Œuvres de Saint-Amant/Imprecation


Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 176-177).

IMPRECATION.


Si jamais j’entre dans Evreux,
Puissay-je devenir fievreux !
Puissay-je devenir grenouille !
Puissay-je devenir quenouille !
Que le vin me soit interdit,
Que nul ne me fasse credit,
Que la tigne avec la pelade
Se jette dessus ma salade,
Que je serre de Jacquemart,
Qu’on me coupe le βραχεμαρτ ;
Bref, que cent clous gros d’apostume,
Noirs et gluans comme bitume,
M’environnent le fondement,
Si j’y songe tant seulement.

Qu’à jamais la guerre civile
Trouble cette maudite ville ;
Que Phebus, qui fait tant le beau,
N’y porte jamais le flambeau ;
Qu’il y pleuve des halebardes,
Que tout ce que jadis nos bardes
Ont prophetisé de malheurs,
D’ennuis, d’outrages, de douleurs,
De poison, de meurtre, d’inceste,
De feu, de famine et de peste,
S’y puisse bien-tost accomplir,
Et tout son domaine en remplir.


Voilà ce qu’une ire equitable
Fit prononcer, estant à table,
De haine ardemment excité
Contre cette infame cité,
Au plus benin de tous les hommes
Qui boivent au temps où nous sommes.

Ô bon yvrongne ! ô cher Faret !
Qu’avec raison tu la mesprises !
On y voit plus de trente eglises,
Et pas un pauvre cabaret.