Œuvres de Saint-Amant/Le Cantal, caprice
LE CANTAL[1].
À Monsieur le M. D. M[2].
caprice.
ousset, ecafignon, faguenas, cambouis.
Qui formez ce présent que mes yeux resjouis,
Sous l’adveu de mon nez, lorgnent comme un fromage
À qui la puanteur doit mesme rendre hommage,
Que vous avez d’appas ! que vostre odeur me plaist !
Et que de vostre goust, tout horrible qu’il est,
Je fay bien plus d’estat que d’une confiture
Où le fruit déguisé brave la pourriture !
Par luy la vert ginguet[3] fait la figue au muscat ;
Par luy le plus gros vin semble si délicat,
Que le piot du ciel, dont on fait tant de conte,
S’il estoit blanc, auprès en rougiroit de honte.
Je laisse donc à dire, et chacun peut penser
De combien du meilleur le pris il doit hausser,
Quand on luy donne entrée au milieu d’une bouche
Qui sous un tel morceau retourne à l’escarmouche,
J’entens au doux conflit qu’à l’honneur de Bacchus
Les fameux biberons, à tauper invaincus,
Font le verre à la main, sans projet d’autre gloire
Que de celle qu’on gaigne à force de bien boire.
Franc et noble Marquis, illustre desbauché,
Qui t’es dans la grandeur à toy-mesme arraché
Pour te livrer sans faste aux plaisirs de la vie.
Où parmy les vertus la table nous convie ;
Toy, dont la voix unique en traits mélodieux
Rend du chantre emplumé le siflet odieux,
Sur tout quand ton gozier, humecté de la coupe,
Après mille bons mots que maint rot entre-coupe,
Se met à celebrer la divine liqueur
Qui, passant par chez luy pour visiter le cœur.
Le chatouille et l’invite à se montrer seul digne
De louer comme il faut ce pur sang de la vigne.
M… sans pareil, homme aux nigaux fatal,
Où diantre as-tu pesché ce bouquin[4] de Cantal,
Cet ambre d’Acheron, ce diapalma briffable,
Ce poison qu’en bonté l’on peut dire ineffable,
Ce repaire moisi de mittes et de vers,
Où dans cent trous gluans, bleus, rougeastres et vers
La pointe du couteau mille veines evente
Qu’au poids de celles d’or on devroit mettre en vente !
Ha ! qu’il me fait bon voir lors qu’en le furetant
J’en decouvre quelqu’une et le crie à l’instant !
Quelle faveur me cuit quand ma langue appastée
En enduit mon palais et s’en trouve infectée !
Non, jamais Mascarin, ce seringueur mortel,
De son deshabiller ne tira rien de tel,
Exhibast-il au jour, comme il me fit nagueres,
Entre cent mille outils inconnus et vulgueres,
Et parmy cent fatras de haillons, de filets,
De pippes à petun, de fusts de pistolets,
De savattes, d’appeaux, de tasses, de mitaines,
D’onguents à guerir tout jusqu’aux fievres quartaines,
D’outres au cuir velu, de peignes ebrechez,
De linge foupy[5], sale, et d’habits ecorchez ;
Du vieil oint[6] de blaireau pour faire de la soupe,
L’oreille d’un sanglier qu’à coups de hache on coupe,
Un lopin de renard, un pasté de guenon,
Un cervelas de chien, le rable d’un asnon,
Et mille autres fins mets que je ne puis decrire,
Sans froncer les nazeaux et m’egueuler de rire.
Ô Brie ! ô pauvre Brie ! Ô chetif angelot[7]
Qu’autrefois j’exaltay pour l’amour de Bilot,
Tu peux bien aujourd’huy filer devant ce diable :
Ton beau teint est vaincu par son teint effroyable ;
Tu m’es plus insipide auprès de son haut goust
Que l’eau ne le seroit auprès du friand moust,
Et ta platte vigueur, sous la sienne estouffée,
Est de ma fantaisie entierement biffée.
Au secours, sommelier, j’ay la luette en feu,
Je brusle dans le corps ! Parbieu ! ce n’est pas jeu :
Des brocs, des seaux de vin pour tacher de l’esteindre,
Verse eternellement, il ne faut point se feindre.
Escoute, cher marquis, escoute ton bedon :
Je croy que l’animal d’où provient ce beau don,
Au lieu du manger frais qui dans les prez se cueille,
Ne se nourrit que d’ail, que de tabac en fueille,
Que de rhue acre au goust, d’aluyne au suc amer,
Qu’il n’estanche sa soif qu’aux plages de la mer,
Et qu’au lieu de gruger de la vesce ou de l’orge,
De poivre seulement en l’estable il se gorge.
- ↑ Le Cantal, montagne d’Auvergne, a donné son nom a un
fromage qui a odeur, comme dit Saint-Amant, d’écafignon et de
faguenas. Ces deux mots, dont le premier a signifié long-temps
une sorte de chaussure mince, ne désignoient plus, du temps
de Saint Amant, que la « senteur d’un pied de messager, »
(Furetière). — Dans la Musette du sieur D. (Vion Dalibray),
Paris, Quinet, 1647, in-8, p. 11, on trouve une longue pièce
adressée à Saint-Amant, à propos du Cantal :
Brillante gloire du Parnasse,
Toy qui joints de si bonne grace
Les muses avecques le vin,
Corps admirable, esprit divin,
Alcandre, amy rond et fidelle…
Apprends, apprends une nouvelle :
Ce Cantal est mangé des vers. - ↑ Ces initiales désignent sans doute cet ami de Saint-Amant à qui nous l’avons vu dédier sa pièce de la Chambre du débau- ché, le marquis de Marigny-Mallenoë. — Ce titre de marquis nous a été révélé, avec les autres titres de P. de Marigny, à une vente de livres Les œuvres de Boulenger, « J. C. Bulengeri doctoris theologi opusculorum systema », mises en vente, portoient, suris garde, l’attestation suivante relative à un jeune d’Harouys dont la famille s’allia a celle de Mme de Sévigné : « Ego infra scriptus, studiorum præfectus in Henriceo flexiensi collegio societatis Jesu, testor ingenuum adolescentem Nicolaum de Harouys, in secunda schola hoc primum solutæ orationis latinæ præmium, eruditorum æstimatum judicio meritum et ex munificentia et liberalitate noblissimi reverendissimique domini D.Petri de Mallenoe, abbassi delpsinensis, protonotarii apostolici, marchionis de Marigny, etc., In publico ejusdem collegii theatro consecutum esse 4° kalen. sept. 1639. Johannes Chevalier. »
- ↑ Vin de râcle-boyau, vin à faire danser les chèvres, qu’on boit dans les guinguettes.
- ↑ Bouquin, vieux bouc. À cause de l’odeur.
- ↑ Délustré, chiffonné. — En Anjou, l’on dit encore faupi dans ce sens.
- ↑ Ce mot se trouve dans Richelet et Furetière sous la forme vieux-oint, graisse.
- ↑ Angelot, sorte de petit fromage carré, fort gras, qu’on fait
en Brie. (Voy. Furetière.)