Œuvres de Saint-Amant/Les Cabarets

Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 138-144).

LES CABARETS.

À mon cher amy Monsieur Faret.


Faret, mon compagnon d’office,
Quand il faut faire un sacrifice,
Dedans quelque joyeux hostel
Où la table fournit d’autel ;
Helas ! quel demon plein d’envie
Traversant nostre heureuse vie,
Quel demon, dis-je, amy de l’eau,
Te conduit à Fontainebleau[1] ?
Ce vain esclat de la fortune,
Qui bien souvent est importune
À ceux mesme qu’elle assouvit
De la grandeur qui nous ravit,
Auroit-il bien tant de puissance
Que de t’oster la jouyssance

Des plaisirs qu’on gouste à Paris
Sans nul soucy des favoris ?
Si j’en avois la moindre doute
Je veux bien que Maillet[2] me quitte.

Si le gallant[3] en maroquin,
Et faisant trotter le pasquin,

Je ne je luy jettois tant de fange
Sur les habits de sa louange,
Que son lustre pernicieux
N’esblouyroit jamais tes yeux.
Mais ja n’advienne que j’y pense,
Je sçay bien que la recompense
Des bons services que tu rends
À ton maistre[4], l’honneur des grands
T’oblige bien moins à le suivre
Que ne fait la gloire de vivre
Sous un tel prince, qu’aujourd’huy
Ce nom-là n’est propre qu’à luy.
Quel sujet doncques pourroit-ce estre ?
N’est-ce point un desir champestre
De visiter à ce printemps
Les bois, les rochers, les estangs,
Y voir nager l’ombre d’un arbre ;
Contempler un palais de marbre,
Ou durant un temps chaud et clair
Regarder les ondes de l’air,
Qui semble trembler sur la terre
De la peur qu’il a du tonnerre ?
Puis admirant sur les sillons
Les ailes des gais papillons,
De mille couleurs parsemées,
Les croire des fleurs animées,
Qui volent au gré des zephirs
Vers les cieux plus beaux que saphirs ?
Ou tantost morne et solitaire,
Revant à quelque haut mystere,
Que les Muses, ces belles sœurs,
Montrent avec tant de douceurs,

S’en aller en quelques lieux sombres
Loger Phœbus entre les ombres,
Et faire en ceste obscurité
Un vers digne de la clarté ?
Ou par fois ouyr Philomelle,
Saluant la saison nouvelle,
Par un doux chant se consoler
Du temps qu’elle fut sans parler.
Quand l’infame et cruel Terée
Après l’avoir deshonorée,
La réduisit, pour toute vois,
Au triste ouvrage de ses doits ?
Toutes ces belles fantaisies.
De qui nos ames sont saisies,
Sont-elles, dis-je, le sujet
Qui te porte à ce beau projet ?
Parle, cher amy, je t’en prie,
Si tu ne veux que je m’escrie :
On fait à sçavoir que Faret
Ne rime plus à cabaret ;
Ce seul départ l’en rend indigne,
Il est degradé de la vigne,
Et Bacchus, nostre puissant roy,
Suivant les règles de sa loy,
Le casse, et luy défend de boire
Que dans la Seine ou dans la Loire,
Puisqu’il délaisse, amy de l’eau,
Paris pour un Fontaine-bleau :
Paris, où ce grand dieu preside,
Paris, ou la Coiffier[5] reside,

Paris, où fleurit un Cormier[6],
Qui des arbres est le premier ;
Paris, qui prend pour son Helaine
Une petite Magdelaine ;
Paris, qui presente à nos yeux
La Pomme de pin[7], qui vaut mieux
Que celle d’or, dont fut troublée
Toute la divine assemblée ;
Paris, qui, croissant tous les jours,
Contient dans l’un de ses faubourgs
Mainte autre ville toute entiere ;
Paris, où dans un cimetiere,
Fait pour enterrer les ennuis,
Nous avons tant passé de nuicts ;
Paris, enfin, ce petit monde,
Où tout contentement abonde,
Et dans qui les plus grands desirs
Se peuvent saouller de plaisirs.
Ha ! je t’entends, ces mots te pressent,
Et desjà tes yeux me confessent
Que tu ne sçaurois le quitter
Sans de toy-mesme t’absenter.
Relasche un peu ta servitude,
Ne cherche point la solitude,
Si ce n’est par fais dans ces vers.
Que j’ay donnez à l’univers.
Laisse les soings pour d’autres testes,
Laisse les forests pour les bestes,
Laisse les eaux pour les poissons,
Et les fleurs pour les limaçons ;

Aussi bien, à voir ton visage,
Cela n’est pas à ton usage ;
La campagne n’a point d’appas
Qui puissent attirer tes pas ;
Et de l’air dont tu te gouvernes,
Les moindres escots des tavernes
Te plaisent plus cent mille fois
Que ne font les echos des bois.
Et à moy aussi



  1. Allusion à l’étymologie Fontaine-belle-eau.
  2. Marc de Maillet fut, au XVIIe siècle, la personnification du poète pauvre et orgueilleux. Saint-Amant l’a eu en vue dans son Poète crotté. Maynard a lancé contre lui des traits nombreux. Voici sur ce personnage, peu connu, quelques détails empruntés a la vie de ce poète, écrite par Fr. Colletet à la suite de l’œuvre de son père Guillaume Colletet. Maillet « ne pouvoit souffrir qu’on louat en sa présence un autre poète que luy », ni qu’on censurât ses ouvrages. « Aussy traita-t-il un jour avec beaucoup d’aigreur Vital d’Audiguier, bel esprit de son temps, qui avoit trouvé quelque chose a dire dans une certaine ode qu’il avoit présentée a la royne Marguerite sur le sujet de l’éloquence de cette illustre princesse : car, après l’avoir cent fois appelé en prose un sot versificateur, il le noircit encore de ce sonnet injurieux, qui fut veu de toute la cour :

    Excrement du Parnasse, erreur de la nature…
    Hibou, pour ton foible œil je luis trop vivement :
    L’excez de ma lumière est ton aveuglement.
    Oy donc la verité, qui contre toi despite…
    Apprend que Maillet parle ainsy qu’on parle aux cieux,
    Et que, s’il ne parloit le langage des dieux,
    Il ne pourrait parler de cette Marguerite.

    Ce sonnet a trouvé place dans le Cabinet des vers satyriques de ce temps (Paris, 1618, p. 437-458), et à la suite vient la réponse suivante, sans doute de d’Audiguier. Qu’on juge de l’urbanité de ces messieurs :

    Je ne suis point excrement ;
    Mais vous estes une beste
    Qui n’avez dedans la teste
    Cervelle ny jugement.
    Ou bien je suis seulement
    Exerement pour vostre bouche…
    Ce seroit morceau pour vous
    Si je l’estois d’aventure,

    Car un pourceau de sa nature
    Trouve les excremens doux…

    D’Audiguier se vengea par quelques stances et aussi par un long portrait de Maillet sous le nom de Maillard. — V. aussi Epsistres franç. du sieur Daudiguier, in-8, 1618, p. 499 et s.

    Maillet étoit de la cour de la reine Marguerite, « qui le retenoit à ses gages avec beaucoup d’autres. Elle prenoit un singulier plaisir lorsqu’à ses heures de repos et de divertissement, il luy venoit réciter ses vers, ce qu’il faisoit avec des grimasses et sur un ton de voix si bizarre et si surprenant, qu’il estoit, en effet, bien malaisé de s’empescher de rire ; jusque là que, dans la chaleur du récit et dans l’encens qu’il s’offrait à luy-mesme, il s’emportoit quelquefois jusqu’au point de tordre et d’arracher autant de bouttons à celuy qui l’escouttoit et auquel il recitoit face à face quelque pointe de sonnet, d’épigramme ou de stance.»

    Devenu amoureux sans retenue de la femme d’un conseiller au parlement de Bordeaux, nommé de Jehan, il lui dédia, en 1616, le recueil de ses poésies imprimé in-8, à Bordeaux. Tombé en disgrâce plus tard, il fit sur son malheur des stances, dont voici la première :

    Helas ! Je sens ma peine et ne sais mon peché !
    Dedans mes actions mon esprit l’a cherché
    Sans avoir rien trouvé digne de ce supplice.
    Mais, bien que sur ma faute il n’ait porté les yeux.
    J’ay failly : car, estant de la race des dieux,
    Ma reyne ne pourrait commettre d’injustice.

    En 1620, il fit imprimer à Paris, in-8, toutes ses épigrammes, dont la première a été attribuée à tort à Saint-Amant :

    Si Jacques, le roy du savoir,
    Ne fut curieux de me voir,
    En voicy la cause infaillible :
    C’est que ravy de mon escrit,
    Il crut que j’estois tout esprit.
    Et par conséquent invisible.

  3. Le daubant ; frappant sur son maroquin, sur sa peau. — Voy. Furetière.
  4. Il s’agit ici du comte d’Harcourt, dont Furet étoit secrétaire.
  5. La Coiffier étoit une pâtissière qui tenoit le cabaret de la Fosse-aux-Lions. Elle fut la première, dit Tallemant, à traiter par tête. — Voy. Édouard Fournier, Hist. des hôtelleries et cabarets
  6. C’était à la fois le nom d’un cabaretier et d’un cabaret de la rue des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois, maintenant en partie détruite. — Voy. Ed. Fournier, ouvr. cité.
  7. Ce cabaret, célébré par Villon, Rebelais et Régnier, étoit