Œuvres de Saint-Amant/L’Andromede

Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 44-62).

L’ANDROMEDE[1].

À Monseigneur, frère unique du Roy[2].


Epris d’une ardeur nouvelle
De monter jusqu’au sommet
Où la Muse qui m’appelle
La guirlande me promet,
Il me plaist que mon genie,
Dans cette douce manie,
Chante aujourd’hui pour les dieux
La fable presque estouffée
De la fille de Cephée,
Qui luit maintenant aux cieux.

Digne frère d’un monarque
Dont les armes et les lois
Sauvent des mains de la Parque
L’honneur du sceptre gaulois ;
Noble sujet de l’histoire,
Grand heros, de qui la gloire

N’entrera point au cercueil,
Et par qui dans cet empire
La vertu seule respire
L’air d’un gracieux accueil ;

Prince, à qui les destinées
Ont tissu de filets d’or
Les plus illustres années
Dont le temps face thresor,
En attendant que ma plume
Dans un précieux volume
Vous monstre à tout l’univers,
D’une faveur nompareille,
Grand Gaston, prestez l’oreille
Aux doux accens de ces vers.

Le jeune et vaillant Persée,
Aussi viste qu’un esclair,
D’une aile au vent balancée
Fendoit le vague de l’air,
Lorsque la triste Andromède,
Sans espoir d’aucun remède
À la mort qu’elle attendoit,
Se descouvrit à sa veue
D’autant de beautez pourveue
Que sa mère en prétendoit.

Là, pour expier le crime
Qu’un autre avoit perpétré,
Et que jamais on n’exprime
Qu’on n’en ait le cœur outré,
Cette vierge infortunée,
Au pied d’un roc enchaisnée,
Offrait son corps à Thetis,
Et devoit, sans cet Alcide,
Saouler d’un monstre homicide
Les furieux appetis.

Ses parens, un peu loing d’elle,
De longs cria perçans les cieux,
D’une passion fidelle
Demandoient secours aux dieux ;
Et voyans, à leur priere,
Par cette vaste carriere
Ce hardy prince voler,
Croyoient que ce fust Mercure
Qui fendist la nue obscure
Pour les venir consoler.

Aux charmes de ce visage,
Où deux astres esclattoient,
Il pensa perdre l’usage
Des plumes qui le portaient ;
Et peu s’en fallut que l’onde,
D’une œillade vagabonde
Contemplant cet amoureux,
Ne luy vist, comme un Icare,
Noyer en son sein barbare
Ses désirs trop genereux.

Enfin, r’appellant son ame
De ce long ravissement,
Devers l’objet qui l’enflâme
Il s’abbaisse doucement ;
Puis, imprimant sur l’areine
D’une allure autre qu’humaine
La distance de ses pas,
Plein de respect il s’approche
De l’impitoyable roche
Où l’on voyoit tant d’appas.

Ce chef-d’œuvre de nature,
Ce miroir de chasteté,
Qui mesme en cette posture
Observoit l’honnesteté ;

Cette innocente victime,
Qu’un oracle illégitime
Vouoit à ce triste sort,
Eut soudain, à sa venue,
Plus de honte d’estre nue
Que de crainte de la mort.

Aussi la pudeur atteste
Que, sans ses fers inhumains,
Sur son visage modeste
Elle auroit porté les mains,
Et qu’à l’heure on vit les roses
En ce beau visage escloses
Prendre la place des lis,
Qui, sous cette aymable honte.
Dont l’honneur tait tant de conte,
Furent presque ensevelis.

Cette pudeur virginale,
Luy rendant le teint pareil
À la clarté matinale
Qui devance le soleil,
Jointe aux pitoyables charmes
De son poil baigné des larmes
Qu’on lui voyoit espancher,
Garda qu’elle ne fut prise
Par ce beau neveu d’Acrise,
En tel lieu, pour un rocher.

Il est bien vray que sans peine
Il auroit pu desjà mieux
Sortir d’une erreur si vaine
Par les rayons de ses yeux ;
Mais, quoy qu’ils fissent paroistre.
Ne pouvoit-ce pas bien estre
Quelques diamants aussi,
Qui sur la roche natale

Où Nature les estale
Reluisoient à l’heure ainsi ?

D’ailleurs estoit-il croyable,
Et pouvait-on concevoir,
Qu’en un climat effroyable
Rien de si doux se peust voir ?
Ny qu’au milieu de l’Afrique
À qui le chant qui la pique
Noircit mesme jusqu’au sang,
Parmy des visages sombres
Où les corps passent pour ombres,
Il s’en trouvast un si blanc ?

Pendant qu’il la considere,
Bien que la discretion
En tous ses regards modere
La trop libre intention,
Elle pleure, elle souspire,
Tournant en bas, sans rien dire,
Ses yeux de honte animez ;
Et pense, au dueil qui l’emporte,
Se cacher en quelque sorte
Quand elle les a fermez.

Quelle influence perverse,
Luy dit-il, plein de pitié,
Dessus vostre teste verse
Sa cruelle inimitié ?
Dites-moy quelle fortune
Ose vous estre importune,
Beauté dont je suis espris,
Et me declarez encore
Sous quel nom on vous adore,
Si vous n’estes point Cypris.

Ô cieux ! quelle barbarie !
Quel execrable attentat !

Quel démon, quelle furie
Vous a mise en tel estat ?
Helas ! pourroit-on bien croire
Que celle de qui la gloire
Serait chérie aui enfers,
Et dont les beautez extresmes
Captiveraient les dieux mesmes,
Fust maintenant dans les fers ?

À cette juste semonce
Faite avec mille regrets,
Elle ne rend pour responce
Que gemissemens secrets ;
Mais son cœur en ce silence,
D’une douce violence
Faisant mouvoir son beau sein,
Semble, tant ce poinct le touche.
S’en fascher contre sa bouche,
Et s’enfler à ce dessein.

Il craint qu’il ne soit capable
De faire croire, en effet.
Qu’elle puisse estre coupable
De quelque horrible forfait ;
Et pour prévenir le blasme
Que peut engendrer en l’ame
Un si dangereux soupçon,
Après s’estre un peu forcée,
Elle addresse au beau Persée
Sa plainte en cette façon :

— Qui que vous soyez, dit-elle,
Que le sort guide en ces lieux,
Soit de la race mortelle,
Soit de la troupe des dieux ;
Je dy le sort, non l’envie
De venir sauver ma vie

Du péril où je la voy,
Car le Ciel m’est trop severe
Pour penser qu’en ma misère
On daigne avoir soin de moy.

Là, les sanglots et les larmes
Interrompent ce discours,
Et sa voix, pleine de charmes,
En reprend ainsi le cours :
Ne croyez pas que ces chaisnes
Me facent souffrir les gesnes
D’un supplice merité ;
L’innocence vous oblige,
En la peine qui m’afflige,
D’en ouyr la verité.

La reyne d’Étiopie,
Que ma mere, à mon malheur,
Je dois nommer, quoy qu’impie,
Est cause de ma douleur ;
Sa vanité fut bien telle
D’oser se dire plus belle
Que les Nymphes de la mer,
Qui, pour venger cet outrage,
Monstrent bien que leur courage.
Comme leurs flots, est amer.

Ces deïtez courroucées,
Portans le ressentiment
De leurs beautez offencées
Au delà du chastiment,
Ont voulu qu’un monstre enorme,
Un poisson d’horrible forme,
Vint affliger ce pays,
Et que mesme sur la terre
Sa cruauté fist la guerre
À nos peuples esbahis.

Pour empescher ses ravages,
Qui nous ont fait tant de mal,
Et délivrer nos rivages
D’un si funeste animal,
Soudain l’oracle on consulte,
On le prie en ce tumulte
De nous vouloir secourir ;
Mais sa fatale ordonnance
Trop dure à ma souvenance,
Ne parle que de mourir.

Il faut, dit-il, qu’on octroyé
Par un tribut annuel
Une noble fille en proya
À ce monstre si cruel.
Là ses mandements s’achèvent,
Là mille plaintes s’eslevent
Dont tout le temple fremit ;
L’idole sort de sa place,
D’effroy la lampe se glace,
Et l’autel mesme en gémit.

Enfin le sacré concierge
Commande qu’on jette au sort.
Pour connoistre quelle vierge
On doit livrer à la mort ;
Et moy, l’unique héritière
Presque de l’Afrique entière,
Ô lamentable destin !
Las ! je suis la malheureuse
Que cette loy rigoureuse
Prend pour son premier butin.

Comme sa bouche plaintive
Ce dernier mot prononçait,
On voit bien loin de la rive
Le monstre qui paroissoit.

La frayeur reprend son ame ;
Elle crie, elle se pasme
Dans les bras du desespoir,
Et le nocher de la Parque
Croit que bien tost dans sa barque
Son ombre se fera voir.

Le triste et désolé père,
Arrachant ses blancs cheveux,
Quoy que nulle ayde il n’espère,
Redouble à ce coup les vœux ;
Et la mère repentante,
D’une main fiere et tremblante
Voulant punir sa beauté,
De son sang signe en sa joue
Comme son cœur desadvoue
Ce qu’a dit sa vanité.

Est-ce là tout le remède,
Dit Persée, approchant d’eux,
Que l’innocente Andromede
Doit attendre de vous deux ?
N’avez-vous point d’autres armes
Que les complaintes, les larmes,
Les vœux et l’estonnement
Et verrez-vous sans obstacle,
D’un si périlleux spectacle
Le tragique evenement ?

Non, non, je suis trop sensible,
Et trop plein d’amour aussi :
À ma valeur invincible
Laissez-en tout le soucy ;
Seulement, en recompense
Des maux où, pour sa défense,
Je m’en vay me hazarder,
Vostre foy me soit donnée

Que sous un sainct hymenée
Je la pourray posseder.

Que si le temps qui nous presse
Et ma généreuse ardeur
Souffraient que de ma noblesse
Je vous disse la grandeur,
Vous sçauriez comme ce prince
Dont le ciel est la province
Et les dieux sont les subjets
Est mon pere veritable,
Qui m’a rendu redoutable
En tous mes fameux projets.

Vous sçauriez comme, pour guide
N’ayant que l’aveugle amour,
Ce monarque en or liquide
Se coula dans une tour ;
Que Danaé prisonniere
En ceste estrange maniere
Dans sa couche le receut ;
Et que, me faisant connestre,
Je puis seul me vanter d’estre
L’heureux fruict qu’elle conceut.

D’ailleurs, si de mes victoires
J’osois vous entretenir.
Vous en sçauriez des histoires
Dignes d’un long souvenir :
Là, je vous ferais entendre
Qu’en mon âge le plus tendre
J’ai poussé dans le cercueil,
Par les labeurs incroyables,
Ces Gorgonnes effroyables,
Qui s’entreprestoient un œil.

Bref, vous sçauriez que Méduse
Aux hideux crins de serpens,

Ma juste et mortelle ruse
À sentie à ses despens ;
Et s’il vous estait possible
De voir son visage horrible
Sans périr au mesme instant,
Ma main serait toute preste
De vous en monstrer la teste
Que je cache en la portant.

Il se teut là, pour entendre
Du triste roy, qui pleuroit,
Qu’il avoit droit de s’attendre
À plus qu’il ne requérait,
Car, outre sa chère fille,
Seul honneur de sa famille,
Que l’on luy vouloit oster,
Ses biens, sa personne mesme
Et son propre diadesme
Il le prioit d’accepter.

Muse, laisse là Persée
S’apprester à recevoir
Ce monstre qu’à ma pensée
Tes mystères ont fait voir,
Et, tournant icy ta veine,
Qui d’ardeur est toute pleine,
Vers ce prodige des flots,
Vueille si bien le dépeindre
Qu’il se fasse encore craindre
Aux plus hardis matelots.

Sa teste affreuse et superbe,
Aux marques qu’elle portait,
Du sang tombé sur de l’herbe
Vivement représentait ;
Ses prunelles embrasées
Ressembloient à ces fusées

Qui font leur effet dans l’eau,
Et jettoient tout droil en l’ame
À longues pointes de dame,
La froide horreur du tombeau.

Tout ainsi qu’une baleine,
Il avoit dessus les yeux
Deux tuyaux qui pour baleine
Soufflaient de l’eau jusqu’aux cieux
Sa gueulle de crocodile
Estoit un gouffre mobile ;
La mer s’abismoit dedans,
Et souvent sa langue noire
Se dardoit entre l’ivoire
Du triple rang de ses dents.

De mainte coquille dure
Qui sur le dos luy croissoit,
Comme d’une espaisse armure
Sa peau s’enorgueillissoit ;
Une espouventable queue
Moitié jaune et moitié bleue
Luy tournoyoit sur le corps,
Et par fois, en frappant l’onde,
Sembloit menacer le monde
De ses merveilleux efforts.

Ses pieds, qui du vieux Nerée
Sillonnoient les vastes champs,
Dans cette plaine azurée
Fichoient des ongles trenchants,
À le voir sur l’eau s’estendre,
Sa grandeur l’auroit fait prendre
Pour un vaisseau renversé,
Ou pour quelque isle flotante,
Ainsi que ta Grèce chante
Qu’elle en vit au temps passé.

Les vagues, d’horreur esmeues,
Autour de luy blanctaissoient ;
Les airs, se couvrans de nues,
Le jour en obscurcissoient ;
Le ciel en suoit de crainte
La terre en estait contrainte
D’esbranler ses fondemens ;
Bref, une fiere tempeste,
À l’aspect de cette beste,
Troubloit tous les elemens.

Comme aux lieux où Mars domine,
Pendant quelque horrible assaut,
Une foudroyante mine
Emporte quelqu’un en haut :
Tout de mesme en cet orage,
De l’ardeur de son courage
Persée estant emporté,
Haut sur le monstre s’eslance,
Aussi tost comme il s’avance
Vers le butin souhaitté.

Il fend l’air la main armée
D’un coutelas flamboyant ;
Sous luy, la beste animée,
S’enfle et gronde en le voyant.
Elle court, la gueule ouverte,
D’où sort une escume verte,
Après l’ombre du guerrier,
À qui, de cette entreprise,
La Gloire, en son ame esprise,
Offre desja le laurier.

Tel que descend le tonnerre
Sur quelque arbre audacieux,
Qui, de la part de la Terre,
Semble défier les Cieux ;

Tel, en fureur, il se jette,
Plus viste qu’une sagette,
Sur son ennemy cruel,
Et d’une profonde playe,
Courageusement essaye
À terminer ce duel.

Le monstre, tout en désordre
Du grand coup qu’il a receu,
Saute après luy pour le mordre,
Mais son espoir est deceu.
Alors la Nue, irritée
De se voir ainsi heurtée,
Se ramasse en tourbillons ;
Puis, soudain, quand il retombe,
La mer, qui sous luy succombe,
Pirouette à gros bouillons.

Tantost jusqu’au fond d’un gouffre
La rage le fait plonger,
Tantost les peines qu’il souffre
Hors de l’eau le font nager.
Il s’arreste, il se tourmente ;
La douleur qui s’en augmente
Luy fait pantheler le flanc,
Et par sa mortelle atteinte
L’onde d’alentour est teinte
De venin meslé de sang.

Toutes ces costes résonnent
De mugissements affreux,
Les Dieux marins s’en estonnent
Dans leurs antres les plus creux.
Ce bruit, venant en l’ouye
D’Andromede esvanouye
À soy la fait revenir ;
Ses fers à demy se laschent,

Et l’on diroit qu’ils se tachent
De la pouvoir retenir.

En la peur qui délibère
De la vaincre à cette fois,
Elle croit que de Cerbère
Ces longs cris sont les abois,
Alors, pensant estre morte,
Sa frayeur devient si forte
Qu’elle n’ose ouvrir les yeux,
Tant la chetive aprehende
De voir l’infernale bande
Remplir de spectres ces lieux.

Durant tout cela, Persée,
D’un effort impétueux,
Redonne à teste baissée
Sur le poisson monstrueux,
Et, luy perçant les entrailles,
Malgré ses dures escailles,
En ce martial esbat,
Son bras en deux coups achevé
Ce qui défaut à son glaive
Pour triompher du combat.

Mais afin que la mémoire
En dure éternellement,
Et qu’on chante sa victoire
Par tout solennellement,
Meu d’une louable envie,
Il veut, avant que de vie
Ce monstre soit despouillé,
En laisser des marques telles,
Que de les voir immortelles
Le Temps soit esmerveillé.

Lors, de la fatale teste
À cet effet il se sert,

Aux yeux mourants de la beste
L’opposant à descouvert.
Aussi tost en cette place
Un certain esprit de glace
Lui gaigne et fixe le corps,
Augmentant ainsi le nombre
Des rochers qui de leur ombre
Couvrent la mer en ces bords.

Toutefois de sa figure
Rien n’est métamorphosé ;
Elle en garde la structure,
Et l’on en est abusé :
Car d’abord le plus habile,
De ce qu’elle est immobile,
S’esbayt plus à la voir
Qu’il ne feroit en soy-mesme
Si, par un miracle extresme,
Il la voyoit se mouvoir.

Lors, comme sur un trophée,
Le vainqueur se met dessus ;
Les regards du bon Cephée
Soudain s’en sont appercus ;
Il en saute d’allegresse.
La reine, à ce signe, addresse
Sa course en haste à l’escueil.
Elle en asseure Andromede ;
Mais l’erreur qui la possède
Luy fait tousjours fermer l’œil.

Encore que de sa mere
Elle entende les accents,
Et que cette voix tempere
L’effroy qui trouble ses sens,
Elle pense estre trompée,
Ou que de Cassiopée

Le destin est racourcy :
Car, ayant commis le crime,
La raison veut qu’elle estime
Qu’elle en est punie aussi.

Est-ce vous donc, ô chère Ombre ?
Dit-elle en ouvrant les yeux.
Mais quoi ! dans l’Averne sombre
Voit-on la clarté des cieux ?
Je m’abuse, poursuit-elle.
Ô dieux ! sous vostre tutelle
Mes jours ont donc esté mis ?
Il est donc vray que la vie
Ne m’a point esté ravie,
Et que vous m’estes amis ?

Ouy, ma fille, il le faut croire,
Dit la mère en l’embrassant ;
Vous en devez rendre gloire
À leur secours tout puissant.
Un d’entre eux, en forme d’homme,
Que tout l’univers renomme,
À daigné vous assister :
C’est celuy qui sur la nue,
Par une route incognue,
Nous est venu visiter.

D’une valeur sans seconde
Le Monstre il a combattu ;
Ce cruel tyran de l’onde
À fleschi sous sa vertu,
Sous l’effort de son espée
Son audace est dissipée,
Rien ne l’en a garanty ;
Et mesme on croit que Neptune,
Touché de vostre infortune,
À sa mort a consenty.

Au reste, ô bonheur estrange !
Cet admirable vainqueur
Dessous vos beautez se range,
Et vous veut donner son cœur.
Amour, dont nul ne s’exente,
Tout ainsi qu’il le présente
Dit qu’il l’accepte pour vous.
Vostre bon pere l’approuve,
Et, quant à moy, je le trouve
Aussi juste qu’il est dous.

Ainsi cette belle reine
La princesse entretenoit,
Pour chasser du tout sa peine,
Tandis qu’on la deschainoit.
Ces mots lui flattent l’oreille,
Une douceur nompareille
L’engage à de nouveaux fers,
Et son ame enfin se noye
Dans une discrette joye
Des biens qui luy sont offerts.

Cependant qu’elle s’habille
D’un précieux vestement,
Qui semble, à l’or dont il brille,
Parler de contentement,
Le Roy, tout transporté d’aise,
D’autre part baise et rebaise
La main de son defenseur,
Et d’un cœur loyal ordonne
Que d’elle et de sa couronne
Il soit fait le possesseur.

De vouloir icy decrire
Les propos longs et charmans
Qu’a l’abord se purent dire
Ces beaux et parfaits amans,

C’est une chose où la Muse,
Se trouvant toute confuse,
N’a point d’assez hauts discours :
Il suffit qu’un hymenée,
Malgré le jaloux Phinée,
Recompensa leurs amours.

  1. Sans parler de l’Andromède de Racan, ou de la tragédie à machines de P. Corneille (1650), je citerai, dans les Tapisseries et peintures poétiques du P. Lemoine, une pièce sur le même sujet (V. la notice sur Saint-Amant).
  2. Il s’agit ici de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII. Le titre habituel du frère du roi, c’est Monsieur. On appeloit Monseigneur, absolument, le Dauphin ou fils aîné du roi.