1914-1916 : poésies
Mercure de France (p. 69-72).
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LE MANTEAU


Que tu sois de marbre ou de pierre,
Que tu sois de bronze ou d’airain,
Victoire, que ton aile altière
Batte l’air terrestre ou marin,

Que tu rattaches ta sandale
Dans le paros du Parthénon
Ou que ta stature navale
Se dresse au soc de l’éperon,


Que le ciel bleu de Samothrace
Ait vu ton beau vol palpitant
Se poser sur la nef qui trace
Un sillage d’écume en sang,

Ou, sur la terre d’Olympie
Pour Paeonios, le sculpteur,
Que ton juste regard épie
Dans l’arène le char vainqueur,

Victoire, que tu commémores
Des batailles ou bien des jeux
Et quels que soient tes noms sonores,
Magnifiques ou glorieux,


Que l’on t’appelle Salamine,
Que l’on te nomme Marathon,
Que ton brusque essor s’illumine
Des foudres de Napoléon

Ou qu’au laurier qui te couronne
Se mêle le reflet vermeil
Du lys doré dont se fleuronne
Le lourd sceptre du Roi-Soleil,

Victoire, déesse immortelle,
De qui tous les Dieux sont jaloux,
Tu m’apparais encor plus belle
Lorsque tu te montres à nous


Avec l’héroïque visage
Où, graves, nous reconnaissons
La fraternelle et sainte image
Des morts d’hier que nous pleurons

Et qui, des trois couleurs de France,
Ô Victoire, ont tissé pour toi
Avec leur sang et leur souffrance,
Avec leur espoir et leur foi,

Ce manteau que ta chair meurtrie
Croise sur ton flanc déchiré
Et dont, à genoux, la Patrie
Embrasse le lambeau sacré !


7 mai 1915.