Œuvres de Saint-Amant/Caprice

Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 274-276).

CAPRICE.


Tous nos melons sont fricassez :
Adieu les plaisirs de la bouche
Les cieux, contre nous courroucez,
Les font pourrir dessus la couche.
Il a tant pleu tout aujourd’huy
Que mon cœur en sèche d’ennuy.
Pensant à ce desastre insigne ;
Et si cette abondance d’eau

N’estoit ailleurs propre a, la vigne
Je ferais jouer le cordeau.

Qu’extravagant est le destin,
Dans sa fatalité secrette,
De ne pouvoir plaire à Catin
Sans faire dépit à Perrette !
Nos ris sont des autres les pleurs,
Nos espines leur sont des fleurs.
Si Jacques pert, Thomas y gagne.
Le bien dont la France jouit
Est le desespoir de l’Espagne,
Qui de dueil s’en évanouit.

Mais où m’emporte ce discours ?
Je fais icy le philosophe ;
Muse colère, à mon secours !
Fourny-moy de plus rude étoffe.
Sus, retourne à ces pauvres fruits
Qu’un second deluge a destruits
Par une horrible violence,
Et crie à gozier déployé
Qu’après une telle insolence
Tu voudrais qu’il eust tout noyé.

Quoy ! cet an bornera ses pas
Sans que j’en soule mon envie,
Et je ne l’effaceray pas
Du nombre de ceux de ma vie !
Si feray dà, je le promets.
Il ne s’en parlera jamais,
Si l’âge futur m’en veut croire.
Oste-toy, six cens trente-deux.
Ou ne te montre dans l’histoire
Que comme un fantosme hideux.

Que si quelque belle action

S’est faite pendant ta durée,
Qu’elle passe pour fiction,
Ou bien qu’elle soit ignorée,
Et qu’au rebours tous les forfaits,
Tous les maux que mille ans ont faits.
Tous les crimes les plus enormes,
Sous les vilains mois ennemis
Dont ton chien de règne tu formes
Soyent crûs avoir esté commis.