Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome III/Première partie/Livre V/Chapitre IV

CHAPITRE IV.

Royaume de Benin.

Le royaume de Benin, dont les bornes ne sont pas déterminées avec beaucoup de certitude, paraît situé entre le 8e. degré nord et l’équateur. Il est borné à l’ouest par le royaume d’Ardra ; au sud, par le golfe et par le pays d’Ouare ou d’Overry et de Callabar ; à l’est et au nord, par des royaumes dont on ne connaît que les noms.

Juan Alfonso di Aveiro fit la découverte du royaume de Benin en remontant la rivière qu’il nomma Formosa ou la Belle, et que les Français, les Anglais et les Hollandais appellent rivière de Benin. Elle se jette dans le golfe de Guinée, près des îles Carama, à cinquante lieues à l’est de la rade d’Iakin. La multitude de ses bras forme un grand nombre d’îles, entré lesquelles il s’en trouve de flottantes, que le vent et les travados poussent souvent d’un lieu à l’autre, et rendent par conséquent fort dangereuses pour la navigation. Elles sont couvertes d’arbustes et de roseaux.

La rivière de Benin a quatre principales villes où les Hollandais portent leur commerce, et où cette raison attire un grand nombre de Nègres, surtout à l’arrivée des vaisseaux ; on les nomme Bodado, Arbon, Gatton et Meiberg.

Quoique le royaume soit fort peuplé, il s’en faut beaucoup qu’il le soit autant que celui d’Ardra, du moins à proportion de la grandeur. Les villes y sont très-éloignées l’une de l’autre sur la rivière et sur la côte. La capitale est considérable.

En général, les habitans du royaume de Benin sont d’un fort bon naturel, doux, civils et capables de se rendre à la raison, lorsqu’on emploie de bonnes manières pour les persuader. Leur faites-vous des présens, ils vous en rendent au double. Si vous leur demandez quelque chose qui leur appartienne, il est rare qu’ils le refusent, quoiqu’ils en aient eux-mêmes besoin. Mais les traiter durement, ou prétendre l’emporter par la force, c’est s’exposer à ne rien obtenir. Ils sont habiles dans les affaires, et fort attachés à leurs anciens usages. En se prêtant un peu à leurs idées, il est aisé d’entreprendre avec eux toutes sortes de commerce.

Entre eux ils sont civils et complaisans dans la société, mais réservés et défians dans les affaires. Ils traitent tous les Européens avec politesse, à l’exception des Portugais, pour lesquels ils ont de l’aversion ; mais ils ont une prédilection déclarée pour les Hollandais.

On représente les Nègres de Bénin comme un peuple ennemi de la violence, juste à l’égard des étrangers, et si plein de déférence pour eux, qu’un portefaix du pays, quoique pesamment chargé, se retire pour laisser le passage libre à un matelot de l’Europe. C’est un crime capital dans la nation d’outrager le moindre Européen. La punition est sévère. On arrête le coupable, on lui lie les mains derrière le dos, on lui bouche les yeux, et, lui faisant pencher la tête, on la lui abat d’un coup de hache. Le corps est partagé en quatre parties, et jeté aux bêtes féroces. Cette sévérité porte à croire qu’ils trouvent de grands avantages dans le commerce des Européens.

Ils sont très-déréglés dans leurs mœurs, et livrés à tous les excès de l’incontinence. Ils attribuent eux-mêmes ce penchant à leur vin de palmier et à la nature de leurs alimens. Ils évitent les obscénités grossières dans leurs conversations ; mais ils aiment les équivoques ; et ceux qui ont l’art d’envelopper des idées sales sous des expressions honnêtes passent pour des gens d’esprit. Ils auraient la même réputation parmi nous.

L’usage pour les deux sexes est d’être nu jusqu’au temps du mariage, à moins qu’on n’obtienne du roi le privilège de porter plus tôt des habits ; ce qui passe, pour une si grande faveur, qu’elle est célébrée dans les familles par des réjouissances et des fêtes.

Le goût de la bonne chère, est commun à toute la nation ; aussi les personnes riches n’épargnent rien pour leur table. Le bœuf, le mouton, la volaille, sont leurs mets ordinaires, et la poudre ou la farine d’igname, bouillie à l’eau ou cuite sous la cendre, leur compose une espèce de pain. Ils se traitent souvent les uns les autres, et les restes de leurs festins sont distribués aux pauvres.

Dans les conditions inférieures, la nourriture commune est du poisson frais, cuit à l’eau, ou séché au soleil, après avoir été salé.

La jalousie des Nègres est fort vive entre eux ; mais ils accordent aux Européens toutes sortes de libertés auprès de leurs femmes ; et cette indulgence va si loin, qu’un mari que ses affaires appellent hors de sa maison, y laisse tranquillement un Hollandais, et recommande à ses femmes de le réjouir et de l’amuser. D’un autre côté, c’est un crime pour les Nègres d’approcher de la femme d’autrui. Dans les visites qu’ils se rendent entre eux, leurs femmes ne paraissent jamais, et se tiennent renfermées dans quelque appartement intérieur ; mais tout est ouvert pour un Européen, et le mari les appelle lui-même, lorsqu’elles sont trop lentes à se présenter. Est-ce déférence pour les Européens ou mépris ?

Huit ou quinze jours après la naissance, et quelquefois plus tard, les enfans des deux sexes reçoivent la circoncision.

Dans la ville d’Arébo, les habitans ont l’usage abominable d’égorger une mère qui met au monde deux enfans à la fois : ils la sacrifient, elle et ses deux fruits, à l’honneur d’un certain démon qui habite un bois voisin de la ville. À la vérité, le mari est libre de racheter sa femme en offrant à sa place une esclave du même sexe ; mais les enfans sont condamnés sans pitié. Les voyageurs devraient bien nous donner quelque raison ou quelque prétexte d’une si étrange barbarie.

Un roi de Bénin n’a pas plus tôt rendu le dernier soupir, qu’on ouvre près du palais une fort grande fosse, et si profonde, que les ouvriers sont quelquefois en danger d’y périr par la quantité d’eau qui s’y amasse. Cette espèce de puits n’a de largeur que par le fond ; et l’entrée, au contraire, est assez étroite pour être bouchée facilement d’une grande pierre. On y jette d’abord le corps du roi ; ensuite on fait faire le même saut à quantité de ses domestiques de l’un et dé l’autre sexe, qui sont choisis pour cet honneur. Après cette première exécution, on bouche l’ouverture du puits, à la vue d’une foule de peuple, que la curiosité retient nuit et jour dans le même lieu. Le jour suivant on lève la pierre, et quelques officiers destinés à cet emploi baissent la tête vers le fond du trou pour demander à ceux qu’on y a précipités s’ils ont rencontré le roi. Au moindre cri que ces malheureux peuvent faire entendre, on rebouche le puits, et le lendemain on recommence la même cérémonie, qui se renouvelle encore les jours suivans, jusqu’à ce que, le bruit cessant dans la fosse, on ne doute plus que toutes les victimes ne soient mortes.

Après cette première exécution, le premier ministre d’état en va rendre compte au successeur du roi mort, qui se rend aussitôt sur le bord du puits, et qui, l’ayant fait fermer en sa présence, fait apporter sur la pierre toutes sortes de viandes et de liqueurs pour traiter le peuple. Chacun boit et mange abondamment jusqu’à la nuit. Ensuite cette multitude de gens échauffés par le vin parcourt toutes les rues de la ville en commettant les derniers désordres. Elle tue tout ce qu’elle rencontre, hommes et bêtes, leur coupe la tête, et porte les corps au puits sépulcral, où elle les précipite comme une nouvelle offrande que la nation fait à son roi. Quelles mœurs épouvantables ! Il semble que sous cette zone brûlante les têtes soient de temps en temps agitées d’un délire sanguinaire, et que ces peuples barbares aient un affreux besoin de crimes, de superstitions et de sang. Tel est donc l’homme de la nature, fort au-dessous des tigres et des singes, quand sa raison n’est pas cultivée !

Ils ont peu d’industrie et de goût pour le travail. Tous ceux qui ne sont point assez pauvres pour se trouver forcés d’employer leurs bras laissent le fardeau des occupations manuelles à leurs femmes et à leurs esclaves.

Tous les esclaves mâles qui servent ou qui se vendent dans le pays sont étrangers ; ou si quelques habitans sont condamnés à l’esclavage pour leurs crimes, il est défendu de les vendre pour être transportés. La liberté est un privilége naturel de la nation, auquel le roi même ne donne jamais d’atteinte. Chaque particulier se qualifie d’esclave de l’état ; mais cette qualité n’emporte pas d’autre dépendance que celle de tous les peuples libres à l’égard de leur prince et de leur patrie. Les femmes, toujours humiliées et maltraitées en Afrique, sont seules exceptées d’une loi si favorable aux hommes, et peuvent être vendues et transportées au gré de leurs maris.

Le règne des fétiches est établi à Benin comme sur toutes les côtes précédentes ; mais les habitans ont des notions d’un Être Suprême ; et d’une nature invisible qui a créé le ciel et la terre, et qui continue de gouverner le monde par les lois d’une profonde sagesse. Ils l’appellent Orissa : ils croient qu’il est inutile de l’honorer, parce qu’il est nécessairement bon ; au lieu que, le diable étant un esprit méchant qui peut leur nuire, ils se croient obligés de l’apaiser par des prières et des sacrifices.

L’année est composée de quatorze mois. Leur dimanche, ou le jour de repos, revient de cinq en cinq jours ; il est célébré par des offrandes et des sacrifices.

Il y a beaucoup d’autres jours consacrés à la religion. Dapper s’étend sur la fête anniversaire qu’on célèbre à l’honneur des morts : il assure qu’on sacrifie dans cette occasion non-seulement un grand nombre d’animaux, mais plusieurs victimes humaines, qui sont ordinairement des criminels condamnés à mort, et réservés pour cette solennité : l’usage en demande vingt-cinq ; s’il s’en trouve moins, les officiers du roi ont ordre de parcourir les rues de Benin pendant la nuit, et d’enlever indifféremment toutes les personnes qu’ils rencontrent sans lumière : on permet au riche de se racheter ; mais les pauvres sont immolés sans pitié, comme il le sont partout ailleurs.

L’état est composé de trois ordres, dont trois grands forment le premier. Leur principale fonction est d’être sans cesse près de la personne du roi, et de servir d’interprètes ou d’organes aux grâces qu’on lui demande et qu’il accorde. Comme ils ne lui expliquent que ce qu’ils jugent à propos, et qu’ils donnent le tour qu’il leur plaît à ses réponses, le pouvoir du gouvernement semble résider entre leurs mains.

Le second ordre de l’état est composé de ceux qui portent le titre de are de roés ou chefs des rues. Les uns dominent sur le peuple, d’autres sur les esclaves, sur les affaires militaires, sur les bestiaux, sur les fruits de la terre, etc. : on aurait peine à nommer quelque chose de connu dans la nation qui n’ait aussi son chef ou son intendant. C’est parmi les are de roés que le monarque choisit ses vices-rois ou gouverneurs de provinces ; ils sont soumis à l’autorité des trois premiers grands, comme c’est à leur recommandation qu’ils sont redevables de leurs emplois.

Les fiadors ou viadors composent le troisième ordre : ce sont les agens du commerce avec les Européens.

Lorsqu’un seigneur nègre est élevé à un de ces trois grands postes, le roi lui donne, comme une marque insigne de faveur et de distinction, un cordon de corail, qui est l’équivalent de nos ordres de chevalerie. Cette grâce s’accorde aussi aux mercadors ou facteurs qui se sont signalés dans leur profession, aux fulladors ou intercesseurs, et aux vieillards d’une sagesse éprouvée : ceux qui l’ont reçue du souverain sont obligés de porter sans cesse leur cordon ou leur collier autour du cou, et la mort serait le châtiment infaillible de ceux qui le quitteraient un instant : on en cite un exemple frappant. Un Nègre à qui l’on avait dérobé son cardon fut conduit sur-le-champ au supplice ; le voleur, ayant étè arrêté, subit le même sort avec trois autres personnes qui avaient eu quelque connaissance du crime sans l’avoir révélé à la justice ; ainsi, pour une chaîne de corail qui ne valait pas deux sous, il en coûta la vie à cinq personnes.

Les Nègres de ce pays n’ont pas autant de penchant pour le vol que ceux des autres contrées. Le meurtre est encore plus rare que le vol : il est puni de mort. Cependant, si le meurtrier était d’une haute distinction, tel qu’un des fils du roi, ou quelque grand seigneur du premier ordre, il serait banni sur les confins du royaume, et conduit dans son exil par une grosse escorte ; mais, comme on ne voit jamais revenir aucun de ces exilés, et qu’on n’en reçoit même aucune nouvelle, ces Nègres sont persuadés qu’ils passent bientôt dans le pays de l’oubli. S’il arrive à quelqu’un de tuer son ennemi d’un coup de poing, ou d’une manière qui ne soit pas sanglante, le meurtrier peut s’exempter du supplice à deux conditions : l’une, de faire enterrer le mort à ses propres dépens ; l’autre, de fournir un esclave qui soit exécuté à sa place. Il paie ensuite une somme assez considérable aux trois ministres, après quoi il est rétabli dans tous les droits de la société, et les amis du mort sont obligés de paraître satisfaits.

Tous les autres crimes, à l’exception de l’adultère, s’expient avec de l’argent ; l’amende est proportionnée à la nature de l’offense. Si les criminels sont insolvables, ils sont condamnés à des peines corporelles.

Il y a plusieurs punitions pour l’adultère : la bastonnade parmi le peuple, et la mort parmi les grands.

Après la mort du roi, le successeur se retire ordinairement dans un village nommé Oisébo, assez près de Benin, pour y tenir sa cour, jusqu’à ce qu’il soit instruit des règles du gouvernement. Dans cet intervalle, la reine-mère et les ministres, dépositaires des volontés du roi, sont chargés de l’administration. Lorsque le temps de l’instruction est fini, le roi quitte Oisébo, et va prendre possession du palais et de l’autorité royale ; il pense ensuite à se défaire de ses frères, pour assurer la tranquillité de son règne. Les barbaries politiques en usage parmi les despotes d’Orient, qui ont à se disputer de grands empires, se retrouvent dans les villages nègres qu’on nomme royaumes.

Le royaume d’Overry ou d’Ouare, tributaire de celui de Benin, est situé sur les bords du Rio-Forcado : sa capitale, qui communique son nom à tout le pays, est sur le même fleuve, à trente lieues de l’embouchure.

La pluralité des femmes y est en usage, comme dans toutes les autres parties de la Guinée ; mais, à la mort du mari, toutes les veuves appartiennent au roi, qui dispose d’elles suivant son intérêt ou son goût. La religion du pays ne diffère de celle de Benin qu’à l’égard des sacrifices d’hommes ou d’enfans, dont on ne parle à Overry qu’avec horreur. Les habitans croient qu’il n’appartient qu’au diable de répandre le sang humain ; était-ce donc à ces peuples ignorans et grossiers que devait appartenir cette idée vraiment sublime, qui donne une si belle leçon aux nations les plus policées ?

Depuis le cap de Formose, en suivant la côte qui descend vers le sud, on trouve le pays de Callabar ou Rio-Réal, la rivière de Camarones et la rivière d’Angra. Toutes ces régions, jusqu’au cap Sainte-Claire, n’offrent rien qui soit digne d’attention.

Après le cap Sainte-Claire, la côte tourne tout d’un coup à l’est, pendant l’espace de six lieues, pour former la baie de Rio-Gabon ou Gabaon, comme l’appellent les Portugais.

Outre le motif de commerce, quantité de vaisseaux sont attirés dans cette baie par la commodité qu’on y trouve pour se radouber.

Le commerce de Rio-Gabon consiste en ivoire, en cire, en miel, etc. Les habitans ont une coutume singulière : quelque avidité qu’ils aient pour l’eau-de-vie, ils n’en boiraient point une goutte à bord, avant d’avoir reçu quelque présent. S’ils trouvent qu’on ait trop de lenteur à l’offrir, ils ont l’effronterie de demander si l’on s’imagine qu’ils soient capables de boire pour rien : ceux qui ne les paient point ainsi, pour la peine qu’ils prennent de boire, ne doivent point espérer de faire avec eux le moindre commerce.

On représente les habitans de Rio-Gabon comme un peuple farouche et cruel. Ils n’épargnent personne, et bien moins les étrangers. En 1601, les Hollandais éprouvèrent leur cruauté, lorsque ces barbares, s’étant saisis de deux canots de cette nation, massacrèrent inhumainement l’équipage. Si l’on en croit les voyageurs, les premières lois de la nature paraissent inconnues ou comme effacées chez ce peuple par une longue dépravation.

Quoique les Nègres de Gabon ne composent point une nation nombreuse, ils sont divisés en trois classes : l’une qui est attaché au roi, l’autre au prince son fils, et la troisième qui ne reconnaît point d’autre maître qu’elle-même. Les deux premières, sans être en guerre ouverte, font profession de se haïr, et cherchent pendant la nuit l’occasion de se battre et de s’entre-piller.

Ils n’ont pas l’usage de boire en mangeant ; mais, après leur repas, ils prennent plaisir à s’enivrer de vin de palmier, ou d’un mélange de miel et d’eau qui ressemble à notre hydromel. Ils donnent une fort belle dent d’éléphant pour une mesure d’eau-de-vie, qu’ils ont quelquefois vidée avant de sortir du vaisseau. Lorsque l’ivresse commence à les échauffer, la moindre dispute les met aux mains, sans respect pour leurs rois ni pour leurs prêtres, qui entrent à coups de poings dans la mêlée pour ne pas demeurer spectateurs inutiles : ils se battent de si bonne grâce, que leurs chapeaux, leurs perruques, leurs habits, et tout ce qu’ils viennent d’acheter des Européens, est précipité dans la mer : au reste, ils sont si peu délicats sur l’eau-de-vie, qu’avec la moitié d’eau claire et un peu de savon d’Espagne, pour faire écumer la liqueur, on peut l’augmenter au double sans qu’ils s’en aperçoivent.

« En un mot, dit Bosman, l’univers n’a point de nation plus barbare et plus misérable. » Il juge qu’elle tire sa principale substance de la chasse et de la pêche, parce qu’il n’aperçut dans le pays aucune sorte de blé, ni aucune trace d’agriculture.

Dans tous les pays qui bordent la rivière, la multitude des bêtes farouches est incroyable, surtout d’éléphans, de buffles et de sangliers. Bosman, ayant pris terre avec le capitaine de son vaisseau et quelques domestiques, poursuivit, l’espace d’une heure, un éléphant qui avait marché pendant plus d’une lieue sur le rivage, à la vue du vaisseau ; mais il disparut heureusement dans un bois ; car, avec si peu d’hommes, qui n’étaient armés que de mousquets, il y avait de l’imprudence à presser un animal si redoutable. En revenant de cette chasse, Bosman rencontra cinq autres éléphans en troupes qui, jetant sur lui et sur son cortége un regard indifférent, comme s’ils n’eussent pas jugé quelques hommes dignes de leur colère, les laissèrent passer tranquillement ; Bosman et ses compagnons, par cette espèce de respect qui naît de la crainte, les saluèrent en ôtant leur chapeau.

Un autre jour, Bosman tomba sur une bande d’environ cent buffles, et les ayant forcés de se séparer en plusieurs troupes, il s’attacha aux plus voisins, sur lesquels ses gens firent pleuvoir une grêle de balles : il ne parut pas que ces farouches animaux s’en fussent ressentis ; mais ils regardaient leurs ennemis d’un air irrité, comme s’ils leur avaient reproché cet outrage.

La plupart de ces buffles étaient rougeâtres ; ils avaient les cornes droites et penchées vers les épaules, de la grandeur à peu près de celles d’un bœuf ordinaire : en courant, ils paraissaient boiteux des pieds de derrière ; mais leur course n’en était pas moins prompte.

Le cap Lopez-Consalvo, qui n’est qu’à dix-huit lieues de Rio-Gabon, fait les dernières bornes du golfe de Guinée. Un peu plus loin, au sud, on arrive à l’entrée du royaume d’Angole. Arthur, navigateur anglais, assure que ce cap n’est pas difficile à reconnaître, parce que c’est l’endroit de toute la côte qui s’avance le plus à l’ouest : sa situation est au premier degré de latitude du sud.

Les habitans sont beaucoup plus civilisés qu’à Rio-Gabon ; mais le pays n’abonde pas moins en toutes sortes de bêtes féroces.

Le poisson y est si commun, que d’un seul coup de filet on peut en prendre de quoi en charger un canot.

Bosman dit que le commerce consiste, comme à Rio-Gabon, en ivoire, en cire et en miel, qui est en fort grande abondance dans le pays.