Œuvres de Saint-Amant/La Berne
LA BERNE.
xcroqueuse de gringuenaude,
Avec ton nez à chiquenaude,
Où pend pour enseigne un morveau,
Que ton gros cocu, Jean le Veau,
Avalle en guise d’huistre verte.
Alors qu’il lèche à gueule ouverte
Ton chien de groin, qui sent plus fort
Que les ϰοῡιλλες d’un asne mort,
Il faut enfin que je te tire
Les poignants traits d’une satyre
Dont le stile goinfre et mocqueur
T’aille percer jusques au cœur.
Tu devrois bien chérir ma muse,
Fuis qu’à ce coup elle s’amuse,
Ô vieille Amelite aux grands jeux !
À te porter dedans les deux,
Mais j’entens avec une berce :
C’est ainsi qu’elle s’y gouverne,
Et je t’en dy la vérité
Pour rabattre ta vanité.
Chers enfans de la medisance.
Qui jadis par toute la France
Fistes valoir mille escus-cars
Le moindre de tous vos brocars ;
Tous, que Mome en riant advoue
Et dont les escrits font la moue
À quiconque seroit si sot
Que d’en oser reprendre un mot ;
Régnier, Berthelot et Sygongne,[1]
Empoignez cette castelongne[2] ;
Tenez bien, raidissez les coings.
Y estes-vous ? serrez les poings,
Et faisons sauter jusqu’aux nues,
Par des secousses continues,
Sens crier jamais c’est assez,
Ny que nos bras en soient lassez,
Ceste sorcière à triple estage,
Qui n’est bonne, pour tout potage.
Qu’à faire en l’air des entrechats
Comme l’on en voit faire aux chats.
Voilà qui va le mieux du monde ;
Bons dieux ! oyez comme elle gronde !
Quelle grimace ! quel portrait !
Un constipé sur un retrait.
Un vieux charlatan qui boufonne,
Un mulet rongneux qu’on bouchonne.
Un singe qui croque des pous,
Un mastin assailly des loups,
Dom-Quichote dans les escornes,
L’Erty[3] quand on luy fait les cornes,
Et Porrette en maschant des nois,
Font moins de mine trente fois.
Voyez, voyez comme elle escume !
Voyez comme sa teste fume !
Je croy qu’elle a le diable au corps :
Que jamais n’en soit-il dehors !
Messer Sathan, je vous encharge.
Et bien au long et bien au large,
Qu’elle en puisse crever d’ahan,
Et vomir l’ame avec le bran.
Ha ! la voylà bien attiffée !
Nous allons voir un beau trofée
Fait d’une coëffe de satin,
D’une perruque, d’un patin,
D’un buse, d’un collet, d’une houpe,
D’un manchon tout gasté de soupe,
D’un masque et d’un salle mouchoir
Qu’en sautant elle a laissé choir.
Ô la plaisante mélodie
Dont mon oreille est étourdie !
Chaisne, estuy, clef et peloton
Carillonnans à divers ton,
Et se meslans à la rencontre
Avec bourse, couteaux et montre,
Et mille autres jolivetez,
Luy brimballent aux deux costez.
Mais qu’est-ce cy, mes camarades ?
Voicy d’éstranges algarades !
On nous en baille, on nous en vent :
Nous ne bernons plus que du vent,
Et le démon qui la possède,
Mieux qu’il ne fit jamais Salcede,
La rendant ainsi que vous trois
De l’ordre de la Rose-crois,
Droit aux enfers l’a transportée,
Pour estre si bien tourmentée,
Qu’au prix d’elle les Gaufridis[4]
Penseront estre en paradis.
De grâce, officieux fantômes,
Si dans l’empire des atomes,
Où la mort veut que vous viviez,
Par hazard vous la retrouviez,
Prenez, au lieu de couverture,
Quelque vieux drap de sépulture,
Et me la bernez en amy,
C’est à-dire en diable et demy.
Mais d’autant qu’il faut estre quatre,
Quand vous voudrez vous en esbattre,
Je brusle d’un si grand désir
D’avoir encore un tel plaisir,
Que pour estre de la partie
Sans dire, dure départie !
Mon esprit, beaucoup plus dispos
Qu’un grimaut lors qu’il a campos,
Quittera sa robe chamelle,
Et d’une allégresse éternelle,
Que rien ne pourra retarder,
S’en ira là-bas vous aider.
Grand-Champ, docteur en bernerie,
Approuve cette raillerie,
Mets-y Nous soussignez au bas,
Et tout le monde en fera cas.
- ↑ Nous ne pouvons rien dire ici sur Regnier qui ne soit connu. Berthelot et Sygogne eurent grande part au Cabinet satyrique, ouvrage auquel contribuèrent aussi Motin, Regnier et Maynard. — Nous trouvons les noms de ces poètes rapprochés dans ces vers des quatrains de Marolles :
Desportes, du Régnier, Sygongne, Delingendes,
Touvant, Motin, La Brosse, Hodet, Monfuron,
Bertelot, libertin ; du Montier, Percheron,
Ont seu faire des vers plutôt que des légendes.(Portraits en quatrains, par Michel de Marolles (84 p. in-4, Bibl. de l’Arsenal, 1765. in-4. B. L.) - ↑ Couverture grossière fabriquée en Catalogne ; — d’où le mot.
- ↑ Le Herty étoit un fou des Petites Maisons, qui avoit alors grand renom. Sarrazin, dans son poème de Dulot vaincu, dit :
Quand l’illustre Herty fut privé de la vie,
Dulot, son fils, pressé d’une plus noble envieQue de veiller, proche de ses tisons.
Et borner son empire aux Petites-Maisons…Colletet, dans ses Épigrammes (Paris, 1653), a écrit celle qui suit :
Pour l’Herty, fou sérieux des Petites-Maisons.J’ay connu de grands personnages,
Je me suis trouvé chez les sages,
Où la philosophie abondoit en raison.
Mais, ou je sens l’effet de ma raison blessée,
Ou la grande sagesse a quitté le lycée,
Pour ne plus habiter qu’aux Petites-Maisons.Voy. E. Fournier, Variétés historiques, 1, 135
- ↑ Salcède, Gaufridis. — Le premier de ces noms nous est inconnu. Le second, qui s’écrit aussi Goffridi et Gauffredy, est celui d’un curé d’une paroisse de Marseille qui fut brûlé vif à Aix, le 30 avril 1611, comme sorcier. M. de Monmerqué, dans ses notes sur Tallemant, cite à consulter sur lui l’Histoire admirable de la possession et conversion d’une pénitente séduite par un magicien, par le R. P. Séb. Michaelis (Paris, 1613). — Un membre de sa famille, Jacques Gauffredy, fût décapité en 1670. V. Tallemant éd. in-18, 8, 27.