LOI DE DISPARITION DE
L’ACTIVITÉ INDUITE PAR LE RADIUM
APRÈS CHAUFFAGE DES CORPS ACTIVÉS.

En commun avec J. DANNE.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXXVIII, p. 748,
séance du 21 mars 1904.


Lorsque l’on chauffe à une température élevée un corps solide (une lame de platine, par exemple) qui a été activé à l’aide de l’émanation du radium, son activité disparaît beaucoup plus rapidement que si l’on avait maintenu la lame à la température ambiante. Miss Gates[1] a montré que l’activité se transporte alors sur les corps voisins de la lame chauffée ; l’activité distille à température élevée. Nous avons étudié la façon dont se produit ce phénomène. Nous avons pris d’abord des lames de platine activées pendant longtemps par l’émanation du radium. Nous avons chauffé ces lames pendant quelques minutes seulement à des températures élevées, puis nous avons étudié à la température ambiante la loi de désactivation.

Les résultats obtenus ont permis de construire les courbes des figures 1 et 2. Le temps compté à partir du début de la désactivation est porté en abscisse, le logarithme de l’intensité du rayonnement (LogI) en ordonnée. On a inscrit sur chaque courbe La température à laquelle la lame a été portée pendant quelques minutes au début de la désactivation.

La première courbe (15°) correspond à la courbe normale de désactivation d’une lame non chauffée. On voit qu’après chauffe à 215° et à 540° on obtient pour LogI en fonction du temps des courbes plus aplaties que la courbe normale. Après chauffe à des températures plus élevées que 630°, on obtient des droites, ce qui indique une loi exponentielle simple de désactivation de la forme . Le coefficient angulaire des droites (proportionnel à c’ ) caractérise la rapidité de la désactivation. c’ varie avec la température de la chauffe ; il augmente d’abord avec la température de la chauffe jusque vers 1100°, puis diminue ensuite. Sur le Tableau nous avons donné le temps caractéristique (en minutes), c’est-à-dire le temps nécessaire pour que l’activité baisse de moitié.

Désactivation des lames chauffées. Désactivation des lames activées
par distillation.
╭————————————╮ ╭————————————╮
Température
de
chauffe.
c’

Température
de 2e distillation
vers :
c’
00630 0,0003940 29,3 00700 0,0003900 29,6
00830 0,000470 24,6 01000 0,000490 23,4
01000 0,000550 21,0
01100 0,000570 20,3
01250 0,000480 24,1
01300 0,000454 25,4 01400 0,00040 28,6

Nous avons également étudié la loi de désactivation des corps activés par distillation. Un fil de platine est activé longtemps avec l’émanation du radium (sous une tension négative de 500 volts). On le place suivant l’axe d’un cylindre en platine, et on le porte à une température élevée à l’aide d’un courant électrique. Le cylindre est alors activé ; on éloigne le fil et l’on étudie la loi de désactivation du cylindre étalé sous forme de lame. Les résultats sont représentés figures 3 et 4 : les courbes 1, 2, 3, 5 montrent que la loi de désactivation ne peut pas être représentée par une exponentielle simple ; l’activité passe même par un maximum.

Nous avons aussi opéré en faisant deux chauffes successives du fil dans deux cylindres différents et en étudiant l’activité distillée lors de la deuxième chauffe. Les expériences représentées par les courbes 4 5 6 et 7 montrent que l’activité de deuxième distillation à la suite d’une première chauffe au-dessus de 600° est représentée par une droite, la loi de désactivation étant alors une exponentielle. On a donné, dans le Tableau qui précède, la valeur du coefficient c’ de l’exponentielle et du temps caractéristique qui correspondent à diverses températures de la deuxième distillation.

À la dernière séance de l’Académie, nous avons communiqué

fig. 1 et fig. 2.
fig. 1 et fig. 2.



que l’on peut expliquer la loi de désactivation d’un corps activé en supposant qu’il existe à la surface du corps trois substances , , distinctes qui se transforment en fonction du temps. Nous avons vu que plusieurs hypothèses permettent d’expliquer les lois de désactivation à la température ambiante. L’une d’elles convient parfaitement pour expliquer les résultats obtenus quand on a chauffé les lames aux températures inférieures à 650°. Voici cette hypothèse. La substance , qui disparaît en quelques minutes, n’intervient pas dans les expériences actuelles. La substance n’émet pas de rayons de Becquerel, elle se transforme en et elle est plus volatile que . La substance émet des rayons de Becquerel. Les coefficients b et c des exponentielles qui président à la disparition de et sont respectivement b = 0,000538 et c = 0,000413. Lorsqu’on chauffe une lame activée à 215°, 540° et 630° par exemple, la substance distille seule, la proportion de va en augmentant sur la lame chauffée, les courbes de désactivation tendent à devenir des droites. Après chauffe à 630°, existe seul sur la lame chauffée et la loi de désactivation est une loi exponentielle simple avec le coefficient c’ = 0,000394 qui diffère peu du coefficient c = 0,000413. Pendant que l’on chauffe

fig. 3 et fig. 4.
fig. 3 et fig. 4.



le corps activé au-dessous de 600°, distille sur les corps voisins, il s’y transforme en qui disparaît à son tour en émettant des rayons de Becquerel. La quantité de substance sur le corps activé par distillation est d’abord nulle au début, elle passe par un maximum, puis tend vers zéro asymptotiquement. Il doit en être de même du rayonnement, ce que l’expérience vérifie. La théorie indique que le maximum doit se produire au bout de 35,7 minutes, nombre peu éloigné de celui que donne l’expérience. Bien que la substance soit moins volatile que , elle distille cependant en partie vers 600°. On peut le constater (courbes 3 et 4, fig. 3) à l’aide des lames activées par deux chauffes successives d’un même fil. Le corps a presque complètement distillé dans la première chauffe à 500°, le corps distille à peu près seul dans la deuxième chauffe à 700° (courbe 4), de sorte que les lames activées par la deuxième distillation se comportent sensiblement comme si elles ne contenaient que le corps .

Quand on chauffe les lames activées à des températures supérieures à 700°, on obtient des phénomènes non prévus par la théorie qui précède. La substance semble se modifier dans sa nature, que nous supposerons caractérisée par le coefficient qui indique la rapidité de la loi de désactivation. Nous avons vu que le coefficient c’ est de 0,0004 (c’est-à-dire égal à c) quand la température de la chauffe a été de 630°. Si l’on chauffe à une température plus élevée, c’ augmente, passe par un maximum puis diminue. On voit d’ailleurs (courbes 6 et 7, fig. 4 et Tableau) que la substance qui distille en deuxième distillation semble être de même nature que celle de la substance qui reste sur la lame chauffée.

Les expériences qui viennent d’être décrites prouvent que la nature de la radioactivité induite sur une lame peut se trouver modifiée par des variations de température.





  1. Physical Review, mai 1903.