SUR LA RADIOACTIVITÉ DES GAZ QUI SE DÉGAGENT DE L’EAU DES SOURCES THERMALES.

En commun avec A. LABORDE.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXXVIII, p. 1150,
séance du 9 mai 1904.


MM. Elster et Geitel ont montré que les gaz de l’atmosphère et ceux extraits du sol possèdent une certaine conductibilité électrique et provoquent la radioactivité induite. Plus tard on trouva que les gaz extraits des eaux de source présentent aussi ces propriétés, mais d’une façon beaucoup plus sensible. Enfin des recherches récentes ont montré que ces effets proviennent de la présence dans les gaz d’une émanation analogue à celle que dégage le radium. La radioactivité des gaz conservés en vase clos diminue en effet de moitié en 4 jours.

Nous avons principalement étudié la radioactivité des gaz qui se dégagent spontanément au griffon d’un grand nombre de sources, et nous avons essayé de faire des déterminations quantitatives : ce n’est en effet qu’en donnant des valeurs numériques que l’on pourra comparer les résultats obtenus dans diverses recherches.

Les Compagnies qui exploitent les sources ont bien voulu recueillir les gaz dans des flacons bouchés et nous les envoyer immédiatement en prenant les précautions nécessaires pour éviter les fuites. Nous introduisons les gaz préalablement desséchés dans une boîte cylindrique fermée en laiton ; cette boîte constitue l’armature externe d’un condensateur cylindrique dont l’armature interne est une tige en laiton isolée placée suivant l’axe de la boîte.

La boîte cylindrique étant portée à un potentiel de 200 à 300 volts et la tige intérieure étant en relation avec un électromètre, nous mesurons par la méthode du quartz piézo-électrique le courant électrique (courant de saturation) qui traverse le condensateur.

Le courant électrique s’établit dès l’introduction du gaz ; il augmente ensuite assez rapidement pendant quelques heures par suite de la formation de la radioactivité induite sur les parois de la boîte. Le courant décroît ensuite lentement ; et généralement, à partir de 24 heures après l’introduction du gaz, la loi de décroissance est celle de l’émanation du radium.

Nous donnons dans le Tableau ci-joint les valeurs du courant (i × 10³ en unités électrostatiques) obtenu dans notre appareil 4 jours après que le gaz a été recueilli à la source (les nombres qui figurent dans ce Tableau correspondent à des mesures faites au moins 12 heures après l’introduction du gaz dans le condensateur.

En donnant le courant et les dimensions du condensateur, on peut caractériser d’une façon suffisante la quantité d’émanation contenue dans le gaz. (Longueur du condensateur : 13 cm ; rayon du cylindre extérieur : 3,5 cm ; rayon du cylindre intérieur : 0,2 cm).

Toutefois il est préférable de définir la quantité d’émanation contenue dans le gaz par une comparaison directe avec celle qui est dégagée en un temps donné par une solution titrée de bromure de radium pur.

Dans ce but, une solution contenant 0,00001 g de bromure de radium pur est introduite dans un flacon laveur hermétiquement clos. Au bout d’un temps connu on entraîne par un courant d’air l’émanation qui s’est accumulée dans le flacon[1] ; l’air ainsi chargé d’émanation est introduit dans le condensateur cylindrique et l’on mesure le courant qui traverse le condensateur comme dans le cas des gaz provenant des sources.

Nous avons fait figurer dans le Tableau ci-joint le nombre de minutes (n) pendant lequel il faudrait laisser séjourner 1 mg de bromure de radium pur dans 1 l d’air pour obtenir le même courant dans notre appareil qu’avec les gaz étudiés.

      i.10³. n.
Badgastein[2] (Autriche). Source Gratenbücker. 360 19,7
Plombières (Vosges)
Source Vauquelin 047 02,5
00»000 n° 3 029 01,53
00»000 n° 5 028 01,48
Trou des Capucines 021 01,16
Bains-les-Bains (Vosges) 016 00,89
Luxeuil
(Hte Saône)
Bain des Dames 005,7 00,29
Grand Bain 002,3 00,12
Vichy (Allier). Source Chomel 004,6 00,25
Néris ( Allier) 004,2 00,23
Bagnoles-de-l’Orne 003,3 00,17
Salins-Moutiers (Savoie) 003,0 00,16
Cauterets---- (Basses-Pyrénées) de 0,6
à
3
0,034
à
0,16
Eaux-Bonnes (---------»---------)
Lamalou (Hérault)
Mont-Dore---- (Puy-de-Dôme) de 0,6
à
3
0,034
à
0,16
Royat--------  (------»-------) 0 0
Châtel-Guyon (-------»------)
Alet (Aude)

Si nous avions étudié les gaz immédiatement au sortir de la source, il est à peu près certain qu’ils auraient été deux fois plus radioactifs.

Nous avons constaté que l’on impressionne une plaque photographique en la laissant quelques heures sous une cloche remplie avec les gaz de Plombières.

Nous avons encore étudié les gaz dissous dans les eaux minérales. Nous faisons bouillir l’eau 1 ou 2 jours après sa sortie de la source et nous recueillons les gaz dégagés ; ces gaz sont ensuite étudiés dans le condensateur cylindrique précédemment décrit. La quantité d’émanation extraite ainsi de 10 l d’eau est, pour certaines sources (Plombières : sources du Crucifix, des Capucins ; Luxeuil : Bain des Dames), de l’ordre de grandeur de la quantité d’émanation dégagée par 1 mg de bromure de radium pur en 1 minute.

Si l’on étudie les mêmes eaux par le même procédé 2 mois environ après leur arrivée de la source, la quantité d’émanation que l’on en extrait est beaucoup plus faible ; l’on peut conclure de ce fait que la plus grande partie de la radioactivité des gaz provient d’une action lointaine et n’est pas créée par un sel de radium dissous dans l’eau elle-même.

Il ne nous appartient pas de tirer une conclusion au point de vue du rôle possible que jouerait la radioactivité dans les actions physiologiques des eaux minérales. Nous ferons seulement remarquer que la quantité d’émanation du radium trouvée est excessivement faible ; si on laissait séjourner constamment en vase clos du bromure de radium avec 1 l d’air, il suffirait de 0,003 mg de ce sel pour lui donner la radioactivité indiquée dans le Tableau ci-joint au sujet des gaz de Plombières, source Vauquelin. Nous nous sommes trouvés souvent dans une atmosphère considérablement plus chargée en émanations sans éprouver aucune sensation spéciale. Toutefois nous ferons remarquer que dans le Tableau ci-joint les gaz provenant de Badgastein (Autriche) et ceux provenant de Plombières et de la région des Vosges sont les plus actifs : ces sources sont d’autre part classées dans la catégorie des sources indéterminées, parce que leur composition chimique ne permet pas de prévoir qu’elles puissent avoir une action sur l’organisme ; et l’on peut se demander si l’action spéciale attribuée à ces eaux n’est pas due à leur radioactivité.

Enfin la perte d’activité avec le temps est en accord avec l’affirmation souvent faite que certaines eaux minérales perdent avec le temps leurs propriétés.





  1. On peut calculer la quantité d’émanation qui existe à chaque instant dans un flacon fermé contenant une solution de sel de radium en supposant : d’une part, que la production d’émanation est proportionnelle au temps ; et, d’autre part, que l’émanation produite disparaît spontanément suivant la loi exponentielle connue.
  2. Les gaz de Badgastein ont été étudiés 12 jours environ après le moment où ils ont été recueillis. On avait alors i x 10³ = 94. Le courant diminuait ensuite de moitié en 4 jours. On a calculé par extrapolation, en admettant cette loi, le nombre qui figure dans le Tableau.