1914-1916/La Récompense

1914-1916 : poésies
Mercure de France (p. 65-68).

LA RÉCOMPENSE


Il était de courte taille,
Magnifiquement velu,
Avec une large entaille
Sur sa face de poilu ;

Son bras pendait en écharpe,
Un chausson chaussait son pied ;
Était-ce au bord de la Scarpe
Que Mars l’avait étrillé ?


Sur la Marne ou bien sur l’Aisne
Ou sur l’Yser, je ne sais,
Qu’il avait, hors de sa veine,
Répandu son sang français ?

Qu’importait, car sa prestance
Montrait un vrai brave, et puis
C’était un soldat de France
Que je saluais en lui :

« Ô héros entre cent mille,
Lui dis-je, ô victorieux,
Toi qui, de la horde hostile,
Soutins le choc furieux,


« N’es-tu pas comme l’emblème
Du grand effort obstiné
Où tout un peuple lui-même
De laurier s’est couronné ?

« Dis-moi, pour la part de gloire
Qui t’échoit, que voudras-tu ?
Sera-ce un ruban de moire
Sur ta capote, ô poilu ?

« Pour ta chair ainsi meurtrie,
À quoi donc auras-tu droit,
Que te devra la Patrie
Pour tout cela ? Réponds-moi. »


L’homme avec un bon sourire,
Souleva son bras raidi :
« Monsieur, je vais vous le dire
Tout bonnement, comme on dit :

« Mon désir a pour limites
De recommencer le jeu,
Car après tant de marmites,
C’est fade, le pot au feu ! »


14 mai 1915.