Œuvres de Saint-Amant/La Metamorphose de Lyrian et de Sylvie
LA MÉTAMORPHOSE
de lyrian et de sylvie[1]
À Me D. L. B.
ruel et beau sujet de peines obstinées !
À quoy m’ont reservé les noires destinées,
Pour me faire souffrir en l’empire amoureux
Tout ce que les enfers ont de plus rigoureux ?
Puis que vous refusez à l’ennuy qui m’afflige
Le moindre allegement dont l’espoir nous oblige,
Puis que mesme les pleurs en secret epandus
Par vos severitez m’ont esté defendus,
Permettez qu’en ces vers, où je me veux depeindre
Sous un nom emprunté, mon cœur se puisse plaindre,
Et que mes passions vous content aujourd’huy
La grandeur de mon mal par la bouche d’autruy.
Je vous veux reciter la plus estrange histoire
Qui sur l’oubly mortel ait jamais eu victoire.
Facent les justes cieux qu’en fin, sans vous fascher,
Le merveilleux progrez vous en puisse toucher.
Sous le plaisant climat des Isles de Fortune,
Où tous les habitans font hommage à Neptune,
Un aymable berger demeuroit autrefois ;
Trop heureux si d’amour il n’eust suivy les lois.
Lyrian fut son nom, et celuy de la belle
Qu’à sa longue recherche il treuva si rebelle,
Sylvie, ainsi que vous, qui par la cruauté
Luy ressemblez aussi comme par la beauté.
On tient en ce pays, où vit sa renommée,
Qui jamais par les ans ne sera consommée,
Qu’au doux art qu’Apollon enseigne aux bons esprits,
Sur tous les plus diserts il emportoit le prix.
Mais ny tous ses discours ny son merite extresme,
Que l’envie etonnée admiroit elle-mesme,
Ne peurent disposer l’objet de ses desirs
À changer ses ennuis en autant de plaisirs.
Les prez delicieux et les bois solitaires,
Qui luy servoient alors de loyaux secretaires,
Sont encore tesmoins, et le seront tousjours,
De la fidelité de ses chastes amours.
C’estoient eux seulement qui connoissoient sa flame,
C’estoient eux seulement qui soulageoient son ame,
Quand, au fort des douleurs qui le persecutoient,
Avec quelque pitié sa plainte ils escoutoient.
Ô Dieux ! combien de temps fut-il à se resoudre,
Bien qu’il vit que son cœur s’alloit reduire en poudre,
À descouvrir sa peine aux yeux qu’il adoroit,
Tant la discretion en ses mœurs operoit !
Et, quoy qu’il peust souffrir, je croy que le silence
Auroit de son ardeur eteint la violence
Par le coup desiré d’une subite mort,
Avant qu’à son respect il eut fait tel effort.
Aussi nul n’en sceut rien jusqu’à ce que les arbres
Et les endroits unis des plus solides marbres
L’offrirent à la veue, escrite de sa main,
À cette belle Nymphe au courage inhumain.
Elle s’en offença. Dieux ! est-il bien croyable
Qu’une telle amitié luy fut desagreable ;
Qu’un orgueilleux dedain, comme absolu vainqueur,
Luy fit naistre aussi-tost la haine dans le cœur ;
Que ces chiffres d’amour si remplis de mysteres
Ne furent à ses yeux que de vains caracteres,
Et qu’elle les pût lire avecques ce penser
De ne les plus revoir que pour les effacer !
Las ! il n’est que trop vray, mais cette ame farouche
Ne s’en contenta pas : il fallut que sa bouche,
S’accordant à son cœur, plus dur qu’un diamant,
En prononçât l’arrest à ce fidelle amant.
Que ne luy dit-il point pour luy servir d’excuse !
Quelles vives couleurs n’employa point sa muse
À luy representer que cette affection,
S’autorisant en luy par la perfection
Des rares qualitez qui reluisent en elle,
Ne se pouvoit qu’à tort appeler criminelle,
Si la justice mesme et la raison aussi,
Qui font aimer les dieux, ne s’appeloient ainsi ;
Que l’astre souverain, dont la haute puissance
Regissoit les mortels au poinct de sa naissance,
Par un decret fatal ordonné dans les cieux,
Le voulut destiner à servir ses beaux yeux ;
Et que, quand son vouloir s’y fust rendu contraire,
Ses sentimens forcez n’eussent pu s’en distraire ;
De sorte que son ame, en sa captivité,
Ne faisoit qu’obeir à la necessité !
Ce n’est pas, disoit-il, qu’au milieu de ses chaisnes
D’un esprit tout content il n’en benist les gesnes ;
Qu’il n’estimast ce joug si doux et si plaisant,
Que la plus libre humeur l’eust treuvé peu pesant,
Et que, malgré le sort, de qui la violence
S’opposoit à son bien avec tant d’insolence,
Ce ne fut son desir d’aimer jusqu’au cercueil
L’objet qui luy faisoit un si mauvais accueil.
Mais ses intentions, si justement conceues,
Quoy qu’il peust alleguer, ne furent point receues.
Au contraire, on eust dit, à voir son fier maintien,
Qu’elle se deplaisoit en ce doux entretien,
Ce qu’elle confirma par une promte fuite,
De peur, comme je croy, qu’elle n’en fust seduite,
Tant il avoit de grace et d’eloquens appas,
À prouver qu’en l’aymant il ne l’offençoit pas.
ll essaya depuis, par mille bons offices,
N’espargnant aux destins ny vœux ny sacrifices,
À fleschir son humeur et luy faire sentir
Le profond mouvement de quelque repentir.
Ses douleurs, ses regrets, ses soupirs et ses larmes
Monstrans à tous propos leurs pitoyables charmes,
Y firent leur devoir et n’oublierent rien
Qui luy peust à la fin causer un si grand bien.
Cependant son amour trouva tout inutile,
Et mesme jusqu’aux vers dont l’admirable stile
Luy fit avoir le bruit d’immortel escrivain
Devant cette beauté se montrerent en vain.
Six ans estoient passez sans aucune esperance
De la pouvoir gaigner par la perseverance,
Quand il la rencontra comme elle alloit chasser
Un chevreuil que ses chiens venoient de relancer.
Quiconque a veu l’honneur des nymphes bocageres
Au milieu des genests, des houlx et des fougeres,
En queste d’un sanglier qu’avec ardeur et soing
Elle appelle au combat, l’arc et la flesche au poing,
Se peut imaginer l’aspect grave et celeste,
L’équipage, l’habit, la stature et le geste
De la belle Sylvie entrant dedans le bois
Pour atteindre la proye et la mettre aux abois.
Soudain que Lyrian, comblé d’inquietude,
Eust ainsi decouvert en cette solitude
Celle à qui ses douleurs demandaient du secours,
En courant apres elle il lui tint ce discours :
As-tu donc resolu, Sylvie,
De fermer l’oreille à mes cris
Et les yeux à mes doux escrits,
Qui parlent si bien de ta vie ?
As-tu fait avecques mon sort
Que mon avanture soit telle,
Pour t’avoir rendue immortelle,
Qu’il faille me donner la mort ?
Mon triste cœur, qui se lamente,
Conte que le monde et le temps
Sont presque envieillis de sept ans
Depuis que l’amour me tourmente.
Crois-tu que ce peu de vigueur
Qui paroit en ma resistance
Me puisse fournir de constance
Contre une eternelle rigueur ?
Te verray-je tousjours farouche
Errer dans ce bois ecarte,
Que ton insensibilité
Pourroit accroistre d’une souche ?
Helas ! je ne puis plus courir,
Tant la douleur me rend debile ;
Insensible, sois immobile
Seulement pour me voir mourir.
Au moins declare-moy, de grace,
Qui te meine en ces sombres lieux,
Où le ciel avec tous ses yeux
Ne sçauroit voir ce qui s’y passe.
Est-ce pour cacher la splendeur
Des astres de ton beau visage,
Ou ne cherches-tu de l’ombrage
Que pour conserver ta froideur ?
En vain ta rigueur inflexible
Te porte à ce mauvais dessein,
Que tout esprit qui sera sain
N’estimera jamais possible ;
Si ce n’est que la verité
Nous fasse voir par quelque preuve
Que devant le soleil on treuve
La fraischeur et l’obscurité.
Hé ! ne crains-tu point la furie
De ces animaux enragez,
Qui tant de fois ce sont chargez
De l’honneur de ma bergerie ?
Non, tu les verrois sans effroy,
Et leur irois faire la guerre,
Sçachant bien qu’en toute la terre
Rien n’est cruel au prix de toy.
Fiere Nymphe, qui fais trofée
D’un naturel sans amitié,
Et triomphes de la pitié
Dessous ton orgueil estouffée,
Quoy ! tu ne veux pas revenir !
Et les ronces, en m’ayant plaindre,
Afin que je te pusse atteindre
Ont taché de te retenir !
Dieux ! qui vit jamais telle chose !
On peut bien dire maintenant
Que l’espine en te retenant
À plus de douceur que la rose.
Je te compare à cette fleur
Par ta beauté qui lui ressemble,
Bien qu’elles different d’ensemble
En la cause de la couleur.
Car cette agreable merveille
Que Flore met à si haut pris
De la piqueure de Cypris
Est devenue ainsi vermeille ;
Mais la rougeur de ton beau teint,
Où j’ay lu mon triste salere,
Ne provient que de la colere
Dont au vif ton cœur est atteint.
Sylvie, en quoy t’ay-je offencée
Pour t’irriter comme tu faits ?
Le souvenir d’aucuns forfaits
Ne revient point dans ma pensée.
Si ton jugement animé
Contre ma flamme legitime
Tien que tout excez est un crime,
J’ay failly, car j’ay trop aimé.
Mais mon humeur est incapable
De reprouver cette action,
Et par l’extrême affection
Je fay gloire d’estre coulpable ;
Mesme je tiendray pour constant,
Quoy qu’à l’encontre on me rapporte,
Que tout peché de cette sorte
Ne s’amende qu’en s’augmentant.
Miserable ! où vont ces paroles !
Helas ! à quoy t’amuses-tu !
Tes raisons n’ont point de vertu,
Et tes complaintes sont frivoles.
Dieux ! après tant de maux souffers
Dont mon cœur peut montrer les marques,
Viendra-t’il point une des Parques
M’ouvrir la porte des enfers !
Ha ! je sens faillir mon courage,
Mes esprits se vont consommer ;
Je ne sçay plus que reclamer
Au fort d’un si cruel orage.
Profondes horreurs du trespas,
Gouffres beants, noirs precipices,
Si vous voulez m’estre propices,
Presentez-vous devant ses pas.
Quand j’aurois l’une de ces pommes
Dont Hippomene se servit,
Et par qui cet amant se vit
Le plus heureux de tous les hommes,
Celle à qui j’ay veu rejetter
L’empire entier de tout le monde
À sa simple figure ronde
Ne se voudroit pas arrester.
Elle est une roche en sa haine,
Et moy, qui suis un feu d’amour,
Je la suivray donc nuit et jour,
Et ma poursuite sera vaine !
Ô nature ! écoutez un peu
Ce qu’à bon droict je vous reproche !
Comment ! vous souffrez qu’une roche
Soit plus legere que du feu !
Vous endurez, à vostre honte,
Que l’on viole ainsi vos loix !
Cette roche entendra ma voix,
Et n’en fera donc point de conte !
Que mon jugement se confont !
S’il estoit vray qu’elle fust telle,
Pourquoy ne me repondroit-elle,
Comme toutes ces autres font ?
Ainsi, las de courir et vaincu de tristesse,
De voir que par sa dame il l’estoit en vistesse,
Le pauvre Lyrian s’abandonne aux regrets,
Lasche de sa vigueur les mouvemens secrets,
Renonce à la constance, et, dans son ame outrée
Le sanglant desespoir ayant fait son entrée,
Comme fait un tyran dans quelque lieu forcé
Où la confusion a tout bouleversé,
Invoque les demons, profere maint blaspheme,
Conservant toutesfois en cette rage extreme
Le respect de Sylvie, et faisant son effort
À faire vivre Amour au milieu de la mort.
Celuy qui pour Dafné se vit en mesme peine,
Et ce dieu des bergers qui jadis, hors d’haleine,
Pensant prendre Syringue au bord des claires eaux,
N’embrassa pour un corps que de fresles roseaux,
Eurent tant de pitié de ce qu’en son martire
Un juste sentiment alors luy faisoit dire,
Qu’eveillans leur colere à ce tragique objet,
Ils jurerent soudain d’en punir le sujet.
L’effet suit la menace : on la voit transformée,
Cette ingrate beauté, si vainement aimée ;
Chacun de ses cheveux se herisse en rameau,
Et de superbe nymphe elle devient ormeau.
Durant qu’en cet estat ses pieds prennent racine,
Lyrian, assisté d’une faveur divine,
À le temps de l’atteindre et le bien de la voir,
Premier qu’il expirast, reduite en son pouvoir.
Dieux ! ce dit-il alors, qui par cette avanture
Enseignez à mes yeux ce que peut la nature,
Faites qu’à ce beau tronc si dur à la pitié
Mon cœur puisse à jamais montrer son amitié !
Il finit par ce mot pour en estre l’exemple,
Et son corps s’attachant à l’arbre qu’il contemple
Se change en mille bras tournoyans à l’entour,
Dont il acquit le nom de symbole d’amour ;
Bref, ce fidelle amant n’est plus qu’un beau lierre,
Qui, sur la tige aimée, en s’elevant de terre,
Cherche en sa passion, qu’il tasche d’appaiser,
La place où fut la bouche, afin de la baiser.
Chaque feuille est un cœur qui montre en sa verdure
Comme il l’avoit requis, que son amitié dure ;
La preuve s’en confirme en ses embrassemens,
Et tout se perd en luy, hormis les sentimens ;
Car on diroit, à voir ses branches enlacées,
Que, se ressouvenant de ses peines passées,
Et voulant conserver son bien present aussi,
De peur qu’il ne s’echappe, il l’environne ainsi.
Orgueilleuse Sylvie, à qui ces vers s’adressent
Que je serois heureux, dans les maux qui m’oppressent,
Si j’osois esperer qu’au moins après la mort
J’obtinsse quelque jour un pareil reconfort !
Mais, au contraire, helas ! vos rigueurs sont si grandes,
Que j’ay beau les flater des plus dignes offrandes ;
Je croy qu’elles voudroient que je fusse immortel,
Afin tant seulement que mon ennuy fust tel.
- ↑ À l’imitation d’Ovide, plusieurs poètes, avant et après Saint-Amant, ont fait de ces sortes de pièces. Une des plus célèbres est la Métamorphose des yeux de Philis en astres, par Germain Habert de Gérisy. V. aussi le Temple des muses, 3e partie, publié en 1611, par Raphaël de Petit-Val, et les Œuvres du P. Lemoine.