Œuvres de Saint-Amant/La Debauche
RAILLERIE À PART[1].
la débauche.
ous perdons le temps à rimer,
Amis, il ne faut plus chommer ;
Voicy Bacchus qui nous convie
A mener bien une autre vie ;
Laissons là ce fat d’Apollon,
Chions dedans son violon ;
Nargue du Parnasse et des Muses,
Elles sont vieilles et camuses ;
Nargue de leur sacré ruisseau,
De leur archet, de leur pinceau,
Et de leur verve poetique,
Qui n’est qu’une ardeur frenetique ;
Pegase enfin n’est qu’un cheval,
Et pour moy je croy, cher Laval[2],
Que qui le suit et luy fait feste
Ne suit et n’est rien qu’une beste.
Morbieu ! comme il pleut là dehors !
Faisons pleuvoir dans nostre corps
Du vin, tu l’entens sans le dire,
Et c’est là le vray mot pour rire ;
Chantons, rions, menons du bruit,
Beuvons icy toute la nuit,
Tant que demain la belle Aurore
Nous trouve tous à table encore.
Loing de nous sommeil et repos ;
Boissat[3], lors que nos pauvres os
Seront enfermez dans la tombe
Par la mort, sous qui tout succombe,
Et qui nous poursuit au galop,
Las ! nous ne dormirons que trop.
Prenons de ce doux jus de vigne ;
Je voy Faret qui se rend digne
De porter ce dieu dans son sein,
Et j’approuve fort son dessein.
Bacchus ! qui vois nostre desbauche,
Par ton sainct portrait que j’esbauche
En m’enluminant le museau
De ce trait que je boy sans eau ;
Par ta couronne de lierre,
Par la splendeur de ce grand verre,
Par ton thirse tant redouté,
Par ton eternelle santé,
Par l’honneur de tes belles festes,
Par tes innombrables conquestes,
Par les coups non donnez, mais bus,
Par tes glorieux attribus,
Par les hurlemens des Menades,
Par le haut goust des carbonnades,
Par tes couleurs blanc et clairet,
Par le plus fameux cabaret,
Par le doux chant de tes orgyes,
Par l’esclat des trognes rougies,
Par table ouverte à tout venant,
Par le bon caresme prenant,
Par les fins mots de ta cabale,
Par le tambour et la cymbale,
Par tes cloches qui sont des pots,
Par tes soupirs qui sont des rots
Par tes hauts et sacrés mysteres,
Par tes furieuses pantheres,
Par ce lieu si frais et si doux.
Par ton boucq paillard comme nous
Par ta grosse garce Ariane,
Par le vieillard monté sur l’asne,
Par les Satyres tes cousins,
Par la fleur des plus beaux raisins,
Par ces bisques si renommées,
Par ces langues de bœuf fumées,
Par ce tabac, ton seul encens,
Par tous les plaisirs innocens,
Par ce jambon couvert d’espice,
Par ce long pendant de saucisse,
Par la majesté de ce broc,
Par masse, toppe, cric et croc,
Par cette olive que je mange,
Par ce gay passeport d’orange,
Par ce vieux fromage pourry,
Bref, par Gillot, ton favory,
Reçoy-nous dans l’heureuse trouppe,
Des francs chevaliers de la couppe,
Et, pour te montrer tout divin,
Ne la laisse jamais sans vin.
- ↑ Les Muse illustres de MM. Malherhe, Théophile, L’Estoille, Tristan, Baudoin, etc., Paris, L. Chamboudry, 1658, in-18, sont divisées en quatre parties. La quatrième est intitulée Raillerie à part, ou la Mine burlesque.
- ↑ Guy de Laval Bois-Dauphin, dit le marquis de Laval, étoit le second fils de la marquise de Sablé. Saint-Amant l’avait sans doute connu dans le cours de l’expédition navale ou il accompagna le comte d’Harcourt. Le commandement suprême appartenoit à l’archevêque de Bordeaux, Escoubleau de Sour- dis, et Laval étoit, sous ses ordres, capitaine dans un régiment de marine. — Voy. Tallement des Réaux, éd. in-18, VII, 67. — Laval fut tué en 1646, devant Dunkerque.
- ↑ P. de Boissat fut reçu a l’Académie françoise des sa fondation, en 1654. Insulté par le comte de Sault, depuis connétable de Lesdiguières, il vit toute la noblesse du Dauphine, dont il faisoit partie, intervenir pour un accommodement. V. dans Tallement, dans Segrais, dans Chorier, l’histoire de cette aventure fameuse, et dans Pellisson (Hist. de l’acad.) les pièces du procès et la liste des ouvrages de Boissat. Il avoit un frère officier de cavalerie. Segrais, dans ses Mémoires-anecdotes, dit que La Calprenède a pris les principales intrigues de sa Cassandre dans l’Histoire négrépontique de Boissat. — Boissat mourut en 1662.