Œuvres de Saint-Amant/Epistre à M le baron de Villarnoul

LES OEUVRES
DU SIEUR DE
SAINT-AMANT


TROISIESME PARTIE.


EPISTRE

À Monsieur le baron de Villarnoul.


Chère moitié[1] (si le Gros qui t’adore
De ce doux nom t’ose appeller encore),
Grand Villarnoul, ouy grand, quoy que petit,
Est-il donc vray que lors que tout rostit,
Que quand l’air mesme estouffe et se consume,
Que quand ycy l’onde mesme s’allume,
Et que la terre expire sous l’ardeur[2],
Toy seul pour moy vives dans la froideur ?
Le dois-je croire ? ay-je commis un crime

Qui rende au jour ta glace legitime ?
Je n’en sçay rien : j’ay tout veu, tout cherché,
Brin après brin je me suis espluché ;
J’ay pris le seing, j’ay pris la patience
D’examiner ma propre conscience,
Et quelquesfois plus cruel et plus chaud
Qu’un lestrigon, qu’un tigre, qu’un brachaud,
J’ay fait souffrir torture sur torture
À l’innocente et pauvre creature,
Sans que jamais mon cœur ait pû sçavoir
Rien qui blessast ta gloire et mon devoir.
Dy-le-moy donc, au moins fay que je sache
Si par malheur j’ay honny d’une tache
Le beau minois du service eternel
À toy promis sous maint vœu solennel ;
Escry-le-moy, ne laisse plus en peine
Un franc esprit qui t’accuse de haine ;
Je dy de hayne, ayant quelque soupçon
Qu’il y va plus que d’un simple glaçon :
Car autrement, seroit-il bien possible
Que ta vertu, si prompte et si sensible
Aux saints respects qu’on doit à l’amitié,
Eust consenty, trahissent ta pitié,
À me priver de l’honneur de ta veue,
Sans qui la mienne est presque despourveue
De ce plaisir nompareil et divin
Qu’elle goustoit au pur esclat du vin ?
Fay-moy citer pour ouyr des reproches ;
Assembles-y tes parens les plus proches
Appelles-y, qui vaut bien des parens,
Nostre effectif, nostre cher Sainct-Laurens ;
Et si tu veux, pour augmenter ma honte,
Fay que ses sœurs, dont je fay tant de conte,
Avec leur niece au front si plein d’attraits,
Aux yeux si beaux, soient presentes aux traits,

Aux traits aigus, traits empennez de blame,
Qui de ta langue entreront dans mon ame,
À mesme temps que d’un charme vainqueur
Un doux traict d’œil entrera dans mon cœur ;
Un doux trait d’œil ! mais, pour me mettre en poudre,
Peut-estre, helas ! sera-ce un trait de foudre
Que le desdain et le ressentiment
Dessus mon chef lanceront justement.
Aussi bien suis-je un ingrat, je l’advoue,
Un paresseux, digne qu’on me rabroue ;
Qu’on me condamne, à peine du bouleau,
À ne trinquer de six mois que de l’eau,
D’avoir esté presque une année entiere
En mon logis comme en un cimetiere,
Sans avoir fait chez elles un seul jour
Pour leur chanter ou bonsoir ou bonjour.
Mais, quant à toy, je ne sçaurois comprendre
Qui t’a fasché, quel sujet t’a pu rendre
Si mol, si dur, lequel il te plaira,
Envers celuy qui t’ayme et t’aymera.
Tiendrois-tu point la raison offensée
De ce qu’un homme, aveugle en sa pensée,
N’a pu prevoir, comme auroit fait un dieu,
À point nommé ta venue en ce lieu ?
Si c’est cela, ma faute je confesse,
De deviner je n’eus jamais l’adresse ;
Je suis vaincu, j’ay tort d’estre un mortel ;
Mais quel remede ? un pere m’a fait tel.
Il est bien vray que, si quelque bon ange
M’eust adverty par un moyen estrange
Que tu devois arriver chés Monglas[3],

Chez ce cher hoste, aussi froid que verglas,
J’aurois esté des premiers à sa porte
Pour t’embrasser d’une estreinte si forte,
Qu’un mois après tes deux petits costez
En eussent dit : Of ! nous sommes gastez.
Et tant s’en faut que dans cette demeure
J’eusse manqué de te rendre à toute heure
Ce que l’amour exige d’un amy,
Qui comme moy n’ayme point à demy ;
Tant s’en faut, dis-je, ame par trop changée,
Que ta presence eust esté negligée.
L’aspre desir de sa possession
Faisoit alors ma seule passion
Je m’en allois jusqu’en cette province
Où plein d’honneur tu vis en petit prince,
Où ta fortune au gré de ta vertu,
Brille et te traitte à bouche que veux-tu.
J’allais te voir en ton noble mesnage,
Où l’on m’a dit qu’ardent au jardinage,
Tu ne fais plus que fouyr, que planter,
Qu’arbre sur arbre en la saison enter ;
Qu’en bonne terre espandre la semence ;
Qu’un travail fait, soudain l’autre commence,
Et qu’en cela prenant ton seul deduit,
Il t’en revient maint agreable fruit.
Je voulois voir en ton sejour champestre
Comme des soins une ame se depestre ;
Je voulois voir cet antique palais
Où bien-heureux, tu connois que tu l’es ;
Où ton repos se fonde et s’ediffie
Sur le rocher de la philosophie,
Où l’on t’adore, où tu manges ton bien,
Non comme un fat qui ne parle que chien,
Mais comme un homme à qui dans maint beau livre,
Maint sage mort aprend l’art de bien vivre ;

Où ta raison fait la nique à la cour,
Où la trompette et le bruit du tambour,
Qui t’ont jadis enchanté les oreilles,
Sont postposez aux douceurs nompareilles
Des rossignols, du murmure des eaux
Et des zephirs qui flattent les roseaux ;
Bref, où, content de ton bonheur extresme,
Tu fais ton sort, tu jouys de toy-mesme,
Et peux par là dire que tu jouys
D’un bien qui vaut cent caques de louys.
Ouy, tu les vaux, et c’est ce qui me greve,
C’est ce qui fait que de despit je creve,
De perdre un cœur des Graces advoué,
Et je ne l’ay ny trahy ny joué.
Plustost mourir, tous les dieux j’en atteste ;
Plustost me vienne et le cancre et la peste,
Que, d’un venin emprunte des serpens,
On vist ma langue agir à tes-despens ;
Car, ô Baron ! bienque je puisse dire
Qu’onc ce ne fut (encore faut-il rire)
Pour tes beaux yeux que ma raison t’aima,
Pour ton beau nez que mon cœur s’enflama,
Non plus que toy pour ma grosse bedaine,
Ou pour ma trongne ample, bachique et saine,
Si m’a-t’on veu te depeindre tousjours
Comme un objet digne de mes amours.
Je t’ay fait grand, j’ay relevé ta mine,
J’ay dit qu’en foy ton ame est une hermine,
J’ay celehré tes gentilles humeurs,
Ton bel esprit, ton courage, tes mœurs,
Et n’ay menty qu’en parlant de ta taille ;
Le reste est vray : je donneroy bataille
À coups de poing, voire à coups de canon,
Contre l’enfer, s’il me disoit que non.
Mais revenons à ta metamorphose.

Enfin mon œil en descouvre la cause ;
Je suis au but, j’ay la clef du secret,
Et vay l’ouvrir avec un tel regret
Qu’entre les dents j’en dy ma patenostre ;
Une Moitié t’a fait oublier l’autre :
J’ay tout compris : c’est, c’est ce bel hymen,
Pour qui ma bouche oncques n’a dit amen ;
C’est ce beau nœu, c’est ce bel androgine
Qui de mon mal est la seule origine.
L’amour du corps vainq l’amour de l’esprit,
Et l’on me rend ainsi que l’on me prit.
Non pas ainsi, non pas, de par le diable !
Dix ans de plus me font moins agreable ;
Mais scais-tu bien si je me reprendray,
Et si de moy moy-mesme je voudray ?
Crois-tu, cruel, que de nos deux genies,
Dont on voyoit les volontez unies,
Et dont chacun prisoit l’affection,
J’aille signer la separation ?
L’esperes-tu ? penses-tu que par force
Ma loyauté consente à ce divorce ?
Tu pers ton temps : non, je n’en feray rien,
Et malgré toy je seray tousjours tien.
Tu me diras que pour reluire au monde
Il te falloit une moitié feconde,
Qui t’enrichist d’enfans et doux et beaux
Plus que le ciel n’est riche de flambeaux.
Le vain pretexte ! ô qu’il est puerile !
Viens ça, perfide ! et moy, suis-je sterile ?
Et mon esprit ne t’en produit-il pas
Qui sont pourveus de graces et d’appas ?
Dès qu’ils sont nez, ils causent, ils se jouent ;
Ils vont tous seuls, ils censurent, ils louent,
Il ne leur faut nourrice ny valet,
Il ne leur faut ny fraize ny colet ;

Quoy que tous nuds, ils semblent estre braves ;
Leurs libres pieds haïssent les entraves ;
Du sot vulgaire ils detestent l’erreur ;
Ils ont sur tout la bassesse en horreur ;
Pour leur fortune aucun grand ils ne prient ;
Ils ne sont point de ces oiseaux qui crient :
Fay-moy du bien et j’en diray de toy ;
Tous gueux qu’ils sont, ils ont un cœur de roy :
Ils dancent droit, ils chantent sans se feindre ;
Le penser mesme ils se meslent de peindre ;
Ils font briller la rime et la raison ;
La flatterie est un lasche poison
Que leurs papiers ne souffrent ny ne baillent ;
Ils sont hardis, ils gourmandent, ils raillent,
Mais noblement et tousjours à propos,
Et quelquefois ils discourent des pots.
Tantost enflez des sciences infuses,
Ils vont si haut sur le Bayard des muses,
Que ce destrier, leur bon et cher amy,
Paroist sous eux moindre qu’une fourmy.
Tantost plus pronts que le vent sur la vague,
Aux yeux des sœurs courans sur luy la bague,
Ils font merveille, et par cent beaux dedans
Frustrent l’espoir aux autres pretendans :
Tantost en lice, et contre Apollon mesme,
Qui fait par fois, pour le prix du poëme,
Mettre la selle à quelqu’un des chevaux
Dont il se sert au char de ses travaux,
Ces paladins osent baisser sa lance,
Font chanceler sa roide corpulence ;
Et d’autres jours, à l’honneur du pasquin,
Deffiants Môme, ils rompent au facquin[4] ;
Tantost leur bouche annonce des oracles,

Tantost leur voix tacite des miracles,
Et ces beaux fils, de gloire accompagnez,
Ne sortent point qu’ils ne soient bien peignez.
En fin de conte ils parlent de la guerre,
Du feu, de l’air, de l’onde et de la terre ;
Leur cœur ne craint ny le temps, ny le sort,
Et, qui plus est, ils incaguent la mort.
Regarde un peu si ta moitié nouvelle
Fait des enfans comme fait ma cervelle,
De beaux enfans qu’il ne faut point nourrir
Et dont le corps ne peut jamais pourrir.
Plust au bon Dieu, pour le bien de ta race,
Chere à mes soins, quelque tort qu’on me face,
Que ton amour, t’espargnant mille ennuis,
T’en fist de tels en ses secondes nuicts !
J’en benirois l’injurieuse flame,
Et l’on verroit et ta bourse et ton ame
Hors d’un soucy qui n’est pas tant leger ;
Mais ces fruicts-là sont d’un autre verger
Que de celuy que la nature humaine
Plante et cultive avec plaisir et peine.
La chair perit, et l’immortalité
À l’esprit seul donne sa qualité ;
Elle la donne à ses labours encore ;
Elle permet qu’au beau nom qu’il honore,
Comme sans fard Saint-Amand fait le tien,
Il communique un si celeste bien ;
Et si, Baron, mon espoir ne se trompe,
Quoy que le temps toute chose corrompe,
Mon Villarnoul en mes vers brillera
Tant que la terre ou le ciel tournera,
Ou que tous deux ils tourneront ensemble.

Lequel crois-tu ? dy-moy ce qu’il t’en semble,
Puis que la mont, d’un tragique laurier,
A couronné nostre cher Du Maurier[5],
Nous a ravy, dans un aspre meslée,
Ce grand second du fameux Galilée,
Qui seul pouvait nous regler là-dessus
Par ses discours si fortement conceus,
Que l’œil du jour et les autres planettes
Sembloient n’oser dementir ses lunettes,
Et qu’on eust dit, à ses vives raisons,
Qu’il eust desjà logé dans leurs maisons.
Or comme un pape il y loge à cette heure,
Il rit là-haut cependant qu’on le pleure ;
Il void sans yeux ce qu’il a debité,
Sçait si la lune est un orbe habité
De farfadets ou de cocquesigrues,
Connoist au vray si l’on nous prend pour grues
De nous chanter des taches au soleil ;
Sçait si ce globe, en vertu sans pareil,
Fixe et mobile est au centre du monde,
Où sur un point, faisant en soy la ronde,
L’on tient qu’il donne aux autres la splendeur,
Le mouvement, l’influence et l’ardeur ;
Cette belle ame enfin est esclaircie
De cent erreurs dont la nostre est farcie ;
Elle sçait tout, elle ne doute plus,
Et nos regrets sont vains et superflus.
Puissions-nous avec elle un jour boire
Du doux nectar que lui verse la gloire !
Et puisses-tu si bien te repentir
Qu’en mes soupçons tu me fasses mentir !
Ce rare amy, que d’encens je parfume,

S’est par hazard rencontré sous ma plume ;
J’en suis bien aise, et peut-estre qu’aux cieux,
Sa joye en forme un sousris gracieux.
Saches au reste, à l’honneur de mon stile,
Que ma vieillesse est encor si fertile,
Que tous ces vers, fabriquez brusquement,
Sont les efforts d’un seul accouchement.
C’est trop escrit, c’est trop, cher infidelle :
Il faut finir avecques la chandelle ;
J’ay fait binet pour me rendre en ce lieu
ll va s’esteindre, il tombe, il meurt. À Dieu.

  1. C’estoit nostre mot d’alliance. (S.-A.)
  2. Cette pièce fut faitte l’an 1646, où la chaleur fut extresme, et je m’y plains de ce que mon amy estoit arrivé à Paris sans m’estre venu voir. (S.-A.)
  3. M. Monglas, ancien hôte de Saint-Amant. Il mourut vers le 22 décembre 1661, et Saint-Amant mourut dans sa maison le 29 décembre de cette année. (Voy. la Notice.)
  4. Cette phrase métaphorique fait allusion à un exercice de carrousel. Courir le faquin ou rompre des lances à la quintaine avoient même sens.
  5. Nous ne connoissons aucun ouvrage de « ce grand second du fameux Galilée », plus connu par ses ambassades.