion qui lui est échue, la fait sécher à la fumée, et chaque huitième jour il en fait rôtir un petit morceau pour le manger. J’ai appris de fait de Jean Carvallo, notre pilote, qui avait passé quatre ans au Brésil.

» Les Brésiliens se peignent le corps, et surtout le visage, d’une étrange manière et de différentes façons, les femmes aussi-bien que les hommes. Ils ont les cheveux courts et laineux, et n’ont de poil sur aucune partie du corps, parce qu’ils s’épilent. Ils ont une espèce de veste faite de plumes de perroquets, tissues ensemble, et arrangées de façon que les grandes pennes des ailes et de la queue leur forment un cercle sur les reins, ce qui leur donne une figure bizarre et ridicule. Presque tous les hommes ont la lèvre inférieure percée de trois trous, par lesquels ils passent de petits cylindres de pierre longs de deux pouces. Les femmes et les enfans n’ont pas cet ornement incommode. Ajoutez à cela qu’ils sont entièrement nus par-devant. Leur couleur est plutôt olivâtre que noire. Leur roi porte le nom de cacique.

» On trouve dans ce pays un nombre infini de perroquets, de manière qu’on nous en donnait huit ou dix pour un petit miroir. Ils ont aussi de très-beaux chats maimons, jaunes, semblables à de petits lions.

» Ils mangent une espèce de pain rond et blanc, mais que nous ne trouvions pas de notre goût, fait avec la moelle ou plutôt l’aubier qu’on trouve entre l’écorce et le bois d’un certain arbre, et qui a quelque ressemblance avec du lait caillé. Ils ont aussi des cochons, qui nous parurent avoir le nombril sur le dos, et de grands oiseaux, dont le bec ressemble à une cuillère ; mais ils n’ont point de langue.

» Quelquefois, pour avoir une hache ou un coutelas, ils nous offraient pour esclaves une ou même deux de leurs jeunes filles ; mais ils ne nous présentèrent jamais leurs femmes ; d’ailleurs celles-ci n’auraient pas consenti à se livrer à d’autres hommes qu’à leurs maris ; car, malgré le libertinage des filles, leur pudeur est telle, quand elles sont mariées, que jamais elles ne souffrent que leurs maris les embrassent pendant le jour. Elles sont chargées des travaux les plus pénibles, et on les voit souvent descendre de la montagne avec des corbeilles fort chargées sur la tête ; mais elles ne vont jamais seules ; leurs maris, qui en sont très-jaloux, les accompagnent toujours avec des flèches dans une main et un arc dans l’autre ; cet arc est de bois de Brésil ou de palmier noir. Si les femmes ont des enfans, elles les placent dans un filet de coton suspendu à leur cou.

» Ces peuples sont extrêmement crédules et bons, et il serait facile de leur faire embrasser le christianisme. Le hasard fit qu’on conçut pour nous de la vénération et du respect. Il régnait depuis deux mois une grande sécheresse dans le pays ; et comme ce fut au moment de notre arrivée que le ciel leur donna de la pluie, ils ne manquèrent pas de l’attribuer à notre présence. Lorsque nous débarquâmes pour dire la messe à terre, ils y assistèrent en silence et avec un air de recueillement ; et voyant que nous mettions à la mer nos chaloupes, qui demeuraient attachées aux côtés du vaisseau, ou qui le suivaient, ils s’imaginèrent que c’étaient les enfans du vaisseau, et que celui-ci les nourrissait.

« Le capitaine général et moi fûmes un jour témoins d’une étrange aventure : les jeunes filles venaient souvent à bord s’offrir aux matelots pour obtenir quelque présent. Un jour une des plus jolies y monta, sans doute pour le même objet ; mais ayant vu un clou de la longueur du doigt, et croyant n’être pas aperçue, elle le prit et l’enfonça bien vite entre les deux lèvres de ses parties naturelles ; croyait-elle le cacher ? croyait-elle s’en orner ? c’est ce que nous ne pûmes deviner. »

La flotte remit en mer le 27 décembre, et, côtoyant la terre, alla jusqu’au cap Sainte-Marie, à l’embouchure du Rio de la Plata. « C’est ici, dit Pigafetta, qu’habitent les cannibales ou mangeurs d’hommes. Un d’eux, d’une figure gigantesque, et dont la voix ressemblait à celle d’un taureau, s’approcha de notre navire pour rassurer ses camarades, qui par crainte s’éloignaient du rivage et se retiraient avec leurs meubles dans l’intérieur du pays. Désirant leur parler et les voir de près, nous sautâmes à terre au nombre de cent hommes, et les poursuivîmes pour en attraper quelques-uns ; mais ils faisaient de si grandes enjambées, que même en courant et sautant nous ne pûmes jamais parvenir à les joindre. »

Le lundi 6 février 1520, les Castillans sortirent du Rio de la Plata ; le 12, ils essuyèrent une tempête affreuse ; le 24, ayant trouvé une belle baie, Magellan voulut y entrer pour voir si ce n’était pas quelque détroit ; mais ayant trouvé qu’elle se rétrécissait et n’offrait qu’une embouchure de rivière, il en sortit, et l’appela la baie Saint-Mathias. Les Castillans étaient déjà au 4e. degré de latitude australe, et souffraient un grand froid, et plus ils allaient en avant, plus les tempêtes augmentaient ; il se passait quelquefois trois et quatre jours sans que les navires pussent se rejoindre.

Étant entrés dans une baie (le Port-Désiré), où il y a deux îles, pour y faire du bois et de l’eau, ils trouvèrent ces lieux peuplés d’oiseaux de mer (manchots) et de phoques. Les premiers y étaient en si grand nombre et si peu farouches, qu’en une heure de temps on en fit une abondante provision pour les équipages des cinq vaisseaux. On emporta aussi beaucoup de phoques, mais on ne trouva ni bois ni eau. Il survint en ce lieu une si violente tempête, que les câbles de la capitane furent rompus, et qu’elle faillit d’être jetée à la côte.

Après beaucoup d’autres traverses, ils trouvèrent le 31 mars, par 49° 30′ de latitude sud, un bon port que Magellan nomma le port Saint-Julien, et où il résolut de passer l’hiver ; car on sait que dans ces contrées australes cette saison a lieu depuis mai jusqu’en septembre, précisément dans le temps qui correspond aux grandes chaleurs de nos climats.

Magellan avait déjà éprouvé la répugnance des capitaines de la flotte à se soumettre à ses ordres. Il avait été obligé d’ôter le commandement du Saint-Antoine à Cartagéna, qu’il remplaça par Mesquita, un de ses parens ; et quoiqu’il nommât quelque temps après Cartagéna capitaine de la Conception, il ne put apaiser sa haine ; Mendoça et Quésada partageaient aussi les mêmes sentimens. À peine le capitaine général avait-il annoncé que l’on hivernerait dans la baie Saint-Julien, et réglé la distribution des vivres, que les équipages, excités par les mécontens, se plaignirent de la rigueur du froid et des privations qu’ils avaient à endurer ; enfin tous demandèrent à retourner en Espagne. Magellan, en homme qui a prévu toutes les difficultés, et que rien n’ébranle, leur répondit : « Je préfère la mort à la honte de manquer à ma promesse. Le roi m’a chargé de ses ordres, je les exécuterai. À tout événement, mon dessein est de suivre cette entreprise jusqu’à ce que je trouve un détroit, ou la mer ouverte à l’extrémité de ce continent, et je rencontrerai certainement l’un ou l’autre. La navigation est sans doute périlleuse en hiver sur cette côte ; mais elle redevient facile au retour du printemps. Rien alors ne pourra nous empêcher de prolonger le continent jusque sous le pôle. Ignorez-vous que nous arriverons dans des lieux où nous jouirons de la lumière du soleil pendant plusieurs jours de suite ? Je m’étonne que des hommes comme les Castillans fassent paraître cette faiblesse. Vous n’avez pas à vous plaindre de la disette des vivres ; sur ce rivage nous avons abondance de bois, de bonne eau, de poisson et de gibier. Le biscuit et le vin ne vous ont pas manqué, et vous en aurez toujours en suffisance, si vous vous conformez à ce que j’ai réglé. Notre retour serait d’autant plus honteux que nous n’avons encore rien fait pour la gloire. Nous ne sommes qu’à la hauteur du pôle, où les Portugais sont tant de fois arrivés avant nous. Au reste, je le déclare, j’aime mieux mourir que retourner en arrière honteusement. Je suis persuadé que la plupart de ceux qui m’accompagnent sont animés de ce courage naturel aux Castillans, comme ils l'ont témoigné en de plus grandes occasions, et comme ils le font voir encore tous les jours. Passons donc l’hiver ici, et attendons avec patience la saison favorable qui nous permettra de reprendre la mer ; alors nous découvrirons un monde inconnu, riche en or, en épiceries, et où chacun de nous pourra s’enrichir. »

Ce discours apaisa les murmures des équipages pendant quelque temps ; mais bientôt la sédition éclata. Un jour que Magellan avait envoyé un de ses canots au Saint-Antoine pour y prendre quatre hommes et les conduire à l’aiguade, un soldat du vaisseau avertit les gens du canot de ne pas aborder, parce que Quésada y commandait et retenait prisonnier Mesquita, nommé capitaine par Magellan. À la nouvelle de cette rébellion, le capitaine général renvoya le même canot au Saint-Antoine et aux autres vaisseaux demander quel chef ils reconnaissaient ; Quésada, Mendoça et Cartagéna répondirent qu’ils ne reconnaissaient d’autre autorité que celle du roi ; Serrano, le seul qui n’eût pas trempé dans le complot, répondit qu’il était fidèle au roi et à Magellan. Dans une circonstance si critique, ce vaillant homme de mer développa toute la force de son caractère, et fit un coup d’autorité qui lui réussit, mais que l’humanité désapprouvera toujours. Sachant que les matelots ne partageaient pas la haine dont leurs capitaines étaient animés, et qu’un grand nombre épousaient ses intérêts, il envoya poignarder, par un de ses affidés, Mendoça sur son propre vaisseau la Victoire. L’équipage rentra aussitôt dans l’obéissance.

Après ce coup hardi, Magellan donna ordre à chacun de se tenir à son poste et de faire bonne garde pour empêcher les autres vaisseaux de sortir de la baie. Bientôt on aperçut le Saint-Antoine qui dérivait sur la capitane et la Victoire. On supposa que ce bâtiment venait les combattre, et l’on se mit en devoir de repousser l’attaque. La capitane canonna le Saint-Antoine, mais on n’apercevait sur le pont que Quésada armé de toutes pièces, qui marchait comme un furieux, et appelait ses gens à haute voix. Ceux-ci n’osaient se montrer sur le pont, que foudroyait l’artillerie de la capitane. Alors Magellan s’approcha avec ce vaisseau et la Victoire, aborda le Saint-Antoine, et s’empara de la personne du rebelle sans éprouver la moindre résistance. Les gens de la Conception livrèrent Cartagéna.

Le lendemain le cadavre de Mendoça fut écartelé publiquement par les ordres de Magellan. Un conseil de guerre condamna Quésada au même supplice. Quant à Cartagéna, son rang ne permettant pas de le mettre à mort, il fut laissé à terre avec un aumônier de la flotte qui essaya de nouveau de faire révolter les équipages. L’instruction du procès fit connaître une quarantaine de coupables qui méritaient la mort ; Magellan leur pardonna, pour qu’une punition trop rigoureuse ne le rendît pas odieux.

Ces désordres apaisés, Magellan donna ordre à Serrano d’aller reconnaître la côte au sud. Une tempête jeta son navire à la côte à vingt-cinq lieues du port Saint-Julien ; il fut brisé ; heureusement l’équipage se sauva. Deux matelots vinrent par terre apprendre ce désastre au capitaine général, qui envoya un canot chargé de provisions au secours des naufragés ; il les répartit sur les autres bâtimens de la flotte, et donna le commandement de la Conception à Serrano.

Magellan fit construire sur le rivage une maison en pierre où il établit la forge, afin de mettre en sûreté les travailleurs et leurs outils, quoique jusqu’alors il n’eût paru aucun Indien. Le froid était si vif, que trois hommes en perdirent l’usage de leurs membres ; on se trouvait alors dans les jours les plus courts de l’année.

Quatre hommes qui avaient été envoyés pour reconnaître le pays, avec ordre de s’avancer jusqu’à trente lieues dans les terres, revinrent au bout de quelques jours ; ils n’avaient trouvé qu’un pays désert en apparence, et dépourvu d’eau douce.

Il y avait deux mois que la flotte était dans le port de Saint-Julien sans que l’on aperçut aucun habitant du pays. Un jour il en parut un sur le rivage ; il était presque nu, chantait et dansait en même temps en se jetant de la poussière sur la tête. Le capitaine général envoya à terre un matelot avec ordre de faire les mêmes gestes comme signes d’amitié et de paix, ce qui fut très-bien compris, et le sauvage se laissa paisiblement conduire dans une petite île où le capitaine était descendu. « Cet homme était si grand, dit Pigafetta, que notre tête touchait à peine à sa ceinture. Son visage était large et teint en rouge, à l’exception des yeux qu’il avait entourés de jaune, et de deux taches en forme de cœur sur les joues. Ses cheveux, qui étaient en petite quantité, paraissaient blanchis avec quelque poudre. Il portait un manteau fait de peaux cousues ensemble, et une chaussure de la même peau. Il tenait de la main gauche un arc court et massif, dont la corde était faite d’un boyau ; de l’autre main il portait des flèches de roseau courtes, ayant d’un côté des plumes comme les nôtres, et à l’extrémité, au lieu de fer, la pointe d’une pierre à fusil blanche et noire. Ces sauvages forment, de la même espèce de pierre, des outils tranchans pour travailler le bois.

« Le capitaine général lui fit donner à manger et à boire, et parmi d’autres bagatelles, lui présenta un grand miroir d’acier. Le géant, qui probablement voyait pour la première fois sa figure, recula si effrayé, qu’il renversa quatre de nos gens qui étaient derrière lui. On lui donna des grelots, un petit miroir, un peigne et quelques grains de verroterie. Ensuite on le remit à terre, en le faisant accompagner par quatre hommes bien armés.

» Un de ses camarades le voyant de retour, courut en avertir d’autres ; ceux-ci s’apercevant que nos gens armés s’approchaient d’eux,
se rangèrent en file, étant sans armes et presque nus. Ils commencèrent aussitôt leur danse et leur chant, pendant lesquels ils levaient l’index vers le ciel, comme avait fait le premier, pour indiquer qu’ils nous regardaient comme des êtres descendus d’en-haut ; ils nous montrèrent en même temps une poudre blanche dans des marmites d’argile, et nous la présentèrent, n’ayant autre chose à nous donner à manger. Les nôtres les invitèrent par des signes à venir sur nos vaisseaux. Les sauvages y vinrent en effet ; mais les hommes, qui ne tenaient à la main que leur arc et leurs flèches, avaient chargé leurs effets sur leurs femmes, comme si elles eussent été des bêtes de somme.

» Les femmes ne sont pas si grandes que les hommes ; en revanche elles sont plus grosses. Leurs mamelles tombantes ont plus d’un pied de long. Elles sont peintes et habillées de la même manière que leurs maris ; mais elles couvrent leurs parties naturelles avec une peau mince. Elles n’étaient rien moins que belles à nos yeux ; cependant leurs maris s’en montraient fort jaloux. Elles conduisaient avec des espèces de licous quatre animaux dont la peau leur sert à faire leurs manteaux. Cet animal, nommé guanaco, ressemble à un petit chameau.

» Ces hommes étant arrivés à bord, le capitaine général leur fit servir une chaudronnée de bouillie qui était capable de rassasier vingt hommes ; mais les six Indiens la mangèrent entièrement. Le lendemain deux autres apportèrent à bord un guanaco ; le capitaine leur fit donner à chacun une camisole rouge dont ils furent fort satisfaits.

» Six jours après il en vint un plus grand et mieux fait que les autres ; il avait aussi les manières plus douces ; il sautait si haut et avec tant de force, que ses pieds s’enfonçaient profondément dans le sable. Il passa quelques jours avec nous. Nous lui apprîmes à prononcer le nom de Jésus, l’oraison dominicale, etc. ; ce qu’il fit aussi bien que nous, mais d’une voix extrêmement forte. Enfin on le baptisa en lui donnant le nom de Jean. Le capitaine général lui fit présent d’une chemise, d’une veste, de caleçons de drap, d’un bonnet et de diverses bagatelles. Il retourna vers les siens en paraissant fort content de nous. Le lendemain il apporta au capitaine un guanaco, et reçut d’autres présens pour qu’il nous en amenât encore d’autres ; mais depuis ce jour nous ne le revîmes plus, et nous soupçonnâmes même que ses camarades l’avaient tué, parce qu’il s’était attaché à nous. Cet homme voyant à bord jeter des rats à la mer, les demanda pour les manger, et pendant six jours ne fit autre chose que porter à terre les rats et les souris que l’on prenait.

» Ce ne fut qu’après plus de vingt jours d’intervalle que les Indiens reparurent. Ils étaient au nombre de quatre, sans armes ; mais nous sûmes ensuite qu’ils les avaient cachées derrière des buissons. Ils étalent tous peints de différentes manières. Le capitaine voulut retenir les deux plus jeunes et les mieux faits pour les mener avec nous en Espagne ; et, voyant qu’il était difficile de les arrêter par la force, il eut recours à l’artifice ; il leur donna une grande quantité de couteaux, miroirs, grains de verroterie, de sorte qu’ils en avaient les mains pleines : ensuite il leur offrit deux paires d’anneaux qui servent à enchaîner, et quand il vit qu’ils témoignaient le désir de les avoir, car ils aiment passionnément le fer, et que d’ailleurs ils ne pouvaient plus les prendre avec les mains, il leur proposa de les leur attacher aux jambes, pour les porter plus facilement chez eux : ils y consentirent. Alors nos gens leur appliquèrent les cercles de fer et en fermèrent les anneaux, de sorte qu’ils se trouvèrent enchaînés. Aussitôt qu’ils s’aperçurent de cette supercherie, ils devinrent furieux, soufflant, hurlant, et invoquant Setebos, qui est leur démon principal, pour qu’il vînt à leur secours. »

Le capitaine, qui voulait aussi avoir de leurs femmes pour porter en Europe cette race de géans, ordonna d’arrêter les deux autres pour les obliger de nous conduire à l’endroit où demeuraient leurs femmes. Neuf hommes des plus forts suffirent à peine pour les jeter à terre et les lier, et même l’un d’eux parvint encore à se délivrer tandis que l’autre fit de si grands efforts, qu’on le blessa légèrement à la tête ; enfin les Castillans le contraignirent à les conduire chez les femmes des deux prisonniers. Ces femmes, apprenant le malheur arrivé à leurs maris, poussèrent des cris affreux. Le chef des Castillans, voyant la nuit approcher, résolût d’attendre le lendemain pour amener ces femmes, et cependant fit bonne garde. Sur ces entrefaites deux sauvages arrivèrent et passèrent le reste de la nuit avec les Castillans sans témoigner ni mécontentement ni surprise ; à la pointe du jour, ils dirent quelques mots aux femmes, et aussitôt, hommes, femmes, enfans, tous prirent la fuite, et ces derniers couraient encore plus lestement que les autres. Un homme caché dans un buisson tua un Castillan d’un coup de flèche. Il fut impossible d’atteindre les fuyards. On brûla la hutte des sauvages et on enterra le mort, après avoir cherché en vain à le venger.

« Tout sauvages qu’ils sont, dit Pigafetta, ces Indiens ne manquent pas d’une certaine médecine. Quand ils ont mal à l’estomac, par exemple, au lieu de se purger comme nous ferions, ils se fourrent une flèche assez avant dans la bouche, pour exciter le vomissement, et rendre une matière verte mêlée de sang. Le vert provient d’une espèce de chardons dont ils se nourrissent. S’ils ont mal à la tête, ils se font une entaille au front, et, dans toutes les parties du corps où ils ressentent de la douleur, afin que le sang sorte en plus grande quantité de l’endroit dont ils souffrent.

» Ils ont les cheveux coupés en forme d’auréole comme les moines, mais plus longs et soutenus autour de la tête par un cordon de coton dans lequel ils placent leurs flèches quand ils vont à la chasse. Quand il fait bien froid, ils se lient étroitement les parties naturelles contre le corps. Il paraît que leur religion se borne à adorer le diable. Ils prétendent que dix à douze démons apparaissent à l’homme à l’agonie, chantant et dansant autour de lui. Setebos, leur chef, ou le grand diable, fait plus de bruit que les autres, qui se nomment Cheleoule. Ils sont peints comme ces sauvages. Ce qui qui resta plusieurs jours avec nous prétendait avoir vu une fois un démon avec des cornes et des poils si longs, qu’ils lui couvraient les pieds ; il jetait, ajouta-t-il, des flammes par la bouche et par le derrière.

» Ces peuples, auxquels notre capitaine donna le nom de Patagons, couvrent leurs huttes de la peau des mêmes animaux dont ils se vêtent, et les transportent çà et là, n’ayant pas de demeures fixes. Ils vivent de viande crue, et d’une racine douce qu’ils nomment capac. Ils sont grands mangeurs ; les deux que nous avions pris mangeaient chacun une corbeille pleine de biscuit par jour, et buvaient un demi-seau d’eau d’un trait. Ils mangeaient les souris toutes crues, même sans les écorcher. »

Quand on fut prêt à partir, Magellan ordonna de mettre à terre Cartagéna et le prêtre, en conséquence de la sentence qui avait été rendue contre eux, et de leur donner du pain et du vin en abondance. Après cinq mois de séjour dans le port Saint-Julien, la flotte en sortit le 24 août, et alla faire du bois et de l’eau à l’embouchure de la rivière de Santa-Cruz, découverte par Serrano. On y séjourna près de deux mois, et l’on s’y approvisionna aussi d’une sorte de poisson très-bon à manger. Avant de quitter cet endroit, Magellan enjoignit à chacun de se confesser et de communier en bon chrétien.

Enfin, vers la mi-octobre, la flotte sortit de la rivière de Santa-Cruz, et, sans s’écarter de la côte, elle continua de faire route au sud, quoique avec grand’peine, à cause des mauvais temps. Le 21 octobre, jour de sainte Ursule, on découvrit un cap que Magellan nomma le cap des Onze Mille Vierges, à cause de la solennité du jour ; et, apercevant en même temps une grande ouverture dans les terres, il envoya le Saint-Antoine et la Conception pour reconnaître jusqu’où s’étendait cet enfoncement, qui était fort propre pour mettre les vaisseaux à couvert, tandis que la Trinité et la Victoire les attendaient à l’entrée. Les deux bâtimens avaient ordre d’être de retour dans cinq jours. Quand ils revinrent, l’un rapporta qu’il n’avait vu que de petites îles et une mer semée d’écueils ; l’autre avait continué pendant trois jours à naviguer dans un détroit dont il n’avait pas aperçu la fin ; il avait quelquefois sondé sans trouver fond. Ayant observé que le flux était toujours plus considérable que le reflux, il était impossible que ce bras de mer ou ce détroit ne s’étendît pas beaucoup plus loin.

D’après ce rapport, Magellan s’avança une lieue dans le détroit, jeta l’ancre, et dépêcha un canot avec dix hommes pour aller à terre et examiner le pays. Ils avaient à peine parcouru une lieue sur le continent, qu’ils trouvèrent une maison où il y avait plus de deux cents sépultures d’Indiens, parce qu’ils ont coutume d’habiter les bords de la mer en été et d’y enterrer leurs morts, et l’hiver ils retournent dans l’intérieur. En revenant au vaisseau, les Castillans rencontrèrent une baleine morte échouée sur le rivage, et quantité d’os de ces monstrueux cétacés ; ce qui leur fit conjecturer que ces parages étaient fort sujets aux tempêtes.

Plus loin, Magellan prit hauteur, et trouva qu’il était par 52° 56′ de latitude australe. Ne doutant pas que le détroit qu’il avait découvert ne fût le passage qu’il cherchait, il voulut s’en assurer encore mieux, et donna ordre au Saint-Antoine d’aller le reconnaître. Ce vaisseau courut cinquante lieues sans découvrir d’issue. Jugeant donc que l’on était dans un détroit qui communiquait à la mer du Sud, il revint annoncer cette nouvelle, qui fut reçu de toute la flotte avec de grands transports de joie.

Cependant Magellan assembla ses principaux officiers, et leur recommanda de dresser un état de leurs provisions, parce qu’il tenait le passage aux Moluques pour assuré. Il se trouva sur chaque vaisseau des vivres pour trois mois. Alors l’opinion générale fut qu’il convenait de poursuivre l’entreprise, et qu’il serait infâme de l’abandonner au moment où l’on était près de recueillir le fruit du voyage. Étienne Gomez, pilote du Saint-Antoine, fut d’un avis contraire. Il prétendit que, puisque l’on avait trouvé le détroit pour passer aux Moluques, la prudence ordonnait de retourner en Espagne pour y équiper une nouvelle flotte, parce qu’ayant à traverser une mer immense, on s’exposerait à périr, si l’on était surpris par des calmes ou des tempêtes.

Magellan répondit que la certitude même d’être réduit à manger les cuirs dont les vergues étaient garnies ne le détournerait pas d’effectuer ce qu’il avait promis à l’empereur, et qu’il espérait l’aide de Dieu pour conduire l’entreprise à une heureuse conclusion.

Il défendit à tout l’équipage, sous peine de mort, de parler de retour, et ordonna que les navires fussent prêts à appareiller le lendemain matin ; en quoi il montra autant de prudence que de fermeté, car la réputation d’habileté et d’expérience d’Étienne Gomez aurait infailliblement entraîné les marins.

Comme on aperçut pendant la nuit, sur la terre, à gauche ou au sud, qui d’ailleurs était froide et stérile, quantité de feux, on la nomma Tierra del fuego (Terre du feu).

On avança dans le détroit ; sa largeur variait d’une portée de fusil à une portée de canon. Les côtes se montrèrent d’abord verdoyantes ; plus loin, âpres, hautes, escarpées et couvertes de neige, excepté le long du rivage, où l’on voyait des forêts de grands arbres : elles étaient coupées de baies larges et profondes. Arrivé à cinquante lieues de l’entrée, on découvrit un nouveau canal qui s’enfonçait au sud et entre les montagnes. Magellan chargea le Saint-Antoine d’aller le reconnaître, et de revenir dans trois jours ; cependant il continua sa marche pendant un jour, et s’arrêta avec les deux antres bâtimens pour attendre le Saint-Antoine. Six jours s’étant écoulés sans qu’il parût, il dépêcha la Victoire à sa recherche. Ce fut en vain. L’on présuma qu’il était retourné en Espagne. Cette supposition fut confirmée par l’événement. Mesquita, capitaine du Saint-Antoine, retournait au port où il avait laissé Magellan ; mais Étienne Gomez et d’autres factieux se saisirent de lui, le mirent aux fers, et donnèrent le commandement à un autre ; En passant le long de la côte d’Amérique, ils recueillirent Cartagéna et son compagnon d’infortune, et les ramenèrent en Espagne.

La désertion du Saint-Antoine causa un vif chagrin à Magellan, parce que ce vaisseau emportait une partie considérable de ses vivres ; d’ailleurs elle le privait de l’appui de Mesquita et de plusieurs autres Portugais qui lui étaient attachés ; de sorte qu’il ne lui restait plus que le capitaine Barbosa et quelques autres sur la fidélité desquels il pouvait compter. Il consulta donc ses principaux officiers par écrit, ne jugeant pas à propos qu’ils vinssent à son bord, de peur qu’étant réunis il ne s’élevât quelque discussion sur le retour en Espagne dont il ne voulait pas entendre parler. Cette démarche ne fut donc de sa part qu’une simple marque de déférence ; mais, connaissant le mécontentement de la plupart des officiers, il entra avec eux dans les plus grands détails pour réfuter leurs objections, et les engager, s’il était possible, par la voie de la persuasion, à ne pas renoncer à une entreprise dont le succès était déjà presque assuré, jurant par l’ordre de saint Jacques que c’était l’expédient le plus sûr pour sauver la flotte, et que la Providence, qui leur avait fait découvrir ce canal, les conduirait heureusement au terme de leurs vœux.

Magellan poursuivit donc sa route dans le détroit avec les trois vaisseaux qui lui restaient. Le 28 novembre il aperçut au sud le cap qui terminait la côte, et entra dans l’Océan, ouvert devant lui. Là, il rendit à Dieu des grâces infinies de ce qu’il lui avait fait la grâce de trouver ce qu’il avait tant souhaité. Il ordonna des prières pour remercier Dieu ; et voyant que la côte à droite courait au nord, il fit route de ce côté pour s’éloigner promptement des climats froids.

« Nous pleurâmes tous de joie, dit Pigafetta. Le cap au sud fut appelé cabo Deseado (cap Désiré), parce qu’en effet nous désirions depuis long-temps de le voir. Nous donnâmes au détroit le nom de détroit des Patagons. » La postérité, plus juste, lui a imposé le nom du hardi navigateur qui le premier osa le franchir. Le nom de détroit de Magellan a été consacré, et devait l’être. Plus tard on appela cap Victoire celui qui termine le détroit au nord, d’après le vaisseau de l’escadre qui portait ce nom.

Depuis le moment où Magellan eut doublé ce cap, faisant route au nord, le temps, fut presque toujours orageux jusqu’au 18 décembre, qu’il se trouva par 32° 30′ de latitude australe. Les vents ne lui avaient pas été si contraires que la mer, qui l’incommodait beaucoup ; mais, à mesure, qu’il s’approcha des climats chauds, ils devinrent plus doux et plus favorables ; et enfin, ayant passé au sud-est, il fit route au nord-ouest.

« Nous navigâmes dans cette mer pendant trois mois et vingt jours, dit Pigafetta, sans goûter d’aucune nourriture fraîche. Le biscuit que nous mangions n’était plus du pain, mais une poussière mêlée de vers qui en avaient dévoré toute la substance, et qui de plus était d’une puanteur insupportable, étant imprégnée d’urine de souris. L’eau que nous étions obligés de boire était également putride et puante : nous fûmes même contraints, pour ne pas mourir de faim, de manger des morceaux de cuirs de bœuf, qui couvraient la grande vergue. Ces cuirs, toujours exposés à l’eau, au soleil et aux vents, étaient si durs, qu’il fallait les faire tremper pendant quatre à cinq jours dans la mer pour les rendre un peu tendres ; ensuite nous les mettions sur de la braise pour les manger. Souvent même nous avons été réduits à nous nourrir de sciure de bois, et les souris même, si dégoûtantes pour l’homme, étaient devenues un mets si recherché, qu’on les payait jusqu’à un demi-ducat la pièce.

» Ce n’était pas là tout encore. Notre plus grand malheur était de nous voir attaqués d’une espèce de maladie par laquelle les gencives se gonflaient au point de surmonter les dents ; et ceux qui en étaient attaqués ne pouvaient prendre aucune nourriture. Dix-neuf hommes en moururent, et parmi eux le géant patagon et un Brésilien, que nous avions conduit avec nous. Outre les morts, nous avions vingt-cinq à trente matelots malades, qui souffraient des douleurs dans les bras, dans les jambes et dans quelques autres parties du corps ; mais ils en guérirent. Quant à moi, je ne puis trop remercier Dieu de ce que pendant tout ce temps, et au milieu de tant de malades, je n’ai pas éprouvé la moindre infirmité.

» Pendant cet espace de trois mois et vingt jours nous parcourûmes à peu près quatre mille lieues dans cette mer, que nous appelâmes Pacifique, parce que, durant tout le temps de notre traversée, nous n’essuyâmes pas la moindre tempête. Nous ne découvrîmes non plus, pendant ce temps, aucune terre, excepté deux îles désertes, où nous ne trouvâmes que des oiseaux et des arbres, et par cette raison nous les nommâmes Desventuradas (les Infortunées). Nous ne trouvâmes point de fond le long de leurs côtes, et n’y vîmes que beaucoup de requins. Elles sont à deux cents lieues l’une de l’autre : la première par 15° de latitude méridionale, la seconde par . D’après le sillage de notre vaisseau, que nous prîmes par le moyen de la chaîne de la poupe (ligne de loc), nous parcourions chaque jour soixante à soixante-dix lieues ; et si Dieu et sa sainte mère ne nous eussent accordé une heureuse navigation, nous aurions tous péri de faim dans une si vaste mer. Je ne pense pas que personne à l’avenir veuille entreprendre un pareil voyage. »

Après avoir ainsi indiqué la position des deux îles que l’on rencontra, Pigafetta, quelques lignes plus bas, leur en donne une différente, et dit qu’elles sont par 15° et par 20° de latitude sud. Selon les premières positions, l’une de ces îles devrait être celle des Chiens, que Lemaire a vue après Magellan, et l’autre une des Marquesas de Méndoça. Mais, sans entrer ici dans des détails que cet ouvrage ne comporte pas, on doit dire que, selon toute probabilité, les deux îles vues par Magellan sont, d’une part, l’île Pitcairn de Carteret, et de l’autre l’île des Chiens de Lemaire. Quoi qu’il en soit, il paraît certain que Magellan a passé entre l’archipel dangereux de Bougainville, et les Marquesas de Mendoça ; qu’il a fait route ensuite à peu près au nord-ouest jusqu’à l’hémisphère septentrional, et qu’il atteignit ensuite aux îles Mariannes.

« Le 6 mars 1521, étant arrivé à 12° de latitude septentrionale, nous découvrîmes, dit Pigafetta, une petite île au nord-ouest, et ensuite deux autres au sud-ouest. La première était plus élevée et plus grande que les deux autres. Le capitaine général voulait s’arrêter à la plus grande pour y prendre des rafraîchissemens et des provisions ; mais cela ne nous fut pas possible, parce que les insulaires venaient sur nos vaisseaux et volaient tantôt une chose et tantôt une autre, sans qu’il nous fût possible de les en empêcher. Ils étaient d’ailleurs en si grand nombre, que l’on ne pouvait plus se remuer. Le capitaine les fit mettre dehors, et il fallut en venir à la violence, parce qu’ils n’en voulaient pas sortir. Les insulaires en colère revinrent dans leurs pirogues, et jetèrent tant de pierres et de bâtons brûlés, que le général, qui d’abord avait défendu de leur faire aucun mal, ne pouvant plus souffrir ces insultes, commanda de tirer l’artillerie. Quoique l’on en eût tué plusieurs, ils ne laissaient pas de revenir à nos vaisseaux pour troquer leurs denrées contre nos marchandises. Un soir ils eurent l’adresse de détacher le canot qui était amarré à l’arrière de la capitane, et l’emmenèrent à leur île.

» Le capitaine irrité, envoya le lendemain deux chaloupes avec quatre-vingt-dix hommes armés, qui débarquèrent à un village situé au pied d’une montagne, brûlèrent une cinquantaine de maisons et plusieurs canots, tuèrent sept insulaires, et enlevèrent les vivres qu’ils trouvèrent. Les Indiens, qui s’étaient retirés sur la montagne, lançaient sur nos gens une si grande quantité de pierres, que l’on eût cru qu’il grêlait. Mais quand on vint à tirer les arquebuses, ils s’enfuirent plus haut. De cette manière on recouvra le canot. Le capitaine général fit charger de l’eau, et répartir les vivres entre tous les vaisseaux, puis ordonna que chacun rentrât à son bord. Comme après ces actes d’hostilités, il jugea qu’il ne pouvait pas s’arrêter plus long-temps dans ces îles, il en partit le lendemain en continuant sa route dans la même direction.

» Lorsque nos gens, continue Pigafetta, blessaient les insulaires avec leurs flèches, armes qu’ils ne connaissaient pas, de manière à leur traverser le corps d’outre en outre, ces malheureux tâchaient de retirer ces flèches de leurs corps, tantôt par un bout et tantôt par l’autre ; après quoi, ils les regardaient avec surprise, et souvent ils mouraient de la blessure ; ce qui ne laissait pas de nous faire pitié. Cependant lorsqu’ils nous virent partir, ils nous suivirent avec plus de cent canots, et nous montrèrent du poisson comme s’ils voulaient nous le vendre ; mais quand ils étaient près de nous, ils nous lançaient des pierres et prenaient la fuite. Nous passâmes à pleines voiles au milieu d’eux ; mais ils surent éviter nos vaisseaux avec beaucoup d’adresse. Nous vîmes aussi dans leurs canots des femmes qui pleuraient et s’arrachèrent les cheveux, probablement parce que nous avions tué leurs maris.

» Ces peuples ne connaissent aucune loi, et ne suivent que leur propre volonté. Il n’y a parmi eux ni roi ni chef ; ils n’adorent rien, et vont tous nus. Quelques-uns d’entre eux ont une longue barbe, des cheveux noirs noués sur le front, et qui leur descendent jusqu’à la ceinture. Ils portent aussi de petits chapeaux de palmier. Ils sont grands et fort bien faits. Leur teint est d’une couleur olivâtre ; mais on nous dit qu’ils naissaient blancs, et qu’ils devenaient bruns avec l’âge. Ils ont l’art de se colorer les dents de rouge et de noir, ce qui passe chez eux pour une beauté. Les femmes sont jolies, d’une belle taille, et moins brunes que les hommes. Elles ont les cheveux fort noirs, plats et tombant à terre. Elles vont nues comme les hommes, si ce n’est qu’elles couvrent leurs parties sexuelles avec un tablier étroit, fait de toile, ou plutôt d’une écorce mince comme du papier, qu’on tire de l’aubier du palmier. Elles travaillent dans leurs maisons à faire des nattes et des corbeilles avec des feuilles de palmier, et d’autres ouvrages semblables pour l’usage domestique. Les uns et les autres s’oignent les cheveux et tout le corps d’huile de coco, et d’une petite plante (raphanus oleifer).

» Ce peuple se nourrit d’oiseaux, de patates, d’une espèce de figues longues d’un demi-pied (bananes), de cannes à sucre, et d’autres fruits semblables. Leurs maisons sont de bois, couvertes de planches, sur lesquelles on étend les feuilles de leurs figuiers (bananiers), longues de quatre pieds. Ils ont des chambres assez propres, avec des solives et des fenêtres ; et leurs lits, assez doux, sont faits de nattes de palmier très-fines, étendues sur de la paille assez molle. Ils n’ont pour toute arme que des lances garnies par le bout d’un os pointu de poisson. Les habitans de ces îles sont pauvres, mais très-adroits, et surtout voleurs habiles ; c’est pourquoi nous les appelâmes îles des Larrons (islas de los Ladrones).

» Leur amusement est de se promener avec leurs femmes dans des canots semblables aux gondoles de Fusine près de Venise ; mais ils sont plus étroits ; tous sont peints en noir, en blanc ou en rouge. La voile est faite de feuilles de palmier cousues ensemble, et a la forme d’une voile latine. Elle est toujours placée d’un côté ; et du côté opposé, pour donner un équilibre à la voile, et en même temps pour soutenir le canot, ils attachent une grosse poutre pointue d’un côté, avec des perches, en travers pour lui servir d’appui. C’est ainsi qu’ils naviguent sans danger. Leur gouvernail ressemble à une pelle de boulanger, c’est-à-dire que c’est une perche au bout de laquelle est attachée une planche. Ils ne font point de différence entre la proue et la poupe ; et c’est pourquoi ils ont un gouvernail à chaque bout. Ils sont bons nageurs, et ne craignent pas de se hasarder en pleine mer comme des dauphins.

» Ils furent si émerveillés et si surpris de nous voir, que nous eûmes lieu de croire qu’ils n’avaient vu jusqu’alors d’autres hommes que les habitans de leurs îles. »

Herréra, dont le récit est d’accord avec celui de Pigafetta, dit que Magellan donna à ce petit archipel le nom d’îles des Voiles (islas de las Velas). En effet, cette dénomination a quelquefois été employée pour le désigner.

Le 16 mars, au lever du soleil, on se trouva près d’une terre élevée à trois cents lieues à l’ouest des îles des Larrons. On s’aperçut bientôt que c’était une île. Elle se nommait Zamal[2]. Derrière cette île on en vit une autre non habitée. Les Castillans apprirent ensuite que son nom était Humana[3]. Magellan résolut d’y prendre terre le lendemain pour faire aiguade avec plus de sûreté, et jouir de quelque repos après un si long et si pénible voyage. Il y fit aussitôt dresser deux tentes pour les malades, et ordonna de tuer une truie. Sans doute il l’avait prise aux îles des Larrons, où les navigateurs postérieurs ont trouvé beaucoup de cochons.

Le lundi 18, dans l’après-midi, l’on vit venir une pirogue avec neuf hommes. Magellan ordonna que chacun se tînt tranquille et gardât le silence. Ils montèrent à bord, et leur chef, s’adressant au capitaine général, lui témoigna par des gestes le plaisir de voir les Castillans. Quatre des plus apparens de la trempe restèrent sur le vaisseau, tandis que les autres allèrent appeler leurs compagnons occupés à pêcher, et revinrent avec eux.

Magellan, les voyant si paisibles, leur fit donner à manger, et leur offrit en même temps des bonnets rouges, de petits miroirs, des peignes, des grelots, de la toile, des bijoux d’ivoire, et autres bagatelles semblables. Les insulaires, charmés de la politesse du capitaine, lui donnèrent du poisson, un vase plein de vin de palmier, qu’ils appelaient araca, des bananes longues de plus d’une palme, d’autres plus petites et de meilleur goût, et deux cocos. Ils indiquèrent en même temps par des gestes qu’ils n’avaient pour le moment rien de plus à offrir ; mais que dans quatre jours ils reviendraient et apporteraient du riz, qu’ils appelaient oumaï, des cocos, et d’autres provisions.

« Les insulaires, dit Pigafetta, se familiarisèrent beaucoup avec nous, et c’est par ce moyen que nous pûmes apprendre les noms de plusieurs choses, et surtout des objets qui nous environnaient. C’est aussi d’eux que nous apprîmes que leur île s’appelait Zuloan ; elle n’est pas fort grande. Ils étaient polis et honnêtes. Par amitié pour notre capitaine, ils le conduisirent, dans leurs canots, aux magasins de leurs marchandises, tels que clous de girofle, cannelle, poivre, noix-muscade, macis, or, etc., et nous firent connaître par leurs gestes que le pays vers lequel nous dirigions notre course fournissait abondamment de toutes ces denrées. Le capitaine général les invita à son tour à se rendre sur son vaisseau, où il étala tout ce qui pouvait les flatter par la nouveauté. Au moment qu’ils allaient partir, il fit tirer un coup de bombarde qui les épouvanta étrangement ; de sorte que plusieurs étaient sur le point de se jeter à la mer pour s’enfuir ; mais on n’eut pas beaucoup de peine à leur persuader qu’ils n’avaient rien à craindre ; si bien qu’ils nous quittèrent assez tranquillement, et même de bonne grâce, en nous assurant qu’ils reviendraient incessamment comme ils nous l’avaient promis auparavant. L’île déserte sur laquelle nous nous étions établis est, comme je l’ai dit plus haut, nommée Humana par les insulaires ; mais nous l’appelâmes l’Aiguade aux bons indices (Aguada de los buenos segnales), parce que nous y avions trouvé deux fontaines d’eau excellente, et que nous aperçûmes les premiers indices d’or dans ce pays. On y trouve aussi du corail blanc, et il y a des arbres dont les fruits, plus petits que nos amandes, ressemblent aux pignons de pin. Il y a aussi plusieurs espèces de palmiers, dont quelques-uns donnent des fruits bons à manger, tandis que d’autres n’en produisent point.

» Ayant aperçu autour de nous une quantité d’îles, le 17 mars, cinquième dimanche de carême (dimanche de la Passion), nous leur donnâmes le nom d’archipel Saint-Lazare, parce qu’en Espagne on appelle ce jour-là le dimanche de Saint-Lazare. Il est par 10° de latitude septentrionale, et à 161° de longitude de la ligne de démarcation[4].

» Le vendredi, 22, du même mois, les insulaires tinrent parole, et vinrent avec deux canots remplis d’oranges, de cocos, une cruche pleine de vin de palmier, et un coq, pour nous faire voir qu’ils avaient des poules. Nous achetâmes tout ce qu’ils apportèrent. Leur chef était un vieillard ; son visage était peint ; et il avait des pendans d’oreilles d’or. Ceux de sa suite avaient des bracelets d’or au bras, et des mouchoirs autour de la tête.

» Nous passâmes huit jours près de cette île, et le capitaine allait journellement à terre, visitant les malades, auxquels il portait du vin de cocotier, qui leur faisait beaucoup de bien.

» Les habitans des îles près de celle où nous étions avaient de si grands trous aux oreilles, et le bout en était si allongé, qu’on pouvait y passer le bras.

» Ces peuples sont cafres, c’est-à-dire païens. Ils vont nus, n’ayant qu’un morceau d’écorce d’arbre pour cacher les parties naturelles, que quelques-uns des chefs couvrent d’une toile de coton brodée en soie aux deux bouts. Ils sont de couleur olivâtre, et généralement assez replets. Ils se tatouent et s’oignent tout le corps avec l’huile de cocotier et de gengeli pour se garantir, disent-ils du soleil et du vent. Ils ont les cheveux noirs, et si longs, qu’ils leur tombent sur la ceinture. Leurs armes sont des coutelas, des boucliers, des massues et des lames garnies d’or. Pour ustensiles de pêche ils ont des dards, des harpons et des filets faits à peu près comme les nôtres. Leurs embarcations ressemblent aussi à celles dont nous nous servons.

» Le lundi saint 25 mars, je courus le plus grand danger. Nous étions sur le point de faire voile, et je voulais pêcher du poisson. Ayant, pour me placer commodément, posé le pied sur une vergue mouillée par la pluie, je glissai et je tombai dans la mer sans que personne s’en aperçût. Heureusement la corde d’une voile qui pendait dans l’eau se trouvait à ma portée ; je la saisis, et je criai avec tant de force, que l’on m’entendit et qu’on mit un canot à la mer pour me sauver, ce que je dois sans doute attribuer non pas à mes propres mérites, mais à la protection miraculeuse de la très-sainte Vierge.

» Nous partîmes le même jour, et, gouvernant entre l’ouest et le sud-ouest, nous passâmes au milieu de quatre îles, appelées Canalon, Hainangon, Ibusson et Abarien.

» Le jeudi 28 mars, ayant vu pendant la nuit du feu dans une île, nous mîmes le matin le cap de ce côté, et lorsque nous en fûmes à peu de distance, nous vîmes une petite barque qu’on appelle boloto, avec huit hommes, s’approcher de notre vaisseau. Le capitaine avait un esclave natif de Sumatra ; il essaya de leur parler dans la langue de son pays ; ils le comprirent et vinrent se placer à quelque distance de notre vaisseau ; mais ils ne voulurent pas monter à bord, et semblaient même craindre de trop s’approcher de nous. Le capitaine, voyant leur méfiance, jeta à la mer un bonnet rouge et quelques autres bagatelles attachées sur une planche ; ils les prirent et en témoignèrent beaucoup de joie ; mais ils partirent aussitôt, et nous sûmes ensuite qu’ils s’étaient empressés d’aller avertir leur roi de notre arrivée.

» Deux heures après, nous vîmes venir à nous deux balangais (nom qu’ils donnent à leurs grands canots), tout remplis d’hommes ; le roi était dans le plus grand, sous une espèce de dais formé dé nattes. Quand le roi fut près de notre vaisseau, l’esclave du capitaine lui parla, ce qu’il comprit très-bien ; car les rois de ces îles parlent plusieurs langues. Il ordonna à plusieurs gens de sa suite de monter sur le vaisseau ; mais il resta dans son balangai, et aussitôt que ses gens l’eurent rejoint, il partit.

» Le capitaine accueillit avec beaucoup d’affabilité ceux qui étaient montés sur le vaisseau, et leur fit des présens. Le roi, qui en fut instruit, voulut, avant de retourner à terre, donner au capitaine un lingot d’or et une corbeille pleine de gingembre ; mais le capitaine, tout en le remerciant, refusa d’accepter le présent. Vers le soir, l’escadre alla mouiller près de la maison du roi.

» Le lendemain 29, le capitaine envoya à terre l’esclave qui lui servait d’interprète, pour dire au roi que, s’il avait des vivres à nous envoyer, nous les paierions bien, en l’assurant en même temps que nous n’étions pas venus vers lui pour commettre des hostilités, mais que nous voulions être ses amis. Alors le roi vint lui-même au vaisseau dans notre chaloupe avec six de ses principaux officiers ; il embrassa le capitaine, et lui fit présent de vases de porcelaine pleins de riz cru et couverts de feuilles, de deux dorades assez grosses, et de divers autres objets. Le capitaine lui offrit à son tour une veste de drap rouge et jaune, faite à la turque, et un bonnet rouge fin. Il fit aussi des présens aux hommes de sa suite, donna aux uns des miroirs, aux autres des couteaux. Ensuite il fit servir le déjeuner, et ordonna à l’esclave interprète de dire au roi qu’il voulait vivre en frère avec lui, ce qui parut lui faire grand plaisir.

» Il étala ensuite devant le roi des draps de différentes couleurs, des toiles, du corail et d’autres marchandises ; il lui fit voir aussi toutes les armes à feu jusqu’à la grosse artillerie, et l’on tira quelques coups de canon, dont ces insulaires furent fort épouvantés. Il fit armer de toutes pièces un Castillan, et dit à trois autres de lui porter des coups d’épée et de stylet, pour montrer au roi qu’un homme armé de celte manière était invulnérable, ce qui surprit beaucoup ce prince ; c’est pourquoi, se tournant vers l’interprète, il le chargea de dire au capitaine qu’un tel homme pouvait combattre contre cent. Oui, répondit l’interprète, au nom du capitaine ; et chacun des trois vaisseaux a deux cents hommes armés de cette façon. On lui fit ensuite examiner séparément chaque pièce de l’armure, en lui montrant la manière dont on s’en servait. »

Magellan, comme on le voit, exagéra beaucoup le nombre des hommes qu’il avait sous ses ordres, puisqu’en tout il ne lui en restait pas deux cents. Si le récit de Pigafetta est sincère, on doit supposer que ce chef enfla ses forces, afin d’ôter au roi indien l’envie d’attaquer les vaisseaux, ce qui rend sa forfanterie excusable.

« Après cela, continue Pigafetta, le capitaine général conduisit le roi au château d’arrière, et s’étant fait apporter la carte et la boussole, il lui expliqua à l’aide de l’interprète comment il avait trouvé le détroit pour venir dans la mer où nous étions, et combien de lunes il avait passé en mer sans voir la terre.

» Le roi, étonné de tout ce qu’il venait de voir et d’entendre, prit congé du capitaine, en le priant d’envoyer avec lui deux Européens pour leur faire voir à son tour quelques curiosités de son pays. Le capitaine me nomma avec un autre pour accompagner le roi.

» En abordant à terre, le roi leva les mains au ciel, et se tourna ensuite vers nous : nous en fîmes autant, ainsi que tous ceux qui nous suivaient. Le roi me prit alors par la main, un de ses officiers en fit autant à mon camarade ; et nous nous rendîmes ainsi sous une espèce de hangar fait de roseaux où l’on gardait le balangai du roi, qui avait environ cinquante pieds de long, et qui ressemblait à une galère. Nous nous assîmes sur la poupe et essayâmes de nous faire entendre par des gestes, parce que nous n’avions pas d’interprètes avec nous. Les personnages de la suite du roi l’entouraient, se tenant debout, armés de lances et de boucliers.

» On nous servit alors un plat de chair de porc, avec une grande cruche pleine de vin. À chaque bouchée de viande nous buvions une écuellée de vin, et lorsqu’on ne vidait pas entièrement l’écuelle, ce qui n’arrivait guère, on versait le reste dans une autre cruche. L’écuelle du roi était toujours couverte, et personne n’y touchait que lui et moi. Chaque fois que le roi voulait boire, il levait les mains au ciel, les tournait ensuite vers nous, et, au moment où il prenait l’écuelle avec la main droite, il étendait vers moi la gauche, le poing fermé ; de manière que la première fois qu’il fit cette cérémonie, je crus qu’il allait me donner un coup de poing ; et il restait dans cette attitude pendant tout le temps qu’il buvait : m’étant aperçu que chacun l’imitait, j’en fis autant. Ce fut ainsi que se passa notre repas ; et je ne pus me dispenser de manger de la viande, quoique ce fût le vendredi saint.

» En attendant l’heure du souper, je présentai au roi plusieurs choses que j’avais apportées ; et en même temps je lui demandai le nom de plusieurs objets dans leur langue ; ils étaient surpris de me les voir écrire.

» Le souper vint : on apporta deux grands plats de porcelaine ; l’un contenait du riz bouilli, l’autre du porc cuit dans son bouillon. On suivit d’ailleurs les mêmes cérémonies qu’au goûter. Nous passâmes de là au palais du roi, qui avait la forme d’une meule de foin. Il était couvert de feuilles de bananier, et soutenu, à une assez grande distance de terre, sur quatre grosses poutres ; on se servit d’une échelle pour y monter.

» Le roi nous fit asseoir sur des nattes de roseaux, les jambes croisées comme les tailleurs. Une demi-heure après, on apporta un plat de poisson rôti, coupé par morceaux, du gingembre qu’on venait de cueillir, et du vin. Le fils aîné du roi étant survenu, il le fit asseoir à notre côté. On servit alors un poisson cuit dans son bouillon, et du riz pour en manger avec le prince héréditaire. Un Castillan, mon compagnon, but sans mesure et s’enivra.

» Leurs chandelles sont faites d’une espèce de résine qu’ils appellent anime, qu’on enveloppe dans des feuilles de palmier ou de bananier.

» Le roi, après avoir fait signe qu’il voulait se coucher, s’en alla, et nous laissa avec son fils, avec qui nous dormîmes sur une natte de roseaux, ayant la tête appuyée sur des oreillers faits de feuilles d’arbres.

» Le lendemain matin, le roi vint me voir, me prit par la main, et me conduisit dans l’endroit où nous avions soupé, pour y déjeuner ensemble ; mais notre chaloupe était venue me chercher ; je fis des excuses au roi, et je partis avec mon compagnon. Le roi était de très-bonne humeur, il nous baisa les mains, et nous lui baisâmes les siennes. Son frère, qui était roi d’une autre île, vint avec nous, suivi de trois hommes. Le capitaine général le retint à dîner, et lui fit présent de plusieurs bagatelles.

» Ce roi nous dit qu’on trouvait dans son île des morceaux d’or gros comme des noix, et même comme des œufs, mêlés avec de la terre qu’on passait au crible pour les trouver, et que tous ses vases, et même tous les ornemens de sa maison, étaient de ce métal. Il était vêtu fort proprement selon l’usage du pays, et c’était le plus bel homme que j’aie vu parmi ces peuples. Ses cheveux noirs lui tombaient sur les épaules ; un voile de soie lui couvrait la tête, et il portait aux oreilles des anneaux d’or. De la ceinture jusqu’aux genoux, il était couvert d’un drap de coton brodé en soie ; il portait au côté une espèce de dague ou d’épée, qui avait un manche d’or fort long : le fourreau était de bois très-bien travaillé. Sur chacune de ses dents on voyait trois taches d’or, de sorte qu’on aurait dit qu’il avait toutes ses dents unies par ce métal.

» Il fait son séjour dans une île où sont les pays de Butuan et de Calagan[5] ; mais quand les deux rois confèrent ensemble, ils se rendent dans l’île de Massana, où nous étions actuellement. Le premier s’appelle raja Colambu, le second raja Siagu[6].

» Le jour de Pâques, qui était le dernier jour du mois de mars, le capitaine général envoya de bonne heure l’aumônier à terre avec quelques matelots, pour y faire tous les préparatifs nécessaires pour dire la messe ; et en même temps il dépêcha l’interprète vers le roi pour lui annoncer que nous irions dans son île, non pour dîner avec lui, mais pour remplir une cérémonie de notre religion. Le roi approuva tout, et nous envoya deux porcs tués.

» Nous descendîmes à terre au nombre de cinquante, armés seulement à la légère, et vêtus le plus proprement possible. Au moment que nos chaloupes touchèrent le rivage, on tira six coups de bombarde en signe de paix. Nous sautâmes à terre, où les deux rois, qui étaient venus à notre rencontre, embrassèrent le capitaine et le placèrent au milieu d’eux. Ensuite nous marchâmes en ordre jusqu’à l’endroit où l’on devait dire la messe, qui n’était pas très-éloigné du rivage.

» Avant que l’on commençât le service divin, le capitaine général jeta de l’eau musquée sur les deux rois. Ils allèrent comme nous à l’oblation, et baisèrent la croix, mais ils ne firent point l’offrande. À l’élévation, ils adorèrent l’eucharistie, les mains jointes, imitant toujours ce que nous faisions. Dans ce moment, les vaisseaux, au signal donné, firent une décharge générale de l’artillerie. Quelques-uns de nous communièrent après la messe, et ensuite le capitaine fit exécuter une danse avec des épées, ce qui causa beaucoup de plaisir aux deux rois.

» Après cela, il fit apporter une grande croix garnie de clous et de la couronne d’épines, devant laquelle nous nous prosternâmes, et les insulaires nous imitèrent encore en cela. Alors le capitaine fit dire aux rois par l’interprète, que cette croix était l’étendard qui lui avait été confié par son souverain pour la planter partout où il aborderait ; et que par conséquent il voulait l’élever dans cette île, à laquelle ce signe serait d’ailleurs favorable, parce que tous les vaisseaux qui dorénavant viendraient la visiter connaitraient, en le voyant, que nous y avions été reçus comme amis, et ne leur feraient aucun mal, et que, dans le cas même où quelqu’un d’entre eux serait pris, il n’aurait qu’à montrer la croix pour qu’on lui rendit sur-le-champ la liberté. Il ajouta que cette croix devait être placée sur la sommité la plus élevée des environs, afin que chacun pût la voir, et que chaque matin il fallait l’adorer ; qu’en se conformant à cette pratique salutaire, ni la foudre ni les orages ne leur causeraient désormais aucun mal. Les rois, pénétrés de la vérité du discours du capitaine, le remercièrent, et le firent assurer par l’interprète qu’ils étaient satisfaits, et exécuteraient avec plaisir ce qu’il venait de leur proposer.

» Leur ayant fait demander si leur religion était celle des Maures ou des gentils, ils répondirent qu’ils n’adoraient aucun objet terrestre ; mais, levant les mains jointes et les yeux au ciel, ils firent entendre qu’il adoraient un être suprême qu’ils nommaient Abba, ce qui fit grand plaisir à notre capitaine. Alors le raja Colambu, levant les mains vers le ciel, lui dit qu’il aurait bien désiré de lui donner quelques preuves de son amitié. On s’enquit de lui pourquoi il avait si peu de vivres dans son île : « C’est, répondit-il, parce que je ne fais pas ma résidence dans cette île ; je n’y viens que pour la chasse ou pour y avoir des entretiens avec mon frère, je demeure avec ma famille dans une autre île. »

» Le capitaine assura le roi que, s’il avait des ennemis, il se joindrait volontiers à lui avec des vaisseaux et ses guerriers pour les combattre. Le roi repartit qu’il était en guerre avec les habitans de deux îles, mais que ce n’était pas le temps convenable pour les attaquer, et remercia le capitaine. L’après-midi, la croix fut plantée sur le sommet d’une montagne ; la fête finit par une décharge de notre mousqueterie ; le roi et le capitaine général s’embrassèrent, et nous retournâmes sur nos vaisseaux en traversant des champs cultivés. Le capitaine avait demandé quel était dans les environs le port où il pourrait le plus facilement ravitailler ses vaisseaux et trafiquer avec ses marchandises. On lui répondit qu’il y en avait trois : Leyte, Zebu et Calagan (ou Caragua dans l’île de Mindanao) ; mais que celui de Zebu était le meilleur. On lui offrit des pilotes pour l’y conduire, et le capitaine fixa notre départ au lendemain, proposant au roi des otages pour répondre des pilotes jusqu’à ce qu’il les eût renvoyés. Les rois y consentirent.

» Le 1er. avril, dans la matinée, nous allions lever l’ancre, lorsque le roi Colambu nous fit dire qu’il nous servirait lui-même de pilote, si nous voulions attendre qu’il eût fini sa récolte de riz et d’autres productions de la terre, priant en même temps le capitaine de lui envoyer du monde pour accélérer ce travail. Le capitaine satisfit au désir du roi ; mais les deux princes avaient tant mangé et tant bu la veille, que soit qu’ils fussent incommodés, ou seulement fatigués des suites de l’ivresse, ils furent hors d’état de donner aucun ordre, et nos gens restèrent à ne rien faire. Les deux jours suivans on travailla vivement, et la besogne fut achevée.

» Nous passâmes sept jours à Massana. Les insulaires ont le corps peint, et vont tout nus, se couvrant seulement les parties naturelles d’un morceau de toile. Les femmes portent un jupon d’écorce d’arbre qui leur descend de la ceinture aux talons. Leurs cheveux noirs leur tombent quelquefois jusque sur les pieds. Leurs oreilles sont percées et ornées de bagues et de pendans d’or. Ces insulaires sont grands buveurs, et mâchent continuellement un fruit appelé areca, qui ressemble à une poire : ils le coupent par quartiers et l’enveloppent dans des feuilles de l’arbre appelé betré, qui ressemblent à celles du mûrier, et ils y mêlent un peu de chaux. Après qu’ils l’ont bien mâché, ils le crachent, et leur bouche devient toute rouge. Ils prétendent que ce fruit leur rafraîchit le cœur ; on assure même qu’ils mourraient, s’ils voulaient s’en abstenir. Les animaux de cette île sont les chiens, les chats, les cochons, les chèvres et les poules. Les végétaux comestibles sont le riz, le millet, le panis, le coco, l’orange, le citron, la banane et le gingembre. Il y a aussi de la cire.

» L’or y est en abondance, ainsi que le prouvent deux faits dont j’ai été témoin. Un homme nous apporta une jatte de riz et des figues, et demanda en échange un couteau. Le capitaine, au lieu du couteau, lui offrit quelques pièces de monnaie, et entre autres une double pistole d’or ; mais il les refusa, et préféra le couteau. Un autre proposa d’échanger un gros lingot d’or massif contre six filières de grains de verroterie ; mais le capitaine s’y opposa absolument, de crainte que ces insulaires ne comprissent que nous mettions plus de prix à l’or qu’au verre et qu’à nos autres marchandises. Massana est à vingt lieues d’Humana.

» Nous partîmes, et dirigeant notre route au sud-est, nous passâmes au milieu des îles de Leyte ou Baybais, Bohol, Candigan, et Gatigan. Dans cette dernière, nous vîmes des chauves-souris aussi grosses que des aigles. Nous en tuâmes une que nous mangeâmes, et à laquelle nous trouvâmes un goût de poulet. Il y a aussi des pigeons, des tourterelles, des perroquets et d’autres oiseaux noirs et gros comme une poule, qui font des œufs aussi gros que ceux de canard, et qui sont fort bons à manger. On nous dit que sa femelle pond ses œufs dans le sable, et que la chaleur du soleil suffit pour les faire éclore. De Massana à Gatigan il y a vingt lieues.

» Nous partîmes de Gatigan en mettant le cap à l’ouest ; et comme le roi de Massana, qui voulut être notre pilote, ne pouvait pas nous suivre avec sa pirogue, nous l’attendîmes près de trois îles, nommées Polo, Ticobon, et Pozon. Lorsqu’il nous eut rejoints, nous le fîmes monter sur notre vaisseau avec quelques hommes de sa suite, ce dont il fut très-content, et nous allâmes ainsi à Zebu. De Gatigan à Zebu il y a quinze lieues.

» Le dimanche 7 avril, nous entrâmes dans le port de Zebu. Nous passâmes près de plusieurs villages où nous vîmes des maisons construites sur les arbres. Quand nous fûmes près de la ville, le capitaine fit arborer tous les pavillons et amener toutes les voiles, et l’on fit une décharge générale de l’artillerie, ce qui causa une grande alarme parmi les insulaires. Le capitaine envoya aussitôt l’interprète et un Castillan à terre pour rassurer le roi, en lui disant que c’était notre usage de faire ainsi ce grand bruit comme un salut et un signe de paix et d’amitié, pour honorer en même temps le roi et l’île. Ces explications tranquillisèrent les esprits.

» Le roi était environné d’un peuple immense. Il demanda le motif de notre arrivée dans son île ; l’interprète répondit que le commandant des vaisseaux était au service du plus grand roi de la terre, et allait aux Moluques ; mais que le roi de Massana, où sa flotte avait touché, lui ayant parlé avec de grands éloges du roi de Zebu, il était venu lui rendre visite, et en même temps prendre des rafraîchîssemens en échange de marchandises.

» Le roi repartit que le capitaine était le bienvenu, mais que tous les vaisseaux qui entraient dans son port pour y trafiquer devaient commencer par payer un droit ; ajoutant que quatre jours auparavant ce droit avait été acquitté par une jonque de Siam, qui avait chargé des esclaves et de l’or, et il appela un marchand maure arrivé de Siam pour le même objet, afin qu’il confimât la vérité de ce discours.

» L’interprète répliqua que le capitaine, étant le serviteur d’un si grand roi, ne paierait de droit à aucun roi de la terre ; que, si le roi de Zebu voulait la paix, il avait apporté la paix mais que, s’il voulait la guerre, il lui ferait la guerre. Le marchand de Siam, s’approchant alors du roi, lui dit en son langage. « Cata raja chita, c’est-à-dire, Seigneur, prenez garde a vous. Ces gens-là (il nous croyait Portugais) sont ceux qui ont conquis Calicut, Malacca, et toutes les Indes. » L’interprète, qui avait compris le discours du marchand, ajouta que son roi était encore beaucoup plus puissant, tant par ses armées de terre que par ses escadres, que le roi de Portugal dont le Siamois venait de parler ; que c’était le roi d’Espagne et l’empereur de tout le monde chrétien, et que s’il eut préféré l’avoir plutôt pour ennemi que pour ami, il aurait envoyé un nombre assez grand de soldats et de vaisseaux pour détruire l’île entière. Le roi, fort embarrassé, dit qu’il se concerterait avec les siens, et donnerait sa réponse le lendemain. En attendant, il fit apporter aux députés du capitaine général un déjeuner de plusieurs mets, tous composés de viande, dans des vases de porcelaine.

» Nos députés ayant raconté ce qui leur était arrivé, le roi de Massana, qui après le roi de Zebu était le plus puissant de ces îles, descendit à terre pour annoncer les bonnes dispositions de notre capitaine général envers le roi de Zebu.

» Le lendemain, l’écrivain de notre vaisseau et l’interprète allèrent à Zebu. Le roi vint au-devant d’eux, accompagné de ses officiers, et après avoir fait asseoir nos deux députés devant lui, il leur dit que, convaincu par ce qu’il venait d’entendre, non-seulement il ne prétendait aucun droit, mais que, si on l’exigeait, il était prêt à se rendre lui-même tributaire du roi de Castille. On lui répondit que l’on ne demandait autre chose que le privilége d’avoir le commerce exclusif de son île. Le roi y consentit, et chargea les députés d’assurer le capitaine général que, s’il voulait être véritablement son ami, il devait se tirer du sang de son bras droit et le lui envoyer, et qu’il en ferait autant de son côté ; ce qui serait de part et d’autre le signe d’une amitié loyale et inébranlable. L’interprète l’assura que la chose se ferait comme il le désirait. Alors le roi lui dit que tous les capitaines ses amis qui entraient dans son port, lui faisaient des présens, et qu’ils en recevaient d’autres en retour ; qu’il laissait au capitaine le choix de donner le premier ces présens ou de les recevoir. L’interprète répondit que, puisqu’il paraissait mettre tant d’importance à cet usage, il n’avait qu’à commencer ; à quoi le roi consentit.

» Le mardi matin, le roi de Massana vint à bord de notre vaisseau avec le marchand maure, et après avoir salué le capitaine de la part du roi de Zebu, il lui annonça que ce prince était occupé à rassembler tous les vivres qu’il pouvait trouver pour lui en faire présent, et que dans l’après-midi, il lui enverrait son neveu avec quelques-uns de ses ministres pour établir la paix. Le capitaine les remercia, et il leur fit en même temps voir un homme armé de pied en cap, en leur disant que, dans le cas qu’il fallût combattre, nous nous armerions tous de la même manière. Le Maure fut saisi de peur en voyant un homme armé de cette manière ; mais le capitaine le tranquillisa en l’assurant que nos armes étaient aussi avantageuses à nos amis que fatales à nos adversaires ; que nous étions en état de dissiper tous les ennemis de notre roi et de notre foi avec autant de facilité que nous en avions à nous essuyer la sueur du front avec un mouchoir. Le capitaine prit ce ton fier et menaçant pour que le Maure allât en rendre compte au roi.

» Effectivement, après dîner nous vîmes venir à bord le neveu du roi ; qui était son héritier présomptif, le roi de Massana, le Maure, le gouverneur ou ministre, et le prévôt major avec huit chefs de l’île, chargés de conclure un traité de paix et d’alliance avec nous. Le capitaine les reçut avec beaucoup de dignité : il s’assit dans un fauteuil de velours rouge, donnant des chaises de la même étoffe au roi de Massana et au prince : les chefs s’assirent sur des chaises de cuir, les autres sur des nattes.

» Le capitaine s’informa si c’était leur coutume de faire les traités en public, et si le prince héréditaire de Zebu et le roi de Massana avaient les pouvoirs nécessaires pour conclure un traité d’alliance avec lui. On répondit qu’ils y étaient autorisés et qu’on pouvait en parler en public. Le capitaine leur fit sentir alors tous les avantages de cette alliance, pria Dieu de la confirmer dans le ciel, et ajouta plusieurs autres choses qui leur inspiraient de l’amour et du respect pour notre religion.

» Il demanda si le roi avait des enfans mâles. On lui répondit qu’il n’avait que des filles, dont l’aînée avait épousé son neveu, qui par cette raison était regardé comme prince héréditaire. En parlant de l’ordre de succession parmi eux, nous apprîmes que, lorsque les pères sont parvenus à un certain âge, l’on n’a plus de considération pour eux, et que le commandement passe alors aux fils. Ce discours scandalisa le capitaine, qui condamna cet usage, attendu que Dieu, qui a créé le ciel et la terre, s’écria-t-il, a expressément ordonné aux enfans d’honorer leurs père et mère, et menacé de châtier du feu éternel ceux qui transgressent ce commandement ; et pour leur faire mieux sentir la force de ce précepte divin, il leur dit que nous étions également soumis aux mêmes lois divines, parce que nous sommes tous également descendus d’Adam et d’Ève. Il ajouta d’autres passages de l’Histoire sainte qui firent grand plaisir à ces insulaires, et excitèrent en eux le désir d’être instruits des principes de notre religion ; de sorte qu’ils prièrent le capitaine de leur laisser, à son départ un ou deux hommes capables de les enseigner, et qui seraient fort honorés parmi eux. Mais le capitaine leur fit entendre que la chose la plus essentielle pour eux était de se faire baptiser, ce qui pouvait s’effectuer avant son départ ; qu’il ne pouvait maintenant leur laisser parmi eux aucune personne de son équipage ; mais qu’il reviendrait un jour leur conduire plusieurs prêtres et moines pour les instruire sur tout ce qui regarde notre sainte religion. Ils témoignèrent leur joie à ce discours, et ajoutèrent qu’ils seraient bien contens de recevoir le baptême, cependant qu’ils voulaient consulter leur roi sur ce sujet. Le capitaine leur dit alors qu’ils ne devaient pas se faire baptiser, soit par la crainte que nous pouvions leur inspirer, soit par l’espoir d’en tirer des avantages temporels, parce que son intention n’était pas d’inquiéter personne parmi eux pour avoir préféré de conserver la foi de ses pères ; il ne dissimula pas toutefois que ceux qui se feraient chrétiens seraient des mieux traités. Tous s’écrièrent que ce n’était ni par crainte ni par complaisance pour nous qu’ils allaient embrasser notre religion, mais qu’ils s’y déterminaient par un mouvement de leur propre volonté.

» Le capitaine leur promit de leur laisser des armes et une armure complète, d’après l’ordre qu’il en avait reçu de son souverain ; mais il les avertit en même temps qu’il fallait baptiser aussi leurs femmes, sans quoi ils devaient se séparer d’elles et ne pas les connaître, s’ils ne voulaient pas tomber en péché. Ayant su qu’ils prétendaient avoir de fréquentes apparitions du diable qui leur faisait grand’peur, il les assura que, s’ils devenaient chrétiens le diable n’oserait plus se montrer à eux qu’au moment de la mort. Ces insulaires, émus et persuadés de tout ce qu’ils venaient d’entendre, répondirent qu’ils avaient pleine confiance en lui ; sur quoi le capitaine pleura d’attendrissement, et les embrassa tous.

» Il prit alors entre ses mains celle du prince de Zebu et celle du roi de Massana, et dit que par la foi qu’il avait en Dieu, par la fidélité qu’il devait au roi d’Espagne son seigneur, et par l’habit même qu’il portait, il établissait et promettait une paix perpétuelle entre le roi d’Espagne et le roi de Zebu. Les deux ambassadeurs firent la même promesse.

» Après cette cérémonie on servit à déjeuner ; ensuite les Indiens présentèrent au capitaine, de la part du roi de Zebu, de grands paniers pleins de riz, des cochons, des chèvres et des poules, en faisant leurs excuses de ce que le présent qu’ils offraient n’était pas plus digne d’un si grand personnage.

» De son côté, le capitaine général donna au prince un drap blanc de toile très-fine, un bonnet rouge, quelques filières de verroterie et une tasse de verre dorée, le verre étant très-recherché parmi ces peuples. Il ne fit aucun présent au roi de Massana, parce qu’il venait de lui donner une veste de toile de Cambaie et quelques autres choses. Les personnes qui accompagnaient l’ambassadeur reçurent aussi des dons du capitaine.

» Après que les insulaires furent partis, je fus envoyé à terre avec une autre personne par le capitaine pour porter au roi les présens qui lui étaient destinés ; ils consistaient en une veste de soie jaune et violette, faite à la turque, un bonnet rouge et quelques filières de verroterie, le tout dans un plat d’argent, avec deux tasses de verre dorées que nous portions à la main.

» En arrivant dans la ville, nous trouvâmes le roi dans son palais, assis à terre sur une natte de palmier, au milieu d’une foule nombreuse. Il était tout nu, n’ayant qu’une pièce de toile de coton qui couvrait ses parties naturelles, un voile brodé à l’aiguille, autour de la tête, un collier de grand prix au cou, et aux oreilles deux grands cercles d’or enrichis de pierres précieuses. Il était de petite taille, replet, avait le corps peint de différentes manières par le moyen du feu ; il mangeait des œufs de tortue contenus dans deux vases de porcelaine ; devant lui étaient quatre cruches pleines de vin de palmier, et couvertes d’herbes odoriférantes. Il buvait au moyen d’un roseau.

» Après que nous lui eûmes rendu notre salut, l’interprète lui dit que le capitaine, son maître, le remerciait du présent qu’il avait reçu, et lui envoyait en retour quelques objets, non comme une récompense, mais comme une marque de l’amitié sincère qu’il venait de contracter avec lui. Alors nous le vêtîmes de la veste, nous lui mîmes le bonnet sur la tête, et nous étalâmes devant lui les autres présens. Avant de lui offrir les tasses de verre, je les baisai et je les élevai au-dessus de ma tête. Le roi en fit de même en les recevant. Ensuite il nous fit manger des œufs de tortue et boire de son vin avec les tuyaux dont il se servait. Pendant que nous mangions, ses députés, qui étaient venus sur le vaisseau, lui rapportèrent tout ce que le capitaine avait dit touchant la paix, et ses exhortations pour embrasser le christianisme.

» Le roi voulait aussi nous donner à souper ; mais nous nous excusâmes, et prîmes congé de lui. Le prince, son gendre, nous conduisit dans sa propre maison, où nous trouvâmes quatre jeunes filles qui faisaient de la musique à leur manière : l’une battait un tambour pareil aux nôtres, mais posé à terre ; l’autre avait auprès d’elle deux timbales, et dans chaque main une espèce de petite massue, garnie à l’extrémité de toile de palmier, dont elle frappait tantôt sur l’une, tantôt sur l’autre ; la troisième battait de même une grande timbale la quatrième jouait de deux petites cymbales, qui rendaient un son fort doux. Elles se tenaient toutes si bien en mesure, qu’on devait leur supposer une grande intelligence de la musique. Ces cymbales, qui sont de cuivre, se fabriquent dans le pays de Sign Magno (la Chine), et leur tiennent lieu de cloches : on les appelle ogon. Ces insulaires ont aussi une espèce de violon dont les cordes sont de cuivre, et une musette qu’ils nomment sabin.

» Ces jeunes filles étaient fort jolies, et presque aussi blanches que nos Européennes ; et, quoiqu’elles fussent déjà formées, elles n’en étaient pas moins nues : quelques-unes avaient cependant un morceau de toile d’écorce d'arbre qui leur descendait depuis la ceinture jusqu’aux genoux. Le bout de leurs oreilles était percé d’un trou fort grand, qu’un cercle de bois maintenait ouvert, et élargissait toujours davantage. Elles avaient les cheveux noirs et longs, et la tête ceinte d’un petit voile. Elles ne portent jamais ni souliers ni aucune autre chaussure. Nous fîmes la collation chez le prince, puis nous retournâmes à nos vaisseaux.

» Un de nos gens étant mort pendant la nuit, je retournai le 10 au matin chez le roi, avec l’interprète, pour lui demander la permission d’enterrer le corps, et le prier de nous indiquer un lieu pour la sépulture. Le roi était entouré d’un cortége nombreux ; il nous répondit que le capitaine pouvait disposer de lui et de tous ses sujets, et, à plus forte raison, de sa terre. J’ajoutai que, pour enterrer le défunt, nous devions consacrer l’endroit de la sépulture et y planter une croix. Le roi y donna son consentement, et dit qu’il adorerait comme nous la croix.

» On consacra le mieux qu’il fut possible un espace même de la ville destiné à servir de sépulture aux chrétiens, selon les rites de l’Église, afin d’inspirer aux insulaires une bonne opinion de nous. Dès le même jour deux hommes y furent enterrés.

» Ayant débarqué ce jour-là beaucoup de marchandises, elles furent déposées dans une maison que le roi prit sous sa protection, ainsi que quatre hommes que le capitaine y laissa pour trafiquer en gros. Ce peuple a des poids et des mesures ; ses balances sont faites d’un bâton soutenu au milieu par une corde. À l’extrémité du bâton est suspendu par trois petites cordes le bassin de la balance ; à l’autre se trouve un plomb dont la pesanteur équivaut à celle du bassin. On attache au-dessous de ce plomb des poids qui représentent des livres, des demi-livres, et en quantité suffisante pour peser ce qui est mis dans le bassin. Ils ont aussi leurs mesures de longueur et de capacité.

« Ces insulaires sont adonnés au plaisir et à l’oisiveté. Leurs maisons sont construites en poutres, en planches et en roseaux ; elles ont des chambres comme les nôtres, et sont élevées sur des pilotis. L’espace vide au-dessous sert d’étable et de poulailler : c’est là qu’ils tiennent leurs cochons, leurs chèvres et leurs poules.

» Le 12 nous ouvrîmes notre magasin. Les insulaires admirèrent avec étonnement toutes nos marchandises. Ils échangeaient de l’or pour les gros objets en fer et en cuivre ; les bijoux et les autres petits objets se troquaient contre du riz, des cochons, des chèvres et autres comestibles. On nous donnait dix pièces d’or, chacune de la valeur d’un ducat et demi, pour quatorze livres de fer. Le capitaine général défendit de montrer trop d’empressement pour l’or ; sans cette injonction, chaque matelot aurait vendu tout ce qu’il possédait pour se procurer ce métal, ce qui aurait ruiné pour toujours notre commerce.

» Le roi ayant promis à notre capitaine d’embrasser la religion chrétienne, on avait fixé pour cette cérémonie le dimanche 14 avril. On dressa pour cet effet, dans la place que nous avions déjà consacrée, un échafaud garni de tapisseries et de branches de palmier. Nous allâmes à terre au nombre de quarante, outre deux hommes armés de pied en cap, qui précédaient la bannière royale. Au moment que nous descendîmes sur le rivage, les vaisseaux firent une décharge de toute l’artillerie, ce qui ne laissa pas d’épouvanter les insulaires. Le capitaine et le roi s’embrassèrent. Nous montâmes sur l’échafaud, où il y avait pour eux deux chaises de velours vert et bleu. Les chefs des insulaires s’assirent sur des coussins, et les autres sur des nattes.

» Le capitaine fit dire au roi que, parmi les autres avantages dont il jouirait en devenant chrétien, il aurait celui de vaincre plus facilement ses ennemis. Le roi répliqua que, même sans cette raison, il était content de se faire chrétien, mais qu’il aurait désiré de pouvoir se faire respecter de certains chefs de l’île qui refusaient de lui être soumis, en disant qu’ils valaient autant que lui et ne voulaient pas lui obéir. Le capitaine fit appeler ces chefs, et chargea les interprètes de leur dire que, s’ils n’obéissaient pas au roi comme à leur souverain, il les ferait tous tuer, et donnerait leurs biens au roi. À cette menace, tous les chefs promirent de reconnaître l’autorité du roi.

» Le capitaine assura le roi qu’il reviendrait dans ce pays avec des forces beaucoup plus considérables, et qu’il le rendrait le plus puissant monarque de toutes ces îles, récompense qu’il croyait lui être due, comme ayant le premier embrassé la religion chrétienne. Le roi leva les mains au ciel, remercia le capitaine, et le pria instamment de laisser chez lui des personnes pour l’instruire dans la religion chrétienne, ce que le capitaine promit de faire, mais à condition qu’on lui confierait deux fils des principaux de l’île pour les conduire en Espagne, où ils apprendraient la langue espagnole, afin de pouvoir, à leur retour, donner une idée de ce qu’ils y auraient vu. »

Le roi, dont le nom était Raja Humabon, fut baptisé avec le prince héréditaire, le roi de Massana, le marchand maure dont il a déjà été parlé, et plus de cinq cents insulaires. Le roi fut nommé Charles ; le prince, Ferdinand ; le roi de Massana, Jean, et le marchand maure, Christophe. Les autres reçurent différens noms. On célébra ensuite la messe, puis on alla dîner à bord, à l’exception du roi, qui s’excusa d’y venir. Après diner, l’on baptisa la reine, l’épouse du prince, celle du roi de Massana, et plus de quatre cents autres femmes avec des enfans. La reine, jeune et belle personne, était vêtue d’une pièce de toile blanche et noire ; elle avait sur la tête un grand chapeau fait de feuilles de palmier en forme de parasol, surmonté d’une triple couronne formée des mêmes feuilles, qui ressemblait à la tiare du pape, et sans laquelle elle ne sort jamais. Sa bouche et ses ongles étaient peints d’un rouge très-vif.

Presque tous les habitans de Zebu et des îles voisines étaient convertis à la religion chrétienne ; un seul village refusa de l’embrasser. Aussitôt l’esprit d’intolérance, malheureusement si commun chez les navigateurs et les conquérans du seizième siècle, se déploya dans toute sa fureur. Le village fut brûlé, et l’on éleva sur ses ruines une croix de bois, parce que les habitans étaient idolâtres ; s’ils eussent été mahométans, ajoute Pigafetta, la croix eût été de pierre, pour marquer l’endurcissement de leur cœur.

Magellan descendait tous les jours à terre pour y entendre la messe, à laquelle accouraient aussi plusieurs nouveaux chrétiens ; il leur faisait une espèce de catéchisme, et leur expliquait les principaux points de la religion. Il fit prêter serment de fidélité au roi d’Espagne par le roi de Zebu, deux de ses frères, et les principaux chefs de l’île.

Quoique Magellan eût commandé aux nouveaux chrétiens de brûler les idoles, non-seulement ils en gardaient encore, mais ils leur offraient même des sacrifices de viande. Le capitaine général en fut instruit, et réprimanda les insulaires. Ils crurent s’excuser en disant qu’ils faisaient ces sacrifices pour un malade auquel ils espéraient que les idoles rendraient la santé. Ce malade était le frère du roi, qu’on regardait comme l’homme le plus sage et le plus vaillant de l’île. Il était si malade, que depuis quatre jours il ne parlait plus. Magellan leur répondit que, s’ils brûlaient sur-le-champ leurs idoles, et si le prince se faisait baptiser, il guérirait, ajoutant qu’il consentait à perdre la tête, si ce qu’il disait ne s’accomplissait pas. Sur cette assurance, le prince consentit à recevoir le baptême ; dès lors il éprouva du soulagement, et graduellement recouvra la santé. Les temples furent abattus et les idoles brûlées.

« Les idoles de ce pays, ajoute Pigafetta, sont de bois, creuses par-derrière ; elles ont les bras et les jambes écartés, et les pieds tournés en haut ; leur face est large ; il leur sort de la bouche quatre grosses dents semblables à des défenses de sanglier : elles sont généralement peintes. Une des plus singulières cérémonies de ces insulaires est la bénédiction du cochon. On commence la cérémonie par battre quatre grandes timbales ; on apporte ensuite trois grands plats, deux chargés de poisson rôti, de gâteaux de riz, et de millet cuit, enveloppés dans des feuilles ; sur le troisième sont des linceuls de toile de Cambaie, et deux bandes de toile de palmier. Deux vieilles femmes, dont chacune tient à la main une grande trompette de roseau, se placent sur un des linceuls que l’on a étendus à terre, saluent le soleil, et s’enveloppent des autres toiles. La première de ces deux vieilles se couvre la tête d’un mouchoir, et le lie sur son front de manière à y former deux cornes ; et, prenant un autre mouchoir à la main, elle danse et sonne en même temps de la trompette, en invoquant de temps en temps le soleil. L’autre vieille prend une des bandes de toile de palmier, danse et sonne également de la trompette, et, se tournant vers le soleil, lui adresse quelques mots. La première saisit alors l’autre bande de toile de palmier, jette le mouchoir qu’elle tenait à la main, et toutes deux dansent long-temps autour du cochon lié et couché par terre. Cependant la première continue à parler d’une voix basse au soleil, et l’autre lui répond. On présente ensuite une tasse de vin à la première ; elle la prend sans cesser de danser et de s’adresser au soleil, l’approche quatre ou cinq fois de sa bouche en feignant de vouloir boire ; mais elle verse la liqueur sur le cœur du cochon ; elle rend la tasse. On lui donne une lance qu’elle agite, toujours en dansant et parlant, et la dirige plusieurs fois contre le cœur du cochon, qu’elle perce à la fin d’outre en outre d’un coup prompt et bien mesuré. Aussitôt qu’elle a retiré la lance de la blessure, on la ferme, et on la panse avec des herbes salutaires. Durant toute cette cérémonie brûle un flambeau que la vieille, après avoir tué le cochon, prend et met dans sa bouche pour l’éteindre. L’autre vieille trempe dans le sang du cochon le bout de sa trompette, et en touche le front des assistans, en commençant par celui de son mari ; mais elle ne vint pas à nous. Les deux vieilles se déshabillent, mangent ce qui se trouve sur les deux premiers plats, et invitent les femmes à prendre part au festin. On épile ensuite le cochon au feu. Jamais on ne mange de cet animal qu’il n’ait été auparavant purifié de cette manière. Les vieilles femmes seules peuvent accomplir cette cérémonie.

» J’ai aussi été témoin de cérémonies singulières qui s’observent à la mort de leurs chefs. Les femmes les plus considérables du pays, vêtues de longues robes blanches, se rendirent à la maison du mort, au milieu de laquelle le cadavre était placé dans une caisse ; on tendit alentour des cordes pour former une espèce d’enceinte. On attacha à ces cordes des branches d’arbres, et au milieu de ces branches on suspendit des draps de coton en forme de pavillons. Les femmes, suivies chacune d’une domestique qui la rafraîchissait avec un éventail de feuille de palmier, s’assirent sous ces pavillons. D’autres femmes, l’air triste, étaient assises autour de la chambre. L’une d’elles coupa avec un couteau les cheveux du défunt. Une autre, qui avait été sa femme principale, s’étendit sur lui, et appliqua toutes les parties de son corps contre le sien. Tandis que la première coupait les cheveux, celle-ci pleurait ; elle chantait quand la première s’arrêtait. Tout autour de la chambre étaient placés des vases de porcelaine remplis de feu, où l’on jetait par intervalle de la myrrhe, du storax et du benjoin, ce qui répandait une odeur fort agréable. Ces cérémonies continuent cinq à six jours, pendant lesquels le mort reste dans la maison. Je croîs que l’on a soin de l’embaumer avec du camphre pour le préserver de la putréfaction. Enfin on ferme la caisse avec des chevilles de bois, et on la porte au cimetière, qui est un endroit clos et couvert de planches.

» On nous assura que toutes les nuits un oiseau noir de la grosseur d’un corbeau venait à minuit se percher sur les maisons, et par ses cris faisait peur aux chiens, qui se mettaient tous à hurler, et ne cessaient qu’à l’aube du jour. Nous fûmes témoins de ce phénomène, dont on ne voulut jamais nous dire la cause.

» Ces îles abondent en provisions. Outre les animaux que j’ai déjà nommés, on y trouve des chiens et des chats, qu’on mange également ; il y croît du riz, du millet, et d’autres grains, des oranges, des citrons, des cannes à sucre, des cocotiers, des citrouilles, de l’ail, du gingembre ; on y récolte du miel ; on y fait du vin de palmier ; l’or y est commun. Lorsqu’un des nôtres allait à terre, soit de jour, soit de nuit, il trouvait toujours des Indiens qui l’invitaient à manger et à boire. Ils ne donnent à tous leurs mets qu’une demi-cuisson, et les salent extrêmement, ce qui les porte à boire beaucoup : c’est avec des tuyaux qu’ils hument le vin contenu dans les vases. Ils passent ordinairement cinq à six heures à table. »

La réception amicale que les Espagnols avaient éprouvée dans cet archipel promettait une issue heureuse à leur expédition. Il en fut autrement. Le courage bouillant de leur chef les précipita dans des difficultés qui lui furent surtout fatales. Près de l’île de Zebu se trouve l’île de Matan, avec un port du même nom. Le 26 avril, un des deux chefs de cette île où Magellan avait déjà brûlé un village, lui envoya un de ses fils avec deux chèvres, en lui faisant dire que, s’il ne lui donnait pas tout ce qu’il lui avait promis, c’était la faute de l’autre chef, qui ne voulait pas reconnaître l’autorité du roi d’Espagne ; enfin il lui demandait du secours pour attaquer son ennemi. Magellan envoya dire à l’autre roi qu’il brûlerait ses villages, s’il ne payait pas le tribut. « Qu’il vienne, répondit le chef, je l’attends. » Magellan fait aussitôt armer trois barques, y embarque soixante hommes, et se met à leur tête. Serrano lui représente que les vaisseaux sont en mauvais état, qu’une poignée d’hommes pourrait s’en emparer, que cette entreprise est peu utile, mais qu’au moins, s’il veut absolument l’exécuter, il en charge un autre et n’expose pas sa personne. Magellan répond qu’en bon pasteur il ne doit pas abandonner son troupeau.

Le roi de Zebu avait engagé Magellan de renoncer à son dessein, parce qu’il avait été informé que deux autres chefs avaient joint leurs forces à celles du roi de Matan. C’en était assez pour enflammer davantage l’ardeur du capitaine général, avide de dangers où il croyait voir de la gloire. Le roi de Zebu, s’apercevant que sa résolution était inébranlable, voulût l’accompagner avec mille hommes, et les principaux de son île, qui le suivirent dans trente balangais.

On attérit à Matan à deux heures du matin. Le roi de Zebu engage Magellan de ne pas attaquer avant le jour, parce qu’il savait bien que les insulaires avaient creusé entre le rivage et leurs maisons des fossés profonds garnis de pieux pointus où ses gens périraient. Il le prie de lui laisser commencer le combat avec ses mille Indiens, et ajoute que, le secourant ensuite avec ses Castillans, il remportera infailliblement la victoire. Mais Magellan le remercie de sa bonne volonté, et l’invite à rester dans ses balangais à considérer comment les Castillans combattent.

» Le 27, au point du jour, dit Pigafetta, nous sautâmes dans l’eau jusqu’aux cuisses, les chaloupes ne pouvant approcher de terre à cause des rochers et des bancs de sable. Nous étions quarante-neuf en tout, ayant laissé onze personnes pour garder nos embarcations. Nous fûmes obligés de marcher quelque temps dans l’eau avant de pouvoir gagner la terre.

» Nous allâmes droit au village, où nous ne trouvâmes personne ; mais à peine eûmes-nous mis le feu aux maisons, qu’un bataillon de cinq cents insulaires nous prit en flanc d’un côté ; tandis que nous nous défendions contre celui-là, il en parut un second d’un autre côté ; enfin un troisième nous attaqua de front. Ils se précipitaient sur nous en jetant des cris horribles. Notre capitaine fut obligé de diviser sa petite troupe en deux pelotons ; mais nous chargeâmes ces barbares avec tant de vigueur, que nous pûmes nous réunir. Cependant ils combattaient avec un acharnement sans égal ; les blessures qu’ils recevaient ne faisaient que les rendre plus furieux. D’ailleurs, se fiant à la supériorité du nombre, ils nous jetaient des nuées de lances de roseaux, de pieux endurcis au feu, des pierres, de la terre, de sorte qu’il nous était fort difficile de nous défendre. Une flèche empoisonnée vint percer la jambe du capitaine. On avait combattu la plus grande partie de la journée ; la poudre manquait aux arquebusiers, et les flèches aux arbalétriers ; les Indiens nous serrèrent de plus près.

» S’étant aperçus que leurs coups ne nous faisaient aucun mal quand ils étaient portés à notre tête ou à notre corps, à cause de notre armure, mais que nos jambes étaient sans défense, ils ne dirigaient plus leurs flèches, leurs lances et leurs pierres que contre nos jambes, et en si grande quantité, que nous ne pûmes y résister. Les bombardes que nous avions sur nos chaloupes ne nous étaient d’aucune utilité, parce que les bas-fonds les empêchaient d’approcher de terre assez près pour nous secourir. Le capitaine, voyant notre situation critique, ordonna la retraite. Nous nous retirâmes donc sans cesser de combattre ; nous étions déjà à la distance d’un trait d’arbalète de nos canots, ayant de l’eau jusqu’aux genoux ; les insulaires nous poursuivaient toujours de près ; ils reprenaient leurs lances, et nous jetaient la même jusqu’à six fois. Comme ils connaissaient notre capitaine, c’était principalement vers lui qu’ils dirigeaient leurs coups ; deux fois ils firent tomber son casque ; cependant il ne céda pas, et nous combattions en petit nombre à ses côtés. Ce combat, si inégal, dura près d’une heure. Un insulaire réussit enfin à pousser le bout de sa lance dans le front du capitaine ; ce vaillant homme, irrité, le perça de la sienne, qu’il lui laissa dans le corps. Il voulut tirer son épée ; mais il ne put en venir à bout, parce qu’il avait reçu une grave blessure au bras droit. Les Indiens, qui s’en aperçurent, se précipitèrent sur lui ; l’un d’eux lui asséna un si furieux coup de sabre sur la jambe gauche, qu’il le fit tomber sur le visage ; alors, ils le tuèrent à coups de lance. C’est ainsi que périt notre guide, notre lumière, notre soutien.

» Lorsqu’il tomba, et qu’il se vit accablé par les ennemis, il se tourna plusieurs fois vers nous pour voir si nous avions pu nous sauver. Comme il n’y avait aucun d’entre nous qui ne fut blessé, et que nous nous trouvions tous hors d’état de le secourir ou de le venger, nous gagnâmes nos canots. C’est donc à notre capitaine que nous dûmes notre salut, parce qu’au moment où il périt les insulaires se jetèrent en foule vers l’endroit où il était tombé.

» Cette malheureuse bataille se donna le 27 avril 1521, qui était un samedi, jour que le capitaine avait choisi lui-même, parce qu’il l’avait en dévotion particulière. Huit de nos gens et quatre Indiens baptisés périrent avec lui, et peu d’entre nous retournèrent à nos vaisseaux sans être blessés. Ceux qui étaient restés dans les chaloupes voulurent nous protéger avec les bombardes, mais la grande distance où ils étaient fut cause qu’elles nous firent plus de mal qu’à nos ennemis, qui cependant perdirent quinze hommes. »

Herréra dit que le roi de Zebu, voyant Magellan mort, et le péril imminent dans lequel se trouvaient les Castillans, péril dans lequel il serait lui-même enveloppé, résolut de les secourir, et le fit si à propos, qu’ils eurent le temps de se retirer dans leurs vaisseaux, où leurs lamentations commencèrent quand ils se virent sans capitaine, à cause de la grande affection qu’ils lui portaient, et de celle qu’il leur témoignait. Ils avaient, ajoute-t-il, tant d’amour pour lui, qu’ils eussent souffert tous les travaux imaginables pour l’accompagner.

Magellan, quoique d’une taille extrêmement petite, savait prendre un grand ascendant sur les autres hommes ; on a vu sa fermeté dans les périls de toute espèce qu’il surmonta par son audace. Il se comporta dans certaines circonstances avec une rigueur qui tient presque de la férocité ; toutefois il faut convenir qu’il sut se concilier les esprits, puisque, dans une occasion critique, son propre équipage et une partie de ceux des autres vaisseaux se déclarèrent pour lui et soutinrent son autorité.

Le roi de Zebu, du consentement des Espagnols, envoya dire aux habitans de Matan que, s’ils voulaient rendre les corps des soldats tués, et particulièrement celui du capitaine général, on leur donnerait la quantité de marchandise qu’ils pourraient demander ; mais ils répondirent que rien ne pourrait les engager à se défaire du corps d’un homme tel que Magellan, et qu’ils voulaient le garder comme un monument de leur victoire sur les chrétiens. Le corps de ce vaillant homme resta donc au pouvoir de ces barbares, et fut privé des honneurs que les compagnons de ses travaux voulaient lui rendre.

« Mais, s’écrie Pigafetta, la gloire de Magellan lui survivra. Il était orné de toutes les vertus ; il montra toujours une constance inébranlable au milieu de ses grandes adversités. En mer, il se condamnait lui-même à de plus grandes privations que le reste de l’équipage. Versé plus qu’aucun autre dans la connaissance des cartes nautiques, il possédait parfaitement l’art de la navigation, ainsi qu’il l’a prouvé en faisant le tour du monde, qu’aucun autre n’avait osé tenter avant lui. »

Le lendemain de la mort de Magellan, les équipages des navires élurent pour lui succéder Édouard Barbosa, Portugais et son neveu, et Jean Serrano, Espagnol. Mais ces nouveaux commandans n’exercèrent pas leurs fonctions bien long-temps. Le malheur semblait poursuivre l’escadre depuis qu’elle avait perdu celui qui l’avait le premier conduite dans ces régions lointaines. Le roi de Zebu, sous prétexte de resserrer l’alliance conclue avec les Espagnols, les invita le 1er. mai à un festin, annonçant en même temps qu’il voulait leur remettre le présent dont il avait intention de faire hommage au roi de Castille. Barbosa fit appeler les capitaines pour leur dire qu’il allait se rendre à l’invitation du roi de Zebu. Serrano, qui craignait quelque perfidie, tâcha de le dissuader de ce dessein, ajoutant que dans les conjonctures actuelles c’était une témérité de sortir des vaisseaux, et que le roi de Zebu pouvait fort bien envoyer son présent. Barbosa persista dans sa résolution, et piqua tellement par sa réponse l’amour-propre de Serrano que celui-ci sauta le premier dans la chaloupe. Les Espagnols étaient au nombre de vingt-quatre, les mieux portans de l’équipage, ajoute Herréra. Il y en eut deux qui, soupçonnant les Indiens de mauvaise foi, revinrent à bord des vaisseaux. À peine les autres étaient-ils assis pour dîner, qu’ils furent tous égorgés, à l’exception de Serrano qui s’était fait aimer des insulaires. On attribua ce désastre aux insinuations de l’interprète qui, maltraité par Barbosa, avait quitté la flotte et fait entrer le roi de Zebu dans ses projets de vengeance. Les Espagnols qui étaient sur les vaisseaux entendirent les cris plaintifs de leurs compagnons. Aussitôt ils levèrent l’ancre, s’approchèrent du rivage et tirèrent plusieurs coups de bombarde sur les maisons. Ils virent alors Serrano que l’on conduisait nu et garrotté vers le bord de la mer. Il les pria de ne plus tirer, sans quoi les Indiens allaient le massacrer ; puis il leur raconta la catastrophe de ses compagnons, ajoutant que l’interprète s’était joint aux insulaires. Il conjura les Espagnols restés à bord de le racheter avec des marchandises, parce qu’autrement les Indiens le tueraient. Mais Jean Carvallo, qui avait la principale autorité, et quelques autres, refusèrent de traiter de la rançon de Serrano, défendirent même aux canots d’approcher de terre, firent lever l’ancre et mirent à la voile. On vit ramener Serrano au village ; et à peine y fut-il entré que l’on entendit de grands cris. On aperçut aussi les insulaires qui travaillaient à abattre les croix élevées sur leur terrain.

Les Espagnols allèrent mouiller à la pointe de l’île de Botol, éloignée de dix-huit lieues de Zebu ; et voyant leur nombre tellement diminué qu’il ne suffisait plus pour manœuvrer trois navires, ils brûlèrent la Conception, qui était le plus vieux. Carvallo commanda la Trinité, et Gonçale-Gomez-d’Espinosa, la Victoire. Comme ils avaient acquis à Zebu des lumières sur les Moluques, ils se mirent à la recherche de ces îles.

Ils abordèrent à Butuan, qui est une ville de Mindanao. Le roi vint au vaisseau, et pour donner une preuve d’amitié et d’alliance, il se tira du sang de la main gauche, et s’en frotta la poitrine et le bout de la langue. Tous les Espagnols firent la même cérémonie. Quelques-uns allèrent à terre et accompagnèrent le roi à sa maison, située sur une rivière qui était à deux lieues de distance du mouillage ; ils y allèrent dans des pirogues que les principaux personnages de la suite du prince conduisaient à la rame. « En entrant dans la maison à deux heures du matin , dit Pigafetta, on vint à notre rencontre avec des flambeaux faits avec des cannes et des feuilles de palmier, roulées et remplies de la résine appelée anime. Pendant qu’on préparait le souper, le roi, avec deux chefs et deux femmes assez jolies, vidèrent un grand vase plein de vin de palmier, sans rien manger. Ils m’invitèrent à boire comme eux ; mais je m’excusai en disant que j’avais déjà soupé, et je ne bus qu’un coup. En buvant, ils pratiquaient les mêmes cérémonies que le roi de Massana. On servit dans des jattes de porcelaine le souper, qui n’était composé que de riz et de poisson fort salé. Ils mangeaient le riz en guise de pain. Voici comment ils le font cuire : on met dans un grand pot de terre qui ressemble à nos marmites une grande feuille qui couvre entièrement le dedans du vase ; ensuite on y jette l’eau et le riz, et on couvre le pot. On laisse bouillir le tout jusqu’à ce que le riz ait acquis la fermeté de notre pain, et on l’en tire par morceaux. C’est de cette manière qu’on cuit le riz dans toutes les îles de ces parages.

» Le souper fini, le roi fit apporter une natte de roseaux avec une autre faite de feuilles de palmier, et un oreiller de feuilles. C’était mon lit, où je couchai avec un des chefs ; le roi alla coucher ailleurs avec ses deux femmes.

» Le lendemain je fis une tournée dans l’île ; j’entrai dans plusieurs cases habitées comme celles des autres îles ; j’y vis beaucoup d’ustensiles et fort peu de vivres. Après le dîner, je réussis à faire comprendre au roi, par mes gestes, que je désirais de voir la reine ; il en parut ravi, et nous nous mîmes en chemin vers la cime d’une montagne où est sa demeure. Je lui fis une révérence qu’elle me rendit. Elle était occupée à tresser des nattes de palmier pour un lit. Je m’assis auprès d’elle. Toute sa maison était garnie de vases de porcelaine appendus aux parois, ainsi que quatre timbales de diverses grandeurs. Un grand nombre d’esclaves des deux sexes étaient au service de la reine. Je retournai déjeuner à la case du roi ; ce prince fit apporter des cannes à sucre.

» Nous trouvâmes dans cette île des cochons, des chèvres, du riz, du gingembre, et tout ce que nous avions vu dans les autres ; mais l’or y est la production la plus abondante. On m’indiqua des vallons, en me faisant entendre par des gestes qu’il y avait dans ces lieux plus d’or que nous n’avions de cheveux sur la tête ; mais que faute de fer l’exploitation de ce métal exigerait trop de travail.

» Ayant demandé à retourner aux vaisseaux, le roi et quelques-uns des principaux de l’île voulurent m’y accompagner dans le même balangai. Pendant que nous descendions la rivière, je vis sur un monticule, à droite, trois hommes pendus à un arbre. Ayant demandé ce que cela signifiait, on me répondit que c’étaient des malfaiteurs. »

Les Espagnols apprirent à Butuan qu’au nord-ouest, à deux journées de distance, était située l’île de Lozon (Luçon), d’une étendue considérable, et où venaient tous les ans six à huit jonques de peuples appelés Lequies (insulaires de Lieou-Kieou), pour y commercer.

Les Espagnols firent route ensuite à l’ouest-sud-ouest, et abordèrent à Cagayan, île presque déserte. Le petit nombre des habitans étaient des Maures exilés de Bourné (Bornéo) : « Ils vont nus, ajoute Pigafetta, comme ceux des autres îles, et sont armés de sarbacanes et de carquois pleins de flèches qu’ils empoisonnent avec des herbes ; ils ont aussi des poignards avec des manches garnis d’or et de pierres précieuses, des lances, des massues et de petites cuirasses faites de peaux de buffle. Ils nous crurent des dieux ou des saints. Il y a dans cette île de grands arbres , mais peu de vivres ; elle est par 7° 30′ au nord de la ligne équinoxiale.

« En suivant la même direction, nous arrivâmes à une grande île bien pourvue de toutes sortes de vivres, ce qui fut un grand bonheur pour nous ; car nous étions si affamés et si mal approvisionnés, que nous nous vîmes plusieurs fois sur le point d’abandonner nos vaisseaux et de nous établir sur quelque terre pour y terminer nos jours. Cette île se nomme Palaoan (Palaouan ou Paragoa). Les insulaires font cuire le riz sous le feu, dans des cannes ou des vases de bois ; de cette manière il se conserve plus long-temps que celui qu’on fait cuire dans des marmites. Du même riz on tire, au moyen d’une espèce d’alambic, un vin meilleur et plus fort que le vin de palmier. En un mot, cette île fut pour nous une terre promise. Elle est par 9° 20′ au nord de la ligne équinoxiale. »

On fit alliance avec le roi, en observant, de même que dans les autres îles, la cérémonie de se tirer du sang et de s’en frotter. « Les habitans de Palaoan, selon le récit de Pigafetta, vont nus comme tous ces peuples ; mais ils aiment à s’orner de bagues, de chaînettes de laiton et de grelots ; ce qui leur plaît néanmoins le plus est le fil d’archal, auquel ils attachent leurs hameçons. Presque tous cultivent leurs propres champs ; ils ont des sarbacanes et de grosses flèches de bois, longues de plus d’une palme, et garnies d’un harpon. Quelques-unes ont la pointe d’une arête de poisson, et d’autres de roseau empoisonné avec une certaine herbe. Ces flèches sont garnies par le haut, non de plumes, mais d’un bois fort mou et fort léger. Au bout des sarbacanes ils attachent un fer, et quand ils n’ont plus de flèches, ils se servent de la sarbacane en forme de lance.

» Ils ont aussi d’assez grands coqs domestiques, qu’ils ne mangent pas, par une espèce de superstition ; mais ils les entretiennent pour les faire combattre entre eux. À cette occasion l’on fait des gageures, et l’on propose des prix pour les propriétaires des coqs vainqueurs.

» On navigua ensuite au sud-ouest ; on reconnut une grande île (Bornéo) dont on suivit la côte pendant cinquante lieues avant de trouver un mouillage. Le lendemain 9 juillet, le roi envoya aux vaisseaux une assez belle pirogue remplie de provisions. Six jours aprèstrois autres pirogues apportèrent encore des provisions et des mets préparés. Ceux qui montaient ces embarcations témoignèrent aux Espagnols une grande satisfaction de les voir arriver dans leur île pour faire du bois et de l’eau, et les assurèrent qu’ils pouvaient y trafiquer autant qu’il leur plairait. Un accueil si obligeant engagea les Espagnols à se rendre auprès du roi, au nombre de sept, et à lui porter des présens. Gomez d’Espinosa, capitaine de la Victoire, était à leur tête. Ils s’embarquèrent dans une des trois pirogues.

» Étant arrivés à la ville (Bornéo), nous fûmes obligés, dit Pigafetta, de rester dans la pirogue pour attendre l’arrivée de deux éléphans couverts de soie. Nous montâmes sur les éléphans, et nous nous mîmes en marche, précédés de douze hommes portant chacun une partie de nos présens dans un vase de porcelaine couvert de soie. Arrivés à la maison du gouverneur, nous y passâmes la nuit sur des matelas de coton doublés de soie, dans des draps de toile de coton de Cambaie.

» À midi nous allâmes au palais du roi, dans le même équipage que la veille. Toutes les rues par où nous passions étaient bordées d’une haie de soldats armés de lances, d’épées et de massues. Nous mîmes pied à terre dans la cour du palais ; nous montâmes par un escalier, accompagnés du gouverneur et de plusieurs officiers, puis nous entrâmes dans un grand salon rempli de courtisans. Nous nous assîmes sur des tapis, et les présens furent placés devant nous. À l’extrémité de ce salon il y avait une salle un peu moins grande, tapissée en soie. L’on haussa deux rideaux de brocart, qui laissèrent voir deux fenêtres par lesquelles l’appartement se trouvait éclairé. Il s’y trouvait trois cents hommes de la garde du roi, armés de poignards, dont la pointe était appuyée sur leurs cuisses. Une porte, au fond de cette salle était fermée aussi d’un rideau de brocart ; il fut haussé, et nous aperçûmes le roi assis devant une table avec un petit enfant et mâchant du bétel. Derrière lui il n’y avait que des femmes.

» Un des courtisans nous dit alors : « Vous ne pouvez parler au roi ; mais si vous désirez lui faire savoir quelque chose, vous pouvez vous adresser à moi ; je le dirai à un courtisan d’un rang supérieur, celui-ci le dira au frère du gouverneur, qui est dans cette salle, et qui, au moyen d’une sarbacane placée dans un trou de la muraille, exposera vos demandes à un des principaux officiers qui sont auprès du roi ; et ce dernier les transmettra au monarque. »

» Il nous avertit de faire trois révérences au roi, en élevant nos mains jointes au-dessus de nos têtes, et en levant alternativement les pieds. Nous étant conformés à ce cérémonial, nous fîmes savoir au roi que nous appartenions au roi d’Espagne, qui désirait vivre en paix avec lui, et ne demandait pour ses sujets que la permission de trafiquer dans son île.

» Le roi nous fit répondre qu’il était charmé que le roi d’Espagne fût son ami, et que nous pouvions nous pourvoir dans ses états d’eau et de bois, enfin y trafiquer à notre volonté.

» Nous lui offrîmes alors les présens que nous avions apportés : c’étaient un habit à la turque de velours vert, une chaise de velours violet, cinq brasses de drap rouge, un bonnet, une tasse de verre avec son couvercle, une écritoire dorée, et trois cahiers de papier. À chaque chose qu’il recevait il faisait un petit mouvement de tête. On donna à chacun de nous de la brocatelle, et des draps d’or et de soie, qu’on nous mettait sur l’épaule, ensuite on l’ôtait pour nous le remettre plus tard. On nous servit un déjeuner de clous de girofle et de cannelle, après quoi on laissa tomber tous les rideaux, et l’on ferma les fenêtres.

» Tous ceux qui étaient dans le palais du roi avaient autour de la ceinture du drap d’or pour couvrir les parties naturelles, des poignards avec des manches d’or garnis de pierreries, et plusieurs bagues aux doigts.

» Nous remontâmes sur nos éléphans pour retourner à la maison du gouverneur. Sept hommes nous précédaient portant les présens du roi, qu’on posa sur notre épaule gauche quand nous fûmes arrivés. Nous donnâmes deux couteaux pour récompense à chacun des sept hommes. »

On apporta aux Espagnols, de la part du roi, un souper copieux : ils dormirent veillés par deux insulaires ; le lendemain ils retournèrent à bord.

« La ville est bâtie dans la mer même, excepté la maison du roi et de quelques-uns des principaux chefs. Elle contient vingt-cinq mille feux. Les maisons sont construites en bois, et portées sur de grosses poutres pour les garantir de l’inondation ; lorsque la marée monte, les femmes qui vendent les denrées comestibles traversent la ville dans des barques. Devant la maison du roi s’élève une grande muraille bâtie de grosses briques, avec des barbacanes comme une forteresse, et munie de cinquante-six bombardes de bronze et six de fer. On en tira plusieurs coups, dit Pigafetta, pendant les deux jours que nous passâmes dans la ville.

» Le roi, qui est Maure, se nomme Raja Siripada. Il est fort replet, et peut avoir environ quarante ans. Il n’est servi que par des femmes, qui sont les filles des principaux habitans de l’île. Personne ne peut lui parler que par le moyen d’une sarbacane, comme nous avons été obligés de le faire. Il a dix secrétaires occupés à écrire ce qui le concerne sur des écorces d’arbre très-minces, qu’on nomme chirisoles. Il ne sort jamais de son palais que pour aller à la chasse. »

Gomez d’Espinosa, après avoir raconté à Carvallo tout ce qu’il avait vu, lui conseilla de s’éloigner jusqu’à ce qu’ils eussent une connaissance plus particulière de ce peuple ; le commandant suivit cet avis. Cependant l’on eut besoin de goudron, et l’on envoya cinq hommes dans un canot pour acheter de la cire, afin d’en faire une préparation qui pût suppléer au goudron. Trois jours se passèrent sans que les Espagnols vissent revenir ces hommes. Les soupçons qu’ils concevaient s’augmentèrent, quand, le 29 juillet, ils aperçurent près d’eux plusieurs grandes jonques, et cent cinquante tungoulis ou petites barques qui s’avançaient vers eux en trois divisions. Aussitôt ils mirent à la voile avec tant de précipitation, qu’ils abandonnèrent une ancre. Ils commencèrent par attaquer les jonques, et en prirent une dans laquelle était le fils du roi de l’île de Luçon, qui venait d’une expédition contre une petite île au sud de Bornéo.

Carvallo rendit la liberté à ce chef, moyennant une forte somme d’or, particularité dont il n’instruisit pas ses compagnons ; il se contenta de leur dire que le prisonnier avait promis de renvoyer les Castillans ; mais il n’en revint que deux. Les trois autres, parmi lesquels était le fils de Carvallo, furent retenus à terre. Les Espagnols, de leur côté, gardèrent à bord seize insulaires et trois femmes pour les conduire en Europe.

Pigafetta, en parlant des productions de Bornéo, nomme le camphre qui suinte goutte à goutte d’un arbre appelé cappor ; il ajoute qu’on y trouve aussi de la cannelle, du gingembre, des mirobolans, des cannes à sucre, des oranges, des citrons, etc. Parmi les animaux l’on y voit des éléphans, des chevaux, des buffles, des cochons, des chèvres, des poules, des oies, des corbeaux, et plusieurs autres espèces d’oiseaux.

« On dit, continue Pigafetta, que le roi de Burné a deux perles grosses comme des œufs de poule, et si parfaitement rondes, qu’étant posées sur une table bien unie y elles ne peuvent jamais rester en repos. Quand nous lui apportâmes nos présens, je lui fis connaître par mes gestes que je désirais beaucoup de les voir : il promit de nous les montrer, mais nous ne les avons jamais vues. Quelques-uns des chefs me dirent qu’ils les connaissaient.

» Les Maures de ce pays ont une monnaie de bronze perforée au milieu pour qu’on puisse l’enfiler. D’un côté, elle porte quatre lettres qui sont les quatre caractères du grand roi de la Chine. On l’appelle Pici. Les marchandises qu’on recherche davantage sont le cuivre, le vif-argent, le cinabre, le verre, les draps de laine, les toiles, mais surtout le fer et les armes.

» Ayant vu à Burné beaucoup de porcelaine, je voulus prendre des informations sur cet objet. On me dit qu’on la fait avec une espèce de terre blanche qu’on laisse sous terre pendant un demi-siècle pour la raffiner ; de sorte qu’ils ont un proverbe qui dit que le père s’enterre pour le fils. On prétend que, si l’on met du poison dans l’un de ces vases de porcelaine, il se casse sur-le-champ.

» L’île de Burné est si grande, que pour en faire le tour avec un navire il faudrait employer trois mois et demi. Les habitans sont, les uns maures, les autres gentils. L’inimitié entre les deux peuples est si grande, qu’il ne se passe pas de jour sans qu’il n’y ait entre eux des querelles et des combats. Le roi des gentils est aussi puissant que le roi des Maures ; il n’est cependant pas si vain, et il parait même qu’il serait facile d’introduire chez lui le christianisme.

» Les Maures vont nus comme tous les habitans de ces climats ; ils pratiquent toutes les cérémonies de la loi de Mahomet. Maures et gentils se baignent fort souvent, et font grand usage du vif-argent pour les onctions et médecines. »

En partant du port où ils avaient relâché, les Espagnols suivirent la côte nord-est de l’île de Bornéo, pour chercher un lieu propre à radouber leurs navires ; ils en trouvèrent un dans l’île de Cimbonbon, située à 8° 7′ au nord de la ligne[7] ; mais comme ils manquaient de beaucoup de choses nécessaires à leur opération, ils furent obligés d’y employer quarante-deux jours. Chacun mettait la main à l’œuvre ; mais ce qui leur coûtait le plus de peine, c’était d’aller couper le bois dans les forêts, parce que tout le terrain était couvert de broussailles et de buissons épineux, et qu’ils marchaient pieds nus.

On tua dans cette île un très-grand sanglier, dont la tête, qui avait deux palmes et demie de longueur, avait de très-grosses défenses, c’est le babiroussa. On y voit aussi des crocodiles, des coquillages de toutes les espèces, et de très-grandes tortues.

Avant d’aborder à cette île, les Espagnols avaient pris une jonque, dans laquelle ils trouvèrent plus de trente mille cocos, qui furent un très-grand soulagement pour eux. Ils la quittaient à peine qu’ils en rencontrèrent une autre dont ils s’emparèrent : mais comme elle portait un gouverneur de Pouloan,où ils avaient été si bien reçus, ils la mirent en liberté, en se bornant à exiger des vivres pour leurs provisions.

Comme les Espagnols avaient reconnu que Jean Carvallo n’avait pas la capacité nécessaire pour commander l’expédition, on le remit dans son emploi de pilote-major. Cornez d’Espinosa fut nommé capitaine de la Trinité, et Sébastien del Caño, capitaine de la Victoire ; puis l’on continua de chercher les Moluques ; on fit route à l’est, on passa près de Cagayan-Soulou ; on côtoya Zolo (Soulou), Taghima (Bassilan), et on attérit à Mindanao, afin d’y prendre une connaissance exacte de la route des Moluques. Les Espagnols s’étaient emparés d’un bignadai, espèce de barque qui ressemble à une pirogue. Il s’y trouvait un frère du roi de Mindanao, qui assura qu’il savait très-bien la route des Moluques ; sur son rapport, ils changèrent de direction, mirent le cap au sud-est, et rencontrèrent diverses îles, entre autres Sarangani (Sirangan), où, le 28 d’octobre, ils prirent par force deux pilotes pour les conduire aux Moluques. Selon l’avis de ces nouveaux guides, ils coururent au sud-ouest, et passèrent au milieu de huit îles en partie habitées, et en partie désertes, qui forment une espèce de rue, au bout de laquelle ils se trouvèrent vis-à-vis d’une île assez belle et fort grande, nommée Kanghir. Comme le vent contraire les obligeait de louvoyer pour en doubler la pointe septentrionale, les prisonniers qu’ils avaient faits à Sirangan se sauvèrent à la nage avec le frère du roi de Mindanao.

Ils passèrent devant un grand nombre d’îles, en continuant à suivre la direction du sud-ouest, et le 6 novembre, ils en reconnurent quatre assez hautes à quatorze lieues dans l’est. Le pilote qu’ils avaient pris à Sirangan leur dit que c’étaient les Moluques. « Nous rendîmes alors grâce à Dieu, ajoute Pigafetta, et en réjouissance nous fîmes une décharge de toute notre artillerie ; on ne sera pas étonné de la grande joie que nous éprouvâmes à la vue de ces îles, quand on considérera qu’il y avait vingt-sept mois moins deux jours que nous courions les mers, et que nous avions visité une infinité d’îles, toujours en cherchant les Moluques.

» Les Portugais ont débité que les îles Moluques sont placées au milieu d’une mer impraticable à cause des bas-fonds qu’on rencontre partout, et de l’atmosphère nébuleuse et couverte de brouillards ; cependant nous avons trouvé le contraire ; et jamais nous n’eûmes moins de cent brasses d’eau jusqu’aux Moluques mêmes.

» Le vendredi, 8 du mois de novembre, trois heures avant le coucher du soleil, nous entrâmes dans le port de l’île de Tadore (Tidor.) Nous allâmes mouiller près de la terre par vingt brasses d’eau, et tirâmes toute notre artillerie.

» Le lendemain le roi vint dans une pirogue, et fit le tour de nos vaisseaux. Nous allâmes à sa rencontre avec nos canots, pour lui témoigner notre reconnaissance : il nous fit entrer dans sa pirogue, où nous nous placâmes auprès de lui. Il était assis sous un parasol de soie qui le couvrait entièrement. Devant lui se tenait un de ses fils qui portait le sceptre royal : deux hommes avec des vases d’or pleins d’eau pour lui laver les mains, et deux autres avec des coffrets dorés remplis de bétel. Il nous complimenta sur notre arrivée, en nous disant que depuis long-temps il avait rêvé que des navires devaient venir des pays lointains aux Moluques ; que, pour s’assurer si ce songe était véritable, il avait examiné la lune, dans laquelle il avait remarqué que ces vaisseaux arrivaient effectivement, et que c’était nous qu’il attendait.

» Il monta ensuite sur la capitane, et nous lui baisâmes tous la main. On le conduisit au gaillard d’arrière et dans la chambre, où, pour ne pas être obligé de se baisser, il voulut entrer par le capot. Nous le fîmes asseoir sur une chaise de velours rouge, et lui endossâmes une veste à la turque, de velours jaune ; et, pour lui témoigner mieux notre respect, nous nous assîmes sur le plancher vis-à-vis de lui.

» Lorsqu’il eut appris qui nous étions, et le but de notre voyage, il nous dit que lui et tous ses peuples seraient très-contens d’être les amis et les vassaux du roi d’Espagne ; qu’il nous recevait dans son île comme ses propres enfans ; que nous pouvions descendre à terre et y demeurer comme dans nos maisons, et que, pour l’amour du roi, notre souverain, il voulait que dorénavant son île portât le nom de Castille.

» Nous lui fîmes alors présent de la chaise sur laquelle il était assis, et de l’habit que nous lui avions endossé. Nous lui donnâmes aussi une pièce de drap fin, quatre brasses d’écarlate, une veste de brocart, des coupons de damas jaune, et d’autres étoffes de l’Inde, tissues en or et en soie, une pièce de toile de Cambaie très-blanche, deux bonnets, six filières de verroterie, douze couteaux ; trois grands miroirs, six ciseaux, six peignes, quelques tasses de verre dorées, et d’autres objets. Nous offrîmes à son fils un coupon de brocart d’or et de soie, un grand miroir, un bonnet et deux couteaux. Chacun des neuf principaux personnages qui l’accompagnaient reçut un coupon de soie, un bonnet et deux couteaux. Nous fîmes aussi des dons à tous ceux qui se trouvaient à sa suite, tels qu’un bonnet, un couteau, etc., jusqu’à ce que le roi nous eût avertis de ne plus rien donner. Il dit qu’il était fâché de n’avoir rien à présenter au roi d’Espagne qui fût digne de lui ; mais qu’il ne pouvait offrir que sa personne. Il nous invita d’approcher avec nos vaisseaux des habitations, ajoutant que, si quelqu’un des siens osait pendant la nuit essayer de nous voler, nous n’avions qu’à le tuer à coups de fusil. Après cela il partit fort satisfait de nous ; mais il ne voulut jamais incliner la tête, malgré toutes les révérences que nous fîmes. À son départ, nous le saluâmes d’une salve de toute notre artillerie.

» Ce roi est Maure, âgé à peu près de quarante-cinq ans, assez bien fait et d’une belle physionomie. Il était vêtu d’une chemise très-fine, avec les manches brodées en or ; une draperie lui descendait de la ceinture jusqu’aux pieds, qui étaient nus. Un très-beau voile de soie couvrait sa tête en forme de mitre. Son nom est Raja Mansour ; il est grand astrologue. »

Dans un nouvel entretien, le roi de Tidor protesta de son attachement pour les Espagnols ; et, voyant leur empressement à charger leurs vaisseaux de clous de girofle, il leur dit que, n’ayant pas dans son île la quantité de clous secs dont ils avaient besoin, il irait en chercher à l’île de Bachian.

Le 12 novembre, les Espagnols portèrent à terre, dans un hangar, les marchandises qu’ils destinaient aux échanges. Le trafic eut lieu sans la moindre difficulté ; et le mercredi 18 décembre, les vaisseaux étant chargés de clous de girofle, et bien approvisionnés de vivres, on fit toutes les dispositions pour le départ. La Victoire appareilla la première, et gagna le large, où elle attendit la Trinité. Celle-ci avait beaucoup de peine à lever l’ancre ; on s’aperçut d’une voie d’eau. Ce navire fut obligé de rester à Tidor pour la réparer. Comme on craignait que la Victoire ne fût trop chargée, on la fit rentrer dans le port ; on porta une partie de la cargaison à terre, et tout étant prêt pour le départ, que l’on ne pouvait retarder pour ne pas laisser passer la saison favorable, ce bâtiment quitta Tidor le 11 décembre, à midi.

Les Espagnols, durant leur séjour à Tidor, vécurent constamment en bonne intelligence avec les habitans. Le roi envoya son fils à Motir pour y chercher des clous de girofle, afin que les cargaisons fussent plus promptement complétées ; il cherchait à prévenir les désirs de ses hôtes ; ceux-ci, de leur côté, faisaient tout ce qu’ils croyaient lui être agréable. Les Indiens qu’ils avaient pris dans les jonques dont ils s’étaient emparés trouvèrent moyen de parler au roi ; il s’intéressa en leur faveur, et pria Espinosa de les lui donner pour qu’il pût les renvoyer chez eux, ce qui rendrait le nom espagnol cher et respectable à tous ces peuples. On lui remit les trois femmes et tous les hommes, à l’exception de ceux de Bornéo. Quelques jours après, les Espagnols ayant refusé d’aller à terre prendre part à un grand festin qu’il voulait leur donner, parce que le souvenir de la catastrophe de Zebu leur faisait soupçonner une trahison, il vint à bord sur leur demande, sans la moindre défiance. Ils avaient prétexté que, voulant partir au plus tôt, ils le priaient de les excuser, et cependant l’attendaient pour lui remettre les esclaves qu’ils lui avaient promis. Il leur dit que, lorsqu’il était chez eux, il se regardait comme dans sa propre maison ; qu’ils les priait de ne pas hâter leur départ, attendu que la saison n’était pas encore bien favorable, et qu’ils pourraient rencontrer des bâtimens de leurs ennemis les Portugais. « Si vous partez, ajouta-t-il, sans me laisser le temps de préparer pour votre roi des présens dignes de lui, tous les rois mes voisins diront que je suis un ingrat d’avoir reçu des présens de la part d’un si grand prince que le roi de Castille sans lui rien envoyer en retour ; ils diront aussi que vous ne partez ainsi à la hâte que par la crainte d’une trahison de ma part, et toute ma vie j’aurai le nom d’un traître. » Alors il fit apporter le Coran, le baisa dévotement et le porta plusieurs fois sur sa tête en prononçant des prières ; puis il jura par Dieu et par ce livre sacré qu’il serait toujours ami fidèle du roi d’Espagne. Le commerce s’établit librement entre les insulaires et les Espagnols, et ceux-ci achetèrent autant de clous de girofle qu’ils voulurent. On leur en apportait de toutes parts, car le roi envoyait des présens à ses voisins pour qu’ils en fournissent aux Espagnols, et allait lui-même les y engager.

Les Espagnols apprirent que, huit mois avant leur arrivée à Tidor, François Serrano, l’ami et le parent de Magellan, et celui qui lui avait suggéré l’idée d’entreprendre son voyage, était mort à Ternate. Ils apprirent aussi que le roi de Portugal avait fait partir d’Europe une flotte pour intercepter les vaisseaux de Magellan à leur entrée dans la mer des Indes ; que, sachant ensuite que ce navigateur était allé aux Moluques par l’ouest, il avait ordonné à son gouverneur-général dans les Indes d’envoyer six vaisseaux contre lui ; mais que des événemens avaient forcé de les expédier d’un autre côté ; enfin que toutes les tentatives essayées par les Portugais contre les Espagnols dans les Moluques avaient échoué. Deux de leurs jonques et une caravelle étaient venues peu de temps auparavant à Bachian ; les équipages des deux jonques ayant commis des atrocités avaient été massacrés, et la caravelle était retournée à Malacca, laissant les deux autres bâtimens avec leur cargaison de girofle et diverses marchandises.

Ces détails furent communiqués aux Espagnols par Pierre-Alphonse Lorosa, Portugais, venu aux Indes depuis seize ans, dont il en avait passé dix aux Moluques. Il y était arrivé avec les premiers Portugais qui s’y établirent ; mais cette nation gardait le plus profond silence sur cette découverte. Ce Lorosa, cédant aux instances des Espagnols, se rendit à leur bord avec sa femme et tous ses effets pour retourner en Europe avec eux.

Pigafetta donne sur les Moluques différens détails que nous allons offrir à nos lecteurs, parce qu’il est curieux de les comparer avec ceux qui nous ont été transmis par d’autres voyageurs arrivés plus tard dans cet archipel lointain.

« Les îles où croissent les girofliers sont au nombre de cinq : Ternate, Tidor, Motir, Machian et Bachian ; Ternate est la principale. Le dernier roi dominait presque entièrement sur les quatre autres. Tidor, où nous étions, a son roi particulier ; Motir et Machian n’en ont point. Leur gouvernement est populaire ; et lorsque les rois de Ternate et de Tidor sont en guerre entre eux, ces deux républiques démocratiques fournissent des combattans aux deux partis. Bachian a son roi.

» Il n’y avait pas plus de cinquante ans que le mahométisme s’était établi dans ces îles. Lorsque le roi vint à bord de la capitane, il se boucha le nez, à cause de l’odeur de lard qu’il sentait partout. Il nous pria, peu de jours après notre arrivée, de tuer tous les cochons que nous avions à bord, pour lesquels il nous offrit une ample compensation en chèvres et en volaille. Nous eûmes cette complaisance pour lui, et nous les tuâmes dans l’entrepont, afin que les Maures ne s’en aperçussent pas ; car ils avaient une telle répugnance pour ces animaux, que, lorsqu’ils en rencontraient par hasard, ils fermaient les yeux et se bouchaient le nez pour ne pas les voir et n’en pas sentir l’odeur.

» Vis-à-vis de Tidor est Giaïlolo (Gilolo), très-grande île habitée par les Maures et les gentils. Les Maures y ont deux rois, dont l’un, à ce que nous dit le roi de Tidor, a eu six cents enfans, et l’autre cinq cent vingt-cinq. Les gentils n’ont pas autant de femmes que les Maures, et sont moins superstitieux. La première chose qu’ils rencontrent le matin est l’objet de leur adoration pendant toute la journée. Le roi des gentils, nommé Raja Papoua, est très-riche en or, et habite l’intérieur de l’île. On y voit croître parmi les rochers des roseaux aussi gros que la jambe d’un homme, qui sont remplis d’une eau fort agréable à boire ; nous en achetâmes plusieurs. L’île de Giaïlolo est si grande, qu’un canot a de la peine à en faire le tour en quatre mois.

» Un des rois maures de Giaïlolo vint à notre bord : nous lui fîmes des présens qui lui plurent beaucoup. Il nous dit fort gracieusement que, puisque nous étions les amis du roi de Tidor, nous devions aussi être les siens, puisqu’il aimait ce roi comme son propre fils. Il nous invita à l’aller voir dans son pays, en nous assurant qu’il nous y ferait rendre de grands honneurs. Il est très-puissant et fort respecté dans toutes les îles des environs.

» En m’informant des usages de Tidor, j’appris que, le roi peut avoir pour son plaisir autant de femmes qu’il le trouve bon ; mais une seule est réputée son épouse, et toutes les autres ne sont que ses esclaves. Il avait hors de la ville une grande maison où logeaient deux cents de ses femmes les plus jolies, avec un pareil nombre d’autres destinées à les servir. Le roi mange toujours seul, ou avec son épouse, sur une espèce d’estrade élevée, d’où il voit toutes ses femmes assises autour de lui ; et après avoir dîné, il choisit la compagne de sa couche pour la nuit suivante. Lorsque le roi a fini son repas, ses femmes mangent toutes ensemble, s’il y consent ; sinon, chacune va dîner en particulier dans sa chambre. Personne ne peut voir les femmes du roi sans une permission expresse de sa part ; et si quelque imprudent osait approcher de leur habitation, soit de jour, soit de nuit, il serait tué sur-le-champ. Pour garnir de femmes le sérail du roi, chaque famille est obligée de lui fournir une ou deux filles. Raja Sultan Mansour avait vingt-six enfans, dont huit garçons et dix-huit filles. Il y avait dans l’ile de Tidor une espèce d’évêque (moufti), qui avait quarante femmes et un grand nombre d’enfans.

» Les maisons des insulaires sont construites comme celles des îles que nous avions déjà vues, mais moins élevées au-dessus de terre, et entourées de cannes en forme de haie. Les femmes de ce pays sont laides ; elles vont nues comme celles des autres îles, n’ayant que les parties sexuelles couvertes d’un pagne fait d’écorce d’arbre. Les hommes vont également nus, et, malgré la laideur de leurs femmes, ils en sont très-jaloux. Ils étaient surtout fâchés de nous voir quelquefois arriver à terre avec nos brayettes ouvertes, parce qu’ils s’imaginaient que cela pourrait donner des tentations à leurs femmes. Tout le monde va pieds nus.

» Pour faire leurs étoffes d’écorce d’arbre, ils prennent un morceau d’écorce et le laissent dans l’eau jusqu’à ce qu’il s’amollisse. Ils le battent ensuite avec des gourdins pour l’étendre en long et en large autant qu’ils le jugent convenable ; de façon qu’il devient semblable à une étoffe de soie écrue, avec des fils entrelacés intérieurement comme s’il était tissu.

» Ils font leur pain avec le bois d’un arbre qui ressemble au palmier. Ils prennent un morceau de ce bois, et en ôtent certaines épines noires et longues. Ensuite ils le pilent et en font du pain qu’ils appellent sagou. Ils font provision de ce pain pour leurs voyages de mer. »

Pigafetta décrit avec assez d’exactitude le giroflier, le muscadier et le gingembre. Il dit que chaque habitant possède quelques girofliers, auxquels il veille lui-même, et dont il va recueillir les fruits, mais sans en soigner la culture. Dans chaque île, on donne un nom différent aux clous de girofle. On les appelle ghomodes à Tidor, bongalavan à Sipangan, et chianche aux Moluques.

Le roi de Bachian obtint du roi de Ternate la permission de descendre à terre pour conclure une alliance avec les Espagnols ; cette permission était nécessaire, parce que l’étiquette ne permet pas qu’un roi mette le pied sur la terre d’un autre. Le roi de Bachian promit de réserver pour les Espagnols tous les clous de girofle que les Portugais avaient laissés dans son île. Il en aurait volontiers donné une très-grande quantité ; mais les bâtimens étaient déjà si chargés, qu’ils n’en purent prendre que deux bahars.

Il donna aussi pour le roi d’Espagne deux oiseaux de paradis. Pigafetta, en les décrivant, dit qu’ils ont des pieds et des jambes comme les autres oiseaux : ainsi il était bien éloigné de partager l’erreur des écrivains qui, cent ans plus tard, soutenaient encore que cet oiseau miraculeux ne pouvait se reposer sur les arbres, parce qu’il n’avait pas de pieds. Pigafetta parle aussi des perroquets blancs, appelés catara, et des rouges appelés nori, qu’on trouve dans les Moluques. Ceux-ci sont les plus recherchés, non-seulement par la beauté de leur plumage, mais aussi parce qu’ils prononcent plus distinctement que les autres les mots qu’on leur apprend. Un de ces perroquets se vend un bahar de clous de girofle.

La Trinité, après s’être radoubée à Tidor, en partit le 16 avril 1522, laissant dans cette île une partie de sa cargaison, et cinq Castillans, tant pour garder les marchandises que pour former une espèce de comptoir qui pût aider les premiers navires que l’on s’attendait à voir arriver d’Espagne aux Moluques. Parvenu dans la haute mer, Espinosa voulut faire route à l’est pour gagner l’Amérique, mais les vents contraires le forcèrent à remonter jusqu’à 27° de latitude nord, où il vit une île peuplée de sauvages. Il en prit un, et s’éleva ensuite jusqu’à 42°, où une tempête affreuse brisa son grand mât. Fatigué de tenir la mer depuis quatre mois, il chercha un refuge dans une île voisine de celle où il avait abordé précédemment. La plus grande partie de l’équipage était malade ; il mit à terre l’Indien qu’il avait pris, et qui revint avec deux autres chargés de cannes à sucre et d’autres rafraîchissemens. Quatre matelots espagnols se sauvèrent à terre. Espinosa, reconhaissant l’impossibilité de poursuivre sa route à l’est, reprit celle des Moluques dont il était éloigné de trois cents lieues. Durant la traversée, qui fut d’un mois et demi, il perdit vingt-sept hommes. Arrive à Ternate, il y trouva les Portugais établis ; Antoine de Brito, leur chef, s’empara de la Trinité, de la cargaison et des papiers, et permit à Espinosa de retourner en Espagne. Après cinq ans d’absence, cet infortuné navigateur y revint en 1524.

La Victoire fut le seul des cinq de l’escadre qui revit l’Europe. Elle avait quitté Tidor le 21 décembre 1521. Elle passa au milieu de plusieurs îles et fit route au sud-sud-ouest. À Boorou, les Espagnols trouvèrent des vivres en abondance. Pigafetta décrit plusieurs fruits de cette île : le comilicai, qui est de la forme d’un cône de pin, a le goût exquis. On le trouve dans toutes les Moluques. C’est l’ananas. Plusieurs îles voisines sont habitées par des peuples anthropophages. Échappée à une tempête, la Victoire attérit à Malloua près de Solor. « Les habitans, dit Pigafetta, sont sauvages et ressemblent plutôt à des bêtes brutes qu’à des hommes : ils sont anthropophages et vont tout nus, sauf un petit morceau d’écorce d’arbre à la ceinture : mais, quand ils vont combattre, ils se couvrent la poitrine, le dos et les flancs de morceaux de peaux de buffle, ornés de coquillages et de dents de cochon ; ils s’attachent par-devant et par-derrière des queues faites de peaux de chèvres. Leurs cheveux sont retroussés sur leur tête, au moyen d’une espèce de peigne de cannes à longues dents, qui passent de part en part. Ils enveloppent leurs barbes dans des feuilles, et l’enferment dans des étuis de roseau. Cette mode nous fit beaucoup rire. En un mot, ce sont les hommes les plus laids que nous ayons rencontrés pendant tout notre voyage.

» Ils ont des sacs faits de feuilles d’arbre dans lesquels ils enferment leur manger et leur boisson. Leurs arcs, ainsi que leurs flèches, sont faits de roseaux. Aussitôt que leurs femmes nous aperçurent, elles s’avancèrent vers nous l’arc à la main, dans une attitude menaçante ; mais nous ne leur eûmes pas plus tôt fait quelques petits présens, que nous devînmes leurs bons amis.

» Nous passâmes quinze jours dans cette île pour radouber les flancs de notre vaisseau qui avait beaucoup souffert. Nous y trouvâmes des chèvres, des poules, du poisson, des cocos, de la cire et du poivre. Pour une livre de vieux fer, on nous donnait quinze livres de cire.

» Il y a deux espèces de poivre, le long et le rond. Les fruits du poivre long ressemblent aux fleurs en grappe du noisetier. La plante a l’aspect du lierre, et s’attache de la même manière contre les troncs des arbres ; les feuilles sont pareilles à celles du mûrier. Ce poivre s’appelle louli. Le poivre rond croît de la même manière, mais ses fruits sont en épis comme ceux du millet ; on les égrène de même ; ce poivre se nomme lada. Les champs sont couverts de poivriers dont on forme des berceaux. »

L’île de Malloua est par 8° 30′. Les Espagnols avaient déjà des pilotes des Moluques ; ils prirent encore, à Malloua, un homme qui se chargea de les conduire à une île abondante en vivres.

Un des pilotes moluquois raconta aux Espagnols que dans ces parages il y avait l’île d’Aroucheto, dont les habitans n’ont pas au delà d’une coudée de haut, et dont les oreilles sont aussi longues que tout leur corps ; de sorte que, lorsqu’ils se couchent, l’une leur sert de matelas, et l’autre de couverture. Ils ont les cheveux coupés, et vont tout nus. Leur voix est aigre ; ils courent avec beaucoup d’agilité ; ils habitent sous terre, vivant de poisson, et d’une espèce de fruit qu’ils trouvent entre l’écorce et la partie ligneuse d’un arbre. Ce fruit, qui est blanc, et rond comme les confitures de coriandre, se nomme ambulon. Nous aurions volontiers visité cette île, dit Pigafetta, si les bancs de sable et les courans ne nous en avaient pas empêchés.

Le 25 janvier 1522, les Espagnols, ayant parcouru cinq lieues au sud-sud-ouest, parvinrent à Timor. Ils furent obligés de s’emparer d’un chef pour se procurer des vivres. En le renvoyant à terre, ils lui firent des présens, ce qui leur acquit son amitié.

Les mœurs et les productions de cette île ressemblaient à celles des archipels que les Espagnols avaient déjà visités ; mais ce qu’elle offre de particulier est le sandal blanc, qui est l’objet d’un grand commerce. Les Espagnols recueillirent, à Timor, divers renseignemens sur les îles voisines, sur Java et sur le continent de l’Asie. Pigafetta convient qu’on leur fit beaucoup de contes. Il est inutile de les rapporter ; mais il ne l’est pas de remarquer que ce goût de débiter des fables n’a pas dégénéré chez les peuples des archipels du sud de l’Asie orientale, car ils en ont aussi raconté très-sérieusement aux navigateurs modernes.

Le 11 février, les Espagnols quittèrent l’île de Timor, et entrèrent dans la grande mer appelée Laout-Chidol. La crainte des Portugais leur fit éviter l’approche des terres, et notamment de Sumatra. Pour doubler le cap de Bonne-Espérance, ils s’élevèrent jusqu’à 42° de latitude sud. Les vents contraires, qui finirent par une terrible tempête, les retinrent pendant neuf semaines dans ces parages. « Quelques-uns d’entre nous, dit Pigafetta, et surtout les malades, auraient voulu prendre terre à Mozambique, où il y a un établissement portugais, à cause des voies d’eau qui s’étaient déclarées dans le vaisseau, du froid piquant que nous ressentions, mais surtout parce que nous n’avions plus que du riz et de l’eau pour nous sustenter ; car toute la viande que, faute de sel, nous n’avions pu saler, était putréfiée. Cependant la plus grande partie de l’équipage étant plus attachée à l’honneur qu’à la vie même, nous résolûmes de faire tous nos efforts pour retourner en Espagne, quelques dangers que nous eussions encore à courir. »

Les Espagnols doublèrent le cap le 6 mai ; mais il fallut s’en approcher à la distance de cinq lieues, sans quoi ils n’en seraient jamais venus à bout. Ils naviguèrent encore deux mois sans interruption, et perdirent vingt-un hommes, tant chrétiens qu’Indiens, et observèrent, en jetant les corps à la mer, que ceux des chrétiens restaient toujours la face tournée vers le ciel, tandis que ceux des Indiens avaient le visage plongé dans la mer.

Ils manquaient totalement de vivres. « Si le ciel, s’écrie Pigafetta, ne nous eut pas accordé un temps favorable, nous serions tous morts de faim. » Le 7 juillet, la disette les força de mouiller à San-Iago, une des îles du cap Vert. Un canot alla à terre avec treize hommes. Comme on était en terre ennemie, ils cachèrent de quels pays ils venaient ; on ajouta foi à leurs discours, et on leur fournit des vivres. Cependant, le canot étant retourné à terre une troisième fois, Caño s’aperçut qu’on le retenait et qu’on faisait des mouvemens pour s’emparer de son navire. Aussitôt il appareilla, et, poursuivant heureusement sa route, il entra dans le port de San-Lucar le 6 septembre 1522, après un voyage de trois ans et quatorze jours. Il n’avait plus avec lui que dix-huit hommes d’équipage, épuisés de fatigue, et la plupart malades.

Comme la route des Espagnols avait été de l’ouest à l’est, dans le sens du mouvement diurne du soleil, cet astre, régulateur du temps, avait fait, par rapport à eux, un tour de moins que par rapport à ceux qui étaient restés dans le même lieu ; ils furent donc surpris, en arrivant, de ne compter que le 5 septembre au lieu du 6 que tout le monde comptait en Europe. Cette particularité, si facile à expliquer, exerça tous les savans du temps, et donna lieu à beaucoup de raisonnemens faux.

Sébastien del Caño eut ainsi la gloire d’avoir ramené en Europe le premier vaisseau qui eût achevé le tour du globe ; voyage qui démontra d’une manière incontestable que la forme de la terre était sphérique. Charles-Quint était alors à Valladolid ; on lui présenta Sébastien del Caño et ses compagnons. Ce monarque, qui savait apprécier le courage et la persévérance nécessaires pour réussir dans les grandes entreprises, récompensa magnifiquement le capitaine de la Victoire et ceux qui l’accompagnaient. Ils reçurent des pensions et des distinctions honorables. Caño obtint entre autres des armoiries surmontées d’un globe du monde, avec cette devise : Primus circumdedisti me. Le navire la Victoire fut soigneusement conservé à Séville, où il finit par périr de vétusté.


  1. Nom d’une carte du jeu de tarot.
  2. Samar, une des Philippines.
  3. Petite île au sud de Samar. On la nomme l’Encantada (l’Enchantée).
  4. Cet archipel reçut ensuite le nom d’îles Philippines. Il est situé entre les 134e. et 144e. degrés de longitude à l’est de l’île de Fer, par conséquent à l’ouest entre les 195e. et 205e. degrés de la ligne de démarcation. On ignore si en déterminant la longitude, Magellan était de bonne foi, ou s’il ne l’a fait que pour trouver les Moluques en-deçà du 180e. degré ; mais il est certain que, jusqu’à Dampier, on se trompait de 25 degrés dans les longitudes de ces parages.
  5. Ce sont deux cantons de Mindanao.
  6. Herréra donne à l’île de Massana le nom de Maraguas.
  7. C’est probablement une des îles situées entre Bornéo et Pouloan, ou Paragoa, Elles sont peu connues.