Œuvres de Saint-Amant/Le mauvais logement, caprice

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LE MAUVAIS LOGEMENT.

caprice



Gisté dans un chien de grabat,
Sur un infâme lict de plume,
Entre deux draps teints d’apostume,
Où la vermine me combat,
Je passe les plus tristes heures
Qui, dans les mortelles demeures,
Puissent affliger les esprits ;
Et la nuit si longue m’y semble,
Que je croy qu’elle ait entrepris
D’enjoindre une douzaine ensemble.

Parmy tant d’incommoditez,
Je conte tous les coups de cloche.
Et, comme un oyson à la broche,
Je me tourne de tous costez.
Une vilaine couverture,
Relique de la pourriture,
Malgré moy s’offre à me baiser

Mais, si je luy deffens ma bouche,
Je ne sçaurois luy refuser
Qu’à mes jambes elle ne touche.

Elle supplante les linceuls,
Qui se sauvent dans la ruelle ;
Mais, pour fuir cette cruelle,
Les pauvrets n’y vont pas tous seuls :
Un manteau de laine d’Espagne
En ce chemin les accompagne ;
Du travail à demy suant,
Et sans pretendre à la victoire,
Dans un pot de chambre puant
ll glisse, et va chercher à boire.

Au clair de la lune, qui luit
D’une lueur morne et blafarde,
Mon œil tout effrayé regarde
Voltiger mille oyseaux de nuit :
Les chauvesouris, les fresayes,
Dont les cris sont autant de playes
À l’oreille qui les entend,
Decoupans l’air humide et sombre,
Percent jusqu’où mon corps s’estend,
Et le muguettent[1] comme une ombre.

Un essain de maudits cousins,
Bruyant d’une fureur extresme,
Me fait renasquer[2] en moy-mesme
Contre la saison des raisins.
L’un sur ma main donne en sang-sue ;

L’autre sur ma trogne se rue,
Me rendant presque tout meseau[3]
Je les poursuy, je les attrape,
Et sans m’epargner le museau
Pour les y tuer je me frape.

Cent rats, d’insolence animez,
Se querellent sous une table
Où jamais repas delectable
N’apparut aux yeux affamez.
Là tantost aux barres ils jouent ;
Là tantost ils s’entre-secouent.
Pipans d’un ton aigre et mutin,
Et tantost cette fauce race
S’en vient ronger, pour tout festin,
Les entrailles de ma paillace.

Une troupe de farfadets
Differens de taille et de forme,
L’un ridicule, l’autre enorme,
S’y demene en diables-cadets ;
Ma viziere en est fascinée,
Mon ouye en est subornée,
Ma cervelle en est hors de soy ;
Bref, ces fabriqueurs d’impostures
Estalent tout autour de moy
Leurs grimaces et leurs postures.

Les rideaux ne m’empeschent point
De voir toutes leurs singeries ;
Ces infernales nigeries
Me font fremir sous l’embonpoint.
J’ay beau, pour en perdre l’image,
Qui me baille un teint de fromage,

M’efforcer à cligner les yeux :
L’effroy, me taillant des croupieres,
Par un effet malicieux,
Change en bezicles mes paupieres.

Maints faux rayons eparpillez
En fanfreluches lumineuses,
Offrent cent chimeres hideuses
À mes regards en vain sillez[4].
Ma trop credule fantaisie
En est si vivement saisie
Qu’elle-mesme se fait horreur ;
Et sentant comme elle se pame,
Je me figure en cette erreur
Qu’on donne le moine[5] à mon ame.

Que, si je pense m’endormir
Dans les momens de quelque treve,
Un incube aussi-tost me creve,
Et revaut je m’entr’oy gemir ;
Enfin mes propres cris m’eveillent.
Enfin ces demons s’emerveillent
D’estre quasi surpris du jour :
Ils font gille[6] à son arrivée,

Et la diane[7] du tambour
M’avertit que l’aube est levée.



  1. Mot perdu. Mugueter ou muguetter, c’est faire la cour à… On disoit aussi : muguetter une ville, chercher à la surprendre. Voy. Cotgrave, Furetière. — Abest dans Richelet.
  2. Murmurer, gronder, se plaindre. Voy. Furetière. — Abest dans Richelet.
  3. Couvert de plaies comme un lépreux. — Ce mot ne se trouve plus dans les lexiques postérieurs à Cotgrave.
  4. Fermés. — Le verbe siller, dont on trouve encore de frequents exemples au XVIIe siècle, est perdu. Nous avons conservé le composé dessiller.
  5. Avoir le moine, expression proverbiale, c’est être trompé. — Donner, bailler le moine, signifie causer le malheur de… to bring ill luck unto (Cotgrave). — Donner le moine, dit Furetière, c’est une malice de page, — qui consiste (Dict. com. de Le Roux) à attacher à l’orteil d’une personne endormie une ficelle que l’on tire pour l’éveiller.
  6. Faire gille ou Gilles, s’enfuir. Selon Furetière, ce proverbe vient de ce que saint Gilles, prince de Languedoc, s’étoit enfui de peur d’être fait roi.
  7. La diane ou la dienne, batterie de tambour à la pointe du jour (dies).