Œuvres de Saint-Amant/L’Enamouré


Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 177-178).

L’ENAMOURÉ.


Pardieu ! j’en tiens, c’est tout de bon,
Ma libre humeur en a dans l’aile,
Puis que je prefere au jambon
Le visage d’une donzelle.
Je suis pris dans le doux lien
De l’archerot idalien.
Ce dieutelet, fils de Cyprine,
Avecques son arc my-courbé,
A feru ma rude poitrine
Et m’a fait venir à jubé[1].

Mon esprit a changé d’habit :
Il n’est plus vestu de revesche[2] ;
Il se r’affine et se fourbit
Aux yeux de ma belle cheyesche[3].
Plus aigu, plus clair et plus net

Qu’une dague de cabinet,
Il estocade la tristesse,
Et, la chassant d’autour de soy,
Se vante que la politesse
Ne marche plus qu’avecques moy.

Je me fay friser tous les jours,
On me releve la moustache ;
Je n’entrecoupe mes discours
Que de rots d’ambre et de pistache ;
J’ay fait banqueroute au petun ;
L’excès du vin m’est importun :
Dix pintes par jour me suffisent ;
Encore, ô falotte beauté
Dont les regards me deconfisent,
Est-ce pour boire à ta santé !


  1. M’a soumis.
  2. Revesche, étoffe de laine à poil long, fabriquée en Angleterre.
  3. Chouette, fresaye.