LE CONTEMPLATEUR.
À Messire Philippes Cospean[1], evesque de Nantes.
Vous par qui j’espere estre exemt
De choir en l’eternelle flâme,
Apostre du siecle present,
Cause du salut de mon ame,
Divin prelat, sainct orateur,
Juste et souverain destructeur
Des infernales heresies ;
Grand esprit, de qui tout prend loy,
Et dont les paroles choisies
Sont autant d’articles de foy ;
Vous qui gardez d’un soin si dous
Le cher troupeau de vostre maistre,
Luy donnant, en despit des lous,
Le sacré pain de grace à paistre ;
Vray ministre d’estat du Ciel,
Cœur debonnaire, homme sans fiel,
Qui vivez comme font les anges,
Et meritez qu’en chaque lieu
On vous fasse part aux louanges
Que vous-mesme rendez à Dieu ;
Vous, dis-je, qui, daignant cherir
Les nobles travaux de la muse,
Avez voulu vous enquerir
À quoy maintenant je m’amuse ;
Je vous le veux dire en ces vers,
Où d’un art pompeux et divers
Je feray briller mes pensées ;
Et croy que les plus grands censeurs
Les verront si bien agencées,
Qu’ils en gousteront les douceurs.
Loin, dans une isle qu’à bon droit
On honora du nom de Belle[2],
Où s’eslève un fort qui tiendroit
Contre l’Anglois et le rebelle,
Je contente à plein mon desir
De voir mon Duc[3] à mon plaisir,
Sans nul object qui m’importune,
Et tasche à le garder d’ennuy,
Sans songer à d’autre fortune
Qu’à l’honneur d’estre auprès de luy.
Là, par fois consultant les eaux
Du sommet d’une roche nue,
Où pour voir voler les oyseaux
Il faut que je baisse la veue,
Je m’entretiens avec Thetis
Des poissons et grands et petis
Que de ses vagues elle enserre,
Et ne puis assez admirer,
Voyant les bornes de la terre,
Comme elle les peut endurer.
Mais elle m’en dit la raison :
C’est que le respect qu’elle porte
À Dieu, qui l’a mise en prison,
Ne luy permet pas qu’elle en sorte.
Il suffit qu’elle ait autrefois
Logé ses monstres dans les bois
Pour aider à punir nos crimes,
Et qu’elle ait surpassé les monts,
Pour nous plonger dans les abismes
Où trebucherent les demons.
Là dessus, me representant
Les tristes effets du deluge,
Quand au premier logis flotant
Le genre humain eust son refuge,
Je feins un pourtrait à mes yeux
Du bon Noé chery des cieux,
Pleurant pour les pechez du monde,
Et m’estonne, à voir tout perir,
Qu’enfin, au lieu d’accroistre l’onde,
Des larmes la firent tarir.
Puis, voyant passer devant moy
Une colombe à tire-d’aile,
Aussi tost je me ramentoy
L’autre qui luy fut si fidele ;
J’estime que le sainct Esprit
Dèslors cette figure prit
Pour r’asseurer sa foy craintive,
Et qu’entre cent arbres espais
Il choisit le rameau d’olive,
Pour luy-mesme annoncer la paix.
Tantost, faisant agir mes sens
Sur des sujets de moindre estofe,
De marche en autre je descens
Dans les termes du philosophe ;
Nature n’a point de secret
Que d’un soin libre, mais discret,
Ma curiosité ne sonde ;
Ses cabinets me sont ouvers,
Et, dans ma recherche profonde,
Je loge en moy tout l’univers.
Là, songeant au flus et reflus,
Je m’abisme dans cette idée ;
Son mouvement me rend perclus,
Et mon ame en est obsedée.
Celuy que l’Euripe engloutit
Jamais en son cœur ne sentit
Un plus ardent desir d’apprendre ;
Mais quand je veux bien l’esplucher,
J’entens qu’on n’y peut rien entendre,
Et qu’on se pert à le chercher.
Là, mainte nef au gré du vent
Sillonnant la plaine liquide
Me fait repenser bien souvent
À la boussole qui la guide ;
La miraculeuse vertu
Dont ce cadran est revestu
Foule ma raison subvertie,
Et mes esprits, en ce discort,
S’embrouillent dans la sympatie
Du fer, de l’aymant et du nort.
Là, considerant à loisir
Les amis du temps où nous sommes,
Une fureur me vient saisir
Qui s’irrite contre les hommes.
Ô mœurs ! dis-je, ô monde brutal !
Faut-il que le plus fier metal
Plus que toy se montre sensible !
Faut-il que, sans te reformer,
Une pierre dure au possible
Te fasse honte en l’art d’aymer !
Mais ô pourquoy me plains-je ainsi
Du peu d’amitié qui se trouve,
Si ce grand Duc qui règne icy
Pour moi tout le contraire prouve !
Ne reçoy-je pas tous les jours
Autant en effets qu’en discours
Des marques de sa bien-vueillance,
Et n’aquerrois-je pas le nom
Du cœur le plus ingrat de France
Si ma bouche disoit que non ?
Voylà comme en me reprenant
Avec ces dernieres parolles
Sur mon bon-heur m’entretenant,
Je rends les premieres frivolles ;
Voylà comme, selon l’objet,
Mon esprit changeant de projet,
Saute de pensée en pensée.
La diversité plaist aux yeux,
Et la veue en fin est lassée
De ne regarder que les cieux.
Tantost comme un petit batteau
Dans la bonace non suspecte,
J’apperçoy voguer sur cette eau
Le nid que l’orage respecte :
Pour luy le flot amer est doux,
Aquilon retient son couroux,
Saturne a l’influence heureuse,
Et Phebus, plein de passion,
Aide, en sa chaleur vigoureuse,
À faire éclorre l’alcyon.
Tout ce qu’autrefois j’ay chanté
De la mer, en ma Solitude,
En ce lieu m’est représenté,
Où souvent je fay mon estude.
J’y voy ce grand homme marin[4]
Qui d’un veritable burin
Vivoit icy dans la memoire.
Mon cœur en est tout interdit,
Et je me sens forcé d’en croire
Bien plus qu’on ne m’en avoit dit.
Il a le corps fait comme nous,
Sa teste à la nostre est pareille,
Je l’ay veu jusques aux genous,
Sa voix a frappé mon oreille,
Son bras d’escailles est couvert,
Son teint est blanc, son œil est vert,
Sa chevelure est azurée.
Il m’a regardé fixement,
Et sa contenance assurée
M’a donné de l’estonnement.
Un portrait qui n’est qu’ebauché
Represente bien son visage ;
Sous du poil son sein est caché.
Il a des mains le libre usage ;
De la droitte il empoigne un cor
Fait de nacre aussi rare qu’or,
Dont les chiens de mer il assemble.
Je puis croire un Glauque aujourd’huy ;
Bref, à nous si fort il ressemble,
Que j’ay pensé parler à luy.
De mainte branche de coral,
Qui croist sous l’eau comme de l’herbe,
Et dont Neptune est liberal,
Il porte un pennache superbe ;
Vingt tours de perles d’Oriant,
Riches d’un lustre variant,
En guise d’echarpe le ceignent ;
D’ambre son chef est parfumé,
Et, quoy que les ondes le craignent,
Il en est pourtant bien-aymé.
Tantost, lassé d’estre en repos
Sur un si haut et si dur siege,
Cherchant un lieu plus à propos,
Je tens aux lapins quelque piege ;
Tantost je tire aux cormorans,
Qui bas dans les flots murmurans
Tombent percez du plomb qui tue ;
Et se debattent sur ce bort,
Et leur vie en vain s’esvertue
D’eschaper des mains de la Mort.
Tantost, nous allant promener
Dans quelque chaloupe à la rade,
Nous laissons après nous traisner
Quelque ligne pour la dorade.
Ce beau poisson, qui l’apperçoit,
Pipé de l’espoir qu’il conçoit,
Aussi tost nous suit à la trace.
Son cours est leger et bruyant,
Et la chose mesme qu’il chasse
En fin l’attrape en le fuyant.
Quelquefois, bien loing ecarté,
Je puise, pour apprendre à vivre,
L’histoire ou la moralité
Dans quelque venerable livre ;
Quelquefois, surpris de la nuit
En une plage où pour tout fruit
J’ay ramassé mainte coquille,
Je reviens au chasteau, resvant,
Sous la faveur d’un ver qui brille
Ou plustost d’un astre vivant.
Ô bon Dieu ! m’escriay-je alors,
Que ta puissance est nompareille
D’avoir en un si petit corps
Fait une si grande merveille !
Ô feu qui, tousjours allumé,
Brusles sans estre consumé !
Belle escarboucle qui chemines.
Ton éclat me plaist beaucoup mieux
Que celuy qu’on tire des mines,
Afin d’ensorceler nos yeux !
Tantost, saisi de quelque horreur
D’estre seul parmy les tenebres,
Abusé d’une vaine erreur,
Je me feins mille objets funèbres ;
lion esprit en est suspendu,
Mon cœur en demeure esperdu,
Le sein me bat, le poil me dresse,
Mon corps est privé de soustien,
Et, dans la frayeur qui m’oppresse,
Je croy voir tout, pour ne voir rien.
Tantost, delivré du tourment
De ces illusions nocturnes,
Je considère au firmament
L’aspect des flambeaux taciturnes ;
Et, voyant qu’en ces dous desers
Les orgueilleux tyrans des airs
Ont appaisé leur insolence,
J’escoute, à demy transporté,
Le bruit des ailes du Silence,
Qui vole dans l’obscurité.
Treuvay-je au retour couvert mis,
J’entretiens mon duc à la table,
En tant comme il me l’est permis,
De quoique propos detectable ;
Je le fay rire de ma peur,
Je luy dy quel spectre trompeur
J’ay creu s’estre offert à ma veue,
Et, pour noyer tout mon soucy,
Sur un grand verra je me rue,
Où le vin semble en rire aussi.
Là, suivant les sujets du temps,
Tantost nous parlons de la digue
Où, vray prophète, je m’attens
De voir crever la jeune Ligue[5] ;
Tantost, les cœurs tous rejouis,
Nous celebrons du Grand louys
L’heur, la prudence et le courage,
Et disons que le Cardinal
Est à la France dans l’orage
Ce qu’au navire est le fenal.
Tantost, sur le bruit que l’Anglois
Une visite nous prépare,
Nous projettons tous les explois
De quoy la Victoire se pare.
Tenez-vous donc pour assuré
Que cet ennemy conjuré
Qui tant de faux desseins embrassa
En ce lieu propre à l’en punir
Sera receu de bonne grâce,
S’il nous oblige d’y venir.
Tantost, après minuict sonné,
Avant chez moy fait la retraitte,
D’un soing aux muses adonné,
J’escry comment Amour me traitte.
Tantost mesprisant son pouvoir,
Quoy que sans yeux, je luy fay voir
Par quel moyen on le surmonte,
Je me guery des maux souffers,
Et d’une genereuse honte
Ma raison brise tous ses fers.
Tantost, d’un son qui me ravit
Et qui chasse toute manie,
La saincte harpe de David
Preste à mon lut son harmonie.
Puis, jusqu’à tant que le sommeil,
Avec un plaisir sans pareil,
Me vienne siller la prunelle,
Je ly ces sacrez Testamens
Où Dieu, d’une encre solemnelle,
Fait luire ses hauts mandemens.
Tantost, levé devant le jour,
Contre ma coustume ordinaire,
Pour voir recommencer le tour
Au celeste et grand luminaire,
Je l’observe au sortir des flos,
Sous qui la nuit, estant enclos,
Il sembloit estre en sépulture ;
Et, voyant son premier rayon,
Beny l’autheur de la nature,
Dont il est comme le crayon.
Ainsi, dis-je en le regardant,
Verra-t-on, quoy que l’oubly face,
Au point du dernier jour ardant
Ressusciter l’humaine race ;
Ainsi, mais plus clair et plus beau,
Verra-t-on, comme ce flambeau,
Monter au ciel le corps du juste,
Après qu’avecques majesté,
Dieu, seant en son trosne auguste,
L’aura par sa bouche arresté.
Lors, d’un soucy grave et profont
Me ramassant tout en moy-mesme,
Comme on tient que nos esprits font
Pour faire quelque effort extresme,
L’immortelle et sçavante main
De ce fameux peintre romain[6]
N’a rien tracé d’émerveillable
Que ce penser de l’advenir,
Plein d’une terreur agreable,
Ne ramene en mon souvenir.
Là, resvant à ce jour precis
En qui toute ame saine espère ;
Jour grand, où l’on verra le fils
Naistre aussi tost comme le père.
Je m’imagine au mesme instant
Entendre le son eclattant
De la trompette serafique,
Et pense voir en appareil
Espouvantable et magnifique
jésus au milieu du soleil :
À ce bruit, que je doy nommer
La voix de la seconde vie,
Qui semble desjà ranimer
Celle que la Parque a ravie ;
À ce ton qui de bout en bout
Icy bas resveillera tout,
Et pour le deuil, et pour la joye,
Il n’est posture, quant au corps,
En quoy mon œil esmeu ne croye
Voir sortir du tombeau les morts.
L’un m’apparoist un bras devant ;
L’antre ne montre que la teste,
Et, n’estant qu’à moitié vivant,
Force l’obstacle qui l’arreste.
Cestuy-cy s’esveille en sursaut ;
Cestuy-là joint les mains en haut,
Implorant la faveur divine ;
Et l’autre est à peine levé
Que d’un cœur dévot il s Incline
Devers l’agneau qui l’a sauvé.
Près de là, le frère et la sœur,
Touchez de ce bruit dont tout tremble,
D’estre accusez d’inceste ont peur,
Pour se trouver couchez ensemble.
Icy, la femme et le mary,
Objet l’un de l’autre chery,
Voyans la clarté souhaittée,
Semblent s’estonner et gemir
D’avoir passé cette nuictée
Sans avoir rien fait que dormir.
Tel, qui n’eust sceu quasi marcher
Autrefois, travaillé des goutes,
Court maintenant et va chercher
Du ciel les glorieuses routes.
Tel, de qui le seul ornement
Fut d’estre vestu richement
Et d’avoir des valets sans nombre,
Esbahy de sa nudité,
N’est plus suivy que de son ombre,
Encore va-t-elle à costé.
L’un de parler est tout ravy,
Veu qu’il manquoit jadis de langue,
Et fait à Dieu, qu’il a servy,
Son humble et premiere harangue ;
L’autre, qui jamais du soleil
N’avoit veu l’éclat nompareil,
Pour estre aveugle de naissance,
Admire à présent sa couleur,
Dont il ignoroit la puissance,
Bien qu’il en connust la chaleur.
Bref, en cette apparition,
Ceux qui bien-heureux doivent estre
Sans aucune imperfection
Je me figure voir renestre.
Mais les meschans desesperez,
Pour qui desjà sont preparez
De l’enfer les tourmens enormes,
Ne se representent à moy
Que si hideux et si difformes
Que mon ame en transit d’effroy.
Il m’est advis qu’en mesme endroit
Je voy la divine balence
Peser et le tort et le droit
Sans faveur et sans violence.
Après ce jugement final
Donné sur le sainct tribunal
Devant qui Dieu veut qu’on responde,
Je croy que le haut element
Ne fait desjà de tout le monde
Qu’un globe de feu seulement.
Les estoiles tombent des cieux,
Les flâmes devorent la terre,
Le mont Gibel[7] est en tous lieux,
Et par tout gronde le tonnerre.
La salamandre est sans vertu,
L’asbeste[8] passe pour festu,
La mer brusle comme eau-de-vie,
L’air n’est plus que soufre allumé,
Et l’astre dont l’aube est suivie
Est par soy-mesme consumé.
Les metaux, ensemble fondus,
Font des rivieres precieuses ;
Leurs flots bouillants sont espandus
Par les campagnes spacieuses.
Dans ce feu, le dernier des maux,
Tous les terrestres animaux
Se consolent en quelque sorte,
Du déluge à demy vengez,
En voyant ceux que l’onde porte
Aussi bien comme eux affligez.
L’unique oyseau[9] meurt pour tousjours,
La nature est exterminée,
Et le Temps, achevant son cours,
Met fin à toute destinée.
Ce vieillard ne peut plus voler ;
Il se sent les ailes brusler
Avec une rigueur extresme ;
Rien ne le sçauroit secourir ;
Tout est destruit, et la Mort mesme
Se voit contrainte de mourir.
Ô Dieu ! qui me fais concevoir
Toutes ces futures merveilles,
Toy seul à qui, pour mon devoir,
J’offriray les fruits de mes veilles,
Accorde-moy par la bonté
La gloire de l’eternité,
Afin d’en couronner mon ame ;
Et fay qu’en ce terrible jour
Je ne brusle point d’autre flame
Que de celle de ton amour.
Et vous, dont les discours sont tels,
Accompagnez des bons exemples,
Que par leur fruit les vrais autels
Triomphent de tous les faux temples ;
Vous, dis-je, à qui j’escry ces vers,
Où dans la mort de l’univers
Un haut renom s’immortalise,
Vueillez estre leur protecteur,
Et permettez-moy qu’on y lise
Que je suis vostre adorateur.
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